Chapitre 1 : L'accident
Il y a des matins où vous souhaiteriez plus que tout au monde pouvoir rester dans la chaleur réconfortante et douillette de vos draps. Une petite voix vous souffle que rien de bon ne pourrait advenir à l'extérieur et le tap-tap de la pluie contre le toit ainsi que le souffle violant du vent qui ébranle votre fenêtre vous confirme cette impression.
Ce matin était un de ceux là.
Depuis que j'étais arrivée à Forks, un mois au paravent, je n'avais encore connu aucun de ces matins baignés de soleil et chaleureux où vous levez pour sortir de chez vous ne semble pas être une corvée.
Sous ma couette, j'essayai de m'imaginer un de ces matins lumineux que j'avais connu à Phoenix, un de ceux où il faisait si chaud que, à travers la vitre de ma chambre, je sentais déjà les rayons du soleil brûler la peau.
En vain, ici, à Forks il faisait trop froid, trop sombre, trop pluvieux, trop vert que pour ne serait-ce que pouvoir imaginer Phoenix. Je me résignai à ouvrir un œil, puis l'autre, avant de me tirer bravement de mes draps pour foncer sous la douche où je positionnais le robinet d'eau chaude sur la position la plus forte.
Le laissai longuement l'eau réchauffer mon corps glacé avant de déposer un peu de shampooing à la fraise au creux de ma main pour masser ma chevelure trempée. L'odeur embauma rapidement la cabine de douche et je respirai avec délectation le parfum de fraise synthétisée. Différentes images apparurent alors derrière mes paupières, celle du chewing-gum, des tagadas Haribo, de ma mère, Renée, et puis par association celle de notre maison à Phoenix.
Je secouai la tête, me rendant compte que mes pensées allaient une fois de plus vers cette ville que j'avais décidément bien du mal à oublier. Pas que Forks me déplaisait réellement, loin de là, il m'était juste un peu plus difficile que je l'avais cru de mettre les habitudes de presque toute une vie de côté.
Je sortis de la douche et enfilai un jeans ainsi qu'un chemiser et un blazer par au-dessus avant d 'attraper mon sac et de descendre quatre à quatre les marches jusqu'à la cuisine où la pendule m'indiqua que j'étais déjà en retard, je m'apprêtai donc à partir sans rien avaler d'autre qu'un verre de jus de fruit quand j'entendis des voix au salon.
Intriguée, je passai dans la pièce d'à côté où je tombai nez à nez avec mon père, mais également avec le Docteur Cullen et son fils, Edward. J'essayai d'étrangler un petit cri de surprise et j'eus bien du mal à marmonner un simple bonjour tant j'étais confuse de les trouver là.
Il n'était pas inhabituel quoique toujours un peu surprenant de trouver le Docteur Cullen chez nous. Charlie et Carlisle se connaissaient de longue date et avait l'habitude de travailler ensemble. Dans une aussi petite ville que Forks, un chirurgien, aussi bon soit-il, à parfois la désagréable tâche de servir de médecin légiste. Le commissariat n'avait heureusement pas l'occasion d'élucider assez de cas d'accidents ou de meurtres à l'année que pour pouvoir s'offrir les services d'un vrai médecin légiste.
Carlisle était plutôt grand et devait avoir la petite quarantaine, ses traits étaient élégants et agréables. Un sourire avenant étirait toujours ses lèvres, un de ceux qui vous mettent automatiquement en confiance bien que sa compagnie me rendait toujours un peu mal à l'aise comme avec tous les gens que je connaissais peu.
Il était, par contre, rare de voir Edward dans nos murs. Le jeune homme était plutôt taciturne et réservé, mystérieux même. Je ne l'avais jamais vu fréquenter personne en dehors de ses frères et sœurs.
Sa proximité me rendait également nerveuse tant j'avais dû mal à le cerner et tant je le sentais si peu enclin à s'ouvrir. Autant dire que les six heures hebdomadaires de biologie que je passais à ses côtés relevait parfois de la torture.
Pour être totalement honnête, il n'y avait pas que la personnalité d'Eward qui me troublait. Sa beauté provoquait chez moi un « je ne sais quoi » assez étrange dans mon estomac.
Ses deux yeux verts se posèrent sur moi et un sourire de bienvenue étira ses lèvres fines et délicates, illuminant son visage marmoréen qui contrastait avec ses cheveux bronzes. Il était toujours impeccablement mis, tel un mannequin qui aurait décidé d'élire domicile dans mon salon pour une raison obscure.
Je bafouillais un bonjour maladroit, mes joues s'empourprant automatiquement.
- Bella ! Tu n'es pas encore partie, tu vas être en retard, s'exclama Charlie.
- Je m'en allais, précisai-je.
- Edward, tu devrais y aller également, dit Carlisle à l'attention de son fils. Merci de m'avoir déposé.
- A plus tard, murmurai-je en me dirigeant vers le hall d'entrée où j'enfilai mon parka.
Je cherchai mes clés dans mon sac quand Edward me rejoint.
- Tu veux que je te dépose, demanda-t-il avec sympathie.
J'évaluai la proposition silencieusement. C'est vrai que me retrouver seule avec Edward durant environ un quart d'heure ne devait pas être si désagréable, mais j'imaginai les commérages qui allaient me poursuivre toute la journée si je débarquais à l'école avec la coqueluche du lycée. Non merci.
- Tes frères et sœurs ne sont pas avec toi ?
Si c'était oui, la question serait vite réglée, il n'y aurait pas de place pour moi.
- Non, ils ont pris la voiture de Rose, ce matin.
- Oh ! Hum... Ça aurait été avec plaisir, mais je dois faire des courses en rentrant, alors...
Je sortis sur le perron, lui sur mes talons.
- Mince, il gèle, me plaignis-je en remarquant une l'énorme plaque de verglas qui s'étendait sur notre parking.
- Il a gelé plutôt, fit remarquer Edward en désignant la pluie qui tombait sur le sol verglacé le rendant plus dangereux encore. Heureusement, Charlie a pensé à enchaîner tes pneus.
- Merci Charlie, soupirai-je. Au fait, tu sais de quoi il était question, demandai-je en désignant du menton la maison où se trouvait mon père et celui d'Edward.
- Un accident du côté des Goats Rocks, je pense... Un campeur qui s'est fait attaquer par un ours ou quelque chose de ce genre. Ils vont récupérer le corps pour...
Une grimace dégoutée tordit son beau visage.
- Super journée en perspective, murmurai-je en ouvrant ma portière.
- Tu es sûre que tu ne préfère pas venir avec moi ?
Il dit ça avec un drôle d'air.
- Insinuerais-tu, Edward Cullen, que je suis incapable de conduire par ce temps ?
- Non, seulement qu'il serait plus prudent de te laisser véhiculer, répondit-il avec son sourire en coin.
- Par toi ? Il paraît que tu es un vrai danger public sur les routes et que tu roules comme un malade, rétorquai-je en m'installant dans la camionnette. On se retrouve en biologie !
Oui, je t'attendrai évidement, ajouta-t-il moqueur sans quitter son putain de sourire.
Je claquai ma portière, avant de démarrer et de faire rugir le moteur bruyamment, impatiente qu'il déplace sa voiture qui était garée derrière la mienne.
J'effectuai le trajet prudemment, sans rouler trop vite, ce qui me permis de repenser à l'attitude d'Edward, plus décontractée qu'au paravent. Il était vrai que nous ne nous connaissions que depuis un peu plus d'un mois et que nous n'étions pas le genre de personnes qui se lient facilement d'amitié.
Je garai ma Chevrolet sur le parking du lycée, cherchant des yeux la Volvo argentée. Elle était garée à quatre voitures de ma camionnette et son propriétaire était négligemment appuyé sur son capot.
Je descendis et passais avec un air digne devant lui, décidant d'ignorer ses persifflages.
- J'ai cru que tu n'arriverai jamais, je commençai même à m'inquiéter, s'exclama-t-il comme s'il avait attendu des heures.
- Qui me parle ?
- Oh Bella, ne te vexes pas, je plaisantais, s'excusa-t-il en me rejoignant.
- Edward, laisse-moi te dire que je préférais l'époque où tu t'en tenais à me dire bonjour et bonsoir plutôt que tes sarcasmes actuels, dis-je sur un ton faussement furieux.
- Très bien, pardonne-moi. Je serai sage maintenant...
- Il vaut mieux pour toi, marmonnai-je en pénétrant dans la classe de biologie où tous les élèves étaient déjà installés.
Nous gagnâmes notre paillasse sous les regards inquisiteurs de la classe, je me mis à rougir automatiquement et je vis Edward à mes côtés se refermer comme une huître : il perdit son beau sourire et l'étincelle qui brillait dans ses yeux lorsqu'il s'autorisait à se détendre un peu.
Dès que nous fumes installés, lui du côté de la fenêtre et moi du côté de l'allée, le professeur entra. Ce type avait un sens du timing incomparable. Il nous mit au travail et nos vieilles habitudes à Edward et à moi-même reprirent, nous ouvrions à peine la bouche, essayant tous les deux d'être le plus discret et le moins envahissant possible, comme nous nous étions efforcé de l'être durant le mois qui avait précédé.
Les cours s'enchaînèrent et nous ne nous revîmes plus de la matinée, hormis sur le temps de midi à la cafétéria où je l'aperçus en compagnie de ses frères et sœurs.
- Alors, dit Jessica toute excitée lorsque je posai mon plateau à côté d'elle.
- Alors quoi, demandai-je déjà blasée par son babillage creux.
- Cullen et toi ! J'ai vu qu'il t'attendait ce matin !
Évidemment, Jessica n'avait pas pu louper un détail aussi futile.
- Êtes-vous constamment obligées de parler de cet abruti, marmonna Mike Newton.
- C'est vrai que ça devient lassant, soupira Tyler Crowley.
Je soupirai en remerciant mentalement Tyler et Mike.
- En tout cas, ils sont vraiment bizarres, ça, personne ne peut le nier, cracha Lauren en me regardant.
Je ne répondis rien sachant qu'elle essayait de me provoquer.
- C'est vrai, murmura Jessica en jetant un coup d'œil au clan installé à quelques tables de nous. C'est presque malsain, être si jeunes et déjà vivre ensemble, ajouta-t-elle en faisant allusion au couple de Rosalie et Emmett et à celui de Jasper et Alice.
Je reconnu la morale typiquement provinciale de Forks s'exprimant ici, à Phoenix cette histoire serait presque passée inaperçue.
- Je ne suis vraiment pas sûre que ça soit légal, répondit Lauren. Techniquement, ils sont frères et sœurs!
- Ne sois pas bête, Lauren, s'exclama Angela. Ils ne sont pas du même sang... Rosalie et Jasper ne sont même pas les frères adoptifs d'Alice, Emmett et Edward.
- Ah bon, dis-je surprise par la révélation d'Angela.
- Rosalie et Jasper Hales sont les neveux de madame Cullen, elle est leur tutrice, mais pas leur mère adoptive.
- En tout cas, le Docteur Cullen a trouvé le truc pour avoir beaucoup d'enfants et économiser des chambres : les caser entre eux, s'esclaffa Mike.
Mike, Lauren et Jessica rirent grassement.
- Mais bon, souffla lascivement Jessica en me jetant un regard, moi je ne suis en aucun cas leur sœur et je vous avoue que je ferai bien un sort à Edward !
A quoi jouait-elle? Était-elle entrain de me tester ?
- Arrête de rêver, Jess ! Aucune fille d'ici n'est assez bien pour lui, ricana Lauren en me regardant à son tour.
Je me levai, désespérée par leurs comportements puérils. Je comprenais parfois pourquoi les Cullen préféraient se tenir à l'écart des autres lycéens. Ils se dégageaient une telle impression de maturité de leur étrange petit groupe que je ne les voyais pas du tout se joindre aux babillages stupides des élèves de leurs classes.
Je jetai le contenu de mon plateau aux ordures sans avoir presque rien avalé avant de prendre la direction des salles de classe.
- Tu te sens mal, Bella, me demanda une voix cristalline lorsque je pénétrai dans la classe d'espagnol.
Je me retournai pour tomber nez à nez avec la le visage de lutin d'Alice Cullen.
- Non, pourquoi ?
- Tu es partie si vite, sans rien avaler, expliqua-t-elle en s'installant sur un des bancs.
- J'avais envie de me retrouver seule, expliquai-je.
- Oh, murmura Alice, un peu embarrassée.
Je compris qu'elle pensait qu'elle me dérangeait.
- Ce n'est pas contre toi... Les babillages de Lauren et Jessica ont parfois tendances à … me taper sur le système...
- Et ça ne fais qu'un mois que tu es parmi nous, Bella ! Je les entends jaser sur notre famille depuis plus d'un an.
- Oh, tu es au courant ?
- Ce n'est pas parce que nous nous suffisons à nous-même, que nous sommes complétement hermétiques à l'atmosphère de l'école. Tout ce sait, ici, mais j'imagine que tu l'as déjà compris, sourit-elle.
- Plus ou moins, oui, marmonnais-je.
D'autres élèves pénétrèrent dans la classe et prirent place. Je me laissai tomber à côté d'Alice.
- Ca ne te dérange pas, demandai-je.
- Pas le moins du monde, dit-elle en sortant son classeur de son sac de cours.
Soudain, elle se figea dans son mouvement, les prunelles de ses yeux s'écarquillant, comme si elle avait un moment d'absence.
- Alice ! Tu vas bien, m'enquis-je.
- Oui, oui... Pas de problème, répondit-elle un peu distraitement tandis qu'un sourire naquit sur ses lèvres.
- Tu sais, dit-elle un peu brusquement, je pense que mon frère, Edward... Enfin, je crois qu'il t'aime bien...
Je restai estomaquée par ce qu'elle venait de suggérer. Je la regardai bouche ouverte, attendant qu'elle me crie « Ha ha ha, je t'ai bien eue ! », mais elle ne dit rien de ce genre.
- Il ne te plait pas ?
Ses yeux rieurs me scrutait attentivement.
- Qu'est-ce qui te fais penser ça, articulai-je difficilement.
- Ton air horrifié, peut-être ?
- Non, qu'est-ce qui te fais penser qu'il...
Je fis un effort mental particulièrement éprouvant mais hélas infructueux, pour finir ma phrase.
- Oh, appelle ça un sixième sens si tu veux... Au fait tu es libre samedi ? J'ai une envie folle de shopping, s'exclama-t-elle.
L'après-midi se déroula lentement. Alice et moi avions convenu de nous retrouver le samedi suivant. J'avais osé lui avouer entre deux phrases que je détestais le shopping, mais m'étais ravisée devant son air carrément apoplectique.
Le prof d'espagnol, puis celui de mathématique et enfin celui de littérature anglaise ne m'avaient pas trop laissé de temps pour penser à ce qu'elle m'avait dit à propos d'Edward, c'est donc particulièrement préoccupée que je traversai le parking verglacé.
J'avais presque atteint ma voiture quand je remarquai qu'Edward et Alice discutaient vivement devant la Volvo grise, la jeune fille avait le visage baigné de larmes et cherchait désespérément quelqu'un ou quelque chose du regard. Soudain, ses yeux de posèrent sur moi et elle secoua vivement Edward par le bras, me désignant du doigt à ce dernier.
Je les regardais avec un air de totale incompréhension. Je ne comprenais pas ce qui mettait Alice dans cet état et dont j'étais apparemment responsable. Ensuite, tout ce passa très vite. Un crissement de pneus me déchira les tympans et je vis Edward s'élancer vers moi, en quelques secondes il fut sur moi, m'écartant vivement de l'arrière de ma camionnette, mais trop tard. Le fourgon bleu de Tyler Crowley rebondit sur ma voiture, et au lieu de terminer sa course là, glissa sur une plaque de verglas pour venir me percuter de plein fouet écrasant ma jambe droite entre la voiture qui se trouvait derrière moi et son côté.
Il y eut un cri, le mien d'abord, je pense. Puis celui, d'Alice et ceux d'autres personnes. Ensuite, la voix d'Edward qui me murmurait des choses incompréhensibles et enfin la douleur. Une douleur trop vive que pour être supportée, je perdis connaissance dans les bras d'Edward.
FIN du chapitre 1
