Il faisait froid ce jour-là. Le ciel était couvert, la neige allait tomber. Le vent soufflait, glaçait les vitres, seules et uniques relations entre ce manoir aussi froid que ce pays, et l'extérieur enneigé.

Elizabeth gisait au sol, ce matin de novembre. Ensanglantée, meurtrie, apeurée, comme une enfant qui vient de trébucher, sauf qu'elle venait de se faire battre, comme souvent désormais dans la maison russe. Les larmes ne coulaient pas. Pourquoi faire ? Cela ne servirait à rien. Des larmes de quoi, d'ailleurs ? De tristesse, de douleur, de peur ? Non, plutôt des larmes de colère. Se sentir faible, soumise à cet homme, cet ennemi qu'elle ne pouvait pas voir en peinture, ce grand bonhomme qui l'effrayait tant qu'il la hantait même durant la nuit.

Elle était trop faible pour se relever, pas assez forte mentalement pour faire bouger ses membres. Alors elle restait là, allongée sur le côté, l'une de ses jambes dans un angle étrange, le sang qui s'écoulait doucement le long de son mollet. S'enserrant dans ses bras, en espérant que cela suffise comme bouclier. Couchée sur la pierre glaciale de la chambre, elle grelottait, ses pieds nus tremblant tant la température était basse. Ces petits pieds, ceux qui faisaient que Roderich l'appelait sa petite Cendrillon lorsqu'ils n'étaient que tous les deux. Ah, Autriche… Il lui manquait. Terriblement. Avait-il entendu parler de l'insurrection de Budapest, en Octobre ? Et de la réplique de l'Armée rouge ? S'inquiétait-il, lui manquait-elle, à ces yeux, était-elle encore sa douce Cendrillon, sa jolie Hongroise ?

Lizzy n'en savait rien et elle avait même peur de le savoir. Et s'il ne l'aimait plus, et si, et si… Après que son peuple se soit élevé contre le communisme, son seul allié restait Feliks. Le polonais était son unique soutien, son camarade de galère. Les autres… On en entendait plus parler. Pas même Gilbert.

Lorsqu'elle pensa à la Prusse, le visage de l'albinos lui apparut et Elizabeth serra ses bras de ses deux mains. Était-il toujours là ? Son vieux rival, ce cher Gilbo, qu'elle aimait taquiner, embêter, faire chier. Son petit souffre-douleur préféré. Il était faible, lui aussi, séparé de son frère Ludwig, lui qui était à l'Ouest du Mur qui séparait l'Allemagne. Gilbert… La dernière fois qu'elle l'avait vu, c'était si lointain déjà. Le temps s'écoulait lentement ici en Russie. La neige ne fondait jamais, comment compter les jours si les saisons ne s'écoulent plus, comme si le sable du temps s'était arrêté ? Elle avait espéré, en ce jour d'insurrection, ce jour de révolte, d'espérance, de vie, qu'enfin le régime qui pesait sur son pays, sur elle et ses compatriotes, cesse, tombe, s'enterre, meure. Mais non. Ivan en avait décidé autrement. Il lui avait fait payé et très cher.

Toussotant et crachotant du sang trop foncé, la Hongrie se releva doucement, s'appuyant sur ses bras tremblants. Elle avait mal. Elle souffrait mais jamais, au grand jamais, elle ne se plaindrait ou supplierait qui que ce soit. Elle était fière, libre. Elle était la Hongrie. Ce pays né sur le dos d'un cheval qui galopait à travers les vertes plaines. Non, jamais elle n'abandonnerait. Mais là, elle avait tristement besoin de lui. De ce corps bien sculpté qui pendant un moment lui avait tenu compagnie, elle qui rêvait seule dans son lit. Alors que ces yeux se fermèrent pour laisser couler une unique larme, elle eut une unique prière.

Faites qu'il me revienne.