Le vent soufflait fort ce soir-là encore. Les murs de bois de la vieille bicoque grinçaient sous la pression des rafales qui balayaient le pays. Un voisin aurait probablement confirmé à Remus qu'il s'agissait de l'hiver le plus froid que la région ait connu depuis des décennies.
Mais il n'y avait pas de voisin avec qui parler à des kilomètres à la ronde, et cet isolement était d'ailleurs la raison principale de l'attrait de Remus pour cette bâtisse.
Il avait besoin d'être seul, de réfléchir… sans être dérangé.
Voilà sans doute ce qu'il aurait répondu à quiconque l'aurait interrogé sur la raison de sa présence ici, le jour du réveillon de Noël. C'était faux, évidemment.
Le 26 décembre, entouré de rouge sur le calendrier accroché au mur au dessus de son lit, était là pour lui rappeler – comme s'il y avait moyen de l'oublier – que dans deux jours, la lune serait pleine, et qu'à ce moment-là, Lupin céderait sa place au monstre en lui. Une vraie bénédiction que cette maison éloignée de tout.
Remus détestait mentir, mais il haïssait encore plus la pitié qu'il lisait dans les yeux de ses proches lorsqu'on en venait à parler de sa lycanthropie. Il avait donc poliment décliné l'offre de Dumbledore, entre autres, de venir passer Noël à Poudlard, affirmant passer le réveillon en famille cette année.
Il rougissait de honte en y repensant. Il y avait bien longtemps que ce qui restait de sa famille avait jugé opportun de couper les ponts avec lui. Il ne leur en voulait pas, qui voudrait avoir pour cousin un monstre capable de vous déchiqueter un beau jour ?
Chair. Sang. Chasse.
Remus secoua la tête. Plus le maudit astre lunaire s'arrondissait, plus la Bête prenait de place dans son esprit. Des années de pratique ne lui permettaient que de la refouler, mais cela devenait de plus en plus délicat à mesure que le jour fatidique approchait.
L'ancien professeur de Défense contre les Forces du Mal regarda d'un œil morne les ouvrages qu'il avait emportés dans sa retraite. Tout cela lui semblait vain. Personne n'engagerait un loup-garou, pour quelque travail que ce soit, alors qu'importait ce qu'il pouvait détenir comme savoir ?
Frissonnant dans sa robe élimée, il balaya la pièce unique du regard. Un vieux bureau vermoulu, un lit au sommier de planches et un tabouret constituaient la totalité des meubles de la maison. Un feu brûlait magiquement dans la petite cheminée. Des toilettes sommaires se trouvaient à l'extérieur de la mansarde, et il fallait faire chauffer de l'eau pour pouvoir se laver.
Désespérément vide. Remus n'avait jamais été matérialiste, loin s'en faut, mais la maigreur de ses possessions offrait un terrifiant reflet de la pauvreté de sa vie. Il avait maintenant atteint la quarantaine d'années, et n'avait ni travail, ni famille, ni vraie maison. Le préfet plutôt brillant sorti de Poudlard avec les honneurs n'avait pas trouvé sa voie, et quand il avait cru la trouver, on l'avait rejeté dans le fossé où il végétait maintenant.
Il avait retrouvé l'espoir l'année passée, quand Albus lui avait proposé un poste à Poudlard, mais cette expérience s'était terminée brutalement, et cette période de bonheur rayée d'un coup de plume par Rita Skeeter.
Il se sentait enfermé, rejeté de la plupart du monde des Sorciers par la peur qu'inspiraient ceux affligés du même mal que lui. Sirius aussi avait été mis au ban de la société, et d'une manière bien plus brutale et prolongée… Mais il n'était pas Sirius, il n'était pas animé de la même force, de la même rage de vivre.
Remus fut brutalement tiré de ses souvenirs par un bruit à la fenêtre. Intrigué, il alla ouvrir à la chouette effraie qui tapait au carreau, manifestement impatiente de délivrer son message pour partir en quête d'un endroit plus chaud. Ce qu'elle fit, laissant tomber au sol une lettre et un petit sac en toile avant de partir à tire d'aile.
Attraper l'oiseau. Mordre. Sentir son sang couler.
Lupin dut s'asseoir un moment, le temps que la Bête s'assoupisse à nouveau. Il maudit une nouvelle fois son impuissance, et ouvrit la lettre.
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Lupin resta sans voix un moment. Ce devait être une blague de mauvais goût. Ou alors une erreur, le courrier ne mentionnait nulle part son nom, la chouette avait pu se tromper de destinataire. Mais les hiboux ne se trompaient jamais, Remus soupesa donc le petit sac en cuir que la chouette avait déposé en même temps que la lettre. Un enchantement mineur protégeait son contenu des chocs, il en sortit donc un petit flacon intact.
Par Merlin, ça avait vraiment l'air d'une vraie ! Il avait déjà eu l'occasion à plusieurs reprises de voir une telle potion, sans jamais pouvoir y goûter. Il pouvait presque sentir la chance pure qui émanait de la petite bouteille, scellée à la cire.
Il ne pouvait encore en croire ses yeux… Il s'était presque fait à l'idée de passer le pire Noël de son existence, qui n'avait pourtant pas été chiche en désagréables périodes, et voilà que cette potion allait tout changer. La possibilité de passer une journée exquise, une journée de chance insolente, de fortune miraculeuse reposait dans le creux de sa main.
Oui, de la chance… La chasse sera bonne. Tue, tue, tue et re-tue. Egorge, dévore, éviscère !
Remus ne s'était pas levé, et c'était une chance sinon il se serait sans doute écroulé à terre tant la charge de la Bête plus qu'à moitié réveillée avait été violente.
Il ne pouvait pas boire cette potion. Il sentait la Bête tapie au fond de son âme, attendant son heure, trépignant d'impatience. Que pouvait bien représenter une journée de chance pour une telle créature ? Quelques humains imprudents en guise de Réveillon ? Peut-être même un enfant ou deux… la Bête avait toujours manifesté un appétit particulier pour la chair tendre des nouveaux-nés.
Non, il ne pouvait tout simplement pas prendre ce risque. Son visage s'assombrit aussi vite qu'il ne s'était illuminé quelques instants auparavant. Il prit une petite pincée de poudre dans un bocal près de la cheminée, la jeta au feu et murmura le nom d'un petit pub de l'Allée des Embrumes, où, avec un peu de chance, il ne croiserait personne de sa connaissance.
