John se leva de son siège, pensif encore, cela faisait déjà plus de vingt minutes qu'il patientait, attendant sans un mot que quelqu'un portant également une tulipe blanche à la main fasse son entrée dans le petit mais très confortable café qu'il avait choisi pour une première rencontre.

Cela faisait bientôt un an que le soldat vivait de nouveau seul, au fond d'un studio situé en centre-ville. Pour autant, il ne vivait toujours plus, et ne sortait que pour acheter du lait pour son thé quand il ne pouvait pas se le faire livrer. Ses amis, sa famille, plus personne ne comptait à ses yeux, et l'encore relativement jeune ne trouvait pas le courage et encore la force de nouer des relations, entretenir les anciennes devenait un supplice.

L'idée de s'inscrire sur un site de rencontre était apparue lentement, s'inscrivant dans la pensée quotidienne. Après tout ce te temps passé au fond de sa grotte, ne redoutant pas la nécessité de devoir des efforts pour ses futures relations et encore moins la rencontre physique, il s'était doucement laissé prendre au jeu, et de fil en aiguille, s'était investi plus qu'il ne l'avait crût, et les choses allaient vite, trop vite. Quelques heures après la création de son profil sur . ; déjà d'autres utilisateurs lui proposaient de faire plus ample connaissance.

Le blondinet y prit goût, et se connecta plusieurs fois par jour, puis plusieurs minutes, heures, des heures, des liens, sa torpeur s'en allant paisiblement, John reprenant du plaisir aux discussions bien que virtuelles et pour il ne se sentait toujours pas assez fort pour affronter la vie réelle, le monde de dehors, les simples paroles de la caisse automatique du Tesco lui convenait pour l'instant. En effet il avait peur, peur des autres, peur du toucher, du bruit, des sensations, peur de l'Homme, parce que c dernier lui avait fait du mal, il avait déjà trop souffert et se morfondant encore trop dans son trou caché, loin des autres.

Un quotidien se recréa autour de lui, et John prenait des habitudes, lentement, sûrement, pas à pas et c'était un plaisir, le seul, un des rares, celui que RMVitie lui offrait grâce à leurs échanges, chaque jour à n'importe quelle heure de la journée, sur n'importe quel sujet, dans n'importe quelle situation et John en était devenu addict. La plupart du temps, au lieu de lire ou encore écrire sur papier de longues lignes sur ses sentiments, le quadragénaire entrait ses identifiants et passait de longues heures à discuter en ligne.

Un soir, le soldat tenta de donner une nouvelle tournure à l'amitié naissante que les deux hommes entretenaient, et demanda à son interlocuteur s'il était possible d'échanger leurs numéros. RMVitie refusa, répondant froidement à un John désemparé qu'il n'avait pas envie de précipiter les choses. « Vous n'aimeriez pas ma voix. » prétexta-t-il.

Leurs rapports en furent quelque peu affectés, et John se renferma de nouveau, des larmes coulant en silence de ses yeux à son menton alors que des souvenirs qu'il pensait pourtant avoir enfouis resurgissaient.

Il se connecta de moins en moins, passant le plus clair de son temps au fond de son lit, réfléchissant sur la nature de sa présence ici, et comment il en était venu à s'attacher à ce point à une personne qu'il n'avait encore jamais rencontrée, s'interrogeant sur la vraie nature des sentiments nouveaux qu'il se mettait à exprimer sans pour autant les contester ou les remettre en question.

Au cours d'une de ses plus intenses réflexions, quelque chose se passa dans ses esprits, et il comprit que tout cela commençait à aller trop loin, et il fallait réagir. Il allait lui expliquer, à ce RMVitie, ce que c'était de refuser quelque chose à un Watson ! Se retroussant les manches, il alluma son ordinateur et attendit que le petit processeur Intel Core se mette en marche.

Quand le site démarra enfin, le blondinet ouvrit la fenêtre de conversation avec RMVitie, et ouvrit de grands yeux pleins de surprise. Toute une lettre l'y attendait depuis semblait-il la veille. Le petit cœur de John fondit, tapant fort dans sa poitrine alors qu'il retrouvait la vie. Il balbutia pour lui-même, lisant à voix-haute comme si cela donnait un effet encore plus dramatique à la situation.

Tremblant dans ses chaussons, il tapa en vitesse une réponse mal formulée mais qui traduisait néanmoins l'expression de ses sentiments, plaçant habilement au milieu de son récit une critique sur le caractère distant de son ami. Pourtant, il ne lui en voulait pas, et au contraire, s'y attachait un peu plus. Et c'est ainsi que les deux correspondants reprirent leurs habitudes.

Son thé refroidissait, mais le soldat n'y prêtait plus guère attention, la sur-infusion ne le gênait plus autant qu'avant, tout ce qui importait maintenant à ses yeux était de revenir au climat plat et amical qui avait été perturbé entre RMVitie et John à cause de l'impatience de ce dernier, et de son attachement sans doutes trop rapide à son nouvel ami, bien que ce n'eût réellement pas été sa faute cette fois-ci. En effet, le blondinet avait rencontré l'autre sur internet, les contacts extérieurs étant toujours exclus de ses envies, se complaisant encore dans sa semi-solitude quotidienne, et ses barrières baissées, John avait laissé son interlocuteur pénétrer ses habitudes, peut-être trop vite, pensant que l'affection qu'il offrait à l'autre était réciproque, discutant à chaque heure du jour ou de la nuit. Il se demanda s'il n'avait pas été manipulé.

C'était étrange, à peine avait-il créé son profil, mise en ligne une de ses photos les plus honnêtes, que RM, comme il le surnommait, l'avait ajouté dans son cercle d'amis, et lui envoyait déjà un premier message de bienvenue, et le soldat de mousse n'y avait rien trouvé à redire, saluant l'autre avec l'enthousiasme d'un dépressif. Et pourtant RM persista, resta, n'en démordit pas, revenant à la charge à chaque fois que John se connectait.