Crédits - Stan Lee, Jack Kirby (original), Bryan Singer (Days of Future Past)
Base - X-Men : Days of Future Past
Rating - M
Avertissements - Divergence par rapport au film. Handicap canon. Alcoolisme. Abus de substances et auto-médication. Référence à des troubles mentaux et à des comportements potentiellement suicidaires. Deux Ex Machina.

Note - Cette fic fait au moins trois fois sa taille prévue à l'origine donc j'ai décidé de la découper, histoire de ne pas surcharger et de me donner le temps de la terminer. Je vous demanderais aussi d'ignorer les cohérences de timeline parce que c'est un vrai foutoir quand on approche tout ce qu'il y a de canonique là-dedans (rien qu'au niveau des films) et j'ai essayé de m'en tenir à ce que Days of Future Past et la trilogie originale nous ont laissé, donc... J'ai aussi choisi d'ignorer le fait que Wolverine soit le seul à pouvoir retourner dans le passé et yaddle, nous voilà avec un nouveau monstre. Oskour. Bonne lecture :)

En espérant toujours,


Romulus


part i – hope (Magneto)

Quand Magneto ouvre les yeux, il ne peut empêcher un soupir traverser ses lèvres desséchées par l'air froid et artificiel. Est-ce de lassitude, d'émerveillement ou de soulagement, il ne saurait vraiment dire. Peut-être le premier car autant le fait de savoir que leur pari a fonctionné ôte ses épaules d'un poids immense, autant il doit admettre que le gris sombre de sa cellule sous le Pentagone ne lui a certainement pas manqué.

Il lui faut un certain temps pour s'habituer à la jeunesse de son corps à peine entré dans la quarantaine et maltraité par dix ans d'isolation, ce qui est une frustrante perte de temps en considération du travail qu'il a encore à accomplir. Sa posture est maladroite, ses mouvements raides, parfois hésitants, et il ressent soudainement une vague de sympathie pour Charles : si lui-même se sent comme une marionnette humaine dans son propre corps rajeuni d'une cinquantaine d'années, il n'ose penser le calvaire qu'a dû traverser le professeur pour plier le corps d'un étranger à son formidable esprit, pour le modeler à son image et à sa volonté. S'il n'avait pas déjà le plus grand respect pour Charles Xavier, il aurait été prompt à changer d'avis.

Mais les pouvoirs de son vieil ami ont toujours dépassé son entente, encore aujourd'hui.

Concentration, se morigène Magneto en serrant les paupières. Il n'a qu'une seule chance, après tout.

Le magnétisme de la Terre est un cocon bienvenu autour de lui, une étreinte familière qu'il a appris à chérir avec le temps, dessinant des lignes blanchâtres et des flux dans l'espace qu'il occupe. Magneto est tenté, une brève seconde, de se projeter vers le haut, de faire de cette évasion un ultime coup de théâtre comme il les affectionne et renonce tout aussi vite – à quoi bon les artifices, alors que la conférence de paix est dans moins de deux jours et qu'il pourrait être dans les bras de Charles avant la nuit ?

Il y a quelques années, il aurait probablement ri et serait sortit triomphant par l'entrée des visiteurs avec du sang sur les bottes, son casque symboliquement calé sous le bras.

A la place, Magneto appelle ses pouvoirs à lui, prend une longue inspiration et ouvre l'espace en deux.


Il avait embrassé pour la dernière fois Charles deux heures plus tôt. Cinquante ans plus tard. C'est difficile de distinguer l'amont de l'aval, lorsqu'on remonte un fleuve à contre-courant Magneto suppose que son voyage même temporel peut souffrir d'une métaphore similaire. Son esprit se souvient d'avoir embrassé Charles, évidemment – il aime se vanter de se souvenir de chacun des baisers de Charles même si tous deux savent pertinemment que c'est un mensonge éhonté et oh, d'accord, le télépathe se souvient pour eux deux de toute façon – mais c'est en vain qu'il cherche un goût légèrement salé sur ses propres lèvres, celui de poussière, de sueur et de larmes versées face à l'inacceptable, mêlé à cette infime touche de Charles qui a toujours accompagné leurs étreintes. S'il se concentre assez fort, peut-être parviendra-t-il à se persuader que cela ne fait que deux heures qu'il senti pour la dernière fois la bouche de son amant pressé contre la sienne, leurs doigts frôlant le visage de l'autre dans un ultime rappel, un dernier moment pour se donner du courage.

Bien sûr, ce n'est qu'une illusion qui se dissipe bien vite face à l'urgence de la situation.

Créer des trous dans l'espace est un art délicat et incroyablement fatigant, surtout pour quelqu'un qui n'a pas vu le soleil depuis dix ans, aussi évite-t-il de voyager directement jusqu'à l'Institut. Il atterrit désorienté dans le sud de Philadelphie et parvient à peine à tituber jusqu'à une gare, volant un peu d'argent à des passants distraits pour acheter un titre de transport. Le trajet jusqu'à New York est long, aussi s'autorise-t-il à fermer les yeux quelques minutes, le front appuyé contre la vitre du train.

Il dort pendant tout le trajet.

A son réveil, Magneto ne doute pas que tout Washington est déjà en état d'alerte et que sa photo a probablement déjà été diffusée aux nouvelles nationales. Il y a quelque chance pour que les résidents du Manoir – qui, si son évasion n'a pas encore commencé à affecter le cours du temps, doivent se limiter au propriétaire de l'établissement et Hank McCoy – attendent sa venue de pied ferme mais après tout, peut-être pas. Son amant lui a rarement parlé de ces noires années pendant lesquelles l'Institut avait fermé ses portes, pendant lesquelles son don lui était devenu si insupportable que le supprimer était le seul moyen de garder sa santé mentale à Magneto de réprimer un frisson en imaginant son vieil ami prostré dans son gigantesque manoir aux pièces vides, avec l'alcool du cabinet maternel et les pas d'Hank McCoy contre le plancher pour toute compagnie.

Une nouvelle fois – mais pas la dernière – il se maudit pour son absence, pour le vide dans les immenses chambres du manoir Xavier, pour ce qu'il a volontairement fini par perdre. L'Institut était détruit depuis si longtemps maintenant, d'abord mis en pièces par Stryker puis par le reste de ses fanatiques après que le remède fut révélé inefficace, cette vermine de Trask s'attribuant l'honneur d'un dernier crachat sur les cendres de leur sanctuaire.

Du rêve de Charles.

Y repenser suffit à raviver sa vieille colère, assez pour faire trembler tous les objets en métal aux alentours. Magneto serre les dents et se force à retrouver son calme : confronter son ancien allié en bouillonnant secrètement de rage n'avancera les choses à rien, que du contraire. L'air frais de l'État de New York lui fait un bien qu'il n'avouera pas.

Il hésite presque à rebrousser chemin devant la grille à moitié ouverte de l'Institut. Ils avaient établi avec Charles il y a plusieurs jours – dans cinquante ans – un genre de ligne de conduite, des ébauches de plan mais son amant l'avait regardé en levant les yeux au ciel et en décrétant que cela ne servirait à rien parce qu'Erik finirait par faire comme bon lui semblait. Magneto retient un ricanement et pousse la grille inutilisée : l'ancien professeur le connaît trop bien.

Le connaissait.

Magneto écrase ses sombres prédictions sous son talon. Pour l'heure, Charles Xavier existe toujours et passera dans cinquante ans à la louche, une main inquiète sur le front d'un Erik Lehnsherr inconscient sur un autel aux confins de la Chine.

Pour l'heure, Charles Xavier est prostré quelque part dans le manoir qui se dresse au bout de l'allée, plus éloigné de lui qu'il ne l'a jamais été, et si Magneto veut sauver leur futur, s'il veut pouvoir un jour vivre dans un monde où il ne lui aura pas fallu si longtemps pour revenir vers Charles, il faut qu'il réussisse à le convaincre d'agir ensemble.

La perspective de l'échec est trop lourde pour seulement mériter contemplation.


Il n'est pas surpris de voir Hank lui ouvrir la porte. Il l'est encore moins lorsque ce dernier tente de la refermer sur lui mais il n'a pas le temps pour écouter les glapissements outragés d'Hank McCoy, les récriminations que ce dernier ne se prive pas de lui jeter au visage alors qu'il se faufile dans le hall poussiéreux. Magneto a depuis longtemps cessé de chercher pacifier inutilement les masses : il n'y a guère qu'à Charles qu'il accepte de rendre des comptes. Peut-être à Mystique, jadis – et peut-être que jadis ne sera pas nécessaire cette fois-ci.

Il n'est pas le seul à pouvoir profiter d'une seconde chance.

Beast porte du métal sur lui, une simple boucle de ceinture qui suffit à le clouer sur le sol. Magneto plie sa bouche, faussement contrit, et s'apprête à demander à voir le maître des lieux lorsque la voix de ce dernier résonne dans la maison.

— Hank, qu'est-ce qui se… Erik ?!

Magneto – Erik maintenant, parce qu'il n'est Erik que face à Charles – tourne sa tête vers le grand escalier, s'arrête de respirer.

Charles… ne ressemble à rien de ce qu'il a pu s'imaginer pendant qu'il anticipait leurs retrouvailles. Il a les cheveux emmêlés, le regard hagard des hommes hantés par leurs erreurs, les pieds nus sur le plancher des escaliers, un verre vide à la main pourtant, Charles est debout, droit face à une adversité qu'il ne comprend pas, debout alors que le sort vient de le foudroyer sur ses deux jambes. Oh, comme le cœur d'Erik saigne pour les épreuves qu'il lit sur le visage de cet homme, pour les nuits sans sommeil et les jours sans chaleur, pour les cendres dans lesquelles il se débat inlassablement ô combien il est fier d'avoir pu connaître l'homme que ce Charles-ci deviendra, combien il peut voir dans les combats d'hier et d'aujourd'hui ce qui définira l'homme de demain.

Un homme qui a peu de chances d'exister, maintenant qu'ils ont défié le temps.

C'est trop pour lui. Erik suffoque et tend les mains ouvertes vers Charles, paumes vers le ciel, un pied déjà sur la marche inférieure. Il n'ose pas aller plus loin. La confusion se mélange à la peur sur le visage de son – ancien – amant, des émotions qu'il n'aurait jamais dû faire naître dans ces yeux là et pourtant, pourtant…

Plus que jamais, il comprend et déteste Charles pour lui avoir parlé à demi-mots de ces périodes sombres.

— E… Erik, qu'est-ce que tu…

— Je ne veux plus perdre la moindre seconde, presse Erik. J'ai attendu trop longtemps, je ne peux plus continuer, je… je suis désolé, Charles. Pour tout ce qui s'est passé et je… Je t'aime, je t'aimerai jusqu'à la fin de mes jours.

Charles le fixe depuis son piédestal, une statue incrédule qui baigne dans la lumière poussiéreuse du manoir et brutalement, ses lèvres se contorsionnent dans une atroce grimace, quelque part entre la colère et le chagrin, sa gorge étrangle ce qui pourrait être un cri de rage il plonge. Il y a le bruit d'un verre écrasé sur le sol, un mugissement dans son dos et la prochaine chose dont Erik a conscience, c'est que sa joue le brûle et que le plancher est tiède.

La maison, il est à la maison.

Erik n'y peut rien il étouffe un rire contre les lattes.

(Ou peut-être un sanglot.)


Bien sûr, le poing dans la figure n'est rien d'autre qu'un douloureux préliminaire. Charles n'a pas attendu qu'il se remette debout pour pratiquement s'enfuir dans son bureau un chemin que Magneto se retient de prendre, malgré le temps qui presse. Forcer un Charles dans cet état à l'écouter risque de compliquer davantage les choses. Hank ne l'a pas aidé à se relever mais au moins, il semble moins disposé à le jeter dehors, ne serait-ce que parce que Charles ne l'a pas exigé.

Magneto pince les lèvres et débat sur les questions qu'il est en droit de poser. Il se doute qu'aucune ne sera bien accueillie mais il faudra sans doute un long moment avant que Charles lui confie ce genre de secret, s'il le fait un jour, et le temps est un luxe qu'ils ne peuvent plus se permettre de prendre.

— Il marche de nouveau, se décide-t-il enfin à dire.

Hank – qui commence à reprendre un visage humain – se fend d'un grondement dédaigneux.

— Pas grâce à toi.

L'ancien chef de la Confrérie se retient de montrer les dents à son tour. Avoir abandonné Charles sur cette plage de Cuba sans avoir pris le temps d'adresser les dommages que ce dernier avait subi restera à jamais un de ses plus grands regrets mais ce n'est pas une confession qu'il est prêt à faire maintenant, surtout pas à Hank McCoy entre tous. Celui-ci capitule au bout de quelques minutes d'un regard noir intense – ce qui rend Magneto un peu suffisant, vu qu'il s'agit là d'un art qu'il a peaufiné avec patience au fil des ans.

— J'ai fabriqué un sérum pour me… pour contrôler ma mutation, explique le scientifique en rehaussant ses lunettes. Charles a commencé à en prendre pour calmer les effets de sa télépathie et ça a eu… des effets secondaires. Il peut remarcher mais il… il en prend trop.

L'explication est ponctuée d'un regard appuyé qui en dit tout aussi long sur la personne qu'Hank tient responsable de toute cette pagaille. Magneto hausse les épaules et prend le parti de s'asseoir sur les marches de l'escalier poussiéreux. A en juger par les mouvements nerveux de Beast, il paraît évident que celui-ci se bat entre l'envie d'aller voir comment va Charles et le besoin de surveiller l'évadé du Pentagone. Le concerné soupire, soudain lassé par la suspicion qu'il suscite et mérite.

— Je ne suis pas venu pour me battre, Hank.

— Tu nous excuseras si personne ici ne te croit, Erik, tranche la voix de Charles, sèche comme le désert.

Ce dernier est enfin réapparu, l'air encore plus échevelé que tout à l'heure si possible. Ses pas sont incertains mais ses mains ne tremblent plus. Un pansement tout frais est logé au creux de son bras : le cœur d'Erik le lance lorsqu'il prend conscience que sa présence suffit à faire perdre assez de sa contenance à Charles pour le pousser vers l'horrible substance qui le mutile plus qu'il ne l'assiste.

Oh, Charles.

Erik prend une profonde inspiration. Il doit être calme. Il doit être patient. Le point entre la rage et la sérénité. Charles a toutes les raisons de lui en vouloir en ce moment – et même encore plus tard, s'il ne parvient pas à modifier suffisamment le futur.

— Tu as des questions, affirme-t-il au bout de quelques secondes baignées dans un inconfortable silence.

Charles lève le coin d'une narine et comment cet homme fait-il pour avoir l'air si incroyablement condescendant alors qu'il a l'air de sortir du lit après avoir passé une nuit particulièrement atroce, Erik ne le saura probablement jamais.

— Tu as vraiment une sale tête, réplique le concerné, hargneux.

Erik hausse un sourcil à son tour, surpris mais guère troublé. Il en oublie parfois la légendaire immaturité de son ancien allié.

— Générer un trou noir de poche demande une certaine énergie, répond-il le plus sèchement possible.

Magneto esquisse un petit sourire satisfait lorsqu'il réalise l'effet que sa réponse produit sur les deux hommes de science il ne se retourne pas vers Hank qui se fend d'un misérable hoquet même si la tentation est grande. Les yeux bleus de Charles sont tellement arrondis qu'ils pourraient servir de sous-tasses.

— Tu… génères des trous noirs, répète Charles, visiblement estomaqué.

— Hu, entre autres, commente Erik, légèrement amusé maintenant. Comment crois-tu que je me sois sorti de prison, mon vieil ami ?

C'est une mauvaise question à poser ou un cruel manque de tact de sa part car Charles détourne aussitôt le regard, le rouge aux joues – il n'est guère difficile de deviner à qui exactement l'ancien professeur pense en ce moment. Erik se mord les lèvres, retient les excuses qui se bousculent dans sa gorge. Il déteste voir Charles souffrir mais l'enjeu est malheureusement plus important que le confort de son ancien ami.

— Pourquoi es-tu là, Erik ? finit par demander celui-ci et sa voix est cassée, si lasse qu'Erik a envie de prendre la tête de son alter ego plus jeune pour la fracasser contre le mur le plus proche.

Il en aura peut-être l'occasion. Plus tard, cependant – pour le moment, le futur a besoin de lui et lui a besoin de Charles. Il aurait détesté l'ironie d'un tel syllogisme quelques années auparavant mais depuis, il a vu Charles mourir et revivre, il a vu Mystique redevenue Raven, des rêves partir en cendres, ses frères et sœurs mutants exterminés petit à petit sous les coups des Sentinelles et il est tout simplement fatigué de mener une guerre qui n'a pas de fin. Il est fatigué de combattre Charles inutilement.

L'amère vérité lui arrache un soupir.

— Parce que m'as demandé de venir te chercher.


Charles lève un sourcil perplexe, presque amusé à son tour. Son incrédulité est aussi prévisible que… touchante. Erik retient un sourire de son côté, conscient qu'il ne sera pas bienvenu s'il se laisse emporter par les plaisanteries, par le simple fait que Charles est présent dans la pièce mais cela ne passe pas loin – comment a-t-il fait pour survivre sans cette proximité, il se le demande ? Quelle naïveté.

— Vraiment ? ironise l'objet de son attention avec une gentillesse affectée. Je ne m'en souviens pas. Quand est-ce que c'était ?

— Quand est-ce que ce sera, corrige tendrement le maître du magnétisme. Dans à peu près cinquante ans à partir d'aujourd'hui.

Toute trace d'amusement laisse place à la confusion maintenant. Clairement, Charles ne s'est pas attendu à ce qu'il lui réponde et encore moins à ce qu'il lui dise quelque chose de semblable Erik ne peut pas vraiment l'en blâmer. Il ne sait pas ce qu'il aurait fait si Charles était revenu du futur pour le libérer de sa prison (probablement quelque chose de stupide, mais ce n'est plus la question).

La question est de savoir si oui ou non son vieil ami est prêt à le croire, cette fois-ci.

— Tu… essaies de me dire que tu viens du futur… de cinquante ans dans le futur… commence-t-il lentement, avec une hésitation palpable dans la voix. Clairement, plus d'explications sont nécessaires et comme l'horloge tourne trop vite, Erik ne retient plus son récit.

Il parle de Trask, des Sentinelles, de ce que Mystique a découvert en fouillant dans ses secrets. Il parle de Paris, la conférence à venir, de ce qu'elle projette de faire et ce qui s'ensuit : la capture, les tests, les tortures. Il parle de sa propre évasion, qui aurait dû survenir quelques mois plus tard et perpétrée par un groupe de mutants que Mystique a libéré au Vietnam – dont un Alex Summers enragé il parle des mois qu'ils ont passé à retrouver l'endroit où Trask retenait sa captive, des cicatrices sur son corps bleu, de leurs blessures partagées. Il parle de la décision qu'a prise Charles de rouvrir l'école après tant d'années dans la solitude, de recommencer à partir de zéro parce que les mutants devenaient de plus en plus nombreux, de plus en plus en danger. Il parle des X-Men et de la Confrérie, des meurtres au nom de la cause et des centres d'expérimentation détruits. Il parle des Sentinelles à nouveau, des ruines que celles-ci ont laissées et de la guerre qu'ils ont perdue depuis longtemps, de leur ultime pari, de Charles le pressant à prendre une place qui aurait dû lui revenir.

(Erik décapite violemment les larmes traîtresses qui montent sous ses paupières.)

A la fin de son récit, Charles et Hank l'observent longuement, débattant sans doute si son histoire est ou non le produit d'un criminel dérangé qui a passé trop longtemps entre les cinq murs de sa cellule. Il leur en veut – il n'a jamais menti à Charles – mais sa colère ne servirait qu'à renforcer leur méfiance.

Et puis, il est fatigué.

— Je ne te crois pas, articule finalement Charles, toujours incrédule. Cela n'est guère surprenant, tout bien considéré. Il ne se croirait pas lui-même s'il devait déblatérer pareille histoire à son double du passé, avec raison.

— Je sais, ricane Erik, le cœur étrangement sec. Tu m'as dit que tu serais difficile à convaincre.

Au tour de Charles de ricaner. Son rire est vide. Ses yeux sont vides. Erik a connu des tortures plus douces.

— Et qu'est-ce que je t'ai dit d'autre ?

Erik retient les mots à grand peine. Il veut parler de leurs dialogues autour d'un plateau d'échecs dans une prison de plastique, il veut parler des mots blessants échangés après Alkali Lake, il veut parler de leur dernière conversation avant que Charles ne meure, désintégré par le Phoenix. Il veut tout dire de leurs retrouvailles, des lettres envoyées, de leur nouveau premier baiser après la débâcle de San Francisco, les promesses de recommencer murmurées contre la peau respective de l'autre, de leur dernière étreinte avant la décision finale. Il veut parler de son Charles Xavier qui caresse son visage depuis un temple perdu dans l'Himalaya, qui ne retient probablement plus ses larmes maintenant qu'Erik ne peut pas le voir.

(Il souhaitait, il aurait aimé mais Charles le connaissait mieux qu'il ne se connaît lui-même, Charles le lui avait dit lorsqu'ils avaient refait l'amour pour la première fois après leur si longue séparation, une confession jamais réitérée mais gardée précieusement contre son vieux cœur encore vacillant du choc de savoir son amant en vie : « Je ne veux plus vivre dans un monde où ton amour n'est pas une certitude, Erik. »)

Il pourrait dire tout ça mais ce sont des secrets que ce Charles-ci n'est pas prêt à entendre et qu'il n'est pas prêt à partager non plus, car il n'a pas encore perdu son futur – appelez-le un imbécile

— Tu m'as dit…


— Je pense que tu devrais partir à ma place.

Erik fixa longuement le Professeur, conscient qu'il devait projeter sa confusion à des kilomètres à la ronde, d'autant plus lorsqu'une vague étincelle amusée vint se presser contre sa conscience. Il l'accueillit à bras ouverts, se demandant pour ce qui devait être la dix millième fois pourquoi il s'était nié si longtemps le plaisir d'avoir l'esprit de Charles en contact avec le sien. A croire que celui-ci n'avait pas tout à fait tort de l'accuser d'être un martyr.

L'amusement se dissipa bien vite, pourtant, vite remplacé par le sérieux que demandait la situation.

— Je ne comprends pas, avoua sombrement Magneto.

Ils paraient beaucoup – le potentiel futur de toute la communauté mutante, si toutefois elle en avait encore un – en risquant leur impossible plan. Ils avaient réussi à échapper aux Sentinelles pour l'instant grâce à une chance assez incroyable, la diligence du Blackbird et leurs pouvoirs combinés mais même l'infatigable Wolverine était las d'être sans cesse sur le qui-vive, d'abandonner les cadavres de leurs frères et sœurs derrière eux, de devoir préférer la fuite aux confrontations Erik éprouvait une curieuse sympathie pour son frère d'armes improvisé. Lui aussi était fatigué de se cacher et de s'enfuir.

S'il n'était pas certain que sa propre mort verrait celle de Charles suivre immédiatement, il y avait longtemps qu'il aurait rassemblé les frères et sœurs mutants volontaires et pris d'assaut un quartier général quelconque, dans le but de tuer le plus d'ennemis possible. Mais Charles Xavier gardait le fragile espoir de pouvoir tout arranger, un espoir auquel Erik s'agrippait plus par crainte de perdre à nouveau ce qui lui était le plus cher que par réelle conviction.

— Tu ne penses pas que ça marchera, finit par déclarer le télépathe, les yeux plissés par la tristesse.

Magneto soupira. Ce n'était pas une question.

— Je ne t'en veux pas, ajouta Charles qui avait capté sa lassitude ainsi que ses vieilles craintes. Nous risquons beaucoup en misant sur les pouvoirs de Kitty. Les possibilités pour que nous endommagions davantage le futur sont hors de proportion je préfère autant ne pas y penser.

— Ce n'est pas en elle que je n'ai pas confiance, Charles.

Erik s'abstint de préciser qui exactement méritait sa méfiance. Ni lui ni Charles n'avaient besoin de détails.

— Il faut que nous soyons tous les deux, soupira le Professeur en se massant la nuque. Raven ne m'écoutera pas si tu n'es pas là : elle pensera que j'essaie de la manipuler… et à raison. Onze ans de séparation ne font pas de miracles pour les relations fraternelles et sororales et puis… tu la connaissais mieux que moi, à la fin.

Magneto tiqua. Le cas de Mystique n'était pas quelque chose dont il aimait à se rappeler.

— Elle t'a toujours aimé, Charles. Elle est revenue vers toi après… Il s'interrompit, abrupt.

Après qu'Erik l'ait abandonnée, allait sans se dire – il y avait une vieille rage dans la tête de Charles à chaque fois qu'ils approchaient le sujet, une trahison presque aussi affreuse que Cuba, Stryker et toutes les choses amères qui étaient passées entre eux Erik y voyait la preuve ultime de sa damnation, le clou final dans le cercueil de leur relation mais Charles lui avait pardonné ce qui pouvait l'être, avait accepté que Raven avait fait ses choix et que celui de pardonner ou non à Magneto restait son privilège, avait laissé les accusations, les regrets et les « pourquoi ? » s'affadir dans la masse sombre et indicible qui existerait toujours entre eux.

— Aimer et comprendre sont deux choses bien distinctes, Erik, lui rappela son amant, une moue amère déformant son visage fatigué. Nous devrions le savoir mieux que personne.

L'interpellé retint le ricanement qui lui brûlait la gorge. Charles avait raison, il devait le concéder.

— J'étais en prison en 1973, Charles. J'en voulais à tous ceux qui m'y avaient mis et à ceux qui ne m'ont pas aidé à m'en sortir et tu avais encore le cœur brisé par notre désertion. Nous nous haïssions, nous n'avons jamais été plus éloignés l'un de l'autre qu'à cette époque alors explique-moi comment je pourrais sauver le futur mieux que toi ?

Le silence s'égraina entre eux, tendu mais pas insupportable. Ils en avaient connu de pires.

— Je me souviens de 1973 et des années avant, marmonna finalement le Professeur. Je me souviens du manoir vide, du sérum que je prenais pour dormir quelques heures par nuit, de ma télépathie qui captait trop d'émotions à la fois. Je me souviens de t'avoir détesté pour m'avoir tout pris et de m'être détesté encore plus pour être devenu la loque que ma mère avait été dans ses dernières années.

Erik tendit une main tremblante que Charles pris entre les siennes, touché par la confidence. Ils avaient tous deux leurs propres secrets, les zones d'ombres qu'il était inutile de cacher aux yeux de l'autre mais jamais son vieil ami n'avait parlé aussi sincèrement du temps sombre où l'Institut était resté fermé.

(Et jamais Erik n'avait parlé de la prison non plus, de la froideur des murs, de la torture quotidienne que l'absence de métal lui infligeait, des mains brutales qui marquaient de temps à autre sa peau et la rage aveugle, l'impuissance de ne rien pouvoir faire pour se défendre sinon fermer les yeux et attendre que la colère de ses gardiens s'apaisât.)

— Je te connais, Erik. En 1973, tu n'écouteras pas l'homme que j'étais. Même si – surtout si c'est moi qui viens vers toi.

Magneto soupira derechef. Charles prêchait un convaincu et il le savait mais…

— Est-ce que toi au moins, tu m'écouteras ? Si je viens à toi en implorant ta clémence, si je m'agenouille à tes pieds en promettant de t'aimer jusqu'à la fin de mes jours – est-ce que l'homme que tu étais me donneras une chance ?

Les mains de Charles migrèrent vers son visage, suivies de prêt par ses lèvres. Leur baiser fut étrangement chaste, rien de plus qu'un appui prolongé entre leurs bouches, comme unies par une communication silencieuse, un langage qui n'appartenaient qu'à elles.

— J'ai besoin que tu me fasses confiance, Erik, murmura Charles contre sa peau. Ici comme en 1973, j'ai besoin que tu me laisses faire les bons choix.

Magneto ferma les yeux.

— D'accord, exhala-t-il. D'accord.


— Tu m'as dit, un jour, que tes pouvoirs avaient commencé à se manifester quand tu étais jeune, trop jeune pour comprendre que les voix que tu entendais ne venaient pas de toi mais des autres. Tu te souviens que ta mère et ton beau-père t'ont fait voir des docteurs, des spécialistes qui pensaient que ta place était dans une institution spécialisée et tu m'as dit les avoir cru pendant un moment avant de commencer à contrôler ton pouvoir et de comprendre vraiment ce qui t'arrivait.

Face à lui, Charles est devenu blanc comme la craie. Erik s'en veut de lui causer tant de souffrances – encore, à croire qu'il excelle à ce genre d'exercice – mais il doit continuer, il ne peut pas s'arrêter maintenant.

— Tu m'as dit qu'un jour, tu as ressenti la douleur de ton demi-frère battu par son père et que tu as tellement eu peur de perdre le peu de contrôle que tu avais sur ta télépathie que tu t'es enfermé dans le grenier pendant une journée entière, trop révulsé par tant de noirceur dans l'âme d'un seul homme.

— Tu m'as dit que tu détestes ce que tu es devenu plus encore que tu me détestes, que tu vois ta mère dans les miroirs de cette maison, dans l'alcool et le sérum que tu prends pour apaiser ta douleur et que son fantôme te ronge.

Erik sent sa gorge se fermer. C'est le moment qu'il redoute et espère à la fois, le moment où il abandonne leur futur dans les seules mains à qui il peut accorder sa confiance, ce moment suspendu où plus rien ne dépend de lui et tout repose sur l'homme qui se tient face à lui.

Charles, je t'aime, pense-t-il avec force (et il peut presque sentir le fantôme de leur dernier baiser, les doigts pâles de son amant sur son front plissé).

— Tu m'as dit de te faire confiance pour prendre les bonnes décisions si je venais te demander pardon alors c'est ce que je fais. J'ai passé toute ma vie à me demander ce que je ferais si nous pouvions avoir un peu plus de temps… Eh bien, me voici, Charles. Je ne veux plus attendre.

— Je te demande pardon.

Un long silence suit son discours. Il est conscient qu'Hank s'est reculé dans un coin sans tout à fait s'en aller, laissant une illusion d'intimité bienvenue. Prétendre qu'il n'y a plus que Charles et lui au monde est un réconfort qu'il se surprend à désirer.

— Ces choses que tu as dites… ces… je n'ai jamais dit ça à personne, balbutie le généticien – et oh, Erik peut voir le gouffre au fond des yeux bleus, le sel qu'il a consciemment versé sur les plaies à vif. Un mal nécessaire, se rappelle-t-il en retenant l'envie d'enlacer Charles, de le serrer contre sa poitrine et de le protéger de toutes les horreurs de l'extérieur.

— Pas encore, répond le Maître du magnétisme avec tendresse.

Charles l'observe un long moment encore, le cœur visiblement au bord des lèvres, les mains tremblant plus violemment que jamais – mais toujours debout, sa position n'a pas flanché. Pendant un court instant, Magneto est fier de le voir si fort, même dans ses heures les plus noires : il voit les lignes dures qui plissent son front, les marques de l'endurance devant l'adversité, il voit la résolution dans les plis de son menton et la calme force de l'homme dont il est tombé amoureux deux fois au moins.

(Ou autant de fois qu'il a posé son regard sur lui.)

— Admettons que je te croie, avance finalement Charles d'un air résolument pincé – et Erik retient son sourire parce que si son ancien allié accepte de considérer la véracité de son histoire, c'est pratiquement une victoire – admettons que tout ce que tu as dit depuis tout à l'heure est vrai et pas un horrible mensonge concocté pour me faire tomber dans je-ne-sais quel piège. Tu dis que dans cinquante ans d'ici là, nous sommes au bord de l'extinction.

— Correct, répond Erik, ses dents grinçant involontairement les unes contre les autres.

— Que notre seule chance d'empêcher que cela se produire est d'arrêter ma sœur qui est en ce moment à Paris, en train de comploter pour assassiner un homme de sang-froid et ainsi prévenir qu'on la capture, qu'on expérimente sur elle et qu'on créée ces… ces Sentinelles.

— C'est le plan général, oui. Après, si tu as une meilleure idée, je suis toute ouïe.

Il n'y a pas de réponse. Il n'en attend pas. Aucun des deux autres mutants n'a assez de clés en main pour proposer une alternative satisfaisante et ils le savent pertinemment. Charles déglutit péniblement, comme à l'aube d'une décision difficile :

— Si je décide… si nous… si je… je ne ferais pas ça pour toi, est-ce qu'on ce comprend ? Je fais ça pour Raven.

Erik serre les paupières, secoué par l'énormité de ce qui lui a été accordé. Oh, a-t-il seulement passé sa vie entière à sous-estimer la grandeur de cet homme ? Il est presque sûr qu'il n'existe pas de monde où Charles Xavier soit incapable de lui prouver qu'il a eu tort.

Espoir ridicule mais tellement rassurant.

— Entendu, murmure-t-il, doucement amer.


Le vol est une affaire tranquille.

Magneto passe la grande majorité du trajet à dormir tout son soûl. Il n'a pas encore tout à fait récupéré de son outrageuse violation des lois de la physique – même si le contrecoup est beaucoup moins taxant sur son corps de quarante ans, retrouver sa jeunesse n'a pas que des inconvénients maladroits après tout – et il y a aussi ce plaisir autrefois simple de pouvoir trouver le sommeil sans craindre la prochaine attaque, sans trembler à l'idée de se réveiller sans Charles à ses côtés ou pire encore. Des terreurs obsolètes : son vieil ami s'est lové sur un siège face à lui, berger involontaire de ses rêves. Quelque part dans cinquante ans, il est persuadé que Charles fait pareil – il peut presque sentir le baiser que celui-ci place au coin de ses lèvres immobiles. S'il fait du bruit en dormant, personne ne lui fait de remarque.

Il se réveille une petite heure avant leur atterrissage, plus dispos et alerte qu'il ne l'a été depuis… il ne se souvient plus exactement. Ses derniers souvenirs heureux sont épars, des moments coincés entre l'amertume d'avoir été réduit à à peine plus qu'un humain et la lente agonie d'avoir perdu Charles à jamais. Ses derniers souvenirs parlent de doigts emmêlés l'un dans l'autre, d'un corps qu'il a pris son temps pour redécouvrir, de sourires cachés dans le creux de son épaule, de petites disputes, inévitables pour les deux vieilles mules imbéciles qu'ils sont. Il y aura toujours cette vague inutile de regret qui teinte le tout dans une nuance de gris – le temps qu'il a perdu à fuir Charles, le temps qu'il a perdu à imaginer des vies qu'il n'aura jamais, le temps à comprendre ses erreurs et celles de son amant, à regretter le futur qu'ils auraient pu construire s'ils avaient concédé plus souvent qu'ils ne s'étaient battus.

Erik frissonne, refuse de se laisser emporter par une tourmente qui n'existe pas. Qui n'existera jamais, s'il peut avoir le dernier mot.

— Il faut que j'écrive des lettres, décide-t-il à voix basse.

— A qui ? s'étonne son vis-à-vis.

Le ton sincèrement curieux le prend par surprise. Il est venu à Charles en attendant des insultes – qu'il a reçues – de la violence – qu'il a reçue aussi – et de la méfiance – qu'il mérite – mais clairement, il a sous-estimé la capacité de son allié à ignorer les vieilles blessures même pendant les plus brefs instants. Il y a dans la voix de Charles en ce moment la timide camaraderie du début, au temps où leur amitié s'appelait encore collaboration et où aucun d'eux n'était sûr de la position qu'on leur demandait d'occuper.

Erik se surprend à esquisser un bref sourire. Face à lui, un sourcil puissant se lève pour appuyer la question posée, trace une courbe élégante au passage.

— A moi-même, répond finalement le fugitif en haussant les épaules. J'ignore si l'Erik Lehnsherr de 1973 récupèrera les souvenirs de ce présent quand Kitty rompra le lien mais au cas où… je ne voudrais pas lâcher sur l'humanité l'homme que j'étais à cette époque. Et je ne veux pas risquer qu'il blesse quelqu'un quand il se réveillera.

Il peut voir les questions danser dans les yeux légèrement vitreux qui le fixent. Est-ce la faute du sérum, de l'alcool, de la fatigue, peu importe – Erik déteste sans savoir ce qui a rendu ces oasis de paix si ternes.

— Tu as des questions, répète-t-il, incapable de supporter le silence qui fait son chemin entre eux. Il avait partagé des silences avec son vieil ami, parfois plus longs que leurs conversations et même au creux des heurs où aucun n'arrivait à trouver la moindre once d'affection pour l'autre, ces silences pulsaient de milliers d'émotions différentes. Celui-ci est effroyablement vide, creux, artificiel – cela le terrorise plus que Trask, Stryker, Shaw et ses vieux démons réunis.

Les lèvres de Charles se retroussent rapidement, une parodie du sourire qu'il arborait jadis comme un bouclier contre le monde.

— Je ne saurais pas par où commencer, confesse-t-il. Je me suis réveillé ce matin avec une gueule de bois et une bouteille de scotch à mon nom puis tout à coup, tu as débarqué de nulle part, proclamé que tu venais du futur, déballé toutes ces choses sur ma vie et maintenant, nous voilà dans un avion avec pour mission de sauver ma sœur et l'avenir de tous les mutants… Rien que d'en parler, ça me donne mal à la tête. Tout cela est tellement abrupt.

— Je suis désolé pour avoir dit ces choses tout à l'heure. Ce n'était pas mon droit, répond Erik alors que le souvenir d'un Charles pâle et tremblant lui revient douloureusement en mémoire.

— Non, non, je… Je comprends, Erik. Je ne t'aurais pas cru une seule minute si tu n'avais pas… c'est juste que… c'était un mal nécessaire. Je ne t'en veux pas pour ça.

Il ne devrait exister aucun monde où les blessures infligées à Charles Xavier aient le droit d'obtenir le qualificatif de nécessaires et si ces horribles mondes existent, Erik veut les détruire de ses mains nues. Charles n'a pas fini de parler, pourtant, même si une froide émotion vient voiler son beau visage :

— Je ne m'imaginais simplement pas… confier ce genre de choses à quelqu'un un jour, c'est tout. Tu… ah, tu m'as pris par surprise. Je suis désolé.

Au tour d'Erik de cligner des yeux, incrédule, lorsqu'il reconnaît la honte dans la confession. Charles Xavier a honte. Dans quelle atroce réalité parallèle est-il tombé ?

— Ne… Charles, soupire le contrôleur de métal et oh, il aimerait que son amant soit là, il saurait sans doute quoi dire. Ne t'excuse jamais de ça devant moi, j'ai… de là d'où je viens, nous avons fait un long chemin pour regagner la confiance que nous avions l'un dans l'autre et il n'y a pas un jour où je me sens humble, honoré que tu m'aies enfin jugé digne de garder tes secrets. Trahir ta confiance me… Sache que si j'avais eu plus de temps, j'aurais trouvé un autre moyen de te convaincre.

Charles reste silencieux un long moment, son regard fixé sur les mains qu'il a jointes sur ses genoux. La honte a disparu de ses traits fins – de petites grâces – et ses iris sont étrangement luisants.

— Nous… sommes réconciliés, alors ? Dans le futur ? tente-t-il finalement, une ombre de sourire sur ses lèvres rougies. Je n'imaginais pas cela possible.

— Moi non plus, confie Erik avec un petit rictus. Ca a été… un chemin long et difficile. Nous nous sommes causé de terribles torts, des blessures que je n'aurais jamais crues réparables mais d'une façon ou d'une autre… nous y sommes arrivés.

Et puis, ils avaient dû se dire adieu encore une fois. Encore trop tôt.

Quelques années de plus, avait-il soufflé contre l'épaule de Charles, refusant de laisser ses lames réclamer la victoire. J'aurais donné n'importe quoi pour avoir quelques années de plus avec toi. Les ultimes espoirs d'un homme qui avait déjà vécu trop longtemps mais qu'il ne parvient pas à regretter. Ils avaient passé tellement longtemps à fuir…

— Erik ? La voix de Charles est étrangement rauque.

— Hum ?

Le généticien reste pensif quelques instants et pose à Magneto la dernière question à laquelle il s'est attendu – et n'est-ce pas merveilleux de vivre dans un monde où son amant est encore capable de le surprendre, de retourner son cœur pour le faire sourire ?

— Est-ce que tu joues encore aux échecs ?

Erik est tenté de mentir, de ne pas dévoiler que les dernières années qu'il a vécues ont été majoritairement composées de fuites, de réunions secrètes entre le reste des mutants libres afin d'organiser une résistance, de séparations forcées, de nuits passées à chercher l'esprit de Charles sans oser craindre de ne plus jamais ressentir sa caresse mentale. Il est tenté de ne pas charger ces épaules voûtées du fardeau déjà si lourd de leur futur mais il se rappelle de la discussion qui l'a convaincu de partir à la place de Charles, il se rappelle de la main qu'il lui a tendue, d'un rapide baiser pressé sur ses phalanges et d'une voix grave qui lui demande une dernière fois de faire confiance.

Il a déjà passé une vie entière à sous-estimer Charles Xavier.

Une faute qu'il est las de commettre.

— Non. Plus depuis des années, confesse-t-il d'une voix lourde de nostalgie.

— Moi non plus, admet Charles et ça, ce n'est pas vraiment une surprise. Nous n'avons jamais vraiment fini notre dernière partie et… ah, après… je n'ai pas vraiment eu le cœur à ranger les pièces.

Erik le sait mais s'en souvenir lui brise toujours le cœur, le fantôme d'un plateau dont l'adversaire est resté absent pendant des années avant que Charles ne se décide à le ranger, à reprendre l'avenir en main et à laisser au temps l'affaire de cicatriser ses vieilles blessures.

— J'ai… hum, c'est sans doute ridicule maintenant que j'y repense, je veux dire, évidemment qu'on n'aurait pas eu le temps mais je… enfin, j'ai quand même emmené notre plateau de voyage, continue le généticien, les joues légèrement roses maintenant.

Leur plateau de voyage. Erik ne sait même plus où et quand Charles l'a acquis, sans doute quelque part sur leur chemin vers l'ouest, mais il est difficile d'oublier le tableau de bois vieilli, les pièces brunes et crèmes qu'ils perdaient sans arrêt après quelques verres dans le nez et l'ultimatum agacé, « tu achètes des pièces avec du métal dessus histoire qu'on ne perdra plus deux heures à chercher les orphelines, comme celle qu'on a trouvée dans ta chaussette et qu'est-ce quelle foutait là, d'ailleurs ? » (Un mystère jamais élucidé jusqu'à aujourd'hui.)

Naturellement, Charles en avait profité pour acheter un set de pièces ridiculement ornementées, la canaille – mais le vieux plateau, le bois bruni et chaleureux qui a vu leurs querelles et leurs réconciliations, est resté le même, indifférent aux joies et aux tragédies du temps.

Erik se fend d'un triste sourire, un peu tendre sur les bords. Il ignore ce qu'il est advenu du plateau mais il y a toutes les chances pour que Trask l'ait détruit après avoir pris l'Institut. Dommage.

— Je suis rouillé, c'est vrai, reconnaît-il avec grâce, mais si mon vieil ami

— Je promets d'aller doucement alors, ricane Charles en se levant. C'est loin d'être un vrai rire mais il n'y a plus d'amertume dans son amusement.

Magneto bat des paupières et ignore qui remercier pour ces petites grâces.


Il fait déjà nuit lorsqu'ils arrivent à Paris. La conférence n'est pas avant demain midi c'est de concert qu'ils acceptent de se retirer dans un hôtel quelconque pour récupérer du voyage. Hank reste silencieux mais il suffit de comprendre les regards méfiants qu'il lance dans sa direction pour comprendre la menace : Magneto perd un minimum de temps sur l'étiquette et bat en retraite dès que possible, laissant Charles se débrouiller avec la réticence de McCoy. Il n'est pas surpris et encore moins lorsqu'ils arrivent à dénicher une paire de chambre qui communiquent de l'intérieur, pour un peu que l'on laisse les portes déverrouillées. Un moyen comme un autre de s'assurer qu'il ne s'enfuie pas dans la nuit – c'est préférable à se séparer car McCoy n'aurait jamais voulu laisser Magneto seul, Charles seul ou Charles avec Magneto.

Il comprend mais cela ne veut pas dire que la surveillance ne lui plaît pas.

Erik dort d'un œil cette nuit-là, conséquence du repos pris dans l'avion et de sa propre nervosité. Il ignore ce qu'il fera devant Mystique demain, s'il pourra la regarder sans trembler de honte, si celle-ci daignera seulement écouter son histoire – leur séparation, comme toutes les séparations qu'ils ont traversées, n'a pas été des plus amicales – mais il mise sur l'affection tordue qu'elle porte encore à son pseudo grand frère pour l'empêcher de s'enfuir. Non pas qu'il ne puisse pas la rattraper mais il n'a pas envie de dépenser inutilement son énergie et encore moins de se séparer de Charles.

En parlant de l'ancien professeur, celui-ci s'est glissé dans la chambre d'Erik et celui-ci n'a pas besoin d'être un génie pour deviner quelles sont les intentions de l'homme qui s'avance vers lui.

— Charles… commence-t-il mais ce dernier le coupe dans son élan.

En l'embrassant.

Sainte grâce, c'est comme de réapprendre à respirer un air pur après avoir passé des siècles sans voir le jour. Erik noue immédiatement ses mains autour de la taille du télépathe, attirant à lui le corps si familier – si étranger. Leurs cuisses se touchent, leurs ventres se joignent, tout le corps de Charles tombe sur lui, aussi sûrement que s'il avait été fait de métal. Il se souvient de leurs premiers contacts, de la maladresse et de la malléabilité, de leurs corps vierges de toutes cicatrices, excepté les numéros honnis qui ornent toujours son avant-bras il se souvient de leurs ébats durant les années sombres, de chambres d'hôtel anonymes où ils devenaient deux masses de chair simplement pressés l'une contre l'autre, de jouer un jeu indifférent duquel ils étaient tous deux sortis perdants il se souvient de leurs dernières étreintes enfin, les heures passées à étouffer des rires dans des plis de peau, la redécouverte toute en révérence, l'amour si facilement retrouvé dans le don et le partage.

Mais Charles – il ne connaît pas ce Charles-ci. Il n'est pas le jeune homme arrogant, optimiste et silencieusement pratique qui l'avait sauvé des froides vagues de l'Océan Pacifique, il n'est pas l'homme blessé qui méprisait ses idéaux hypocrites presque plus violemment que ses penchants pour la destruction massive, il n'est pas non plus l'homme mûr et respirant la calme puissance dont il était retombé amoureux après leurs ultimes épreuves : mais il retrouve un peu de tous ces hommes dans la façon dont Charles l'embrasse, l'urgence de la jeunesse mêlée à la supplique silencieuse de la souffrance, à la brûlure sucrée de l'alcool.

Au prix d'un effort surhumain, Erik parvient à détacher sa bouche de celle du télépathe et à souffler délicatement contre sa jugulaire.

— Charles, attends, attends…

Le corps appuyé contre le sien se tend indéniablement alors que deux yeux familiers trouvent les siens, résolus et effrayés tout à la fois.

— Je… Tu as dit que tu m'aimais. Au Manoir.

Erik exhale et dépose un baiser chaste sur la commissure des lèvres rougies par la friction. Comptez sur Charles Xavier pour ramener sur le tapis le sujet qu'ils auraient dû aborder depuis le début juste après s'être jeté sur lui.

— Jusqu'à la fin de mes jours, Liebe, confirme-t-il en faisant remonter une de ses mains pour capturer la joue de son vis-à-vis dans sa paume. La barbe est un contact assez étrange sous sa peau sèche – sans doute à cause de l'habitude de caresser un visage imberbe, il suppose – rugueux mais pas entièrement déplaisant.

Charles fronce les sourcils, visiblement perplexe.

— Alors… La phrase reste en suspens alors qu'il tente de ré-initier un baiser mais Erik l'interrompt, pressant son index et son majeur au-dessus du menton de son ancien partenaire.

— Alors, j'ai besoin de savoir ce que toi, tu penses de ça, Charles, murmure l'Allemand en caressant doucement les poils rêches. Tu m'as dit tout à l'heure que je t'avais pris par surprise, que tout cela se passait trop vite et je comprends mais je ne sais pas ce que tu cherches à faire maintenant.

Pour tout dire, cela lui fait peur de voir Charles si vulnérable laissant ses dernières protections au sol. Eût-il encore quarante ans, sorti de prison et déterminé à détruire le monde entier, il n'aurait pas hésité à profiter de la situation mais ce n'est pas une des aventures occasionnelles comme celles qu'il a entretenues par le passé lorsque la solitude a commencé à peser trop lourd c'est Charles Francis Xavier qui se tient à moitié allongé au-dessus de lui, dans toute sa splendeur fragmentée, l'amour de sa vie et l'homme qu'il aurait voulu épouser cent fois si on lui en avait donné le temps.

Il a déjà détruit son futur le ciel lui vienne en aide s'il se laissait détruire cette dernière chance.

— Ce que je cherche à faire ? Si n'est pas évident, susurre son partenaire en se penchant lascivement, c'est que je suis vraiment rouillé.

— Toi ? J'en doute sincèrement, ricane Erik, les souvenirs de leurs premiers ébats en tête, toutes les fois où ils avaient fait l'amour comme des adolescents sans retenue aux quatre coins de l'Amérique, dans tous les coins discrets qu'ils pouvaient trouver.

— Tu serais surpris, marmonne Charles sombrement et c'est définitivement une expression qu'il ne devrait pas prendre alors qu'ils sont allongés l'un sur l'autre dans le lit inconfortable d'un hôtel à l'étranger. Le sourire d'Erik persiste, se fait tendre.

— Tu as passé une vie entière à me surprendre, Liebe. De cela, je n'en ai aucun doute.

Charles hausse un sourcil mutin et lui dépose un long baiser sur les lèvres, l'urgence du premier un peu dissipée par la réconfort du toucher, par la confirmation qu'Erik est toujours là, qu'il n'a pas disparu au beau milieu de la nuit. Erik ouvre la bouche presque aussitôt, lance sa langue à la conquête de sa partenaire et ils restent ainsi pendant un long moment, chacune de leurs bouches caressant paresseusement l'autre tandis que leurs mains ré-explorent un corps jadis familier, découvrent leur maigreur nouvelle, les traces de violence, les muscles qui n'étaient pas là avant ou ceux qu'il manque. C'est exceptionnellement doux, comme une troisième première fois qu'il prend le temps de savourer avec la patience que lui confère son âge.

C'est Charles qui rompt leur baiser, laissant son front tomber gracieusement sur l'épaule d'Erik.

— Tu m'as dit d'attendre, murmure-t-il.

— Hum, acquiesce l'interpellé en parsemant le cou découvert d'une pluie de baisers.

— C'est à cause de moi ? Ou… enfin, de l'autre moi dans le futur ?

Étonné, Erik relève son regard pour croiser une paire de ciels égarés.

— Non, assure-t-il. Il n'est pas ici et ne le sera probablement jamais, je… Charles et moi avons accepté ce que modifier le passé impliquait et quel genre de conséquences cela pourrait avoir. Crois-moi quand je t'assure qu'aucun de nous n'a de regrets à propos de cette décision.

— Mais tu l'aimes.

— Parce que je t'aime, toi, et parce que j'ai aimé Charles Xavier par le passé. Si on doit commencer à réfléchir, c'est toi que j'ai aimé avant lui.

Le télépathe n'apparaît pas convaincu, cependant et Erik ne saurait l'en blâmer. Son alter ego de 1973 n'avait certainement aucune affection perdue pour Charles Xavier, une rancœur diffusée de désir peut-être mais rien comme la passion aveuglante des premiers jours et encore moins comme l'amour profond et respectueux des derniers.

— Mais pas en 1973, affirme Charles, légèrement hésitant.

— Non mais c'est essentiellement parce que je suis un idiot à ce moment-là.

L'Erik Lehnsherr de 1973 a vraiment, vraiment de la chance de ne pas avoir croisé sa route. Il lui aurait sans doute collé une baffe ou soixante. Toujours caché dans son épaule, Charles est pris d'une crise de ricanements qui se termine sur une toux.

— Tu ne vas pas coucher avec moi, c'est ça ? demande-t-il alors que sa gorge cesse de trembler.

— Je ne suis pas intéressé si tu n'es pas sobre.

Et même si Charles n'est pas tout à fait ivre non plus, il n'est définitivement pas dans son état normal s'il en est réduit à s'épancher sur son épaule.

— Hu. Je n'suis pas saoul, proteste faiblement l'homme de sa vie, sa main lui caressant le ventre d'un air absent.

— Et je ne suis pas intéressé de faire ça ici, dans un hôtel bon marché avec rien d'autre que ma salive comme lubrifiant. Non, Charles Xavier, quand je te referais l'amour, ça sera selon mes critères et pas autrement.

Comme si Charles méritait autre chose que la perfection… Erik secoue la tête. Dans ses bras, le corps chaud est devenu immobile et les cieux égarés de tout à l'heure sont revenus, un peu moins confus. Il sourit et embrasse chastement chacun d'eux sous la paupière.

— Tu promets ? demande le télépathe, ébahi. Tu veux encore de moi ?

Oh, pour l'amour de…

— Quelle part de « je t'aime et te désirerai jusqu'à la fin de mes jours » faut-il que je t'épelle, Liebe ? articule Erik avec un sérieux olympien.

Charles se tait, cramoisi, et finit par hocher doucement la tête, l'air de ne pas croire ce qu'il vient d'entendre. Erik contient son envie de détruire la tour Eiffel dont la structure métallique le nargue depuis tout à l'heure et termine d'appuyer ses dires en volant un dernier baiser aérien à son ancien – futur – amant.

— Je crois que j'ai un peu trop bu, déclare lentement ce dernier en étouffant un bâillement.

— Va dormir, Charles, concède gentiment le maître du magnétisme.

— Je peux dormir avec toi ?

Il devrait dire non. Rien ne lui confirme que Charles se souviendra de leur discussion le lendemain et qu'il ne regrettera pas de lui avoir sauté dessus ou qu'il n'en voudra pas à Erik de l'avoir rejeté rien ne lui dit qu'Hank ne va pas partir à la recherche de l'ancien professeur et ne saute aux conclusions – même si… – rien ne dit que… il devrait… ah, qu'on lui pardonne son horrible point faible mais il ne sait pas vraiment dire non à ces yeux là.

— Bien sûr.

Charles s'endort à moitié habillé dans ses bras en l'espace de quelques instants et Magneto se résigne à une très longue nuit de somnolence, soldée par une bataille constante entre lui et une érection horriblement inconvenante.

Pour un peu, il en maudirait son jeune corps de quarante ans.


Leur premier baiser avait été un incident logique, une étape naturelle dans la progression de leur intense relation et écarté en conséquence lorsque tout avait cessé de compter. Après Cuba, le Vietnam, Kennedy et tout le reste, ils avaient été davantage animés par le besoin effrayant de marquer l'autre, de blesser autant qu'ils avaient blessé en retour – un endroit bien sombre où l'affection s'était changée en morsure, où le sexe n'était plus qu'un moyen de tromper leur mortalité plus apparente que jamais.

Puis Charles, à jamais le meilleur homme, l'avait regardé longuement dans les yeux et avait mis fin à une décade de douce haine le plus simplement du monde.

« Je ne reconnais plus l'homme que j'ai aimé, Erik. »

Magneto s'était écarté avec sa grâce pincée, piqué au vif par le sinistre don qu'avait le temps de se répéter comme un disque rayé : n'était-ce pas ce qui s'était passé à Cuba, d'ailleurs ? N'avait-il pas vécu cette situation nauséeuse déjà une fois, lorsque les yeux bleus de Charles s'étaient rivés aux siens et que ce dernier avait broyé sans commisération tous ses rêves d'un futur uni ? Il s'était peut-être éloigné – enfui – mais Charles avait été le premier à briser ses promesses.

(Il n'était qu'un imbécile arrogant à l'époque mais cela n'était plus une surprise pour personne.)

Ils avaient vieilli chacun de leur côté, à deux opposés d'un champ de bataille sans fin, jusqu'à ne plus se reconnaître vraiment l'un l'autre, jusqu'à ce que les sourires et les « mon vieil ami » ne veuillent plus dire grand chose.

Et puis la Statue de la Liberté, Stryker, San Francisco et Charles était mort.

La mort pour Erik était une réalité aussi brutale que familière, une ombre qui chassait fidèlement ses pas depuis le Troisième Reich et la Pologne, depuis la balle dans le crâne de sa mère à la pièce dans celui de Shaw, depuis les mutants qu'il écartait de son chemin ensanglanté jusqu'aux humains dont il broyait les os sous ses pieds. Il avait longtemps qu'il ne ressentait plus qu'une douleur résignée à l'idée qu'il mourrait probablement lapidé pour sa cause, marqué à jamais du sceau des traîtres.

Charles, cependant, lui avait toujours paru intouché par ce genre de taches, presque indestructible. Illusion stupide, évidemment – personne n'était tout à fait immortel et il n'enviait pas les rares mutants qui pouvaient prétendre au titre – mais une illusion dans laquelle il avait trouvé un réconfort bizarre, peut-être rassuré à l'idée qu'il confierait un jour le monde aux mains d'un bien meilleur homme.

Et il l'avait laissé mourir.

Un sacrifice bien trop lourd encore des années plus tard, alors que Charles était vivant et en sécurité dans le cocon de ses bras, même face au destin de l'humanité tout entière. Une terreur bien plus concrète encore lorsque son amant l'avait regardé droit dans les yeux, avait embrassé sa paume et leur avait demandé de changer à jamais leurs vies.

Le Charles Xavier qui s'agrippait à la main de l'Erik Lehnsherr allongé sur un autel de pierre quelque part en Chine n'existerait sans doute jamais mais il conserverait son souvenir comme d'autres érigent des temples à la gloire de leurs divinités perdues, en espérant que le prix de leur seconde chance ne lui soit pas intolérable.

Erik espère mais à peine.

(Après tout, le destin prend un plaisir pervers à répéter ses refrains.)


S'introduire dans le bâtiment, passer sous le nez de la sécurité et entrer dans le bureau où se tient la conférence de paix improvisée réunion au sommet pour établir un plan d'attaque contre les mutants est d'une facilité tellement absurde que Magneto ressent une soudaine vague d'empathie pour son ancienne alliée. Mystique a dû s'ennuyer mortellement en incapacitant le pauvre hère dont elle a pris l'apparence aujourd'hui.

Lorsqu'ils surgissent dans la salle, la concernée est allongée sur la table, couverte d'électrodes sorties du pistolet d'un tout jeune William Stryker – la première seconde de surprise passée, Magneto se fait un plaisir de lui renvoyer le bout de métal en plein dans le nez et retient un ricanement lorsqu'il entend le grognement de douleur – et secouée par des spasmes violents. Charles se rue aussitôt sur sa sœur d'adoption et commence à lui murmurer des paroles de réconfort. Trask n'est nulle part en vue – aucune surprise de ce côté-là, par contre. Si le bâtard avait été autre chose qu'un couard patenté, cela se saurait su bien avant.

Les tremblements de Mystique commencent à s'espacer et ses réponses reprennent un semblant de cohérence mais chaque seconde perdue est une menace supplémentaire qui naît cinquante ans plus tard Magneto n'a pas la patience d'en gaspiller une seule. Avec une rapidité efficace, il a passé ses mains sous le corps de la jeune mutante et la soulève comme si elle ne pesait rien, ignorant l'air de Charles qui oscille entre confus et outré.

— Nous n'avons pas le temps, explique-t-il cliniquement avant de porter toute son attention sur la femme bleue. Mystique, il faut que nous sortions d'ici, peux-tu te changer ?

Elle le regarde fixement, un peu comme pour se convaincre de sa présence. Ses paupières battent rapidement, ses lèvres restent closes mais après quelques inspirations, elle reprend la forme blonde qu'elle a toujours favorisée – même des décennies après avoir délibérément quitté la voie que Charles. Erik hoche la tête, appréciateur, et quitte la pièce à grandes enjambées, certain sans s'assurer que ses compagnons le suivent de près. (La vieille montre que Charles arbore au poignet est un point de repère familier, de toute façon.)

L'endroit grouille de monde dont l'attention est fixée sur ce qui se passe à l'intérieur du bâtiment, pas sur les gens qui en sortent, ce qui leur facilite grandement la tâche, mais Charles n'a aucun moyen de s'assurer qu'ils n'ont pas été repérés en sondant l'esprit des gens, même dans une foule aussi dense, alors Erik leur instruit de rester sur leurs gardes et de retourner directement à leurs chambres d'hôtel en cas de séparation. Il espère qu'ils n'en viendront pas à cette extrémité – pas besoin d'être un génie pour savoir ce que pense Charles d'être séparé de Mystique maintenant, d'autant plus qu'elle est accrochée aux bras de Magneto et ils savent pertinemment tous les quatre comment cela s'est si bien terminé la dernière fois – mais laisser les humains s'emparer de Mystique n'est définitivement pas une option.

Curieusement, ils arrivent à leur destination sans que personne ne tente de les arrêter, les autorités visiblement dépassées courant dans tous les sens, et Mystique a au moins la décence de rester dans son déguisement d'humaine et d'attendre qu'il ait verrouillé les portes derrière eux avant de hurler en lui collant son poing dans la joue (ce doit être une mode de 1973) :

— Lâche-moi, lâche-moi, espèce de bâtard !

Magneto coopère.

Charles et McCoy ont le bon sens de rester en retrait, même si aucun ne quitte la jeune femme des yeux. Il se demande en frottant sa joue d'un air absent ce qu'ils feraient si Mystique tentait vraiment de s'échapper pour reprendre sa campagne meurtrière là où elle l'a laissée – c'est sans doute plus à cause du choc de revoir des visages perdus de vue depuis dix ans au minimum et d'une courtoisie déplacée envers son frère qu'elle a accepté de se laisser traîner jusqu'ici.

Mais la politesse, ça va bien cinq minutes.

— Ravi de te revoir aussi, Mystique, répond-il avec flegme.

— Je t'en foutrais des « ravi de te revoir », enfoiré ! Qu'est-ce que tu fichais ?!

Il esquive le prochain coup qu'elle lance en sa direction – servir de punching-ball, ça ne va même pas bien cinq minutes et peu importe la culpabilité qu'il cultive contre sa Mystique, il considère que les dettes qu'il a envers celle-ci sont largement payées – et se demande combien il faudra payer les femmes de chambre pour qu'elles décident d'ignorer les traces de sang qui risquent de tacher les murs.

Bien entendu, c'est à ce moment-là que Charles « Deux pieds dans la bouche » Xavier décide d'intervenir en levant doucement les mains dans une mimique grossièrement infantilisante :

— Raven…

Mauvaise stratégie.

La concernée a foncé sur l'intervenant en moins de deux secondes afin de le gratifier d'un salut identique sur l'arête du nez, ce qui l'envoie. Le maître du magnétisme pince les lèvres, conscient que son vieil ami a au moins mérité celle-là, mais prêt à calmer Mystique si elle ne se calme pas dans les secondes qui suivent. Ce qui a l'air d'être très mal parti si on en juge par le volume de ses cris.

— Et toi, ne commence pas ! A quel jeu tu joues, Charles ?! A quoi rime de nous laisser partir et de te planquer pendant onze ans si c'est pour revenir jouer maintenant les grands défenseurs de notre cause ? Est-ce que tu sais au moins ce qui se passe ou est-ce un de tes plans hypocrites pour réconcilier les mutants et l'humanité parce que…

— Mystique, la coupe Magneto, légèrement menaçant.

Elle va trop loin, ce qui en soi n'est guère surprenant – Mystique a toujours eu une veine vindicative en plus de ne pas avoir sa langue dans sa poche, ce qui explique pourquoi leur collaboration a fonctionné si longtemps – mais les mots qu'elle emploie touchent une corde qu'il ignorait sensible : eût-il été à sa place, avec cinquante ans de moins et fort de dix ans passés à être enfermé pour un crime qu'il n'avait pas commis, il aurait sans doute prononcé les mêmes mots, aurait appliqué le même venin salé sur les plaies ouvertes que Charles n'aurait pas eu la présence d'esprit de lui cacher merde, il s'était retrouvé dans des situations similaires et avait ressorti les mêmes arguments, avait traité le professeur de lâche et d'hypocrite, les erreurs dans la vision de son ami tellement évidentes qu'elles permettaient d'éclipser les siennes.

Mais il sait aujourd'hui qu'il n'est pas le martyr qu'il a toujours prétendu être et certainement pas le porte-parole de tous les mutants, pas plus que ne l'est Charles. Il sait aujourd'hui que son ami n'a rien du pacifiste naïf et lâche qu'il s'est amusé à mépriser pendant si longtemps, que son optimisme et sa foi en les bénéfices de l'éducation n'ont jamais eu moins de mérite que les valeurs de la Confrérie il sait se souvenir aujourd'hui qu'il doit aussi sa vie à des humains victimes de leur propre société, qu'il a connu des mutants qui méritaient la mort un bon millier de fois et que son propre idéal suinte d'une hypocrisie qu'il a toujours refusé d'accepter.

Elle a tort, réalise-t-il en fixant les yeux jaunes et vibrants de colère, les dents blanches que montre la lèvre retroussée. Elle a tort parce qu'il avait eu tort et qu'il pensait que les épreuves qu'il avait dû surmonter dans sa vie lui donnait une perspective indiscutable sur la conscience humaine et le droit tout aussi incontestable de parler au nom d'une communauté recluse, qui avait appris à vivre dans la peur d'être associée à sa propre violence. Elle a tort d'appeler son frère un hypocrite sans admettre en être une elle-même.

Et s'ils veulent sauver le futur, il va falloir qu'elle s'en rende compte.

Magneto carre sa mâchoire.

— Considérant que nous venons de te sauver d'une situation peu enviable – et ne m'interromps pas, s'il te plaît, grince-t-il alors qu'elle ouvre la bouche – peut-être que tu gagnerais à écouter ce que nous avons à dire avant de sauter aux conclusions.

Il est prêt à l'arrêter par la force si elle tente de s'enfuir mais un regard vers la bouche serrée de Charles le prévient qu'il rencontrera de la résistance. Magneto retient une grimace se retourner contre son allié est la dernière chose qu'il a envie de faire mais pas au prix de leur futur à tous. Reste à espérer que Mystique se montre raisonnable pour une fois.

— Très bien, concède durement la morphe après une rapide hésitation. Je vous laisse cinq minutes.

Il s'avère que c'est bien assez.


Leurs discussions se traînent jusque dans la soirée. Il ne sait plus à quel moment exactement Charles s'est levé pour revenir avec de l'alcool et trois verres – Hank a refusé le sien – ni même ce qu'il a mangé, même si le goût exceptionnellement fade lui reste en bouche un long moment. Mystique a été difficile à convaincre, ce dont il n'a jamais douté, et une fois convaincue, divise son temps entre poser des questions et écouter avec attention ce qu'il a à dire du futur, les horreurs que Trask va relâcher sur le monde, la nécessité de son sauvetage et à quel point il est important qu'elle ne tombe pas dans les mains du fabricant d'armes. Lorsqu'il se tait enfin, c'est à Mystique de prendre la parole, de raconter les effroyables images qui hantent les archives de Trask, comment elle est arrivée jusqu'ici et ce qu'elle a vécu pendant les dix années – Magneto est surpris d'avoir gardé autant d'admiration et de sympathie pour cette femme aussi talentueuse que belle mais c'est un sentiment qu'il redécouvre avec une tendresse relative.

Il est encore plus surpris de s'apercevoir combien d'heures ont défilé sans qu'il s'en aperçoive quand Hank les interrompt doucement, alors que les rayons du soleil descendant illuminent leur chambre d'un faisceau orangé :

— Si vous avez l'intention de continuer encore longtemps, laissez-moi l'allonger d'abord.

Magneto bat une paire de paupières étonnées et – oh. On dirait que Charles, à moitié recroquevillé sur le fauteuil dans lequel il a fini par s'installer, s'est endormi durant le récit de Mystique.

Charles a toujours dormi comme un mort, souvent allongé sur son dos raide, les mains croisées sur le bas ventre, les traits figés dans un apaisement factice et le visage tourné vers le plafond. Il a l'étrange coutume de passer de la veille au sommeil sans transition aucune, comme on appuierait sur un interrupteur, un aspect de sa télépathie qu'Erik a toujours trouvé dérangeant – les premières fois où ils ont dû partager un lit sont des souvenirs assez horribles.

Sauf que Charles n'a plus accès à sa télépathie, s'est sciemment mutilé pour pouvoir trouver une paix qui n'est nulle part sur ses traits crispés, sur les longs cheveux qui lui tombent devant les yeux, sur les cernes qui bleuissent ses joues mangées par la barbe. Sauf que Charles dort comme n'importe qui dormirait, plié en deux dans un fauteuil, assommé par un alcool consumé trop vite, par une nuit courte et des émotions qu'il n'arrive pas à réprimer tout à fait.

Hank charge délicatement le corps immobile dans ses bras et traverse le battant qui communique avec l'autre chambre, disparaissant de leur vue. C'est un test aussi bien qu'un testament en la confiance qu'il leur a jadis portée : rien n'empêche les deux membres de l'ancienne Confrérie de s'enfuir pendant qu'il a le dos tourné, de disparaître avec les clés de leur futur – cela n'a rien d'une tentation, cependant. Magneto ne veut pas d'un futur où Charles n'est pas à ses côtés.

Mystique ne perd rien de la scène, un de ses sourcils levés sceptiquement. Il fait la moue, un signal pour l'inviter à parler librement, ce qu'elle fait sans hésiter.

— Je ne comprends pas pourquoi tu es allé les chercher, admet-elle. Pour venir jusqu'ici, peut-être mais tu n'as pas eu besoin d'eux pour me convaincre.

Il suspecte que ce n'est pas tout à fait vrai : Mystique ne se serait jamais calmée aussi rapidement s'il avait tenté de la réconforter et elle aurait probablement fait une scène pour lui échapper dans la foule mais il n'est pas revenu dans le passé pour arbitrer les vieilles querelles entre le frère et la sœur Xavier ni même pour convaincre son alliée de modifier le futur. Sa question est pertinente mais il n'a pas envie

— Charles m'a convaincu de lui faire confiance. Dans le futur, explique-t-il hâtivement en voyant l'air confus de la mutante.

— Ah, soupire-t-elle en levant les yeux au ciel. Toujours à essayer d'avoir le dernier mot, hein ? Pourquoi ça ne m'étonne pas ?

Magneto bat des paupières, la bouche soudainement sèche.

— Il est mort.

Il ne sait pas pourquoi il l'avoue à cette femme, entre tous, parce qu'elle est loin d'être la Mystique qu'il apprendra à respecter et à estimer au fil des années, à peine son ombre mais il sait pourquoi lorsqu'il voit l'horreur déformer ses traits pendant quelques instants avant qu'elle ne se recompose. Il n'a jamais pensé à comment Raven, privée de ses pouvoirs et de tout ce qui la rendait unique, avait découvert que son dernier rempart s'était écroulé il le regrette soudainement. (Mais que peut-il y changer ?)

— Tu l'as tué ? souffle-t-elle, sans doute est-ce la seule question qui importe.

Il veut s'en défendre, s'outrager devant l'audace de la jeune femme, décrire comment cela s'est exactement passé, sans omettre un seul détail il veut s'énerver sur le fait que cette mort n'était même pas permanente, que Charles tenait tellement à avoir le dernier mot que sa mutation a bravé la mort pour le lui permettre il veut plaider que son amant ne lui a jamais tenu rigueur de ce qui s'est passé chez les Grey, que personne ne pouvait réellement prévoir jusqu'où Phoenix irait.

Ses excuses se noient dans sa gorge.

— Non… murmure Magneto, le cœur brisé par l'admission, mais c'était de ma faute.

Le visage de Mystique se durcit et la fureur revient, familièrement douloureuse. Ils étaient dans le même camp ils le sont toujours a priori. De quel droit ose-t-elle le juger de cette façon alors qu'elle n'a jamais montré aucun remords ? De quel droit ose-t-elle le condamner d'avoir laissé Charles Xavier mourir alors que c'est pratiquement ce qu'elle a fait à Cuba ?

— Tu crois que tu étais au-delà de le blesser, ma chère ? gronde-t-il, sa voix parodiant l'accent anglais du Professeur. Nous nous battions les uns contre les autres, Mystique, et je ne me souviens pas t'avoir entendu protester lorsqu'il a fallu prendre des mesures contre les X-Men.

Tu mens ! accuse-t-elle, ses ongles plantés dans la chair de ses cuisses, sans doute pour se retenir de se jeter sur lui. Charles est… Charles est mon frère, espèce de malade, ce n'est pas parce que nous ne sommes pas d'accord que j'ai accepté… je ne lui ferais pas de mal, pas comme ça.

— C'est un peu tard pour débattre là-dessus, vous ne croyez pas ? demande la voix d'Hank, toujours douce même si une touche acide s'y cache.

Le concerné est revenu sans bruit et appuie la porte contre son battant, la laissant entrebâillée de quelques centimètres : pas assez pour voir quelque chose mais assez pour laisser filtrer les sons. Magneto n'a pas besoin de se rappeler des traits tirés de son vieil ami pour suspecter que le sommeil de celui-ci est loin d'être paisible. Il est reconnaissant, brusquement, pour la présence d'Hank McCoy même s'il sait que sa gratitude ne sera sans doute pas bien perçue.

— Ca ne te regarde pas, Hank, crache Mystique toujours sur la défensive.

— Dans la mesure où j'étais aux côtés de Charles après Cuba et les onze années qui ont suivi, je peux t'assurer que tout ce qui concerne sa santé physique et mentale me regarde en ce moment, merci beaucoup de t'en inquiéter, Raven, corrige McCoy d'un ton affable.

— Mystique, corrige la mutante, glaciale.

— Mystique, concède McCoy.

Magneto ne s'y détrompe pas. Hank est à deux doigts de perdre son calme si consciencieusement cultivé et de se jeter sur eux pour demander des comptes dans le sang et la violence, sans doute est-ce par pur respect pour l'homme qui dort dans l'autre pièce qu'il se contient en ce moment.

Un doute l'assaille, atroce, vite repoussé.

— Il ne va pas bien, déclare-t-il à voix basse.

Hank lui lance un regard retenu quelque part entre le dédain et la pitié.

— Jésus, soupire le scientifique en ôtant ses lunettes, comment as-tu deviné ? Bien sûr que non, il ne va pas bien. Je ne sais pas ce que Charles t'a dit exactement à propos du sérum, ici ou dans le futur, mais sa télépathie commence être trop résistante contre ses doses habituelles et j'ai peur de causer des dommages irréparables si je l'augmente encore.

Des dommages irréparables… non. Magneto se refuse à penser à un Charles privé de sa télépathie, à jamais enfermé dans le silence de ses propres pensées. Il s'y refuse.

— Et ses jambes ?

Mystique baisse les yeux tandis qu'Hank hausse les épaules, visiblement malmené par ce mystère là.

— Des théories, rien de concret. Ma piste la plus solide est la perte des jambes de Charles avait pu être en partie liée à sa télépathie et que celle-ci n'a pas supporté tout ce qui lui est arrivé à Cuba mais c'est quelque chose de tellement abstrait et tiré par les cheveux que je préfère ne pas risquer de poser un diagnostic. Tout ce que je peux dire, c'est que les deux doivent avoir un lien mais lequel ? On patauge.

En effet. Magneto ne sait pratiquement rien du sérum, si ce n'est qu'une certitude : il doit être détruit ou si ce n'est pas viable, mis hors de la portée de Charles.

Hank ricane amèrement lorsqu'il lui expose le fait.

— Tu crois que je n'ai pas essayé ? Progressivement, radicalement, en respectant un système de paliers : rien à faire… Dès que sa télépathie trouve le moyen de passer outre, elle se manifeste trop brutalement pour qu'il ne panique pas. Tu n'imagines pas le nombre de fois où j'ai cru qu'il me faisait une crise d'épilepsie ou une autre saleté du genre.

Effrayante perspective. Le Professeur X a toujours été tellement fier du contrôle draconien qu'il parvient à exercer sur lui-même : l'imaginer aussi tourmenté par ses dons, incapable de réconcilier sa mutation avec le reste de son corps et forcé de saboter sa propre santé pour pallier à un manque qui n'aurait jamais dû exister… ce n'est pas la première fois que Magneto a la brusque envie de cogner la tête du jeune Erik Lehnsherr contre un mur.

— Est-ce c'est pour ça… commence Mystique avant de s'interrompre.

Les deux hommes se fendent d'un regard interrogateur. La morphe soupire, replace nerveusement une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

— L'alcool, déclare-t-elle et cela explique à peu près tout le reste. Le… Il avait déjà commencé à boire plus souvent à Oxford mais jamais… autant.

Magneto acquiesce silencieusement. De ce qu'il connaît de l'enfance de Charles et Raven, le père mort avant qu'on ne s'en souvienne, la mère négligente et alcoolique, le beau-père montant son propre fils contre ses beaux-enfants, le demi-frère violent et la solitude oppressante, il y a matière à s'inquiéter.

— C'est… je ne sais pas, soupire Hank. Il a recommencé à boire quand l'école a fermé et c'est devenu son seul moyen pour ne pas dormir sans faire de cauchemars… est-ce que ça amplifie les effets du sérum, est-ce que ça impaire sa télépathie naturellement, allez savoir ?

— Pourquoi tu le laisses faire ? accuse agressivement Mystique Magneto la frapperait bien pour ses réponses inconsidérées mais il se rappelle qu'elle ne sait pas, que Charles ne lui a jamais murmuré au creux du cou que certains jours l'avaient vu trop près d'ôter sa propre souffrance, par tous les moyens possibles. Le simple souvenir de cette confession le fait frissonner.

Hank l'observe gravement.

— J'ai peur de ce qui arrivera si je ne le laisse pas faire, Mystique.

Cela suffit à la faire taire, plongeant la chambre dans un silence tendu. Magneto finit par se lever, conscient que le temps est loin de jouer en leur faveur et que si la menace a été temporairement écartée, Trask est toujours en liberté et bien décidé à commercialiser ses saletés.

— Il nous faut un plan, avance-t-il avec finalité. Trask a toujours les Sentinelles et au vu de ce qui s'est passé ici aujourd'hui, il y a fort à parier qu'il réussira à se faire entendre la prochaine fois qu'il parlera d'ennemi commun et de menaces à éliminer.

McCoy et Mystique se regardent longuement, l'air de débattre s'il est bon de le suivre ou non. Magneto pourrait décider ne pas leur en vouloir mais sa patience nouvellement trouvée ne s'applique qu'à quelques rares élus, c'est-à-dire Charles, et celui-ci dort dans la pièce d'à côté.

— Trask doit être en route pour les U.S.A. maintenant qu'il peut prouver que sa menace en est bien une, déclare Hank. Il va sans doute vouloir rencontrer le Ministre de la Défense au plus vite, peut-être le Président – ça ne prendra sans doute pas longtemps, vu la panique qui court. On ne peut rien faire sans connaître les détails de leur transaction, où il fabrique les Sentinelles, quelle quantité il compte en livrer…

— Je sais où Trask cache ses plans, intervient Mystique, si j'arrive à m'introduire dans son…

— Et risquer qu'ils te capturent ? Trask peut détecter les mutants, Mystique, il a sans doute déjà équipé toutes ses précieuses Sentinelles de radars, coupe Magneto, abrupt. Et je n'ai pas fait tout ce chemin pour te voir foncer tête baissée dans ses bras. Il faut qu'on trouve le moyen de l'arrêter sans lui donner l'opportunité de t'approcher.

— Alors, on n'a pas le choix, conclut Hank en soupirant. Il nous faut Cerebro.

Magneto serre les dents, frustré. Ce n'est pas une solution idéale, surtout pas avec les informations qu'Hank a daigné révéler sur la santé de Charles, mais il n'est pas dit qu'ils puissent se faufiler dans le réseau de Trask et déjouer ses plans sans se faire repérer. Si ça ne tenait qu'à lui, il tuerait le misérable humain lentement et douloureusement mais il est témoin de ce qu'un futur sans Trask a donné et Stryker est lui aussi impliqué, ce qui n'est pas pour lui plaire.

McCoy a raison. Charles Xavier est leur meilleure chance. Il n'y a pas si longtemps – dix ans, cinquante ans plus tard – il aurait été d'accord. Aujourd'hui, face à ce que Charles est devenu, il ignore s'il doit rire ou pleurer devant cette farce cosmique.

— Je vous suggère d'aller dormir, ordonne Magneto d'un ton sec, sans épargner un autre regard pour ses acolytes improvisés. On s'envole pour Westchester à la première heure.

Il est resté trop longtemps loin des bras de Charles.