Syndrome de la Page blanche
À cette époque de l'année, la bibliothèque était anormalement en vogue ! Les élèves, assommés par une tonne de devoirs, jugeaient utile d'y faire une halte. Pour la plupart, c'était une grande première. Le système de cotes, mis en place depuis peu pour aider les élèves dans leur recherche, ne faisait que compliquer les choses. Les livres volaient, se heurtaient et n'arrivaient pas souvent à destination... La bibliothèque ressemblait à un champ de bataille, à tel point que la bibliothécaire avait déclaré forfait. Dorénavant, elle passait la majeure partie de son temps à lire des romans à l'eau de rose dans son logement de fonction.
Certains des élèves se mettaient sérieusement au travail et étudiaient précautionneusement les livres, en les lisant et relisant et en prenant des notes... D'autres optaient pour le système D – très courant même dans le monde Moldu – : le copié-collé d'un livre abordant vaguement le sujet du devoir en question. Les adeptes du système D préféraient le chemin de la facilité à celui du dur labeur, et pourtant, ils étaient persuadés d'obtenir de bons résultats et avaient l'impression du devoir accompli.
Le temps manquait cruellement à Harry et à Ron. Il leur restait deux semaines pour pondre sept devoirs de titan et ils ne connaissaient même pas l'intitulé de la moitié des contrôles. Mais c'était de leur faute ! Les deux compères avaient toujours trouvé mieux à faire que de travailler. Depuis deux jours donc, ils se privaient de tout loisir, mais participaient quand même aux entraînements de quidditch – pour se consacrer pleinement à leurs devoirs. Ils furent surpris de ne pas trouver Hermione à la bibliothèque :
« Ma main à couper qu'on trouve Hermione ici ! fit Ron avec conviction. La bibliothèque, c'est...son antre, son nid douillet... »
Mais, ils furent forcés de constater qu'Hermione était au banc des absents.
« Héhé, comment tu vas faire avec une seule main pour arrêter les buts ? Elle a sûrement déjà tout fini ! Je suis sûre qu'elle a bouclé son dernier devoir il y a au moins 15 jours.
- Ouais, ça lui ressemble assez bien ! Tu devrais devenir profil bas !
- De...quoi ? Profil bas ? fit Harry, interloqué.
- Bah ! tu sais, les moldus qui aident les policiers, ils dressent le profil des tueurs.
- Un profiler, pas un profil bas ! Tu n'obtiendras pas une note Optimale pour tes « expressions moldues ». Je t'accorderais un « acceptable » vu que des deux expressions que tu viens d'employer, il n'y en a qu'une de bonne.
- J'en ai dit qu'une !
- Non, la première, c'était « mettre sa main au feu ». Donc ça fait du 50/50 ! Tu progresses, mine de rien !
- Hermione me reprend tellement souvent que je vais devenir un pro !
- Allez ! A nous de bosser !
- Oui, on a du pain sur la planche ! » fit fièrement Ron.
Ils avaient raison sur toute la ligne, à un point près ! Hermione était face à un problème inédit : le syndrome de la page blanche. Habituellement, dès que le sujet tombait, les idées jaillissaient automatiquement dans sa tête et son devoir prenait forme. Mais là, à l'annonce du sujet, sa tête était resté vide. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien connaître à l'amour ? Elle avait passé des heures devant son parchemin, à le regarder dans le blanc des yeux mais le papier était resté immaculé. Seul son nom était posé sur le papier. Le sujet était le suivant :
« En quoi l'amour peut guérir bien des maux (pas plus de quatre parchemins). Vous pouvez vous inspirer de ces différentes histoires : le Compte Asther et la Dame de Vaulberg, l'histoire tumultueuse de Karl Jun et Constance Huge, l'histoire proscrite de Brendon Hugues et de Julianna Bend... »
Pour se changer les idées, elle avait décidé de faire un tour dans le parc. Elle aimait l'automne...les couleurs orangées, les feuilles qui virevoltent... Elle marchait, son écharpe rouge et or la protégeant du vent léger qui soufflait sur l'eau froide du lac. Elle avait honte et quoi qu'il arrive, elle ne dirait jamais à ses amis qu'elle séchait sur un devoir, surtout sur un devoir sur le thème de l'amour. La balade n'eut pas du tout l'effet escompté. Plus elle essayait d'oublier ce fichu devoir, plus elle se y pensait. Que dirait-on si elle obtenait une mauvaise note ? Bien sûr, ça jaserait dans les couloirs ! Mais pire, que dirait-on si elle obtenait une mauvaise note qui abordait le sujet de l'amour ? Alors là, elle deviendrait la risée de tout Poudlard ! Elle passait déjà un mauvais moment, mais la conversation qui se profilait allait sans doute être bien plus désagréable encore. En effet, Malefoy faisait apparemment lui aussi le tour du lac.
« Tiens, Granger ! Tu n'es pas à la bibliothèque, penchée sur ta copie à t'en exploser les pupilles ?
- Te voir m'irrite plus les yeux que de travailler ! Gagnons du temps et repartons chacun de notre côté !
- Pour une fois que tu dis un truc sensé Granger ! Abrège mes souffrances et passe ton chemin ! »
Ce n'aurait été qu'une énième dispute entre ses deux-là, si Hermione – par bonne éducation –, n'avait ramassé un papier tombé d'une des poches de veston de Malefoy. Le papier tourbillonna, soulevé par le vent, puis tomba juste aux pieds d'Hermione. Il tomba de telle sorte qu'elle n'eut aucun mal à lire : « que dire de l'amour, sinon que je n'en ai jamais reçu et que je n'ai donc jamais été capable d'en donner ? »
Hermione aurait préféré ne jamais tomber sur ce bout de papier. Elle aurait préféré continuer à penser que Malefoy était un être incapable du moindre sentiment, froid, mauvais dans l'âme... Mais ses mots prouvaient tout le contraire et les préjugés qu'elle avait sur lui s'écroulèrent. D'autres butaient donc sur ce devoir et, en l'occurrence, son pire ennemi.
Son objectif immédiat était de replacer ce papier dans le sac de Malefoy sans qu'il s'en aperçoive. La mission ne s'avérait pas des plus simples. Malefoy avait un radar pour détecter les « non-nés-sorciers », un peu comme un sixième sens. Si elle s'approchait à moins de 20 mètres de lui pour remettre le papier dans sa poche, elle serait fusillée du regard et n'aurait plus qu'à rebrousser chemin. Comment allait-elle se débrouiller ? Demander de l'aide à ses amis était hors de question parce qu'ils lui demanderaient pourquoi elle était si aimable avec un de leurs plus grand rivaux. Et parce que pour rien au monde, elle ne leur dirait à quel point elle butait sur ce devoir.
« Non, Hermione ressaisi toi ma vieille ! » se dit-elle.
Elle devait remettre maintenant le papier à Malefoy, quitte à avoir une confrontation avec lui sur le champ. Il s'était déjà bien éloigné et elle dut courir pour le rattraper. En entendant ses pas dans l'herbe fraîche, Malefoy se retourna, et, à la vue d'Hermione il se dit : « Qu'est-ce qu'elle invente encore celle-là ? ». Elle ralentit sa course alors qu'elle arrivait presque à sa hauteur. Ce fut trop tard pour réagir quand elle se sentit tomber. Un caillou fort mal placé l'avait fait trébucher. Sa chute aurait pu faire beaucoup de dégât mais Malefoy la rattrapa de justesse. Il lui avait évité de se fracasser sur le sol et elle ne put s'empêcher de dire :
« Bon réflexe Malefoy !
- Un compliment ? Ironisa-t-il. Sortez de ce corps qui que vous soyez ! ».
Ces paroles, sorties de leur contexte, pouvaient être trompeuses. Elles pouvaient en effet passer pour un échange amical et c'est ce qu'ils pensèrent tous les deux. Ils se regardaient sans un mot. Ils étaient aussi gênés l'un que l'autre. Hermione se décida enfin à lui donner ce pour quoi elle s'était donné tant de mal. Elle lui tendit le bout de papier et elle remarqua immédiatement le changement d'attitude chez Malefoy. Son visage se tordait comme à son habitude dans un rictus qui mélangeait haine, colère et quelque chose d'autre qu'elle ne savait pas définir...
« Tu l'as lu ? lança-t-il méchamment.
- Oui, mais...
- De quel droit ? T'avais la permission peut-être ? Ah non, c'est vrai, les sangs de bourbe se croit tout permis, c'est bien connu.
- Malefoy, je ne dirai rien !
- Il n'y a rien à dire de toute façon. Et si tu parles...»
- Il s'en alla en arrachant le bout de papier des mains d'Hermione qui ne put rien ajouter. Elle pensait bien faire mais tout avait capoté.
Beaucoup d'autres élèves devaient être dans le même cas que Malefoy et elle, à n'avoir rien a dire sur l'amour. Elle se disait cela pour se rassurer mais ça n'avait pas l'effet escompté. Tant pis, elle retournerait ce soir à la bibliothèque pour y faire des recherches... Son programme allait être le suivant : être toujours aussi assidue aux cours et passer tout son temps libre à cogiter sur ce devoir...puisque c'était le seul qu'elle n'avait pas fini, ou plutôt, qu'elle n'avait pas même commencé.
