Le Bataillon d'Exploration, suite à ses découvertes dans la cave de Grisha Jäger et sur la côte sud-ouest, connait, désormais, la nature réelle du monde extérieur, ainsi que son véritable ennemi : l'ex-Empire de Mahr et les derniers apatrides issus de leur propre peuple. Une grande bataille se prépare, peut-être l'ultime combat pour la liberté des Eldiens et de l'île du Paradis. Mais les règles du jeu ont changé, et les insulaires sont conscients de leur faiblesse face aux nouvelles technologies qu'utilise l'adversaire. Leur seule chance serait une alliance avec un puissant ennemi de Mahr, cependant, leur réclusion ne leur permet pas un tel espoir. Tandis que l'inévitable approche, Eren continue d'apprendre et de faire des hypothèses à partir des souvenirs épars des précédents hôtes de ses titans. Assailli, à la fois, par la clairvoyance et le doute, il garde une grande partie de ce qu'il sait pour lui, au détriment de ses supérieurs qui, loin d'être dupes, finissent par se questionner. Et, bientôt, la nation alliée tant attendue pourrait se présenter à eux par le biais d'un émissaire des plus ambigus. Une opportunité inespérée, mais qui a son lot de conséquences désagréables, surtout pour Levi.
Précisions :
Cette fiction s'appuie sur les allusions faîtes par l'auteur, Hajime Isayama, au contexte Seconde Guerre Mondiale (que chacun est libre d'interpréter comme telles ou non). Alors que Paradis découvre, à peine, sa place au sein du vaste monde, elle est aussitôt rattrapée par la guerre totale qui y sévit, et réalise, par la même, qu'elle est l'une des nations prépondérantes du conflit. Comme l'a laissé entendre l'œuvre originale, leurs ennemis disposent d'un type d'armement sensiblement similaire à celui contemporain au milieu du XXème siècle (mais on n'a pas encore tout vu, cela dit...).
Cette fiction ayant pour départ les chapitres 90 à 94, je ne m'appuierai que sur les faits déjà énoncés selon l'oeuvre papier. A l'heure actuelle, seules les saisons 1 et 2 de l'animé sont sorties, mais il possible que le scénario diverge du manga par la suite, en suivant un fil scénaristique un peu différent qui anticiperait sur des événements futurs (c'est souvent le cas dans la mise en scène) que, moi, pauvre lectrice de scans, n'ait pas encore... Désolée d'avance pour les incohérences que cela pourrait impliquer. Le plan étant construit, il me sera impossible, ou très difficile, d'y intégrer des éléments que le manga nous apportera par la suite. C'est donc bien une fin alternative, qui prend un chemin différent de l'œuvre, et toute ressemblance avec des événements ou révélations survenus après l'ellipse (an 850 à an 854) serait, donc, fortuite (malheureusement ou heureusement, mais, ça...ça dépend de la suite de l'histoire qu'il nous reste à découvrir !)
Bonne lecture !
Note temporaire : La fic est encore en correction. J'ai intentionnellement décidé de corriger "Livaï" par "Levi" et "Jaeger" par "Jäger", en raison de l'origine et de la signification de ces noms qui me semblaient plus juste. Ne soyez pas étonné si vous rencontrez l'ancienne orthographe dans les chapitres qui non pas encore été revus.
Quatre ans plus tard.
« Ils nous haïssent.
— Quoi ? » Armin releva la tête vers Eren, surpris que celui-ci brise, ainsi, le silence contemplatif qui s'était installé entre eux, sur le quai. Il n'y avait eu aucune discussion au préalable, et le blond sembla deviner que son ami exprimait simplement ses réflexions à voix haute.
Eren, plongé en pleine conversation intérieure, ignora l'étonnement de l'autre, sachant que celui-ci avait la faculté si particulière d'en suivre le fil, car il en était, comme toujours, l'invité secret et silencieux. Depuis qu'Armin était devenu le Titan Colossal et que l'énigme de la cave avait été résolue, il y avait déjà quatre ans de cela, les choses avaient beaucoup changé. Leur amitié enfantine et entêtée n'était plus, remplacée par une sorte de fusion spirituelle. Leur relation n'était pas plus forte mais plus dure, supportant le poids des secrets, le poids des souvenirs et, surtout, le poids du savoir. On leur avait volé leur ignorance, et il ne restait plus que les bribes d'une réalité amère, qu'ils déchiffraient ensemble, jours après jours. Ils essayaient de refaire ce puzzle, secrètement, mais il leur manquait encore bien trop de pièces pour le terminer. Leur lucidité, de plus en plus exacerbée au fur et à mesure qu'ils avançaient, réduisait leurs espoirs puérils, piétinait leur colère et alourdissait toujours plus le fardeau qu'ils portaient, tous deux, depuis ces quatre maudites années. Comme il s'y attendait, Armin se reprit et répondit comme s'il entendait ses pensées :
« Oui, sûrement toujours autant si ce n'est plus. »
Eren n'avait plus que quatre ans à vivre. Personne ne le savait à l'exception d'Armin et Mikasa, même si cette dernière refusait d'admettre la vérité. Sachant son temps compté, comprendre et agir était devenu une obsession pour lui. Debout sur le quai face à l'étendue salée et ondoyante, il laissait son regard se perdre au-delà de l'horizon, sur cette ligne rougeoyante où dansaient les flammes du crépuscule. Après avoir vécu si longtemps derrière des murs, la mer au-devant lui, dont les confins se courbaient en suivant les courbes de la terre, lui donnait le vertige. C'était si vaste, si beau, et tellement vide.
« Fait chier toute cette flotte ! » râla-t'il soudain.
Armin eut un petit rire.
« Tant mieux si elle peut te retenir encore un peu, nous ne sommes pas prêts. Mahr nous hait. Nos propres frères d'Eldia nous haïssent également, comme tu le dis si bien toi-même. Ça ne te met pas en colère, Eren, ça te déçoit. Tu n'es pas prêt. Moi non plus d'ailleurs.
— Putain, Armin ! Je vais crever ici sans avoir rien fait ! Ils se servent de nous comme chiens de garde, mais on dirait qu'ils ne font rien pour mettre fin à cette guerre ! Qu'est-ce qu'on fout, bordel ?! »
La découverte du « port de déportation », comme l'appelait Armin, avait été un avancement considérable dans leur combat pour la liberté. Elle avait permis d'éradiquer le fléau des titans à sa base, mettant un terme à leur propagation. Les hautes autorités avaient unanimement décidé d'y établir un camp de base et une surveillance côtière afin d'enrayer l'invasion. Il s'agissait aussi de faire un maximum de prisonniers pour obtenir des informations, « sauver » les déportés condamnés à être transformés en titans —dans la mesure où ils étaient considérés comme victimes mais, en réalité, leurs vies n'avaient que peu d'importance aux yeux des instances militaires— et bien sûr, faire main-basse sur la fameuse injection : l'élixir titanique.
Cependant, la technologie militaire de l'adversaire s'était révélée bien plus avancée que celle des insulaires. La tridimensionnalité n'étant d'aucune utilité au-dessus des flots, le camp avait été confié à la Garnison, qui s'était empressée d'installer une vingtaine de canons au-dessus du mur. Mais ce ne fut pas suffisant. Lors de la première approche ennemie, l'artillerie se montra trop imprécise sur longue distance, tandis que les destroyers Mahr avaient une puissance de feu bien plus sophistiquée. Les hommes aux écussons brodés de roses parvinrent, tout de même, à maintenir la flotte au large pendant vingt-quatre heures, ce qui permit d'aller chercher Eren et Armin en renforts.
Depuis lors, il fut décidé d'une coordination entre le Bataillon d'Exploration et la Garnison Des Murs pour la garde du port. Le Titan Assaillant et le Titan Colossal furent assignés à la surveillance de la base de façon permanente, tandis que les deux corps d'armée envoyèrent chacun une vingtaine d'hommes en assignation temporaire. Un roulement fut mis en place, et les équipes étaient, depuis, renouvelées tous les quinze jours. Même si la menace venait de la mer et ne pouvait être prise en charge par les ailes de la liberté, elle pouvait aussi venir de la terre, et ces dernières conservaient, malgré tout, une mission cruciale : assurer la protection du camp contre les attaques de titans venant de l'intérieur.
En effet, si la plupart des monstres s'étaient concentrés dans l'enceinte du mur Maria, quelques années plus tôt, et s'étaient tous faits exterminer suite à sa reprise, il restait un grand nombre de déviants en liberté. Ils avaient vite été triés dans cette catégorie car, contrairement aux titans communs, ils n'avaient pas suivi le troupeau, s'agglutinant là où ils détectaient une présence humaine. On pouvait donc qualifier tous les titans restants de déviants, même si cette classification, en elle-même, rendait Eren sceptique. Maintenant qu'il en savait plus à ce sujet que n'importe qui sur cette île, il commençait à croire que le comportement des titans, tout comme leur physique, n'était que le reflet effroyablement distordu de l'humain qu'ils avaient été. Et, comme au sein d'une communauté humaine où certains caractères s'affirment plus que les autres, chez les titans, il y avait des moutons blancs et des moutons noirs, voilà tout. Les soldats du Bataillon en avaient exterminé beaucoup, les deux premières années, mais, à présent, leurs apparitions étaient rares tout comme les attaques maritimes. Les missions étaient, maintenant, réduites au repérage et à la chasse pour approvisionner le port, car l'équipement tridimensionnel et les forêts avoisinantes s'y prêtaient à merveille.
Eren voyaient les soldats défiler ainsi depuis quatre ans. Dans ces circonstances, leurs affectations prenaient des airs de villégiatures. Les hommes ne se faisaient pas prier pour passer deux semaines à la base côtière car, entre les patrouilles et les parties de traque au gibier, ils pouvaient profiter de la plage et de l'eau —à condition que ce soit les beaux jours— ou encore, s'allumer des feux sur le sable et se réunir autour... On leur envoyait beaucoup de jeunes engagés pour parfaire leur entrainement à la tridimensionnalité, en raison du peu de danger. La petite colonie faisant office d'appât pour titans, les patrouilles mises en place chaque jour servaient à dénicher les quelques mangeurs d'hommes traînant éventuellement dans les environs. Il était impossible de se faire prendre par surprise, aussi, l'exercice était assez simple.
Heureusement, il n'y avait pas que des jeunes bleus insouciants. À chaque relève, Eren voyait arriver quelques-uns de ses anciens compagnons. Ils étaient, désormais, des figures importantes au sein du Bataillon, et leur présence était nécessaire à l'encadrement. Il repensa à leur retour de Shiganshina, quatre ans auparavant. Leur corps avait été, pour ainsi dire, décimé. Ils n'étaient, alors, plus que neuf : le commandant Hanji, le caporal-chef Levi, Mikasa, Armin, Jean, Sasha, Conny, Frock et lui. Il serra les poings tentant, encore une fois, de se convaincre que ce n'était pas un gâchis. Il y avait eu des centaines de morts mais, aujourd'hui, enfin, l'île se libérait du règne de la terreur, et c'était grâce à cette expédition hors normes. Ses camarades et lui avaient été décorés et, avec l'espoir renaissant lors de la découverte du port de déportation, les rangs du Bataillon d'Exploration s'étaient regonflés à grande vitesse. Désormais, il ne s'agissait plus de lutter contre des ennemis qui semblaient surgir de nulle part, dans un flot continu, mais d'éliminer ceux qui restaient en sachant qu'il y aurait un dernier et une fin. Leur ancienne escouade ne semblait plus défendre une cause perdue aux yeux des citoyens, et nombreux étaient ceux qui voulaient leur prêter main forte. Même au sein de leur régiment —récemment renommé ainsi au vu de l'augmentation confortable de leur effectif— l'ambiance était très différente de celle qu'Eren avait connue à son arrivée : bien moins macabre et presque enjouée.
Le commandant Hanji était venue beaucoup, les deux premières années. Elle posait tout un tas de questions à Eren pour ses recherches. Celui-ci triait ce qu'il voulait bien la laisser étudier de ce qu'il préférait garder secret, et demandait à Armin d'en faire autant. Ce n'était pas une question de confiance, car Eren savait qu'Hanji était quelqu'un de sûr et d'amical, mais il avait tant de doutes. Des doutes sur la voie à suivre, sur leurs objectifs respectifs. Il ne pouvait prendre le risque de tout révéler sans avoir plus de certitudes. Si ce qu'il pensait savoir était mal interprété, les méthodes, parfois totalitaires, de Levi et Hanji pouvaient les conduire à commettre une erreur. Une énorme erreur. Contrairement à eux, il n'était plus très sûr de savoir qui était son ennemi.
Le caporal Levi était venu, pour la dernière fois, il y avait maintenant deux ans. Il était toujours leur supérieur hiérarchique de façon officielle mais, en réalité, Eren et Armin ne recevaient jamais aucune directive ou même nouvelle de sa part. Au début, l'homme avait vite décrété qu'il n'avait pas grand-chose à faire ici, et que les deux soldats étaient aptes s'en sortir sans supervision. De son coté, il avait reformé plusieurs escouades et s'était affairé au nettoyage approfondi de l'île de Paradis. C'était Armin qui s'occupait de la gestion et de la distribution des ordres sur le camp, et il n'y avait sûrement rien à redire à son travail. Le jeune homme était fait pour cela, de toute évidence. Eren était son ami et, en tant que tel, il était officieusement son égal. Personne ne lui donnait d'ordre, c'était un électron libre. Il arrivait souvent que les recrues viennent le voir, si elles ne trouvaient pas le blond ou par flemme, pour lui faire un rapport ou demander des consignes. Les antécédents faisaient d'eux, et du reste de leur division, de « jeunes » vétérans, malgré leur enrôlement encore récent. Armin l'encourageait dans ce rôle, le remerciant d'alléger un peu sa charge de travail. Celle-ci n'était pas lourde, c'était plus une excuse pour partager un peu ses responsabilités et éviter qu'Eren ne s'ennuie trop.
Car, dans tout ça, Eren se faisait vraiment chier.
Cela faisait quatre ans qu'il croupissait ici et, même si ses amis tannaient leurs supérieurs pour être assignés à ses côtés, en alternance et de façon régulière, il manquait d'action. Et le sablier de son temps restant continuait de s'écouler.
Il avait maintenant dix-neuf ans, et il n'avait pas laissé ces quelques années d'ennui l'empêcher de devenir le soldat adulte qu'il aurait dû être s'il avait fait partie d'une brigade sur le qui-vive et entraînée quotidiennement. À la limite de l'hyperactivité, il avait réussi à occuper chacune de ses journées et son esprit grâce à un entraînement intensif. Après tout, il avait peu d'obligations sur la base et, si il voulait conserver ses aptitudes ou, pourquoi pas, en acquérir de nouvelles, il fallait qu'il continue de travailler dur. C'était à cette fin qu'il passait le plus clair de son temps à s'entraîner avec les recrues au corps à corps —pouvant, désormais, se vanter de leur coller facilement la pâtée— à accompagner les patrouilles pour occire du titan et, surtout, à chasser. C'était presque devenu son passe-temps favori. Au fil des ans, avec la maturité et le poids du passé, son caractère s'était un peu assombri, et il aimait la solitude de la traque. Il prenait en chasse tout ce qui bougeait, du moment que cela était comestible et amusant à attraper. Les animaux étaient bien plus vifs que les titans, plus alertes, difficiles à atteindre avec des lames destinées au combat rapproché. D'année en année, Eren avait fini par développer des techniques de manœuvre tridimensionnelle inédites et très efficaces. La chasse se révélait, donc, être un entraînement très approprié pour augmenter ses performances avec ce type d'équipement. Ses efforts avaient sculpté son corps, qui n'était plus celui d'un adolescent élancé, mais celui d'un homme de belle carrure, aux épaules larges et aux muscles bien dessinés. Lui-même accordait peu d'intérêt à son aspect —quoiqu'il appréciait grandement les regards intéressés de la gente féminine— mais il se félicitait que celui-ci lui soit devenu assez imposant pour qu'on évite de lui chercher des poux.
Un autre changement physique notable, survenu depuis son assignation, était principalement dû à la fainéantise. En effet, lorsqu'il était encore une recrue, on exigeait de lui une tenue stricte, et on mettait à sa disposition du temps et du matériel pour que celle-ci soit impeccable. Lui et les autres de la 104ème brigade d'entraînement avaient pour obligation d'entretenir leurs équipements ainsi que leurs uniformes, et paraître toujours soignés. Un barbier venait régulièrement, même au sein du QG du Bataillon, pour gérer les désordres capillaires masculins. Ici, il n'y avait plus toute cette routine proprette. C'était un camp de base, après tout. Bien sûr, on exigeait des soldats qu'ils continuent d'entretenir eux-mêmes leur matériel et leurs vêtements, ce qu'Armin et lui ne se gênaient pas de rappeler aux plus jeunes, mais leur séjour avait davantage le cadre d'une mission qu'une vie de caserne, ce qui octroyait certaines libertés dans la tenue. Chez Eren, cela transparaissait dans sa tignasse. Il avait, finalement, abandonné l'idée de se couper les cheveux tout seul au bout de la deuxième année. Il aurait pu demander de l'aide à son ami d'enfance, mais il n'y pensait pas plus que cela et, même avec une certaine longueur, il s'était aperçu que cela ne le gênait pas outre mesure. Il avait fini par laisser sa crinière châtain foncé pousser jusqu'à ce qu'elle commence à se déverser sur ses épaules. En toute honnêteté, sa flemmardise n'était pas la seule raison à cela. Il y avait une part, une part très mince —il se l'assurait et se gardait bien de le dire— de provocation. En vérité, il avait pris la décision de se fâcher avec les ciseaux juste après la dernière visite du caporal, celui-ci lui ayant fait explicitement remarquer, et devant public, que son accoutrement ne ressemblait à rien et n'était pas digne d'un soldat. Vexé et légèrement rancunier sur les bords, Eren s'était, ainsi, assuré que tout le monde sache qu'il se fichait pas mal des réflexions de son supérieur taciturne.
Mais, si seulement ces changements n'avaient pu être que physiques.
« Ils ignorent beaucoup de ce que nous savons. On ne peut pas leur rejeter la faute alors qu'on ne leur dit pas tout, répondit calmement Armin. Tu sais, les choses avancent quand même. Doucement, mais elles avancent. Libérer entièrement l'île était une étape cruciale pour obtenir l'entière confiance du peuple, mais aussi l'aval du Conseil pour une suite éventuelle. On doit en passer par là, on n'a pas le choix.
— Si tous ces vieux pourris corrompus jusqu'à la moelle arrêtaient de faire de la politique, on serait sûrement déjà passé à la suite ! » grogna Eren.
Armin eut un petit rire :
« Je suis content que tu arrives encore à avoir ce genre de réflexions inutiles quand tu es en colère ! Ça prouve que tu es toujours le Eren que j'ai connu. »
Il y eu un silence. Le jeune homme n'était pas surpris, il savait très bien où son ami voulait en venir.
« Toi et moi sommes presque...C'est comme si nous étions seuls au monde, maintenant, continua Armin. Tu ne souhaites pas partager ce que nous savons avec ceux qui sont, pourtant, nos camarades, et j'approuve ta décision. Du moins, pour l'instant. Mais, vivre emprisonné dans ses doutes et sa colère n'est pas recommandé pour un être humain. Je m'inquiète pour toi. Tu as toujours été comme ça : entier, impulsif et...obsessionnel. Tu as changé depuis qu'on est ici. Tu n'assommes plus les gens avec tes espoirs et ta détermination comme au début, et c'était quelque chose de naturel, chez toi. C'est dans ton caractère ! »
Armin s'arrêta un instant, reportant son attention sur les vagues. À ses côtés, Eren, toujours tendu vers l'horizon, n'avait pas bougé. Le soleil avait disparu, mais le ciel était encore teinté de reflets orangés. Plus haut, là où la nuit rencontrait les dernières lueurs du soir, les teintes se dégradaient jusqu'à un violet améthyste poignant.
« Puisque tu sais qu'il ne te reste que quatre ans à vivre, finit par conclure le petit blond, tu devrais simplement essayer de vivre pleinement. N'oublie pas que tu n'as qu'une vie. Même si c'est égoïste, tu dois en profiter, il n'y aura pas de deuxième chance. Tu sais que, même si tu parviens à rendre ce monde meilleur, tu n'en profiteras même pas ! Alors, profite du peu que tu as maintenant ! »
C'était tellement vrai. Plus sa fin approchait, plus Eren sentait qu'il perdait sa consistance, et plus il devenait obsédé par ses objectifs et sa soif de liberté pour sa race. Si seulement il pouvait mettre fin à cette guerre stupide. Cela le torturait, inlassablement. Il savait qu'il était un élément clé dans tout ceci et que, bien malgré lui, le sort de l'humanité dépendrait de ses choix. Le poids de la culpabilité atteignait son paroxysme tandis que l'échéance approchait, assombrissant son cœur de minute en minute.
Mais Armin avait raison, et ses mots lui laissèrent l'exaltation nerveuse d'une bonne claque amicale. Il se ressaisit :
« Tu as raison. Comme toujours, en fait. T'es chiant ! »
Il se tourna vers son ami qui était assis à ses côtés et balançait ses jambes au-dessus de l'eau, pour lui adresser un sourire sincère et chaleureux.
Armin y répondit avec un rire soulagé et se redressa en ajoutant :
« Mikasa devrait arriver avec la relève de cette semaine, ça nous fera du bien de nous retrouver tous les trois. Tu devrais arrêter de te prendre la tête pendant quelques jours.
— Ouais, probablement. Je vais essayer. »
Après un hochement de tête satisfait, son ami l'invita à s'en retourner vers les quartiers. Ils longèrent le quai de béton jusqu'au mur et atteignirent les constructions qui s'alignaient au bas de celui-ci. Au bout de quatre ans, leurs installations militaires n'avaient plus la nature précaire de celles d'un « camp » à proprement parler. Au fil des mois, et avec l'inaction, les soldats les avaient considérablement améliorées, et il s'agissait, désormais, d'une base bien équipée et confortable. La salle commune, qui leur servait de lieu de repas et de réunion, avait été la première construction en dur. Elle avait, ensuite, été équipée de sanitaires et, peu après, d'une cuisine et d'une vaste réserve. Ce fut un vrai bonheur, pour Eren, de pouvoir se nourrir d'autre chose que des rations insipides cuisant dans de vieilles popotes au-dessus de feu de bois, particulièrement pendant les mois d'hiver. Suite à un forage, quelques centaines de mètres au sud-est du mur, ils étaient parvenus à installer l'eau courante et, grâce au dénivelé et une percée dans le bas du mur pour passer les canalisations, ils avaient même un débit correct qui rendait l'usage des pompes manuelles presque superflu. Par la suite, ils avaient continué de bâtir, car cela les occupait et les enrichissait de nouvelles connaissances. Il y avait eu un premier dortoir pour les secondes et premières classes, puis un deuxième, et des quartiers personnels pour lui et Armin, ainsi que pour leurs supérieurs en cas de visite, composés d'une chambre et d'une pièce d'eau, avec un espace de travail —dont Eren se servait très peu, sauf pour accumuler du bazar— et des rangements adaptés à son matériel et ses effets personnels.
Le jeune homme avait participé à la construction de tout cela avec enthousiasme. Il fallait dire que c'était surtout à lui et Armin que cela profitait car, ne restant que deux semaines lors de leurs assignations, les autres militaires n'avaient guère besoin d'autant de confort. Il remerciait secrètement son commandant, Hanji, d'avoir permis ces travaux et l'obtention de fournitures et matériaux. Aujourd'hui, il pouvait se targuer d'être, à la fois, soldat, maçon et charpentier.
En se dirigeant vers leurs quartiers, Eren constata que le camp était calme. Il ne restait que deux veilleurs ayant entamé le premier tour de garde. C'était le début de l'été et les jours les plus longs de l'année. Même si le soleil venait de disparaître, il était déjà bien tard, et il décida que la journée était finie. Il souhaita bonne nuit à son camarade, qui s'éloignait vers les jeunes en poste pour leur donner quelques consignes, et se dirigea vers ses quartiers.
Il entra dans sa chambre en baillant et commença à retirer son uniforme. La pièce était petite mais lui suffisait, car il n'y passait que peu de temps. Les murs étaient faits de briques claires, sans revêtement particulier, à l'exception de celui de l'est qui était, en fin de compte, la façade brute du mur, sur laquelle la plupart des bâtiments étaient adossés. Il y avait une lucarne, sur la face ouest, à quelques mètres de la porte bardée de métal. Elle n'était pas très grande, juste la taille au-dessous de celle permettant à un homme de s'y faufiler —car il fallait tenir compte des avantages défensifs des constructions en cas d'attaque— mais elle permettait à Eren d'admirer et de surveiller la mer.
En dépit de l'heure tardive, il fit une rapide toilette. La salle d'eau comprenait une pompe de taille réduite, qui sortait directement du mur par soucis de gain de place, à hauteur d'épaule pour l'actionner sans trop se fatiguer, et sous laquelle avait été maçonnée une paillasse pour y poser des bacs de différentes tailles selon le besoin. Eren en avait trois, empilés dans un angle, mais il n'utilisait que le plus petit. Il n'aimait pas se laver dans un baquet et préférait les sanitaires communs où des pompes fixées haut sur les murs, avec de longs balanciers verticaux, leur permettaient de prendre des douches. Il saisit la poignée de pompage et tira trois fois vers lui pour activer la tige du piston. Il entendit un gargouillis, puis, l'eau se répandit allègrement dans le bac. Il se rinça sommairement et se dirigea vers sa couchette. Elle grinça d'indignation lorsqu'il s'y étala, sans grâce.
Ses esprits revinrent malgré lui vers ses angoisses. Il pensa surtout à une personne : Chrysta, ou plutôt, la reine Historia Reiss.
Il avait fini par comprendre, quatre ans auparavant, qu'il ne maîtriserait jamais l'Axe, à moins d'engloutir un descendant de la famille Reiss, et cela lui était inadmissible. Il s'était tu pour protéger Chrysta, car il savait de quoi étaient capables Hanji et Levi quand il s'agissait de réfléchir à la nécessité d'un sacrifice humain. Pour eux, la faim nécessitait les moyens et la discussion tournait court. Et encore, Erwin, qui n'était plus de ce monde pour s'être lui-même sacrifié en faveur de la cause, avait été le grand maître de cette doctrine. Seulement, Chrysta était trop importante, bien plus que lui-même. Elle aurait pu hériter de l'Axe si elle l'avait dévoré, lui, Eren Jäger. Elle aurait pu s'en servir.
Il n'y avait pas que cela. Les Reiss, ou plutôt, les vrais Fritz, étaient la clé des souvenirs d'Eren. C'était à leur contact qu'il obtenait des réponses. Lors de son enlèvement par le père de Chrysta, il avait suffi qu'il le touche pour que certains souvenirs des précédents hôtes du Titan Originel s'imposent à son esprit. Il avait vécu la même chose avec elle. Les rares fois où il l'avait touchée, il en avait tiré plusieurs révélations qu'il mettait, ensuite, plusieurs mois à décoder avec Armin.
Elle était venue au port, à quelques reprises, pour leur rendre visite et discuter. Eren sentait qu'elle avait compris la cause de ces absences lors de leurs contacts physiques. Elle lui avait plusieurs fois demandé s'il avait besoin de lui parler de quelque chose, à elle et elle seule. Il avait compris qu'elle avait des doutes car, comme lui et Armin, elle en savait plus que beaucoup d'autres sur le passé de sa famille et la nature des titans, primitifs ou non.
Eren prit une décision ce soir-là. Ou plutôt, il en prit deux. D'abord, il allait vivre. Il allait se libérer l'esprit une bonne fois pour toutes de sa polarisation à exterminer ses ennemis et sauver le monde, car c'était, actuellement et sûrement définitivement, hors de sa portée. Il se contenterait de passer le temps qu'il lui restait à vivre comme un homme libre, même si il ne parvenait pas à offrir cette liberté à tous. Bien sûr, il ne baisserait pas les bras pour autant, et continuerait à faire tout ce qui était en son pouvoir, durant le temps qui lui était imparti, pour faire avancer les choses et sortir l'humanité de la guerre. Cela le conduisait à sa deuxième résolution : dès qu'il en aurait l'occasion, il livrerait ses secrets à Chrysta. Il suivrait, ainsi, un autre conseil d'Armin. Encore. Mais ce dernier avait trop souvent raison. Depuis le début, il lui répétait que l'on pouvait faire confiance à la jeune fille et que ses préoccupations étaient probablement les mêmes que les leurs; que sa façon de raisonner, avec sagesse et pacifisme, méritait qu'on lui soumette la vérité, ou le peu qu'ils en connaissaient. Elle avait du pouvoir auprès du Conseil et, même sans ne rien révéler, elle pourrait orienter les décisions en faveur de leurs attentes.
Oui c'était ce qu'il y avait de mieux à faire pour le moment. C'était peu, mais cela permettait d'avancer un pion sur l'échiquier.
Le commandant Hanji avait été convoquée au palais royal pour faire un rapport de ses résultats concernant l'étude du liquide spinal utilisé pour la transformation d'humains en titans. C'était l'un de ses sujets de recherches prioritaires depuis qu'elle avait réussi, suite à la prise du port de déportation et le pillage, par leurs hommes, des navires ennemis lors de leurs raids tenus en échec, à se constituer une réserve d'échantillons plus que conséquente.
Le caporal Levi n'était pas attendu mais, comme souvent, il avait choisi de l'accompagner. Il n'était pas vraiment curieux, et connaissait déjà tous les bilans et thèses de sa comparse jusqu'à l'écœurement à force qu'elle ne le harcèle avec la ferveur qui lui était propre, mais il aimait rester attentif aux agissements et aux réactions du Conseil. De plus, il commençait à manquer d'activité au quartier général. L'été s'installait, avec la chaleur, et ce n'était pas les conditions idéales pour les missions en territoire titan. Les expéditions ne reprendraient que dans quelques mois, quand les températures redescendraient. C'était simplement une question de commodité car, autrefois, il n'y avait pas de saison pour lancer une opération au-dehors des murs. Le Bataillon d'Exploration sortait dès que nécessaire, même dès que ça lui était possible, pour installer des bases de ravitaillement, quérir des ressources, ou cartographier de nouvelles zones. Ils rentraient souvent sans avoir atteint leurs objectifs, leurs chariots remplis de cadavres. Maintenant, les missions étaient simples et toujours victorieuses. Les blessés étaient rares et les morts presque inexistants. Ils rencontraient encore quelques titans, mais de moins en moins souvent. Bientôt, il n'y en aurait plus un seul et, d'ici la fin de l'année, ils auraient probablement fini l'exploration et la cartographie complète de Paradis. Il n'était pas utile d'envoyer des hommes et des chevaux vadrouiller sous un soleil de plomb, encombrés de dizaines de litres d'eau pour tenir. Les montures souffriraient de l'effort par une trop grande chaleur, et c'était du gâchis d'entamer la santé de ces animaux sans raison valable car le travail de sélection et de dressage des équidés, par le Bataillon d'exploration, était long et laborieux. Leurs chevaux étaient aussi précieux que leurs équipements, et ils se devaient d'en prendre un grand soin.
Sauf cas d'urgence, donc, ses escouades resteraient dans l'enceinte des murs quelques temps. C'était l'occasion, pour les soldats, de profiter d'une trêve, prendre des jours de repos, tandis qu'un entraînement intensif était maintenu pour les recrues. Mais Levi n'attendait plus grand-chose des expéditions qui reprendraient par la suite. Il savait que l'extermination des derniers mangeurs d'hommes touchait à sa fin, même si, comme tous les autres et peut-être plus encore, il avait encore du mal à croire que la fin de leur tourmente approchait à grands pas. Il n'aurait jamais pensé survivre jusque-là, lui qui avait tant combattu, tant tué, tant vu mourir ses camarades. Cela ferait vingt ans, l'an prochain, qu'il s'était engagé. Lui et Hanji avaient survécu plus longtemps qu'il était permis de l'espérer dans ce corps de l'armée.
Il jeta un coup d'œil à la scientifique qui arpentait le couloir du palais à ses côtés. Décidément, cette femme était rudement coriace. Mais lui était bien pire, et certainement considéré comme un monstre inhumain par la plupart des gens. Il savait que le peuple l'admirait pour ses exploits, et il aurait sûrement trouvé cela ridicule si cette admiration n'avait pas été mêlée à un autre sentiment bien plus viscéral à son encontre : la peur. Il la voyait briller quand il croisait leurs regards. C'était rassurant de voir que la populace avait encore un peu de lucidité, car c'était bien là tout ce qu'il méritait de faire éprouver à quelqu'un. Il avait récolté ce qu'il avait semé, et ne prétendait pas être attristé en voyant ses congénères fuirent devant lui. Il se contentait de la solitude et de ses fantômes, c'était le prix à payer pour être devenu un démon.
A Shiganshina, quatre ans auparavant, il avait choisi de sauver Armin plutôt qu'Erwin. L'une de ses raisons était d'épargner au major, qu'il considérait comme un ami proche, de finir comme lui et de devenir un monstre sanguinaire aux yeux de tous. C'était également pour cette raison qu'il avait pris Eren sous son aile lors de son arrivée au Bataillon, alors que la nature de semi-titan de celui-ci terrorisait toute la population. S'ajoutaient à cela les meurtres de deux adultes que lui et sa demi-sœur avaient perpétrés pour se défendre, lorsqu'ils étaient enfants, car, évidemment, le rapport du procès avait fuité. A ce moment-là, le jeune garçon avait toutes les cartes en main pour devenir aussi populaire qu'un tueur en série pestiféré. Il pouvait le comprendre mieux que personne, d'autant plus qu'il se rendit vite compte qu'Eren n'était qu'un adolescent comme les autres. Il avait réussi à le tirer de là en parvenant à convaincre son escouade de lui faire confiance. Cette dernière avait été complètement massacrée depuis, et son cœur à lui s'était encore assombri davantage.
Et, maintenant qu'ils approchaient tous du dénouement, qu'une nouvelle ère naissait pour eux, Levi se demandait si il y avait vraiment sa place ou si le démon qu'il était devait sombrer avec l'ancien monde, retourner à l'enfer qui l'avait engendré. Si, à l'instar des armes et des équipements de défense, il ne serait bientôt plus qu'un symbole macabre d'une époque que tous chercheraient à oublier.
Mais il lui restait, tout de même, quelques préoccupations collectives concernant l'avenir. Il s'inquiétait de voir qu'en quatre ans, pas une fois, le Conseil et la reine n'avaient fait part de leurs projets en cas de victoire absolue. Ils se souciaient de bien d'autres affaires importantes que des avancées militaires, bien entendu, et surtout Historia qui gérait la plus grande partie des réformes sociales. Elle était très clairement impliquée dans sa mission d'apporter la prospérité à son peuple et, comme eux qui avaient lutté pendant des décennies contre les titans, elle s'acharnait à éradiquer la misère et la pauvreté.
Levi n'était pas un politicien, c'était un soldat, et l'arrivée de la paix ne signifiait qu'une chose : lui et ses hommes deviendraient inutiles. C'était légitime qu'ils se posent certaines questions avant les autres. Cela commençait à l'agacer que tous ces mous, véreux et dégarnis, qui avaient profité de ces temps sombres pour se gaver et gravir les échelons, deviennent, tout d'un coup, encore plus flasques quand il s'agissait de réfléchir à l'organisation de leur futur. C'était comme si l'humanité, qui avait toujours vécu dans l'oppression et la terreur, restait hébétée devant sa propre libération, tel un poisson que l'on remet à l'eau, restant là, bouche béante et incapable de nager pour s'éloigner du bord. La question était sur toutes les lèvres et personne ne la prononçait : « Et après ? »
Le commandant et le caporal s'approchaient du boudoir dans lequel Chrysta avait pris l'habitude de les recevoir. Levi n'était pas du genre à apprécier les manières pompeuses et le protocole royal. Ces entrevues discrètes, à l'abri des aristocrates affétés et irritants qui bondaient toujours la salle d'audience, lui convenaient parfaitement.
Ils saluèrent le garde devant la porte et Hanji lui présenta sa convocation. Il ouvrit l'un des deux battants derrière lui, les annonça, et leur fit signe d'entrer en leur tenant la porte. Lorsqu'il eut refermé derrière eux, Levi chercha Chrysta des yeux en les laissant se promener sur la pièce. Elle était intime, douillette, mais néanmoins fastueuse. Le mobilier comprenait principalement des fauteuils et sofas luxueux, deux tables basses en verre et aux ferronneries recouvertes de dorures, ainsi que quelques banquettes matelassées de velours noble le long des murs. Devant la cheminée, au manteau finement sculpté, se tenait une duchesse brisée dans laquelle il fut surpris de trouver Mikasa Ackerman, une tasse de thé à la main. Heureusement qu'en dépit de ce que ce genre de divan avait à offrir, sa subordonnée avait choisi de s'asseoir correctement, les jambes croisées, car la reine lui faisait face dans un fauteuil. Il savait pertinemment que ces deux jeunes filles avaient été camarades bien avant le couronnement d'Historia, mais ça ne l'empêchait pas de leur rappeler, si le besoin s'en faisait sentir, que, désormais, tous devaient avoir un comportement digne et exemplaire en sa présence. Ne serait-ce que pour éviter que des soupçons de connivence ne viennent à naître mais, aussi, car les gamineries diverses de ses anciens acolytes, comme les blagues salaces de Jean, la familiarité et la grossièreté d'Eren —même si il savait qu'il avait, lui-même, un langage bien fleuri— ou encore les, ô combien accablants, concours de rots de Sasha et Conny, risquaient de compromettre la crédibilité de la jeune reine. Il n'avait pas ce genre d'ennuis avec Mikasa, cependant, car elle s'avérait bien plus sérieuse et mature que ses amis. Même si il n'avait pas le contact facile avec cette fille, il pouvait quand même admettre qu'elle était la moins fatigante de leur petit groupe.
Il se demandait ce qu'elle faisait là mais, au fond, ça ne l'étonnait pas vraiment. Mikasa et Historia étaient devenues plus proches au cours des dernières années. La petite blonde avait besoin d'une amie, surtout depuis la perte d'Ymir, et Ackerman avait su lui apporter du réconfort. Elles devaient avoir ce genre de conversations féminines et amicales auxquelles il n'accordait pas le moindre intérêt, mais qui permettaient à la souveraine de se sentir moins seule. La brune était peut-être redoutable sur un champ de bataille, elle savait aussi se montrer douce et attentive. Il l'avait bien vu avec Armin et Eren. Et puis, quelle autre fille parmi les anciens du Bataillon aurait pu tenir ce rôle de confidente ? Il ne restait que Sasha et Hanji, autant dire qu'il n'y en avait pas.
Il vit Chrysta se lever pour les saluer chaleureusement, tandis que Mikasa en faisait de même et posait le poing sur son cœur en un salut militaire des plus formels.
« Ravie de vous revoir, Majesté ! s'exclama Hanji. Repos, Mikasa. »
Cette dernière se détendit et se rassit en reprenant sa tasse fumante. Historia serra, ensuite, la main de Levi avec sa délicatesse habituelle, et les invita à prendre place autour de la table basse et du thé qu'elle partageait avec son amie. Les deux soldats s'assirent côte à côte sur l'une des banquettes.
Après quelques badinages sur les dernières nouvelles de leurs connaissances communes et de leurs quotidiens respectifs, auxquels Levi ne participa pas, ils entrèrent dans le vif du sujet :
« Au début de mes recherches, commença Hanji, je manquais cruellement de matériel pour analyser tout ça. Heureusement, depuis un an, mon équipe dispose d'un microscope beaucoup plus performant inventé par un certain Monsieur Ze…
— Abrège ! la coupa Levi.
— Oh oui, pardon. Je disais donc : nous n'avons réellement avancé que ces derniers mois. J'ai pu confirmer que le produit était bien du LCR, Liquide Céphalo-Rachidien, aussi appelé "liquide spinal", comme nous l'avait dit Eren. Seulement, ce n'est pas un LCR humain normal, ni celui d'un titan, on dirait une combinaison des deux. »
La jeune femme s'assombrissait au fur et à mesure que le commandant confiait ses découvertes.
« Vous pensez qu'il s'agit de celui d'un titan comme Eren, un des neufs titans primitifs ? demanda-t'elle.
— C'est une de mes suppositions mais, pour le confirmer... »
Hanji marqua une pose et jeta un coup d'œil en direction de Mikasa. Levi se demanda pourquoi la présence de la brune semblait brusquement la déranger, mais elle reprit :
« Nous avons besoin de faire un prélèvement sur Eren et Armin. »
Ah, d'accord. Levi comprenait mieux sa nervosité à aborder la question. Il aurait dû s'en douter et, avant même que Mikasa finisse de se redresser d'indignation, il lui cria :
« Ackerman, assis !
— Mais, comment…?
— Épargne-nous ton numéro ! continua t'il d'aboyer, on se fiche de tes gamineries sentimentales !
— Vous...sale… » mais elle n'en dit pas plus, se rasseyant brutalement, rouge de colère et les fusillant du regard lui et Hanji.
Avec son habituel air impassible, Levi l'ignora superbement. Mais la reine, elle, semblait un peu embarrassée :
« Il faut que je sache si c'est dangereux pour eux », demanda-t'elle au commandant.
Hanji sembla chercher ses mots puis répondit :
« C'est une ponction risquée, en effet, car il faut être très précis pour ne pas endommager la moelle épinière. Je m'y suis entraînée sur des...sujets test et…
— Des hommes faits prisonniers lors des attaques du port », précisa le caporal avec nonchalance.
Historia blêmi.
« Levi ! On n'est pas obligé d'étaler ce genre de détails ! » s'offusqua Hanji.
Ça ne se voyait pas, bien sûr, mais Levi s'amusait. Faire passer Hanji pour une cinglée, ou plutôt, le confirmer publiquement, était un passe-temps comme un autre.
« Bref, passons, reprit la scientifique. J'ai réussi à effectuer des ponctions à différents endroits du rachis, notamment au niveau lombaire, ce qui diminue le risque d'abimer d'autres organes. J'avais surtout peur pour le cerveau, en piquant dans la nuque, mais bon, on a rien sans rien, alors j'ai commencé par...euh non, pardon, je m'égare encore ! Tout ça pour dire que je ne me fais pas tellement de soucis pour nos petits titans apprivoisés ! »
Elle lança un sourire rassurant à Mikasa et ajouta :
« Et puis, avec leur faculté de régénération, ils ne risquent pas grand-chose, au final !
— On n'en sait rien, rétorqua sombrement la jeune brune. Ce liquide se trouve principalement dans la nuque et, comme par hasard, c'est le point faible des titans. Qu'est ce qui nous dit que ce n'est pas également un point faible pour Eren et Armin quand ils ont forme humaine ? Et si toucher à ce truc les tuait, tout simplement !?
— Alors, on saurait enfin comment tuer un hôte de titan primitif sans faire trop d'efforts, répartit Levi sans même la regarder.
— C'est vous que je vais tuer si vous continuez à prendre mon frère pour un rat de laboratoire ! »
Là, c'était la goutte, même si Levi s'avouait l'avoir bien cherché. Ses pupilles s'étrécirent et il balança froidement :
« Trois jours de mitard, Ackerman ! »
Elle sembla se retenir de pousser un cri de haine et devint plus rouge encore.
« Calme-toi, Mikasa ! la supplia Historia, je suis sûre qu'ils ne feront rien sans l'accord d'Eren, de toute façon. N'est-ce pas, commandant ? »
Hanji acquiesça.
« Eren ? Il sera d'accord, comme toujours ! continua de râler Mikasa, même si la plus petite semblait avoir réussi à la ramener quelque peu à la raison. Il se sent tellement inutile que ce crétin finirait par laisser l'armée le disséquer pour peu que cela nous permette d'avancer un peu ! »
Il ne sut pas pourquoi, mais ces mots choquèrent Levi. Il ne voulait pas entendre ça. Il ne permettrait jamais que cela se produise. Eren était précieux pour l'humanité et, si Hanji foirait son coup, il serait le premier à la descendre. Mais cette fille semblait dire qu'Eren avait baissé les bras et, si c'était vrai, cela ne lui convenait pas. Peut-être même que ça l'effrayait. Il n'aurait pas dû tant se soucier de ce sale gosse, alors, comme pour se convaincre lui-même que c'était sans importance, il ne posa aucune question sur son état.
« Voyons, Mikasa, tu exagères ! la reprit Hanji. Je suis sûre que nous trouverons bientôt des réponses ! Et, quand Eren pourra enfin utiliser l'Axe, nous pourrons…
— Encore ce truc ?! la coupa le caporal, une fois de plus. Ça fait quatre putains d'années qu'on attend un miracle et qu'il se souvienne comment l'utiliser ! Il en est certainement incapable, ce con ! Passe à autre chose. »
Ignorant Mikasa qui s'empourprait à nouveau en entendant l'insulte faite à son frère, Historia demanda :
« Il a bien réussi une fois, non ? Vous avez bien étudié toutes les conditions et le contexte dans lequel c'est arrivé pour essayer de les reproduire ?
— Oui, répondit Hanji, mais, à moins que l'on ait omis quelque chose, rien n'a fonctionné. À ce moment-là, Eren et Mikasa ont vu un titan bouffer un de leurs amis, juste sous leurs yeux. Eren est entré dans une rage folle, et quand le titan a avancé la main pour l'attraper, il l'a frappée. C'est tout. C'est sûrement lié à un état d'esprit momentané, mais nous ne sommes jamais parvenus à lui faire ressentir la même chose qu'à cet instant, en supposant que c'est bien cela. Je n'allais quand même pas jeter l'un de ses camarades en pâture à un titan et le lâcher, ensuite, en lui disant : "vas-y, Eren, à toi ! Montre-nous ce que tu sais faire !" finit-elle avec un petit rire gêné.
— Je suis sûr que tu y as pensé, sale tarée, souffla Levi.
— Rah, mais arrête ! Je ne suis pas si terrible ! N'empêche, je ne savais pas qui était cet homme avant, et j'ignorais qu'Eren avait d'autres amis que Mikasa et Armin. Peut-être qu'il y a un lien avec ces sentiments envers son père, car il connaissait ce soldat depuis l'enfance et, apparemment, il prenait soin d'eux…
— Non, l'interrompit Mikasa, ça n'a rien à voir. Et il s'appelait Hannes. »
Levi ouvrit soudain ses oreilles, la brune renfermée semblait sur le point d'accepter de communiquer sur son passé, à elle et Eren, avec quelqu'un d'autre qu'Armin, et l'on pouvait dire que ça n'arrivait pas souvent, voir jamais.
« Nous le connaissions depuis l'enfance, continua t'elle. Pour Eren, ce n'était qu'un poivrot de la Garnison passant son temps à glander, et moi… Moi, je m'en fichais pas mal. Dès qu'ils se croisaient, Eren l'insultait et lui disait de se rendre utile, et Hannes lui proposait à boire et le traitait de merdeux mal dégrossi. A cette époque, Eren passait son temps à se battre et à s'attirer des ennuis. Et moi, je passais tout le mien à le chercher et le tirer de ses conneries. Parfois, quand une bagarre commençait, Hannes et la Garnison rappliquaient mais, au lieu d'arrêter l'émeute, ils prenaient des paris. Eren n'avait pas peur de s'attaquer à des groupes alors qu'il était seul, et ces imbéciles se marraient en buvant leur vinasse. Hannes disait aux autres enfoirés : "Je vais encore ramener le gamin déformé à sa mère, elle va me tuer ! Mais, vous allez voir, sa sœur va arriver et elle va encore le faire brailler parce qu'elle va lui sauver les miches !". Quand j'arrivais, bien sûr, je faisais ce que j'avais à faire, même si Eren n'était pas d'accord, et Hannes empochait l'argent de ses paris. »
Il y eut un blanc. Tout l'auditoire se demandait comment Eren avait pu s'attacher à un tel homme après un récit pareil.
« Bref, on s'amusait bien », sourit tristement Mikasa.
Et là, Levi comprit. Eren et Mikasa étaient un peu comme lui, finalement : des gosses des rues, des chiens errants. Ce Hannes n'était certainement pas une figure paternelle, pour eux. C'était seulement un adulte qu'ils avaient laissé entrer dans leur monde et qui, en retour, les avait laissés mener la vie sauvage qu'ils voulaient. Shiganshina était un quartier pauvre et, même si le père d'Eren avait été médecin, Levi se doutait bien que leur enfance avait dû être rude. Si Hannes avait pu gagner leur confiance, c'était probablement parce qu'il les avait traités sans ménagement, qu'il avait cru en leur force. C'était une complicité étrange mais, grâce à son enfance avec Kenny, il pouvait comprendre cela mieux que personne.
« Et puis, le jour de la chute du mur est arrivé, murmura la brune. Comme vous le savez sûrement déjà, Eren et moi avons retrouvé sa mère, Carla, coincée sous les décombres de notre maison. Hannes était avec nous. Eren était devenu fou de panique. Il essayait de tirer sa mère de là alors qu'il aurait fallu plusieurs hommes pour soulever la charpente. Pendant ce temps, un titan approchait, et Carla a supplié Hannes de nous sauver. Hannes nous a attrapés chacun sous un bras et s'est enfui. Eren lui hurlait de le lâcher et il a vu, comme moi, le titan saisir sa mère et... »
Elle déglutit, puis reprit. Son ton était redevenu froid et monotone, comme si elle faisait un simple rapport :
« Quand Hannes s'est arrêté, en sécurité, et nous a reposés, Eren était fou de rage et lui criait que sa mère serait encore en vie si il l'avait laissé essayer de la sortir de là. Hannes a pleuré et a sorti un truc du genre : "Si tu n'as pas pu sauver ta mère, c'est que tu n'en avais pas la force, tandis que, moi, c'est parce que je n'en ai pas eu le courage". Il était aussi démoli que nous, et nous n'avons vraiment pris la mesure de sa culpabilité que ce fameux jour, quand Eren a utilisé l'Axe. Encore une fois, nous étions tous les deux en danger et Hannes nous a vus. Il nous a vus face à ce titan, et c'était comme si l'histoire se répétait pour nous trois. Le titan qui avait dévoré Carla nous regardait. Hannes était serein. Je crois qu'il a voulu prendre sa revanche contre le sort ou quelque chose comme ça, et il s'est tout simplement jeté sur le monstre avec le sourire aux lèvres. Eren et moi avons eu mal, mais nous pouvions parfaitement comprendre son geste, et c'était certainement la meilleure mort qu'il pouvait s'offrir. Mais, après cela, j'ai eu très peur, car c'était pareil pour Eren. Quand il s'est avancé et qu'il a frappé la paume du titan avec son poing, j'ai su qu'il avait choisi la mort. Sa raison l'avait complètement abandonné. Je ne sais pas si ça vous aide d'en savoir plus sur Hannes mais, pour ce qui est de l'état d'esprit d'Eren, à cet instant, ce n'était plus que la folie et le désespoir. Vous n'avez pas le droit de lui faire revivre ça. »
Elle s'arrêta là, et il y eut un grand silence. Elle ne s'était jamais montrée aussi loquace devant ses supérieurs, et devait avoir beaucoup de respect envers ce soldat de la Garnison pour se soucier, ainsi, d'entretenir sa mémoire. Levi allait lui faire remarquer qu'elle était trop bavarde, mais l'attitude d'Hanji attira son attention. Elle n'avait rien dit, et son visage était crispé. Il émanait d'elle une aura glaciale. Le commandant du Bataillon d'Exploration était en colère.
« Hanji ? » questionna-t'il simplement. Il eut, cependant, du mal à dissimuler la surprise dans sa voix.
« Tu ne vois pas, Levi ? et son ton tremblait légèrement, bien qu'elle souriait d'un air dément. Nous avons un nouvel indice, et de taille ! »
Levi fronça les sourcils. Non, il ne voyait pas, et la scientifique, affichant une expression à mi-chemin entre la haine et la folie, commençait à l'inquiéter.
« Le problème, continua-t'elle, c'est que je ne comprends pas pourquoi nous ne l'avons pas obtenu plus tôt. »
Mikasa venait d'écarquiller les yeux en se crispant légèrement. Levi s'impatienta :
« Accouche, binoclarde de mes deux !
— C'est simple ! Si tu réfléchissais deux minutes, tu ferais vite la même analyse que moi ! Mais, comme tu ne t'intéresses pas à mes recherches et que tu n'écoutes jamais ce que je dis, normal que tu sois largué !
— Oï ! Pète pas ton câble sur moi, la folle ! Si j'avais dû écouter toutes tes conneries, je serai devenu sourd depuis longtemps ! »
Elle ricana et ses épaules se détendirent, comme si cette petite altercation amicale lui avait permis de reprendre son sang-froid.
« En fait, je me suis simplement souvenue qu'après avoir inspecté la cave de Grisha Jäger, Eren avait commencé à faire le lien entre ce que nous avions appris et certains souvenirs qu'il avait obtenu de son titan, et sa mémoire commune avec son propre père. C'est marrant, grinça-t'elle, déjà à l'époque, quand nous vous avions mis au trou tous les deux, j'avais remarqué qu'il devenait bizarre, plus secret, et son regard était rempli de doutes constamment. »
Elle s'était adressée directement à Mikasa, et celle-ci semblait de plus en plus sur la défensive.
« Dinah Fritz », lâcha t'elle subitement en scrutant la brune.
Celle-ci plissa les yeux et, à ses côtés, Historia se raidit subitement.
« Je sais que le titan qui a dévoré sa mère était Dinah Fritz, car il nous l'avait dit. La première femme de son père et descendante directe de la lignée royale. »
Levi sentit, lui aussi, une colère sourde l'assaillir tandis que les pièces s'emboîtaient dans son esprit. Il gronda :
« Toi et tes petits potes allez morfler... »
Mais il fut interrompu par Hanji, qui continuait :
« Si Eren a pu se servir du pouvoir du Titan Originel, ce jour-là, c'est parce que son adversaire n'était pas un titan ordinaire. Il est même très probable que ce soit le titan, lui-même, qui se soit servi de l'Axe grâce à leur contact. Je soupçonne les titans d'être plus ou moins conscients de leur situation, et cela signifierait que celui-ci, Dinah, ait pu trouver, ainsi, le moyen de mettre fin à ses jours et à son calvaire. Autrement dit, Eren serait, en fait, totalement incapable d'utiliser ce pouvoir de lui-même. Mais, bien sûr, ce ne sont que des suppositions. Dire que j'ai passé ces quatre dernières années à chercher comment fonctionnait ce pouvoir pour rien ! Comment a-t'il pu nous cacher quelque chose d'aussi important ?! Et toi, Mikasa, tu le savais, n'est-ce pas ? Qu'as-tu as dire pour ta défense ? »
L'intéressée baissa les yeux, coupable :
« Je ne sais pas. J'ai fait une gaffe, car je savais plus ou moins qu'il ne fallait pas que je le révèle, mais ce n'est jamais très clair avec eux. Ils partent du principe que je n'en parlerai pas, de toute façon, alors ils n'insistent pas sur ce que je dois taire. Je ne les suis plus. Depuis qu'Armin a obtenu le pouvoir du Titan Colossal, ils ont tellement changé ! Je ne les reconnais pas toujours. Mais je ne dirais rien de plus car je dois les protéger, quelques soient leurs intentions. »
Ces paroles provoquèrent la fureur de Levi :
« Ton petit protégé n'est qu'un sale lâche ! Il a sûrement caché la vérité car il avait peur qu'on découvre à quel point il est inutile, et qu'on le sacrifie pour récupérer sa saloperie de titan dans un corps capable d'utiliser ses pouvoirs ! Ça serait sûrement déjà fait si nous l'avions su plus tôt ! »
Cette fois, ce fut Historia qui se leva, avec fougue, en leur lançant un regard menaçant. Le dos voûté et les poings serrés, elle siffla à l'adresse du caporal :
« Je vous interdis ne serait-ce que d'y penser ! Eren n'est pas un lâche, je ne vous permets pas !
— Calmez-vous, Majesté, tenta Hanji en levant les bras en signe de paix. Vous connaissez le caporal-chef, il faut toujours qu'il exagère…
— Arrêtez de me donner du "Majesté" ! J'étais votre subordonnée, et c'est vous qui m'avez mise sur le trône, alors, assez d'hypocrisie ! »
Hanji entrouvrit les lèvres, surprise, et ses bras retombèrent sur ses genoux. La jeune fille ne se départit pas de sa véhémence et poursuivit :
« Je sais qui est vraiment Eren et de quoi il est capable ! Vous n'étiez pas là, ce jour-là, dans la grotte, quand mon père nous avait capturés. Eren était enchaîné pour me servir de repas. Nous vous avons expliqué pourquoi, par la suite, mais ce que vous ignorez, c'est que vous avez failli arriver trop tard. Je vous ai simplement dit que mon père voulait que je dévore Eren et que j'avais refusé de le faire. La vérité, c'est que j'ai longuement hésité avant de prendre cette décision. »
Son menton était baissé, et elle tremblait. Quand elle releva la tête, ses yeux étaient remplis de larmes et elle cria presque :
« Et pendant tout ce temps, Eren me suppliait de le bouffer, en me disant que c'était moi le véritable espoir de l'humanité ! Il était si sûr de lui, et je...je... »
Un sanglot éclata dans sa gorge et Mikasa lui attrapa les épaules, l'aidant à se rasseoir avec douceur. Levi avait senti ses entrailles se tordre.
Cette nouvelle version ne lui plaisait pas, elle le mettait même hors de lui si c'était possible qu'il le soit davantage. Imaginer que ce merdeux ait pu prendre la décision d'en finir avec sa vie et, qui plus est, sans son consentement, le faisait frémir de rage et de...peur ? Ces propres sentiments le surprirent, une fois de plus et, comme pour les balayer, il se leva brusquement et marcha vers l'une des fenêtres. Il soupira en écartant délicatement l'un des lourds rideaux de brocard et jeta un œil au dehors, cherchant à s'extraire de la tension pesante qui régnait dans la pièce.
« Putain de 104ème, vous nous ferez chier jusqu'au bout…
— C'est bon, Levi », le rasséréna son commandant, qui semblait plus détendu. D'une voix douce, elle s'adressa à Historia :
« Votre Alt... Je veux dire, Historia, sois sûre que le caporal et moi ne doutons pas des intentions d'Eren. Même si notre cher Levi ne sait pas s'arrêter quand il s'agit de faire de la provocation, c'est un fait : nous savons tous deux combien ton ami est dévoué à notre cause, et nous lui faisons confiance. Le problème, c'est que lui ne semble toujours pas avoir compris que nous étions de son côté. Cette confiance n'a pas l'air réciproque et, ces trois-là —elle jeta un rapide coup d'œil à Mikasa pour appuyer ses dires— ne se rendent pas compte des risques stupides qu'ils prennent en nous cachant des informations. Les gens sont toujours aussi méfiants à l'égard d'Eren, ainsi que d'Armin, désormais. Toi qui siège au Conseil, tu le sais mieux que personne. Si le commandement du Bataillon était en d'autres mains, je ne donnerais pas cher de leurs peaux après une telle découverte. Et, même en les protégeant de notre mieux, si quelqu'un apprenait qu'ils dissimulent des informations, Levi et moi serions éjectés, et qui peut dire ce qu'il adviendrait du Bataillon tel qu'il est actuellement ? »
La petite blonde semblait s'être ressaisie et, les joues légèrement rosies par la honte, elle s'excusa :
« Pardonnez-moi de m'être emportée, ce n'était pas digne de ma condition.
— Ce n'est rien, et nous en savons plus. Ça ira, nous allons régler ça. Je vous... Je te le promets. »
Levi se retourna, laissant retomber le drapé luxueux, et vint se rasseoir aux côtés d'Hanji, en croisant ses jambes et ses bras dans l'une de ses postures les plus habituelles.
« C'est bon, gamine, ces abrutis vont m'entendre, mais j'éviterai de répandre leurs tripes partout. »
La jeune reine eut un sourire contrit. Puis, Hanji demanda :
« Levi, tu n'as pas d'expédition prévue avant quelques mois, n'est-ce pas ? »
Le caporal soupira, sentant venir la suite :
« Non, mais ça ne m'empêche pas d'être occupé.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Je vois bien que tu passes tes journées à glander ! D'ailleurs, c'est pour ça que tu es là, non ? La relève part pour le port de déportation après-demain, dans la matinée. Ce serait bien que tu en fasses partie. »
Evidemment. Ce n'était pas un ordre car, en prenant le grade d'Erwin, Hanji avait conservé les mêmes manières que ce dernier concernant sa façon de travailler avec Levi. Les injonctions étaient rares, c'était toujours des propositions, comme si sa nature était trop imprévisible pour être soumise à la vraie rigueur militaire, ou comme si on avait tellement besoin de ses talents de tueur qu'on n'osait pas le prendre à rebrousse-poil. Il avait, parfois, l'impression de ne pas vraiment faire partie de tous ces petits bataillons bien rangés qui constituaient l'armée. Malgré sa nature placide, il restait imprévisible aux yeux de tous, tel un redoutable séide qu'il valait mieux avoir dans son camp que dans celui d'en face; un cerbère indompté, bien pratique, mais dont il fallait toujours se méfier. C'était un peu comme ça qu'Erwin le traitait, tel un as dans leur manche. Encore un point commun avec Eren. Bien sûr, Hanji avait gardé cette habitude pour ne pas le contrarier mais, surtout, car elle était incapable de faire preuve d'autant de rigidité que son poste l'exigeait.
« Et toi ? demanda-t'il simplement.
— Je ne peux pas venir, j'ai des expériences en cours et je dois y assister, sans compter que ce n'est pas bon que tous les hauts gradés de notre corps quittent la ville en même temps. On doit toujours avoir un œil ici. Et puis, j'ai encore quelques petites choses à voir avec la...avec Chrysta. »
Elle lança un regard rassurant vers la concernée, puis se leva, indiquant qu'ils s'apprêtaient à prendre congés, mais continua tout de même :
« Je suis sûre que tu t'en sortiras très bien ! Tire-leur les vers du nez et fais-moi aussitôt un rapport ! Et je te laisse aussi décider de ce qu'il convient de faire pour Mikasa, elle fait toujours partie de ton escouade. »
Ah oui, elle. Hanji savait, finalement, se montrer sévère quand elle le voulait. Avec tout ça, il n'y pensait plus, mais il était vrai que la brune était, même de loin si on suivait ses dires, complice de leurs complots. Si on pouvait appeler ça ainsi. Cela faisait beaucoup de « si » et, en attendant d'en savoir plus, il décida de se montrer magnanime :
« C'est tout vu : j'ajoute trois jours de trou à ceux dont tu as écopés tout à l'heure. »
Mikasa blêmit. Levi la trouva gonflée car ce n'était pas grand-chose, quand on tenait compte de la gravité des faits.
« Mais... Je devais partir avec la relève... » implora t'elle.
C'était donc ça. La priver d'Eren restait la pire des sanctions pour cette fille. Elle pouvait passer trois mois aux cachots sans broncher, mais savoir qu'elle ne verrait pas son soi-disant frère à la date prévue lui donnait l'air d'un chiot abandonné. Levi trouva cela ridicule et irritant.
« T'es sourde ou quoi ? J'ai dit que t'allais passer une semaine en cellule, j'aime pas me répéter. »
Il salua Historia et se dirigea vers la porte. Mikasa et Hanji firent de même, mais ce fut moins chaleureux qu'à leur arrivée. la jeune brune aurait pu rester, car elle était venue sur son temps libre pour profiter de son amie, mais le caporal n'avait pas précisé quand la punition prenait effet. Elle devait penser, à juste titre, que c'était immédiat.
Une fois dans le couloir, tandis qu'ils commençaient à se diriger vers la sortie du palais, Levi déclara :
« Ackerman, tu nous rejoindras au camp de base du port dès que ta sanction sera finie.
— Merci, Caporal. »
Il ne répondit pas. Il se fichait pas mal de sa reconnaissance, mais il sentait qu'il valait mieux qu'elle soit à portée de main au cas où il aurait besoin d'éclaircir certaines choses là-bas.
Je profite de la correction pour ajouter les génériques que j'ai intégrés à la version wattpad. Bien sûr, je ne peux pas mettre les liens vidéo, ça sera à vous de chercher sur youtube si le cœur vous en dit. Par contre, pitié, trouvez des versions lyrics et pas les clips officiels parce que, putain, certains pètent vraiment l'ambiance, c'est un petit conseil...
Générique : El Condor Pasa - Simon & Garfunkel - 1970.
Traduction :
Je préférerais être un moineau plutôt qu'un escargot,
Oui, je voudrais,
Si je pouvais...
Bien sûr que je voudrais.
Je préférerais m'envoler vers l'horizon,
Tel un cygne qui s'éloigne.
Un homme cloué au sol
Rend au monde son chant le plus triste.
Son chant le plus triste.
Je préférerais être un marteau plutôt qu'un clou,
Oui, je voudrais,
Si seulement je pouvais...
Bien sûr que je voudrais.
Je préférerais m'envoler vers l'horizon,
Tel un cygne qui s'éloigne.
Un homme cloué au sol
Rend au monde son chant le plus triste.
Son chant le plus triste.
Je préférerais être une forêt plutôt qu'une rue,
Oui, je voudrais,
Si je pouvais...
Bien sûr que je voudrais.
Je préférerais m'envoler vers l'horizon,
Tel un cygne qui s'éloigne.
Un homme cloué au sol
Rend au monde son chant le plus triste.
Son chant le plus triste.
Je préférerais sentir la terre sous mes pieds,
Oui, je voudrais,
Si seulement je pouvais...
Bien sûr que je voudrais.
Les paroles de S&G sont très poétiques et les traduire littéralement donne du charabia, d'où certains ajustements pour la compréhension. Vous avez remarqué que le narrateur rêve autant de s'envoler que de se poser ? Pour info, cette chanson est une reprise d'un chant traditionnel inca qui dit, gros sommerdo :
Ô majestueux condor des Andes,
Ramène-moi à la maison, dans les Andes
Ô condor.
Je veux revenir à ma terre chérie et vivre
avec mes frères Incas, ce que je désire le plus,
Ô condor.
À Cusco, sur la place principale,
Attends-moi,
Afin que, au Machu Pichu et au Huyana Pichu,
Nous puissions nous promener.
Voilà. Et, là, tout le monde se dit « mais qu'est-ce qu'on s'en branle ! » sauf ceux qui relisent la fic, éventuellement. Pour les autres, je n'en dis pas plus, sinon c'est du spoil, vous comprendrez en temps voulu.^_^
