Emma First aimait courir si tôt le matin, lorsque les rues étaient encore désertes, dissimulées par la pénombre de l'aurore, et que la brume n'avait pas encore commencé à se dissiper. Elle avait alors l'impression qu'elle disparaissait aux yeux du monde et rien, pour elle, ne valait ce sentiment. Etant née avec un physique très avantageux qui s'accordait mal avec son caractère sérieux et introverti, elle avait appris à apprécier ces moments où elle n'avait pas à se justifier de ce qu'elle était. « Et ce matin-là était l'un de ces moment-là ! » Songea-t-elle en souriant intérieurement.
De la même manière, elle appréciait la pression que sa course imposait à ses poumons. Elle sentait les pulsations de son cœur résonner dans chacun de ses membres et la brulure de l'effort oppresser sa gorge et sa trachée. Il y avait peu d'activité qui lui donnait cette satisfaction, celle de savoir qu'elle s'était vaincu elle-même. Elle avait couru 30 minutes de plus que les jours précédents, 45 minutes de plus que les semaines précédentes, et, satisfaite d'elle-même, elle s'apprêtait à reprendre le chemin de son appartement en songeant à la journée de travail qui l'attendait. A cette perspective, elle son sourire s'élargit. Elle avait trouvé sa voie. Ce stage qu'elle effectuait depuis peu la passionnait.
Elle nota à peine la présence d'une fourgonnette blanche, garé à quelques foulées, le long du trottoir. Aussi, lorsque la portière du côté conducteur s'ouvrit brusquement, elle ne put retenir un sursaut qui faillit lui faire perdre l'équilibre. Elle n'eut jamais le temps de s'interroger sur les intentions de l'homme ; Ce dernier la bouscula violemment, prenant ascension sur elle par une étouffante stature, et un violent élan, la forçant à reculer jusqu'à l'angle formé dans son dos par les marches menant au perron d'une des maisons de ville qui soulignaient le trottoir.
Emma ne vit jamais son visage, à demi dissimulé sous une large capuche. Mais le rictus haineux qui déformait sa bouche la terrifia instantanément.
- Tu te prends pour qui ? Cracha presque l'homme en serrant ses énormes doigts autour de son coup.
Emma ne comprenait pas. Mais elle sentit son sang affluer derrière ses yeux comme s'ils étaient sur le point d'exploser. Sa vue se brouilla, noyée sous un flot de larmes involontaires, et ses poumons, déjà brulés par la course, semblèrent vouloir imploser. Un gémissement étranglé sortait de sa gorge broyée, sans qu'elle réalise qu'il s'agissait là de sa propre voix, tandis qu'elle se débattait comme elle le pouvait, griffant et donnant des coups de pieds à l'aveuglette. Mais rien n'y faisait. L'étreinte qui broyait son cou ne desserra pas.
Et puis, sans cause réelle, il lui sembla que la pression sur sa gorge se faisait moins intransigeante, moins brulante. Mais immédiatement, un poids nouveau s'enfonça dans ses côtes. Presque aussitôt, une détonation explosa à ses oreilles, la ramenant dans le froid de la réalité. Et une douleur fulgurante lui foudroya le côté. Une seconde détonation, puis une 3ème, puis une 4ème, semblèrent la scinder en 2. L'homme s'écarta d'elle avec une froide indifférence, la laissant glisser jusqu'au trottoir pavé avec l'étrange sensation de se noyer dans une tiède humidité poisseuse. Elle lui découvrit un révolver, dont un fin filet de fumée s'échappait et se mêlait à la brume ambiante, entre ses énormes mains. Une odeur de viande brulée lui emplit les narines. Avec horreur, elle prit conscience qu'il s'agissait de sa propre chair, brûlée par le canon de l'arme qui, à nouveau, se braquait sur elle.
- Ça t'apprendra à rester à ta place ! Grogna l'homme avec un rictus mauvais.
Lorsqu'une ultime détonation retentit dans le silence glacé de l'aube, elle sut que le voile noire qui recouvrait sa vue inexorablement ne se lèverait plus jamais. Elle allait mourir. La dernière image que son cerveau enregistra avant de s'effondrer dans l'obscurité fut celle de l'homme, jetant sur elle une image. « Une photo ». Puis elle suffoqua définitivement dans une bouffée de terreur sans comprendre pourquoi elle mourrait ainsi.
Lorsque, une poignée de seconde plus tard, la camionnette quitta sans précipitation le cadavre d'Emma First, la brume se dissipait doucement, laissant apparaitre entre ses lambeaux la façade reconnaissable entre mille du parlement de Londres.
