D'un geste agile, Rick retourna le pancake en le faisant sauter dans la poêle. Il reposa la casserole sur le feu et pressa le bouton du mixer, mettant l'appareil en fonction. Pendant ce temps, le pancake avait achevé sa cuisson, et Rick s'empressa de le déposer sur le haut de la pile qui garnissait déjà une assiette.
« Bonjour ! » claironna-t-il lorsqu'Alexis pénétra dans la pièce.
« B'jour » répondit vaguement la jeune fille en se laissant lourdement tomber sur un siège.
Rick remarqua du premier coup d'œil qu'elle avait sa mine des mauvais réveils. Le regard bleu vitreux, les cheveux en bataille, à moitié avachi sur la table. Conciliant, il arrêta le mixer, et se saisit de la télécommande pour baisser le volume de la télévision.
« Qu'est-ce qui se passe ? » s'enquit-il en attrapant le bol du mixer et en servant un verre du jus de fruits qu'il contenait à sa fille.
« Elle a parlé toute la nuit ! » marmonna Alexis, le front posée contre la table, l'air à deux doigts de se rendormir.
« Qu'est-ce qu'elle a raconté ? »
« Le monologue de la dernière pièce qu'elle a écrite. Quelque chose sur... les fleurs du printemps qui dépérissent quand vient l'hiver... Au bout de la troisième fois, les mots n'avaient même plus de sens ! »
Gentiment, Rick garnit l'assiette de sa fille de pancakes et lui avança le sirop d'érable. Celle-ci annonça vaguement un « merci », releva vaguement la tête et avala une gorgée de son jus de fruits. Son père avait l'air étonnamment fringant ce matin songea-t-elle. Reposé et de bonne humeur. Il sifflotait presque en faisant la cuisine. Étrange... Kate n'avait pourtant pas passé la nuit ici.
« Attends une seconde... » marmonna-t-elle lentement.
Elle se redressa, la bouche à moitié entrouverte, venant enfin de comprendre.
« Tu ne l'as pas entendu ? »
Castle, tournant le dos à sa fille, figea son geste, au-dessus de la poêle venait d'accueillir un nouveau pancake. Il se composa une expression de fatigue qu'il espéra crédible et se tourna vers sa fille, faisant semblant d'étouffer un baillement.
« Si, si bien sûr que je l'ai entendu. Toute la nuit à parle... de fleur... de printemps... d'hiver... »
Les yeux bleus clairs de sa fille se plissèrent.
« Récite les premiers mots ».
« Euh... Les... les fleurs... du... printemps... » commença Castle d'une voix hésitante.
Il prit aussitôt un air contrit, espérant que cela suffirait à amadouer sa fille et l'expression de serial killer qui habillait son visage. Il abandonna la poêle sur la cuisinière et s'approcha vivement d'elle :
« Ma chambre, premier tiroir de la table de nuit, boule quiès » murmura-t-il.
« Des boules quiès ? Depuis quand tu as des boules quiès ? » répliqua Alexis.
« Depuis la première fois que j'ai entendu mère faire... »
Rick retint la fin de sa phrase avant de dire quelque chose d'irréparable et il éluda :
« Enfin bref... Sirop d'érable ? Miel ? » s'enquit-il pour couper court.
Sa fille lui lança un dernier regard meurtrier avant de s'emparer du sirop d'érable, histoire de lui faire comprendre qu'il n'avait pas intérêt à lui refaire ce genre de coup. Elle mordit d'ailleurs plus rageusement qu'elle n'aurait dit dans le morceau de pancake qu'elle venait de découper.
« Oh mes chéris, je suis si ravie de vous voir ! » s'exclama joyeusement Martha en descendant les marches, les mains levées au ciel.
Rick retint un sourire moqueur en croisant le regard de sa fille qui semblait signifier que si elle entendait encore parler de fleurs fanées, elle allait commettre un meurtre, et il se détourna pour se servir un café.
« Cette nuit a été la nuit la plus inspirant de ma vie ! C'était comme si les mots coulaient tout seul de ma bouche, qu'ils prenaient une vie propre, comme si ma voix s'effaçait totalement pour les laisser exister et s'envoler dans le monde ! Oh, merci mon chéri » s'interrompit-elle en prenant de se mains de Castle la tasse qu'il venait de se servir et qu'il s'apprêtait à porter à ses lèvres. « Je n'avais pas passé de nuits blanches depuis une éternité ! J'avais oublié à quel point cela pouvait être instructif ! ».
Retenant tout commentaire qui aurait pu déclencher un nouveau monologue, Castle se servit un autre café, et lorsqu'il pivota vers la télévision, il fronça les sourcils. Il s'empara aussitôt de la télécommande et monta le volume pendant qu'il grignotait un pancake qu'il venait de prendre sur le haut de la pile.
« … toujours aucune piste sur les diverses explosions qui ont frappées plusieurs endroits de New York il y a quelques semaines » annonça la présentatrice, une femme blonde derrière laquelle on voyait défiler les ravages des explosions dont il était question. « La police semble n'avoir pas complètement écarter la possibilité d'un attentat, bien que celui-ci n'ait toujours pas été revendiqué par un quelconque mouvement terroriste. Ces explosions inquiétantes ne sont cependant pas les seules sources d'inquiétudes des new-yorkais. La ville a été frappée d'une vague inexplicable de meurtres produits le plus souvent dans le domicile des victimes. Ces dernières ont été sauvagement mutilés par celui que les médias ont déjà surnommés « le bourreau de Manhattan ». A l'heure actuelle... »
Parfaitement réveillée, Alexis tourna la tête vers la télévision au moment où Castle décida de l'éteindre, un air grave sur le visage.
« Papa ? »
« Je veux que vous me promettiez toutes les deux d'être très prudentes. Faites attention à ne pas être suivie lorsque vous rentrez, d'accord ? »
Alexis hocha gravement la tête, finissant de mâchonner une part de pancake, mais Martha se contenta de lever les yeux au ciel, comme pour signifier qu'elle n'était pas née de la dernière pluie et qu'elle ne se laisserait pas bêtement avoir.
« Tu sais quoi ? » lâcha Rick, pris d'une soudaine inspiration, « lorsque je verrais Kate, je lui demanderais de t'apprendre quelques techniques pour te défendre. Et de te donner une arme à feu ».
« Papa... » soupira Alexis.
« Quoi ? Ce n'est pas une idée ridicule ! Tu sais combien de jeunes sont armés dans ce pays ? Tu devrais au moins avoir un taser. Ou un spray au poivre ».
Rick avala la dernière bouchée de son pancake et s'apprêta à en prendre un autre lorsque le tintement métallique d'un couvert heurtant le sol le fit se retourner à demi.
« Tu n'es vraiment pas réveillée ce matin » se moqua-t-il en voyant qu'Alexis semblait n'avoir pas vraiment réalisé que sa fourchette lui avait échappé des mains.
« Oui... » marmonna la jeune fille d'un air absent. « Je euh... » commença-t-elle pour se justifier.
Elle sembla renoncer à l'idée de dire quelque chose et se laissa glisser de son tabouret pour récupérer l'objet sur le sol. En à peine une seconde, il y eut un bruit sourd, puis Rick entendit sa mère crier « Alexis, chérie ! ». Il se retourna, le temps de voir sa mère descendre à son tour de son tabouret, vaciller, puis rejoindre sa fille sur le sol avec un bruit sourd. Il se rendit compte que sa tasse de café lui avait échappé des mains lorsqu'il l'entendit s'écraser sur le carrelage et lorsque le liquide éclaboussa son pantalon. Lorsqu'il se décolla du meuble contre lequel il s'était appuyé, il s'aperçut qu'il était pris de vertiges. Sa tête lui tournait, ses jambes flageolaient. La sonnerie de son téléphone, posé sur le comptoir, lui fit l'effet d'être à un volume beaucoup trop élevé. Son cerveau tournait au ralenti, et il ne savait pas comment exprimer ce qui était en train de lui arriver. Titubant jusqu'à son téléphone, il essaya de s'en emparer à plusieurs reprises pour décrocher et réclamer de l'aide, mais sans succès. Il trébucha tout seul et finit par s'écrouler sur le sol à son tour. Les yeux à moitié entrouverts, il lutta pendant quelques secondes pour rester conscient puis il céda et s'évanouit.
L'appartement resta plongé dans un silence lourd pendant encore quelques minutes. Puis la porte d'entrée s'ouvrit en grands depuis l'extérieur, et des pas se rapprochèrent du comptoir. Une paire de bottes enjamba avec soin le bras étendu de Martha, évita la tête d'Alexis, puis s'arrêta devant Rick. Il y eu un soupir, puis le nouveau venu s'accroupit, attrapa les poignets de l'homme, se redressa, et le tira derrière lui. N'empêche... ils en avaient mis du temps à s'évanouir...
[***]
Kate raccrocha au bout de la dixième tonalité. Étrange, Castle répondait toujours en temps normal. Elle avait déjà essayé de l'appeler avant de quitter le poste de police, et il n'avait pas répondu. Et puis elle se souvint. Hier, son éditrice avait appelé pour lui signaler qu'il était encore en retard pour terminer son prochain livre. Il avait sans doute passé la nuit à travailler pour tenir ses délais. Elle rangea son téléphone dans sa poche. Son café lui manquait déjà. La présence de Rick encore plus. La jeune femme rangea son téléphone dans sa poche et sortit sa plaque pour la montrer au policier en uniforme en faction devant le ruban jaune tenant les curieux à l'écart. Elle suivit la direction que lui indiqua un autre policier, et finit par arriver dans un petit appartement qui avait été proprement saccagé. Kate enjamba avec précaution les débris d'un vase et d'une table basse et s'avança jusqu'à Lanie.
« Qu'est-ce qu'on a ? »
« Jeune femme, entre vingt et trente ans. Traumatisme crânien. A priori je dirais que sa tête a heurté quelque chose qui ressemble furieusement au coin de la table basse. Pas d'autres blessures. L'heure de la mort se situe entre 22h et trois heures du matin, la fenêtre était ouverte, cela a pu fausser la température du corps. J'aurais plus de détails une fois à la morgue ».
Kate se retourna pour suivre la direction que lui avait indiqué Lanie, et son regard tomba sur le sang qui tâchait l'un des coins de la table basse.
« Elle est morte sur le coup ? »
« Son crâne est en bouillie ma grande ».
« Alors à qui appartient ce sang là-bas ? » voulut savoir Kate en montrant les gouttes de sang qui souillait le sol et le tapis avec son stylo.
Elle s'approcha pour mieux voir. Avec un peu de chance, ce sang appartenait à leur assassin. C'était un début de piste.
« Yo ! » lança Esposito depuis l'entrée de la pièce.
« Hey, Espo ! » l'accueillit Kate.
« Mr Beckett n'est pas dans le coin ? »
« Il ne répond pas au téléphone » éluda Kate, priant pour ne pas rougir. « Alors ? »
« J'ai interrogé les voisins, ils ont entendu des cris vers 23h. Selon eux, un jeune homme rendait souvent visite à Carrie Nollan, notre victime. Aucune n'a pu donner de descriptions très précises. Il ne regardait jamais personne dans les yeux, il avait toujours une casquette vissée sur la tête, il ne disait même pas bonjour. La voisine d'en face dit que dans la nuit, elle a entendu une moto pétarader, et que ça a réveillé son bébé, mais elle est incapable de se souvenir de l'heure ».
« Bon, a priori, Carrie Nollan était toujours vivante à 23h... Inspecte les lieux, cherche des photos, un ordinateur, un téléphone, n'importe quoi qui pourrait nous renseigner sur cet inconnu. Elle avait de la famille ? »
« La voisine m'a parlé d'une dame assez âgée qui venait de temps en temps, elle a été incapable de se rappeler si c'était sa mère, sa tante ou sa grand-mère. Cela fait longtemps qu'elle n'est pas venue ».
« Très bien, fouille ses affaires. Et Ryan ? »
« Une petite vieille lui tient la jambe au bout du couloir » indiqua Javier avec un vague haussement d'épaules.
[***]
« Vous savez, mon mari aussi était irlandais. Peut-être qu'il était de votre famille. J'ai entendu dire que tous les irlandais de New-York avait un lien de parenté... Les O'Brien, ça ne vous dit rien ? »
« Euh... pas que je sache... » marmonna Kevin, lorsqu'il put en placer une.
« Enfin bref... nous nous sommes rencontrés dans un petit pub irlandais... Oh, je me souviens, c'était mon frère aîné qui m'emmenait là-bas... » se souvint la vieille dame avec émotion. « A l'époque, je lui servais d'alibi pour qu'il puisse voir cette petite Mulligan. Et j'y ai rencontré mon défunt époux. Et mon frère a commencé à me servir d'alibi pour que je puisse le voir. Nous prétendions que nous allions chez des amis, alors qu'en réalité, nous passions nos journées dans cet endroit un peu miteux... »
« Euh... c'est très intéressant mais concernant votre voisine... »
« Oh... Elle avait de très mauvaises fréquentations. Une fois, j'ai vu un jeune homme la frapper et lui grommeler quelque chose entre ses dents. Je n'ai pas très bien compris, avec l'age, je deviens un peu dure d'oreille. Il n'était certainement pas irlandais, les irlandais traitent les femmes avec respect. Et ils sont très bels hommes. Je vous ai dit que mon mari était irlandais... ? »
« Euh... merci pour votre aide madame. La police vous recontactera en cas de besoin » assura très maladroitement Ryan.
Il préféra s'éclipser avant que la vieille dame n'ait le temps de le retenir avec un énième souvenir et s'empressa de regagner la scène de crime. C'était tout lui ça, il était trop poli pour couper la parole à une dame qui avait l'âge d'être sa grand-mère, il n'y pouvait rien. Il croisa Kate au moment où celle-ci s'apprêtait à sortir de l'appartement saccagé.
« Oh, salut ! »
« Salut » marmonna Ryan. « Où tu vas ? »
« Passer un coup de fil. Rick ne répond pas. Les cadavres perdent beaucoup de leur intérêt lorsque son éditrice menace de lui crever les yeux lorsqu'il est en retard. Tu as réussi à te débarasser de la vieille dame ? » se moqua la jeune femme.
« … Je... je vais... fouiller la salle de bain » éluda Kevin, mal à l'aise.
Kate composa le numéro, croisant un bras sur sa poitrine pendant qu'elle comptait machinalement les tonalités. Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, le répondeur se mit en route.
« Bonjour, vous êtes bien chez Rick et Alexis Castle et chez Martha Rodgers, nous ne sommes pas disponible pour l'instant... »
Elle raccrocha avant la fin du message, et jeta un coup d'œil à sa montre. De son point de vue, la journée commençait bien mal...
[***]
Rick se réveilla avec un sursaut lorsque quelqu'un lui balança un seau d'eau glacée en pleine figure. Frigorifié, il s'ébroua comme il put,puis réalisa lorsqu'il essaya de bouger que ses poignets étaient attachés aux accoudoirs d'une chaise particulièrement inconfortable, et que ses pieds étaient entravés par une lourde chaîne. Il se trouvait au centre d'un cercle de lumière crue qui l'éblouit lorsqu'il leva la tête. La vision tâchée de petits points, il cligna plusieurs fois des yeux, et son regard s'agrandit sous l'effet de la peur lorsqu'il vit le plateau où trônaient divers objets métalliques particulièrement contondants, tranchants, et certains dont il ne voulait vraiment pas connaître l'usage. Essayant de conserver son sang-froid, il commença à s'agiter sur sa chaise, essayant de la faire basculer sur le côté. Il se figea en entendant du bruit venir de par delà le cercle de lumière, comme un seau que l'on laissait tomber sur le sol sans grande considération.
« Même en étant Houdini, vous ne réussiriez pas à vous sortir de là » commenta une voix féminine.
Castle s'efforça de mettre son cerveau en marche pour réfléchir à un moyen de se tirer de là. Mais aucune idée brillante ne lui vint à l'esprit. A défaut d'avoir mieux, il plissa les yeux, essayant d'apercevoir son interlocutrice.
« Alors, Mr Castle... par quoi allons-nous commencer... ? » marmonna une jeune femme aux cheveux auburn et aux yeux acajou en s'avançant dans le cercle de lumière.
« Arianna... » murmura Rick, sans réfléchir, lorsqu'il la reconnut.
« Non, si vous vous rappelez bien, elle s'est prise une balle dans la poitrine pour vous sauver la vie » répliqua la jeune femme. « Adria » se présenta-t-elle. « La jumelle maléfique ».
Le regard de Castle s'agrandit un peu plus sous l'effet de la peur lorsqu'il vit le scalpel que la jeune femme tenait entre ses doigts. Mon dieu. Il ne voulait pas mourir.
« Je euh... je suis désolé pour votre sœur. Vraiment » bafouilla-t-il vivement.
Il se raidit lorsqu'elle s'avança avec une vitesse surprenante vers lui, et que la lame du scalpel vint se planter dans le bois de la chaise, entre ses deux jambes, tout près de ses parties intimes.
« Malheureusement pour vous, le fait d'être désolé ne la ramenera pas » gronda Adria, le visage à quelques centimètres à peine du sien.
