La Fratrie
"Il est passé par là, aucun doute." dit Trigo, analysant rapidement la piste. Il leva des yeux morts sur l'horizon, le humant comme le ferait un animal.
"Putain... quand est-ce qu'on arrivera à lui mettre la main dessus ?" gémit Trevis que la quête commençait sérieusement à agacer.
"On l'aura... quand il se livrera à ses petits travers." déclara Trigo, sûr de son fait.
"Les femmes... il n'a jamais su résister." renchérit Gio.
"Ouais... et j'en connais une qui pourrait bien servir de leurre." affirma Trigo avec un sourire machiavélique.
"Après ça... on s'attaquera à plus gros." ricana Gio en désignant un avis de recherche placardé sur un pan de mur en bois et désignant le pirate le plus recherché de l'univers.
"J'adore quand on voit grand, les gars." amena Trigo, tout en fourrant un cigare dans sa bouche tordue, défiguré qu'il avait été par un animal coriace.
"Vous... êtes sûrs, les mecs ?..." émit la voix fluette de Spax, le plus jeune du groupe, la vingtaine à tout casser.
Le cinquième de la bande vint fermer la marche. Mécanisé à près de 50%, Asasun n'avait quasiment plus rien d'humain.
On les appelait "La Fratrie". Ils étaient cinq. Tous plus dingues les uns que les autres. Dans la bande, seuls deux étaient réellement frères : Trigo et Spax.
Trigo était, comme Trevis, un ex-militaire, banni du système par un comportement réfractaire à toute forme d'autorité. La trentaine bien frappée, Trigo n'avait pas eu assez de valeurs pour devenir autre chose qu'un mercenaire. Il s'était mis à travailler pour son compte avec Spax - un boulet en fait, ce Spax, vu qu'il fallait le protéger régulièrement aussi bien des autres que de lui-même ; trop maladroit et crétin pour être un bon. On l'appelait fréquemment "Simplet". Pourtant, Trigo y était attaché et malgré les réticences des chasseurs de primes qui se joignirent à lui par la suite, il s'obstinait à garder cet imbécile heureux de Spax près de lui, par devoir ou par pitié, à voir. Trigo était du genre armoire à glace : près du mètre 95 au garrot, cet ours impressionnait au premier regard. Il était taillé en V : toute la force dans les bras, rien dans les jambes. Ceci avait fortement handicapé sa carrière militaire... Trigo avait une préférence pour les armes lourdes et tout ce qui explosait à distance. Il était artificier dans l'armée et avait conservé une excellente maîtrise des explosifs en tout genre. Il était également le plus calé pour tendre des pièges et excellent pisteur. On racontait qu'il avait passé au moins trois années dans une contrée glaciale, à se battre contre toutes sortes de bêtes féroces. C'est durant cette période qu'il perdit une partie de son visage et qu'un médecin, imbibé de vodka, lui avait arrangé le tout avec les moyens du bord. Le résultat n'était franchement pas esthétique... et Spax avait hurlé de terreur et s'était caché en le découvrant ainsi à son retour.
Spax était le plus frêle du lot. Toujours à la traîne. Toujours à faire des réflexions débiles dont il était le seul à rire tandis que les autres grinçaient des dents. Pourtant, Spax voyait clair dans bien des domaines et il n'avait rien perdu de son instinct de survie, contrairement aux autres. Gamin, il était constamment fourré dans les jupes de sa mère et il reporta toute son affection sur "grand frère Trigo" à la mort de ladite mère. De taille moyen, taillé façon haricot vert, un visage de fouine, manquant de muscles autant que de cerveau, le jeune homme était le plus désavantagé du lot. Il avait décidé de se laisser pousser la barbe, ce qui était ridicule vu les trois poils qui se battaient en duel sur son menton. Il portait constamment un long manteau sur le dos, qui camouflait assez mal sa maigreur. La seule utilité de Spax était qu'il pouvait se faufiler partout et ramener des informations utiles au groupe.
Venait ensuite Trevis. Ex-militaire, gradé. Souffrant de mises à pieds consécutives jusqu'au renvoi définitif. Trevis, du haut de ses trente-cinq ans, était l'aîné du groupe. Il était connu pour savoir parfaitement torturer et obtenir, par ce biais, des informations intéressantes. Trevis passait pour quelqu'un de beau de visage, les cheveux longs et sombres, le corps svelte, des manières quasi-aristocratiques. Lorsqu'il torturait, le sang de ses victimes venait rarement maculer ses vêtements ; il savait où agir sur un corps pour que la personne livre tous ses secrets en un temps record. Trevis s'était heurté à un gradé qui avait fait une ascension fulgurante dans la hiérarchie mais qui ne badinait pas avec la discipline : le Commandant Warrius Zero. Les deux hommes n'avaient pas pu se voir dès le premier regard. Trevis, totalement rebelle au terme "discipline", se mit dès lors à chercher des noises à son nouveau chef. Plusieurs fois, l'affaire s'était réglée par un duel à la loyale. Trevis, bon tireur, n'avait pourtant pas fait le point face à son adversaire... qui avait fini par le voir en véritable menace et viré de la section manu militari. Non content de l'avoir déchu de la section, Zero était allé encore plus loin, faisant jouer ses relations pour un renvoi sans appel, via plusieurs procès retentissants et des appels à répétitions en cour martiale. Autant dire que si Zero venait à nouveau croiser la route de Trevis, le face-à-face serait des plus sanglants. Trevis avait pour but ultime un attentat contre Zero et sa troupe mais le projet avait échoué à plusieurs reprises... à cause, semble-t-il, d'un fameux pirate. Mais cela, c'était ce qui se racontait. Trevis pensait plutôt que la malchance avait joué contre lui.
Entre deux âges, Gio était un homme lambda. Pas spécialement beau mais avec beaucoup de charme, des yeux félins, un visage fin, l'Italien faisait tomber les femmes comme des mouches. Un regard brûlant, un geste et elles se pâmaient. Gio était étrangement le plus doué du groupe point de vue tir. Il en connaissait long, très long sur les armes. Il s'était un jour amusé à fabriquer une réplique de cosmogun mais ce dernier avait explosé entre ses mains au premier usage, amenant son lot de railleries. Gio l'avait tellement mal pris que celui qui osait ramener l'histoire sur le tapis se retrouverait immanquablement marqué d'un tir entre les deux yeux. Et Gio ne manquait jamais sa cible. Autre fait notable, et pas des moindres, Gio était un ex-membre d'équipage de l'Arcadia. Il y exerçait une fonction en passerelle et, de fait, connaissait bien les us et coutumes de ce vaisseau, de même que les ruses de son Capitaine, le redouté Harlock. Autant dire que Gio était l'homme qu'il fallait avoir dans son groupe si on voulait chasser le pirate le plus recherché de l'univers... un atout de taille. Gio avait en tête les moindres points de ravitaillement du navire à tête de mort. C'était un différend avec le Capitaine Harlock qui l'avait poussé à quitter le bord. L'affaire s'était réglée par une violente algarade sur le pont au retour des aviscoops. Harlock était le genre d'homme à conserver ses points de vue et à ne pas mettre d'eau dans son vin ; passant pour quelqu'un de totalement inflexible. Et c'était le cas... seulement Gio confondait manque de souplesse et valeurs. Il avait quitté le vaisseau, saturé de rancoeur. Et s'était mis à développer un comportement basé sur les superstitions.
Asasun était simple paysan. Sa particularité cependant était d'avoir toujours pratiqué les arts martiaux. Sa mécanisation était liée à un accident avec une machine agricole qui lui avait broyé près de la moitié du corps. C'était un miraculé. Les médecins avaient fait un travail remarquable de reconstruction. Il en était ressorti plus totalement humain, ce qui avait effrayé sa femme et ses fils. Il n'avait, de fait, plus eu le coeur à reprendre l'exploitation et était parti tenter sa chance en tant que chasseur de primes. Sa route avait croisé celle de La Fratrie. Asasun était avare en mots. Il semblait évoluer dans un univers qui lui était propre. Il se découvrit un point fort pour la construction de tout ce qui était mécanique - le vaisseau de La Fratrie avait été mis au point par ses soins - et savait instinctivement communiquer avec toutes sortes de systèmes informatiques. Asasun se tenait fréquemment à l'écart du groupe, couvrant leurs arrières.
Le bip incessant des radars ramena plus de monde que prévu en passerelle. Et pour cause : la cible attendue venait de se dessiner sur l'écran.
