Le tonnerre gronde. J'entends les éléments qui se déchaînent dans le ciel, entamant sans répit leur danse funeste. Le ciel pleure et ses larmes rejoignent la terre, l'inondant sans s'arrêter. Les éclairs zèbrent le ciel, lumières brutales qui tonnent avec un fracas assourdissant. J'observe ce spectacle avec fascination. Je sens le vent gifler mon visage avec fougue et apporter avec lui les gouttes glacées qui pourtant me brûlent la peau à chacun de leur contact.
Je tremble. De peur, oui, mais pas à cause de l'orage.
Ma main glacée se resserre sur la pokéball que je tiens. Je ferme les yeux. Fort. Lorsque je les rouvre, je suis calme. Je sens encore les battements de mon cœur affolé qui tambourine dans ma poitrine mais je ne les entends plus. Je m'avance, grimpant la première marche de l'interminable escalier qui semble monter jusqu'aux cieux, par-delà les nuages noirs comme de l'encre. La pluie se transforme en grêle, et les flocons gelés viennent me frapper durement le visage, me rappelant que tout cela était bien réel. La douleur, la tristesse, l'adrénaline … la mort.
Je lève les yeux vers le sommet. Une silhouette se découpe de l'horizon, lointaine et pourtant si proche à la fois. Un éclat rouge attira mon regard, immanquablement. Je serre ma prise sur la pokéball à la faire éclater.
Je suis trop loin pour l'affirmer, mais nos regards se croisèrent à cet instant, tandis qu'un éclair s'abattit tout près de moi, frappant le sommet du Mont Argenté avec violence.
Claquant avec toute la douceur dont j'étais capable, ce qui veut dire très peu, la porte de ma chambre, je partis m'écrouler sur mon lit, écrasant mon visage dans mes sept coussins de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel tout en priant mentalement pour que je meurs étouffée dans cette position.
Je venais pour ainsi dire de passer une journée horrible. La routine en fait, mais c'est ça qui est réellement déprimant. Entre se faire ridiculiser par un professeur de gym parce qu'on est plus que nullissime en sport, se faire engueuler par sa mère parce qu'on ramène – encore – un deux sur vingt en mathématiques et être comme chaque jour la risée de l'école, sans parler du fait qu'alors que j'avais réussi à aborder Thomas sur qui j'ai des vues depuis un moment, je me mis à avoir le hoquet, histoire de bien me ridiculiser … non franchement, si je pouvais mourir, là tout de suite, ce serait parfait. Ou alors entrer dans un état d'hibernation pour une petite centaine de milliers d'années. Ma vie est un désastre, comme une longue route abandonnée dans le désert pleine de poussière et complètement desséchée …
J'avais légèrement tendance à exagérer les choses, je le reconnais. Mais franchement, depuis le départ de Liam, tout allait de travers.
Liam c'est mon frère … et également un genre de substitut paternel, la seule présence masculine de ma vie quoi. Et qu'on ne vienne pas croire que je joue la carte du mélodramatique avec l'orpheline qui rêve de vengeance et qui a une vie à faire pleurer les pierres parce qu'elle a été abandonnée ou que son père est un héros de guerre mort au combat. Non, mon père n'existe pas tout simplement parce que ma mère ne sait absolument pas qui il est. Une soirée arrosée, une maman complètement bourrée et quelques hommes dont elle ne connaît pas le nom … le lendemain elle s'est réveillée dans un lit vide et neuf mois plus tard, tadam ! Mais d'après elle, à part quand je foire mes contrôles d'algèbre, je suis sa plus belle réussite d'après elle. Avec Liam bien sûr.
Mon frère a vingt-trois ans. Ça nous en fait sept de différence. Ma mère était tombée enceinte de lui le jour de son dix-huitième anniversaire en fait, lors d'une soirée d'étudiants – elle aime beaucoup faire la fête et ça s'est pas arrangé avec l'âge d'ailleurs. Super cadeau. Faut dire qu'elle n'a jamais été très … responsable. Sauf dans son travail. Le père de Liam n'a pas assumé le fait de devenir responsable d'une bombe à retardement déguisé en petit bout de chou. Mais il a toujours été plus ou moins dans le secteur, histoire que Liam sache de qui provient le spermatozoïde qui a fait toute la différence.
Et donc, ça fait presque sept mois maintenant que Liam est parti de la maison, vivre sa vie. Avant il était encore étudiant à la faculté, et comme c'est tout près d'ici, il était resté dans la maison familiale, c'était aussi simple. Mais maintenant, il est parti. Dans un genre de loft. Avec sa putain de petite copine. Attention je ne suis pas jalouse. Je suis extrêmement jalouse. Je sais c'est nul comme réaction mais je m'en moque à vrai dire … De quel droit cette pimbêche me vole mon frère d'abord ? Je n'ai que lui pour me soutenir moi dans la vie ! Je fais comment moi maintenant ? J'arrive même pas à faire trois pas sans m'étaler au sol …
Je poussai un soupir à fendre l'âme. Franchement j'étais déprimante. Incapable de faire quoi que ce soit sans mon frangin ou ma mère. Cette dernière me disait tout le temps que j'étais incapable de faire preuve d'indépendance. Sur le coup je lui avais répliqué que c'était faux et que je savais me débrouiller seule quand il fallait, et elle m'a répondu que ce n'était pas ça, être indépendante. Je constate aujourd'hui qu'elle avait raison … comme toujours.
J'avais toujours dépendu de Liam. Comme notre mère, Thérèse de son nom, est une véritable « working-girl », c'est lui qui allait me chercher à l'école et s'occupait de moi en attendant qu'elle rentre. Il me défendait toujours quand les plus grands venaient m'embêter et on a toujours été proches lui et moi. Petite, je me glissais dans son lit la nuit parce que je me réveillais à cause de cauchemars. Liam a toujours tout fait pour moi, et aujourd'hui, plutôt que de me réjouir de son bonheur, je me plains telle une égoïste … Je suis vraiment horrible. Je n'ai pas vraiment changé depuis l'époque ou j'étais une sale gamine pleurnicharde et maladroite.
Voulant cesser de me morfondre telle la loque humaine que j'étais devenue, je pris mon courage à deux mains et me leva de ma place. Mon suicide par étouffement fût donc remit pour plus tard. Je m'arrêtai devant la chambre de Liam, dont la porte était entrouverte, curieusement. C'était vide de vie là-dedans, il restait juste encore quelques cartons, de vieilles affaires qu'il n'avait pas ramenées chez lui par manque de place. Ma mère voulait faire un vide-greniers ce week-end pour s'en débarrasser d'ailleurs. M'avançant entre les boîtes recouvertes de scotch, mon regard fut soudain attiré par la console de jeux de mon frère, posé négligemment sur un carton. L'aurait-il oublié par mégarde ? C'était un grand gamin dans sa tête, il pouvait encore passer des heures sur sa DS, sans voir le temps passer.
Je n'avais jamais trop touché à sa console, il n'était pas vraiment prêteur de nature, et à part Mario le plombier, le reste ne m'intéressait pas plus que cela. Toutefois, par curiosité, j'attrapais l'engin et vérifiais la cartouche insérée dedans. Pokémon. Petite j'avais regardé un ou deux épisodes de la série, mais je n'avais jamais joué à ce jeu, même s'il m'était arrivé de regarder par-dessus l'épaule de Liam, petite curieuse et « je-me-mêle-de-tout » que j'étais – et que je suis toujours aujourd'hui d'après mes proches, j'en ai peur …
Je ne sais pas vraiment pourquoi, peut-être parce que j'avais envie de retrouver, d'une manière ou d'une autre, quelque chose de Liam, ou juste parce que j'avais besoin d'une distraction, quoi qu'il en soit, j'emportai la console avec moi dans ma chambre. Comme disait ma mère, il n'est jamais trop tard pour tout.
Je m'installai en tailleur sur mon lit, calée le plus confortablement possible, et enclenchai le jeu en espérant qu'après toutes ces années et ces chutes malencontreuses, l'objet marche encore. Un petit « ding ! » me signala que c'était bon. Parmi les options, seule « nouvelle partie » s'offrait à moi. Étrange, j'aurais crûs que la partie en cours de Liam serait toujours disponible … ne me formalisant pas plus de cela, j'appuyais sur le bouton et lisais les quelques lignes d'introduction.
Un vieil homme vêtu d'une veste d'un jaune atroce et aux cheveux grisonnants, qui se présenta comme le Professeur Chen me demanda d'enregistrer mon nom, après m'avoir posé la question classique – garçon ou fille ? – Je tapais donc « Alex ».
En vérité je m'appelle Alexandra, mais j'ai horreur de mon prénom, si bien que tout le monde m'appelle par mon diminutif. J'en venais même à me présenter comme telle, même si tout le monde me dit que « Alexandra c'est très joli et puis Alex ça fait prénom de garçon ». Il n'y avait guère que ma grand-mère ou mes professeurs pour m'appeler Alexandra. Et puis c'était un jeu, je pouvais mettre ce que je voulais après tout. Suite à cela, monsieur Chen conclut par un :
« Le moment est venu, Alex ! Tu es sur le point d'embarquer pour une aventure unique. Tu vas vivre des moments de joie, d'autres de peine … tout un monde de choses à expérimenter ! Allez, plonge dans le monde des pokémons ! Sur ce, à très bientôt ! »
Il y eut un flash de lumière blanche, puis le trou noir.
