Cette histoire est la préquelle de la fiction « Le Dilemme du Prisonnier », mais les deux histoires peuvent être lues indépendamment de l'une de l'autre.


Chapitre 1 :

Bienvenue à bord


X


Remarquable. Remarquable. Remarquable.

Hiro Fukushima était Remarquable. Non pas qu'il soit appelé Remarquable, mais il était Remarquable dans tout ce qu'il entreprenait. Mais il était gros et gras. Quelle erreur fatale pour un homme aussi parfait ! À cause de ça, ses amis l'appelaient Gros Tas, un surnom qu'il avait appris à détester. Dans l'objectif de s'émanciper de ce surnom ridicule, il avait décidé de suivre un régime d'entraînement extrême. Cent pompes, cent squats et une course de fond de vingt kilomètres tous les jours sous le soleil de Juin et de Juillet, assez pour rabattre le caquet de ces pathétiques idiots qu'il avait autrefois considérés comme ses amis. Et pour une raison qu'il ne pouvait saisir, ses proches s'étaient attendus à ce qu'il devienne chauve d'ici la fin de son entraînement absurde. Leur faute, supposa-t-il, jusqu'à qu'il ne réalise que bien trop tard qu'il était dorénavant appelé ST, acronyme de Super Tas.

Monsieur Tas avait été ordonné par son seigneur, le Grand Daimyō du Pays du Feu, d'aller dans un ville de campagne nommé Konohagakure no Sato, ou Konoha pour faire court, afin de porter main forte au problème de « gestion de ressources » qu'ils avaient sur place. Le Daimyō, qui était l'équivalant d'un roi dans leur état, avait insisté sur l'importance capital de cette mission, qui nécessitait une action immédiate. Bien que Konoha ne soit pas la seule organisation militaire du Pays du Feu, celle-ci était la plus éminente, tant en taille qu'en influence et était de fait un jalon incontournable. Ainsi, le Pays du Feu ne pouvait se permettre qu'un tel problème demeure insoluble. Beaucoup de candidats, comme Monsieur Tas, s'étaient rués sur cette mission mais seul lui avait été sélectionné au final. Pourquoi il s'était porté volontaire était évident. S'il arrivait à résoudre cette situation incongrue, cela apporterait un palmarès inégalé à sa carrière professionnelle.

Une fois qu'il eût appris la nouvelle, Monsieur Tas avait préparé sa mallette, y avait déposé sa pile de documents et quelques herbes de sa propre concoction afin que son voyage se passe sans encombre. Ce fut ainsi qu'il sortit par la porte d'entrée de sa maison afin d'embrayer sur le train à prendre. Aussi pressé qu'il était, il n'avait que peu prêté attention à son environnement. Et une fois installé dans le wagon... des arbres, des arbres, encore des arbres, encore et encore. Il perdit le compte une fois le cent millième passé. Du Jazz jouait en bas-fond et les acteurs se préparaient pour la scène qui allait bientôt se dérouler. Zut, il s'était presque endormi. Il regarda sa montre mais il n'était que deux heures de l'après-midi et il n'arriverait qu'à six heure du soir, ce qui lui laissait encore quatre heures.

Et alors, Enfant A et Enfant B décidèrent de se montrer, avec des rires, des licornes et des arcs-en-ciels. Vinrent alors les pleurs et la mère pour les gronder. Et force était de constater que Monsieur Tas haïssait les enfants avec PASSION. Il les considérait nuisibles, contre-productifs et inutiles faute de mieux. Ses potentielles petites amies, ou alternativement épouses intéressées l'avaient toujours largué car il n'avait jamais considéré un seul instant de perpétuer une descendance. De la même manière, si la misogynie était un trait, c'était quelque chose que Monsieur Tas avait choisi dès le berceau.

Plus que trois heures à tuer et Monsieur Tas avait perdu son but dans la vie. Il considérait même le suicide comme une porte de sortie. Il était certain que sa tête roulerait à merveille avec un train lancé à toute berzingue. En vérité, se jeter par la fenêtre n'était jamais une option qu'il avait envisagée sérieusement par le passé, mais l'idée remua dans son esprit tandis qu'il se retenait d'étrangler de ses mains nues les enfants larmoyants. La seule vertu qu'il réussissait à leur associer était leur endurance à soutenir leurs pleurs durant des heures sans s'arrêter. Le démon en lui lui soufflait de les prendre à part dans un coin sombre pour leur montrer sa collection favorite de photos de chats décapités qu'il portait sous sa ceinture. L'ange quant à lui lui suppliait d'attendre encore un petit peu et lui promettait exactement soixante sept femmes au paradis. Il regrettait de ne pas avoir pris de bombes cette fois. Quoi qu'il en soit, il avait toujours trouvé que le terrorisme était une notion qui ne devrait pas exister.

Hélas, ce ne fut que deux heures plus tard que les enfants partirent. Monsieur Tas n'était pas superstitieux mais il estimait la probabilité non égale à zéro que quelqu'un était assez tordu pour rendre son attente deux fois plus longue qu'elle n'était supposée l'être. Peut-être était-ce simplement une épreuve destinée à démontrer son incroyable talent à garder son sang froid en toutes circonstances. Son cerveau s'embrasa de plans machiavéliques en même temps qu'il pliait ses doigts en deux, puis en quatre. Les passants le regardèrent avec inquiétude au début, suivi d'un effroi incommensurable lorsqu'ils virent de la bave couler de son menton. Néanmoins, il n'y avait pas de médecin dans le train pour rattraper le coup.

Et ce fut exactement comment Monsieur Tas réussit à ne pas mourir.

Il prit une pilule et sa fièvre chuta d'un coup. Cette panacée délivra instantanément son effet tandis qu'il reprit une posture normale. Il s'excusa d'un air maîtrisé à son entourage, qui lui répondit avec un torrent d'applaudissements. Son tour de prestidigitation n'avait pas été perdu, puisqu'ils avaient tous été persuadés qu'il aurait rendu l'âme en cette occasion. Cependant, de grands magiciens tels que lui ne révélaient jamais leurs tours avant la fin du spectacle. Ils vous emmenaient dans un manège d'émotions sensationnelles avant de dévoiler leur grand final. Improvisation et adaptabilité étaient les clés pour survivre dans ce monde injuste après tout. Mais tout ceci s'était déroulé dans un univers parallèle puisqu'en réalité, tout ce que Monsieur Tas avait fait fut de rester endormi sur sa banquette.

Lorsqu'il vérifia sa montre une dernière fois, Monsieur Tas s'attendit à qu'il ne resterait moins d'une heure mais contrairement à ses espérances, l'aiguille de sa montre pointa le cadran du dessus. À moins qu'il ne soit rentré dans une boucle temporelle, avait-il reçu quelque part la capacité de remonter dans le passé ? Il éprouva cette hypothèse en poussant le bouton du gousset mais le monde autour de lui ne sembla pas s'arrêter pour autant. Il fut alors submergé par une immense déception puisque rien de surnaturel n'arriva pour l'égayer. Merveilleux, il devrait acheter une autre montre une fois arrivé à sa destination escomptée. Il prit un mouchoir à usage unique afin de nettoyer ses lunettes au moment où la voix du conducteur résonna dans tout le train pour annoncer du retard. Y avait-il un dicton qui énonçait que les trains arrivaient toujours à l'heure ? La sélection naturelle avait dû certainement passer au crible l'imbécile ayant énoncé de telles sornettes.

Monsieur Tas regarda par-delà sa fenêtre et vit que le décor avait cessé de bouger, ce qui signifiait que le train s'était définitivement arrêté. Soupirant lourdement, il regarda le ciel s'épanouir dans de l'orange rougi — si une telle couleur pouvait exister. Il lui était impossible d'observer le coucher de soleil, puisque les arbres lui cachaient la vue, mais il pouvait deviner sans nul doute à la lumière ambiante, qu'il était au moins une heure en retard. Son humeur devint mi-figue, mi-raison à propos de cette situation. Jusqu'à présent, il avait essayé d'équilibrer ça avec de l'humour mais sa patience n'était pas sans limites non plus. Il s'assoupit sur son siège tandis que sa tête rebondit paresseusement contre la fenêtre de son compartiment.

En premier lieu, il n'était même pas sûr s'il devait être content de quitter la capitale pour entamer cette nouvelle vie. Bien entendu, il aurait dû être excité par cette nouvelle perceptive. N'importe qui le serait. Sa vie mondaine avait été jusque là exempt de défis. Il avait été élevé dans une famille riche, était allé dans une école prestigieuse, avait été diplômé avec brio et avait entrepris des relations plus que satisfaisantes avec ses partenaires. Cependant, l'absence de surprises avait rendu son quotidien insipide. Il n'avait jamais vécu de hauts ni de bas. Sa vie n'avait été qu'un long fleuve tranquille, sans but ou d'objectif particulier à accomplir. Il n'y avait qu'un immense vide en lui. Il pouvait remettre ça sur l'éducation qu'il avait reçu autant qu'il le voulait, à la fin, c'était lui qui avait choisi ce qu'il était devenu. En un mot, il était déprimé.

C'est génial. Je suis en retard le jour où je suis supposé arriver. Bon boulot, Monsieur Tas, c'est le meilleur moyen pour toi de faire une bonne première impression, pensa-t-il sarcastique.

Bien sûr, il aurait pu partir le jour d'avant, puisqu'il avait été prévenu il y avait une semaine de sa mission, mais des imprévus de dernières minutes avaient démonté toutes ses contingences une à une. Premièrement, il avait été appelé au travail le jour d'avant et avait dû rester jusqu'à l'heure du déjeuner en raison de l'absence d'un collègue. Lorsqu'il était retourné chez lui, il ne lui était resté plus qu'une heure pour prendre le train. Pour couronner le tout, il y avait eu un trafic à couper des asperges en ce Dimanche, ce qui lui avait causé de rater le train. Le pire dans tout ça était que Konoha était très loin de la capitale et que ce n'était même pas une destination touristique. Ça et pour d'obscures raisons qu'il n'avait pu découvrir, il n'y avait eu qu'un seul train ce jour là. Heureusement, le billet qu'il avait acheté lui avait été remboursé alors ce n'avait pas vraiment été un problème au bout du compte. Le gouvernement lui payait toujours ses notes de frais, de même que pour l'hôtel qu'il réservait à chacun de ses voyages. Néanmoins, l'éthique qu'il avait acquis par la nature de son travail avait causé son mépris pour le gaspillage d'argent, même emprunté.

Ses doigts se mirent alors à danser sur sa mallette et son costume trois-pièce commença à émettre une odeur résiduelle de sueur. Les nuits étaient toujours chaudes au Pays du Feu, du fait de sa géographie équatoriale. Les forêts denses et le sol riche étaient la contrepartie au climat lourd et humide. En résumé, Monsieur Tas suait beaucoup et cela l'insupportait d'autant plus. Il devrait probablement s'attendre à retrouver son dos collé au siège lorsqu'il se s'apprêterait à se lever.

— Monsieur Fukushima est-il ici ? résonna subitement une voix grave provenant de la porte de son quartier.

La grand-mère à côté de lui se réveilla en sursaut. Monsieur Tas choisit une réaction plus neutre et tourna simplement sa tête vers le nouveau venu. Celui-ci se révéla être un homme de grande taille, avec une longue cicatrice lui parcourant le visage. Ses cheveux étaient tenus par un élastique en retrait et son menton finissait sur une barbe fraîchement taillée. Toutefois, le survêtement vert que l'individu portait était entouré d'une riche fourrure, provenant d'un animal que Monsieur Tas ne pouvait pas aisément identifier. Le premier mot qui vint à son esprit fut rustique mais l'addition superflue du poil tanné démontrait le haut grade de cet officier.

— Oui, c'est bien moi, rétorqua Monsieur Tas avec un modeste acquiescement.

L'étranger afficha alors un sourire, tandis qu'il tendit la main dans sa direction.

— Je suis Shikaku Nara. J'ai été envoyé ici pour vous escorter à Konoha. Enchanté de faire votre connaissance.

Quelque chose d'inhabituel le piqua l'intérêt au vif. Comment cet homme avait réussi à monter à bord du train, s'il n'avait pas été là à l'heure du départ. Monsieur Tas pesa le pour et le contre, avant de céder à sa curiosité, au risque de paraître peu aimable.

— Enchanté de vous rencontrer également, répliqua-t-il d'un petit sourire, mais je suis un peu perdu. Comment avez-vous réussi à monter dans le train ?

Il remarqua le sourire en coin de l'homme devenir plus prononcé.

— Pourquoi pensez-vous qu'il n'y avait qu'un seul train partant pour Konoha par jour ces derniers jours.

Monsieur Tas ne s'attendait pas à ce que sa requête soit répondu par une question. Et même en considérant la question, il s'attendait même à ce qu'elle soit rhétorique. Mais son correspondant paressait attendre une réponse de lui. Était-ce un test ?

— Je suppose que cela peut être dû à pas mal de choses, commença à dire Monsieur tas. Cela se peut que le village ait une politique d'immigration avancée. Un moyen de l'appliquer serait de limiter le nombre d'arrivées afin de faciliter les différents contrôles possibles.

L'homme dénommé Shikaku acquiesça en peignant ses cheveux de sa main droite.

— Cinq points, répliqua celui-ci. En effet, vous avez réussi à factoriser le fait évident que nous vérifions les allées et venues dans notre village. Toutefois, vous avez oublié un léger détail qui a rendu tout votre raisonnement caduque. Pouvez-vous voir lequel ?

Monsieur Tas fronça du nez à cette remarque. Il n'aimait pas les notes qui n'étaient pas parfaites, quelque soit l'évaluateur ou le système de notation mis à disposition.

— Émettre des hypothèses sans connaître le fond du problème ne fait pas partie de bon boulot, Monsieur Nara. Vous devrez me donner quelques indices si vous voulez que je devine l'ensemble du tableau, annonça-t-il sur un ton dur.

Mais en dépit de son agressivité, le rictus de l'autre homme resta plaqué sur son visage.

— Fort bien, répondit Shikaku avec un haussement d'épaule. Voici votre indice ; le nom complet de Konoha se trouve être le Village Caché de la Feuille.

Au moment où Monsieur Nara finit sa phrase, la réponse vint instantanément aux yeux de Monsieur Tas. Il n'avait pas saisi en premier lieu car il avait considéré cette notion sans intérêt jusqu'à qu'elle ne soit relevée. Il brossa ses cheveux de sa main pour mimer le précédent geste de son vis-à-vis et conférer à son discours un impact d'autant plus grand :

— Être caché signifie ne pas être vu, ou ne pas être découvert pour ce que cela importe. Si le village n'est pas censé être découvert, comment se fait-il qu'une ligne de train y mène directement. Il peut y avoir d'innombrables possibilités de comment ceci a pu être réalisé. Il se peut que ce train ne mène à nulle part ou qu'il y a des avants postes au loin qui empêchent l'arrivé d'immigrants indésirables. Si nous allons encore plus loin dans l'absurde, je peux même énoncer qu'il existe, au terminus de ce train, une ville nommée Konoha, qui ne porte Konoha que de nom et qui est en réalité un piège à touriste dédié à ceux qui pensent pouvoir visiter une instance militaire reconnue. Si l'on combine ça au fait que vous vous trouviez ici, à me poser cette question et pourquoi le train s'est stoppé de manière aussi peu conventionnelle, je peux déduire avec aisance que cette manœuvre a été initiée dans le seul but de chercher les heureux élus, dont moi, que Konoha attendait de pied ferme et que cet accident technique ne trouve être rien d'autre qu'un prétexte. Ai-je juste ?

En vérité, son raisonnement était principalement basé sur le fait qu'il n'y avait que très peu de personnes à bord du train. En tant qu'élite salarié au service du Daimyō, Monsieur Tas avait souvent eu l'occasion de voyager entre les différentes métropoles pour fournir un rapport complet de la situation et d'organiser la gestion de projets sur place. De ce postulat, prendre le train faisait partie de la vie de tous les jours pour lui et c'était la première fois qu'il s'était retrouvé dans un train aussi vide. Son précédent rêve avec les enfants qui pleuraient provenait d'un souvenir traumatisant. En outre, lorsqu'il avait acheté son billet de train, il lui avait demandé de montrer sa carte d'identité. Et tous les éléments précédents étaient autant de roches amoncelées à l'effigie de son raisonnement.

Monsieur Tas observa la lente transformation dans l'apparence de Monsieur Nara. Le rictus éternel de son interlocuteur s'effaça et la précédente expression qu'il arborait se métamorphosa en un faciès bestial. La bouche de l'officier commandant forma une phrase qui porta en son sein un sinistre sous-entendu :

— Merveilleusement juste, Monsieur Tas.