1er décembre
Dragon Quest IX : Les Sentinelles du Firmament
Daisy
Hurt
Elle contemplait en contrebas les chevaliers de glace et les grands escrogriffons en train de se battre et d'arpenter en un cycle sans fin la vallée recouverte de neige. Elle n'avait rien d'autre à faire. Il y avait bien longtemps que les monstres de ce vallon du nord éternellement enfoui sous les glaces ne s'en prenaient plus à elle. Elle avait grandi depuis que, jeune Célestellienne guère plus grande qu'une adolescente, elle avait arpenté cette vallée pour la première fois, à la recherche des fyggs sacrées de l'Yggdrasil et de nouvelles aventures. Elle pouvait presque se voir. La fillette peu à peu forgée par les expériences, habillée d'un ensemble de vêtements issus de toutes les contrées qu'elle avait visitées, trainant dans la neige ses trois inséparables coéquipiers. Elle avait tellement d'espoirs alors, investie qu'elle était dans sa mission divine, retrouver les sept fyggs sacrées de l'Observatoire. Oui, tant de choses avaient changées depuis.
Elle avait grandi. C'était maintenant une jeune femme, toujours aussi blonde que le soleil, mais les cheveux longs jusqu'au bas du dos et noués dans une tresse compliquée, dont plusieurs mèches rebelles volaient au vent. La longue écharpe de soie vert pâle qui s'enroulait autour de son cou cachait presque entièrement son haut moulant violet et son plastron de métal, hérissé d'une pique aux épaules. Elle portait une jupe verte, également, décorée d'une ceinture et de lanières de cuir, de bottes solides et de mitaines cloutées. Dans son dos, une hache de bourreau; à sa taille, une pure épée miracle. Elle était dans sa phase gladiatrice, ces temps-ci. Elle aimait cette puissance, cette élégance dans sa tenue et ses coups, cette impression de force. Elle avait besoin de se sentir forte. Car elle ne l'était pas tant que ça.
Il y avait maintenant six ans que Célestelle l'avait poussée à abandonner son essence divine et à se sacrifier pour sauver les mortels de la haine de Corvus. Il y avait maintenant six ans qu'elle avait vaincu le Célestellien déchu et rétabli la paix sur le Protectorat. Il y avait maintenant six ans que la fille du Tout-Puissant avait détruit l'Observatoire et réduit les Célestelliens à l'état d'étoiles brillantes et presque mortes, spectres ailés parcourant le cosmos sans aucun espoir de revenir un jour à la vie céleste qu'ils avaient.
Il y avait maintenant six ans que Daisy était seule.
Elle avait été coupée des siens avec une violence inouïe qui la faisait trembler, parfois. Sa maison, ses semblables, ses amis divins, l'histoire de son peuple, tout ceci avait été réduit à néant dans un claquement de doigts, et c'était comme si les Célestelliens, après des dizaines et des dizaines de siècles au service des mortels, n'avaient jamais existé. Parfois, la douleur était si intense que Daisy avait envie de hurler.
Mais les blessures se ferment.
Et l'attente n'est rien.
Et les larmes sont vaines.
Daisy était mélancolique de ces années-là. Du temps où elle appartenait à un même corps, au fier et divin peuple des Célestelliens. Où elle avait une maison, perchée là-haut sur les nuages. Où elle protégeait les mortels avec tout le caractère solennel de cette mission. Où le coeur et l'esprit des humains étaient emplis de l'existence des Célestelliens, qu'ils croient en eux ou pas. Désormais, Daisy n'avait nulle part où aller. Elle n'appartenait plus à aucun peuple. Elle n'avait plus d'amis qui sachent d'où elle venait. Les statues des Gardiens étaient laissées à l'abandon, et plus aucun mortel ne se souvenait qu'un peuple ailé les avait guidés et protégés durant de longues, de très longues années.
Daisy contemplait en contrebas les chevaliers de glace et les grands escrogriffons en train de se battre et d'arpenter en un cycle sans fin la vallée recouverte de neige. Elle n'avait rien d'autre à faire. C'était l'heure de la prière à Célestelle, mais rien ne venait. Il y avait bien longtemps qu'elle avait cessé de vénérer la déesse, qui l'avait condamnée à une solitude éternelle sur le Protectorat, comme unique Gardienne de l'Humanité. Et Daisy aimait les mortels, et elle aimait la Terre, mais cette terrible solitude la hantait comme un spectre et ne la quittait jamais. Daisy était seule. Depuis plus de six années.
Elle contemplait en contrebas les chevaliers de glace et les grands escrogriffons en train de se battre et d'arpenter en un cycle sans fin la vallée recouverte de neige. Elle n'avait rien d'autre à faire.
Elle savait qu'elle s'en irait tout à l'heure. Qu'elle reviendrait demain.
Après tout, on ne sort pas du désert. On tourne sans fin.
Sa longue tresse blonde était balayée par le vent du nord, qui passait entre ses mains. Elle gardait les bras ouverts, mais son coeur était en proie à la mélancolie depuis bien longtemps. Elle avait fini par s'y faire, avec un peu d'entrain. Elle savait bien que les misères des Hommes ne prenaient jamais fin.
Dans la vie, on gagne, ou bien l'on perd. Elle avait accompli le plus glorieux destin qu'un Célestellien pouvait avoir : veiller sur les mortels pour l'éternité et libérer les siens de la lourde tâche qu'il leur avait été incombée en temps que protecteurs des humains. Et en même temps, elle avait perdu l'innocence, le bonheur et le coeur gonflé d'espoir qui avaient été les siens. C'était... plutôt bien.
Même si ça faisait mal.
Daisy se leva. Comme il était étrange de penser, même après six années, qu'elle ne reverrait plus jamais l'Orion Express passer dans le ciel au-dessus de sa tête. Elle se demanda ce qu'Aster et Stella pouvaient bien faire en ce moment. Quant à ses amis novices, son maître, son chef, les autres gardes et mentors, elle ne se posait pas la question. Pour elle, c'était comme s'ils étaient morts.
Elle se tourna vers le chemin qui descendait le long de son promontoire rocheux. Elle le surveilla un instant, puis l'emprunta en laissant de discrètes empreintes dans la neige. Là-bas, à quelques minutes de marche, derrière les collines blanches et surmontées d'arbustes rachitiques, se trouvait l'école Saint-Sévaire. Geoffrey y était devenu professeur, et il réchauffait les journées de Daisy, à l'occasion, quand elle était là. Rien ne pourrait jamais lui faire oublier tout ce qu'elle avait perdu, mais être avec Geoffrey, c'était... bon. Lui se rappelait toujours d'un petit fragment de sa vie où elle avait été vraiment heureuse.
Le vent chargé de cristaux de neige balayait son écharpe et ses longs cheveux blonds. Daisy se mit en marche.
Je me dois de remercier Stephan Eicher et ses sublimes chansons qui m'ont servi de toile de fond durant toute ma période Dragon Quest IX. Même si elle est terminée aujourd'hui, les écouter provoque en moi un magnifique tourbillon d'émotions dans lequel se mélangent mélancolie, espoir, bonheur, courage, tristesse, force. C'est en écoutant "Rivière" que ce one-shot m'est venu. Allez écouter "Ironie", "Silence", "Two people in a room", "Tu ne me dois rien", "Elle vient me voir". Elles sont pour moi une partie intégrante de l'âme de mes rêveries sur Les Sentinelles du Firmament.
