Une journée d'hiver, c'est triste.
La nuit est vite là, les arbres sont nus, le ciel est souvent gris, le froid nous glace.
C'est horriblement triste l'hiver ! Désespérément triste l'hiver !
Et lorsque la vie par elle-même est triste, l'hiver devient alors une horreur !
Forcément, si on regarde autour de soi, on trouve pire que sa propre situation. Mais analyser sa situation au milieu de la tristesse de l'hiver, demande un gros effort. Et il y a des jours où cet effort est impossible ! Alors, on va encore plus mal que la veille, et le monde s'écroule un peu plus sous la tristesse de cet hiver affreux.
Un petit cimetière de New-York.
Quelques personnes sont venues se recueillir devant la tombe de quelqu'un qui leur était cher. Mais ce recueillement vient d'être perturbé. Pas par du bruit. On ne fait pas de bruit dans un cimetière. C'est un lieu de silence, de paix, de recueillement.
Non. Ce qui les a perturbés, ce sont tous ces hommes et toutes ces femmes en uniforme qui avancent lentement. Ils se dirigent tous au même endroit et attendent.
Puis le bruit des tambours. Ce bruit qui donne la cadence.
Un agent de la police montée ouvre le cortège.
Il marche, tenant son cheval par les rênes. Il marche en suivant la cadence.
Derrière lui, le long véhicule noir le suit.
Arrivé à destination, il s'arrête.
La porte arrière s'ouvre.
Six hommes sortent le cercueil. Six hommes, car quand on est en uniforme, on est tous des hommes. Mais il y a une femme. Son amie est là. Elle a tenu à l'accompagner.
Six hommes le portent. Les deux derniers sont des collègues, de vagues connaissances. Ils n'ont pas vraiment fait attention à eux. Il y a son amie et ses deux coéquipiers, ses amis, ses frères. Le dernier était son ami, devenu l'homme qu'elle aimait depuis seulement quelques mois.
Il est recouvert de la bannière étoilée
Une haie d'honneur composée d'homme en uniforme de chaque côté du sentier.
Au passage des six hommes, chaque uniforme lève le bras pour le salut réglementaire.
Le cercueil est déposé à son emplacement.
Les six hommes se retirent.
Deux autres plient la bannière et la remettent à un homme détruit. Son père.
Il y a un peu plus d'un an, ils étaient déjà tous réunis, dans un autre cimetière, pour leur ancien capitaine, le capitaine Montgomery. Elle avait fait son éloge, et avait failli mourir ce jour-là. Le sursis avait été de courte durée. Aujourd'hui, c'est elle qui va recevoir un éloge.
Le capitaine Gates se tient devant le cercueil.
Cela fait un peu plus d'un an qu'elle est à la tête de ce service. Elle a remplacé Montgomery. Tout le monde la craint, la considère comme une femme froide. Elle est « Iron Gates »… Mais, aujourd'hui, face à ce cercueil, elle ne ressemble pas à ce qu'elle est habituellement. Elle a perdu un de ses lieutenants, une femme qu'elle aurait aimé compter parmi ses amies. Elle espérait qu'un jour, elle lui ferait aussi confiance qu'elle le faisait envers son ancien capitaine. Mais ce jour ne viendra plus… Des larmes coulent sur ses joues.
En tant que chef, elle se doit de faire son éloge, et elle le fait.
Elle parle de la façon dont elles se sont rencontrées, de ses qualités, de ses relations avec ses collègues, de ses faits d'armes… Mais elle ne peut parler de la femme. Elle ne la connait pas.
Puis elle laisse la place à Richard Castle.
Cela fait plusieurs jours que personne ne l'a vu. D'ailleurs ils ne savaient même pas s'il allait venir.
Il s'avance vers le cercueil, évite de le regarder. Il a les épaules voûtées comme s'il portait tout le poids du monde sur ses épaules. Ses yeux sont cachés derrière des lunettes noires.
Il se racle la gorge. Ça va être dur.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »
C'est une phrase de Lamartine. Nous l'avons tous entendus, même prononcé sans vraiment nous attarder sur son sens, sur sa portée. Mais lorsque sa signification rejoint la réalité, celle de la vie, alors, plus rien n'est pareil…
Aujourd'hui Kate vient de nous quitter.
Je ne vous parlerai pas du Lieutenant Beckett, vous la connaissiez tous.
Non, je vous parlerai de Kate.
J'ai passé avec elle plus de quatre années de ma vie.
Depuis l'année de notre rencontre, puis celles de la découverte de l'un et de l'autre, jusqu'à ces quelques mois de notre vie ensemble.
Tout n'a pas été toujours simple entre nous.
Ma présence lui a été imposée... Mais au fil du temps, je suis devenu un partenaire, un coéquipier, son ami. Et depuis quelques mois, un peu plus que ça…
Vous connaissiez tous la femme forte, sûre d'elle… Moi je connaissais Kate. Une jeune femme avec ses faiblesses, ses peurs, qui avait besoin de se blottir dans des bras pour se rassurer. J'ai connu la femme amoureuse.
Avec elle, j'ai su ce qu'était le vrai amour, celui qu'on donne sans rien attendre en retour…
Aujourd'hui, même si je garderai la trace et l'empreinte de ces années passées, celles à venir ne seront plus pareilles…
Elle était celle avec qui j'avais envisagé, avec plaisir, de vivre mes années futures…
Un seul être me manque, toi…
Son discours était plus long. Mais il l'a écourté. Il ne peut plus.
Il s'écarte et retourne prendre sa place derrière le père de Kate. Il pose sa main sur l'épaule de l'homme. Un homme détruit, fini. Il ne lui reste plus rien.
S'en suit la salve des trois coups d'honneur.
Puis chacun leur tour, chaque uniforme dépose une rose blanche sur le cercueil et quitte le lieu après avoir salué son père et Castle.
S'il en avait eu le cœur, il aurait souri. Ils ne la connaissaient vraiment pas.
Martha, Alexis, les bros et Lanie déposent un bouquet de fleurs sauvages. Ainsi que son père. Puis ils s'éloignent. Martha soutient Jim. Depuis qu'ils ont appris la nouvelle, Martha l'a invité au loft. Arrivés devant la voiture, un des gars se retourne.
- Ce n'est pas la peine de l'attendre, il ne viendra pas ! dit Martha
- Comment il va ? demanda Lanie. On est tellement occupée par cette enquête qu'on n'a même pas eu le temps de…
- Je ne sais pas, Lanie. Sûrement très mal.
- Il ne vous en parle pas ?
- Il n'est passé au loft qu'aujourd'hui pour se changer
- Qu'est-ce qu'il fait de ses journées ?
- Il est dans l'appartement de Kate…
Castle est là, près d'elle, comme toujours. Il lui a promis.
Il tient le cadre dans lequel se trouve une photo d'elle en uniforme. Elle sourit.
Avec ses pouces, il caresse doucement son visage, puis passe un doigt sur ses lèvres.
« Encore une journée sans toi.
Une journée sans joie.
Tu es trop loin de moi…
Je t'aime, Kate »
Les fossoyeurs ont terminés leur travail. Enfin, pour le moment. Ils repasseront dans quelques semaines pour poser la pierre tombale.
Castle se baisse, ramasse un bouquet de fleurs sauvages et le dépose sur la tombe située juste à côté. Il caresse le nom sur la pierre.
- Prenez soin d'elle, Johanna.
Il se relève, remonte son col, met ses dans les poches de son manteau et se dirige vers la sortie.
Le cimetière est vide maintenant.
Il est tard.
Le gardien a fermé les grilles. Il les ferme pour éviter les actes de vandalismes.
Cependant, une silhouette se faufile entre les tombes.
Personne ne l'a remarqué. Et pourtant, elle est là depuis le début. Elle a observé toutes les personnes présentes. Puis son regard s'est fixé sur une seule d'entre elles. Lui, Castle.
Elle est devant la tombe fraîchement recouverte. Elle affiche un grand sourire. Elle jubile. Elle a réussi…
Puis, elle disparaît comme elle est venue.
Il vient de rentrer dans l'appartement.
Il s'est servi un verre de whisky, puis s'est affalé dans le canapé.
C'est là qu'il passe ses journées et ses nuits depuis ce funeste jour…
