Une minute pour t'aimer

Lorsqu'elle avait appris que sa deuxième belle-fille allait avoir un enfant, Imogène Hérondale avait ressenti le même bonheur intense que lorsqu'elle-même avait su qu'elle était enceinte. Un bonheur si profond, si entier qu'elle avait plusieurs fois cru qu'elle allait en mourir.

Elle n'avait guère eu l'occasion de rendre visite à Céline – suite à l'adhésion de Stephen au Cercle, elle et Marcus ne voyaient pratiquement plus leur chair et leur sang. Marcus assurait que ce n'était que temporaire. Imogène l'espérait vraiment.

En revanche, Céline lui avait envoyé quelques lettres – de longs babillages sur les nausées pratiquement inexistantes, la nuance exacte de bleu dont elle voulait peindre les murs de la chambre du bébé, et est-ce que le prénom William serait approprié, parce que James, c'était joli aussi…

Imogène avait conservé chacune de ces lettres. Même si elle ne les avait plus lues depuis la mort de Stephen et toutes celles qui avaient suivi – la mort de Marcus, le cœur brisé, la mort de Céline qui ne voulait plus vivre sans son époux, et la mort de l'enfant qu'elle portait.

William Hérondale. Le nom que son petit-fils aurait dû porter. Le nom de l'enfant qui lui avait été arraché avant qu'elle n'ait pu l'aimer.

Elle ne comprenait pas comment Céline avait pu se suicider. Comment avait-elle pu se tuer alors que dans son état, c'était deux vies qu'elle supprimait ?

Si seulement sa belle-fille avait accepté de vivre jusqu'à la naissance de William, peut-être les choses n'auraient-elles pas tourné comme elles avaient tourné…

Non. Tout était de la faute de Valentin Morgenstern. C'était lui qui avait bourré le crâne de Stephen de toutes ces sottises sur la suprématie des Chasseurs d'Ombre et la nécessité de prendre des mesures radicales. C'était lui qui avait envoyé Stephen à la mort. C'était lui qui avait tué Stephen – même s'il n'avait pas tenu le couteau de ses propres mains.

C'était Valentin Morgenstern qui avait tué Céline et son enfant à naître.

Imogène avait voulu faire souffrir le Chasseur d'Ombre renégat. Elle avait voulu lui rendre le mal qu'il lui avait infligé – un fils pour un fils.

Elle avait échoué. Pitoyablement.

Comment Valentin pouvait-il sacrifier ainsi son propre enfant ? Alors qu'elle aurait donné sa propre vie pour sauver celle de Stephen.

A moins… à moins que Valentin n'aie aucun lien avec le garçon qui portait le nom Jonathan Morgenstern. C'était facile de se désintéresser du sort de l'enfant d'un autre – et puis, l'hypothèse était plausible. Jonathan avait cru pendant toute sa vie être le fils de Michael Wayland, un autre mensonge n'était pas invraisemblable. Sans compter l'absence de ressemblance physique – chez les Morgenstern, il n'y avait que des bruns, et Jonathan était blond, exactement comme…

Non, ce n'était pas possible. Ce n'était pas possible. Céline était morte avant d'accoucher.

Et puis, elle avait vu l'épaule de Jonathan. Elle avait vu la cicatrice. Ou plutôt, la marque. Celle de l'Ange.

Et là, elle avait su qui était réellement le garçon.

Bien sûr, dans la plus pure ironie tragique, il avait fallu qu'elle meure à peine une minute plus tard, en sauvant l'adolescent d'une attaque qui aurait dû lui coûter la vie. A la place, c'était elle qui était morte.

Elle ne parvenait pas à s'en attrister.

Il est vivant. Stephen, ton fils est vivant. Tu as vu cela ? William est sain et sauf !

Imogène n'avait eu qu'une minute pour aimer son petit-fils.

Une minute, c'était plus que suffisant.