QUAND LES MASQUES TOMBENT…
La théière laissa échapper un long sifflement aigu suivi par le bruit sourd des bulles brulantes de l'eau qui éclatent dans le récipient en fonte. Patrick JANE se hâta d'arrêter le feu. Avec précaution, il prépara son thé de fin de soirée, la pizza traditionnelle mangée à l'occasion de l'enquête terminée, lui étant restée sur l'estomac. Un bon thé et tout rentrera dans l'ordre. Installé dans la salle de repos de l'administration du CBI, le consultant contempla les bureaux qui se vidaient lentement. Dehors la nuit commençait tout doucement à assombrir la pièce, les derniers rayons du soleil s'attardant encore sur les fenêtres du fond, formant d'étranges halos dorés sur le mur.
L'équipe terminait de boucler les derniers détails administratifs avant de rentrer chez eux pour prendre un repos bien mérité. Aussi, personne ne parlait, trop pressé d'en finir. Seuls les bruits froissés de papier déplacé avec précipitation et le bruit sec des touches des ordinateurs que des doigts impatients enfonçaient avec empressement, résonnaient dans la grande salle.
Jane dodelina de la tête, se laissant porter par ce chuchotis artificiel. Il sentait venir, à sa grande surprise, l'appel de Morphée. Il loucha sur son fauteuil, trop loin, constata t'il, bougon.
C'est dans cet état que le trouva l'agent Lisbon.
« Rentrez-vous chez vous Jane, vous dormez sur votre chaise. ». Puis elle ouvrit un placard, à la recherche de café, qu'elle fit claquer sans ménagement en le refermant quand elle ne trouva sa précieuse drogue. Elle passa à un autre placard qui subit le même traitement.
Jane fit une grimace contrariée. Morphée attendrait. Ce n'est pas l'arrivée de l'agent qui l'avait tirée de sa torpeur mais plutôt le bruit déplaisant des portes qui claquent avec brusquerie.
Il se retourna sur sa chaise pour jeter un œil à la petite femme brune qui préparait, avec des gestes secs et impatients, une cafetière pleine.
Il haussa un sourcil. « Lisbon, vous comptez vous lancez dans un nouveau record ? Vous ne vous êtes pas assez droguée aujourd'hui ? » Pour se faire comprendre, il jeta un regard lourd de sens au breuvage sombre qui s'écoulait lentement.
L'agent prit place à son tour à la table du Consultant, ses mains reposant sur ses jambes croisées et ses lèvres étirées dans un mince sourire sardonique.
« J'ai besoin de ça. Vous savez pourquoi ? » lança t'elle à l'homme blond qui afficha un air faussement étonné.
« Parce qu'Hightower ne nous lâchera pas avant d'avoir fait le point sur cette affaire. »
« Elle est résolue, point. Il n'y a rien d'autre à dire. » Le Consultant renforça l'assurance de sa remarque d'un geste désinvolte.
« Il n'y a rien d'autre à dire ! » S'esclaffa l'agent dans un rire désabusé. « Parfois j'envie votre inconscience » Confia la jeune femme d'une voix lasse. La fatigue de cette fin d'enquête commençait à se faire ressentir. Ce moment où la tension accumulée par le stress, retombe et l'énergie avec.
« Mon inconscience. » Jane fronça les sourcils, il laissa le mot s'attardé sur sa langue comme s'il en ignorait son sens propre.
Face à son attitude désinvolte et vaguement méprisante, l'agent sentit une vague d'irritation se soulever en elle. En temps normal, elle l'aurait aussitôt étouffée. Mais elle était fatiguée. Et sa concentration était en mode « Game Over » depuis la fin de leur affaire.
« Vous avez mis une arme dans la main d'un innocent tout cela pour démontrer que vous aviez raison sur l'identité du tueur, cela va au-delà de l'inconscience Jane. Vous êtes qui pour prendre le droit de jouer avec la vie des gens. » Elle n'avait pas élevé la voix mais le ton était devenu très sec, plus que réprobateur. La jeune femme vit le visage de l'homme qui se tenait devant elle, se fermer.
« Et vous qui êtes vous pour ôter le droit à un homme de venger sa famille, pour le laisser avec ce sentiment d'impuissance face au salaud qui les a massacré. » Les souvenirs de la journée lui revenant en mémoire, le Consultant se délecta encore du moment où il avait confondu l'assassin avec l'aide de l'époux éploré. Celui-ci voulait le tuer et avait demandé de l'aide à Jane. Et il n'avait vu aucun raison de ne pas le faire. Jusqu'à l'arrivée de Lisbon qui avait maîtrisée le suspect avant de le mettre en garde à vue.
Il avait bien senti qu'elle avait été choquée. Elle devait comprendre maintenant qu'il ne reculerait devant rien pour atteindre son objectif. REDJOHN.
Contrarié et désireux d'effacer l'effet néfaste de leur petit accrochage, le Mentalist pris une des mains de sa collègue dans les siennes, en retrouvant le sourire.
« Lisbon je vous en prie, vous êtes trop tendue alors que vous devriez vous réjouir. Encore une enquête de boucler qui viendra grossir les statistiques de l'équipe. »
La jeune femme parut se détendre à cette légère boutade sur ce qu'il appelait les aberrations administratives qui consistait à savoir quelle équipe résolvait le plus d'affaires au sein du CBI. Un jour, goguenard et avec son sourire en banane, il lui avait proposé d'instaurer un système de points et d'images à donner aux gagnants. Comme à l'école. Lisbon s'était contentée de lever les yeux au ciel tout en essayant d'ignorer le sentiment de contrariété qui accompagnait toujours les remarques cyniques du consultant. Non qu'elle soit particulièrement attachée à ces statistiques. Mais elle avait bataillée dur pour être à la tête d'une équipe. Et malheureusement, les Hautes Instances ne récompensaient le mérite qu'à travers les chiffres. C'était débile, elle devait le reconnaître mais nécessaire. Alors, de mauvaise grâce, se pliait-elle à ces règles. Aussi Lisbon avait elle du mal parfois à encaisser les remarques de son consultant. Après tout, ce n'était pas elle qui avait établie ces règles. S'il n'était pas content, qu'il aille se plaindre à la Direction.
En tenant toujours la main de la jeune femme dans les siennes, penché vers elle, les yeux dans les yeux, Jane commença à lui parler. Non c'était plutôt des confidences qui lui échappaient, d'une voix douce et tranquille.
« Lisbon je suis désolée pour aujourd'hui, je sais que vous n'avez pas apprécié la façon dont j'ai mené l'affaire mais… » et cela dura… Il parla de la victime. De ce qu'il avait perdu… De son désarroi et de son désespoir… De ses enfants qu'il ne verrait pas grandir… De sa femme qu'il ne pourra plus chérir… Il ne se rappela pas à quel moment il commença à caresser la main de Lisbon du pouce. A quel moment sa voix avait pris ces intonations suaves et persuasives… L'agent ne bougeait plus sur sa chaise. Elle le regardait fixement, la respiration peut être un peu rapide. Alors, il continua. Enchainant sur le meurtrier… Et les nombreuses faiblesses du système qui avaient vu la libération de nombreux criminels… Un fait qu'il ne pouvait tolérer… Pourquoi ne pas donner le droit à un homme, qui a perdu tous les êtres qui lui sont chers, de décider du sort du bourreau ?... Lui permettre de rendre justice. Au final, lui permettre de tuer John le Rouge.
« Arrêtez-ça ! ». L'ordre claqua, le contraste de la voix sèche de la jeune par rapport à la sienne, douce et mesurée, était choquant.
« Qu… quoi ? » demanda Jane en toute innocence.
« Lâchez ma main » Ordonna Lisbon.
Le Consultant s'exécutât en se redressant. Il était conscient qu'un froid polaire venait de s'abattre sur la petite salle de repos. Mais ce qui le déroutait le plus, c'était qu'il n'avait pas vu le changement d'humeur de la jeune femme. Elle se tenait dans la même position. Certes un peu plus raide qu'il ne l'avait estimé. Ses lèvres étaient serrées au point de ne plus distinguées qu'une ligne fine, les mâchoires contractées, les pupilles dilatées, des rides de contrariété s'étaient formées sur son front. Et il retint son souffle.
« Jane, j'ai reçu le message 5 sur 5. Si vous êtes avec nous, c'est dans l'unique objectif de tuer John le Rouge, je l'ai parfaitement saisi. Maintenant, je ne pense pas que vous ayez saisi le mien. Alors ouvrez grand vos oreilles parce que c'est la dernière fois que je vous le dit. Le jour où nous trouverons John le Rouge, nous l'arrêterons pour qu'il soit jugé et condamné. Si vous vous obstinez dans vos projets, vous me trouverez sur votre route. Car j'ai bien l'intention de ne pas vous laissez faire. ». Elle se pencha alors sur lui, plongeant ses yeux verts dans les siens.
« Regardez-moi bien Jane. Tous vos trucs, vos manipulations de Mentalist ne marcheront pas sur moi car je suis décidée. Je le répète, je ne vous laisserai pas faire. Et si pour cela je dois m'interposer entre vous et lui, alors je le ferai sans aucune hésitation. Parce que si vous le tuez, c'est lui qui gagnera. Vous ne comprenez que vous détruire sera sa dernière victoire. Vous devez continuer pour la mémoire de votre femme et de votre fille. »
« Ce n'est pas cela qui les ramènera. » réagit le Mentalist, sèchement, sursautant à la mention de sa famille disparue.
« Rien ne vous les ramènera mais vous êtes le seul qui peut perpétuer leur mémoire. Laisser la Justice s'occupée de lui. »
« Non ! » Cracha t'il avec hargne.
Elle se contenta de l'observer quelques instants en silence, avant de reprendre :
« Comme vous voulez. Mais maintenant vous êtes prévenues. Pour l'atteindre, il faudra m'atteindre d'abord. Et vous savez ce que cela veut dire… »
Lisbon, ses veines inondées d'adrénaline, sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. L'esprit parfaitement clair, elle contempla, avec effarement, l'homme qui se tenait devant elle. Elle le voyait pour la première fois sans son masque. Inconsciemment, sa posture s'était modifiée. Ses épaules s'étaient voutées, son visage était plus marqué et son regard s'était assombri. Ce qu'elle voyait maintenant, l'effrayait. Car il s'agissait d'un homme écrasé par la douleur et qui s'accrochait désespérément à un objectif effroyable pour ne pas s'effondrer. Le genre d'homme qui n'a plus rien à perdre et qui est près à prendre tous les risques. Un homme dangereux.
Lisbon sentit une sueur froide glissée le long de son dos. Son équipe travaillait avec cet homme. Était-elle folle ? Etait-elle prête à risquer un mort parmi ses agents ? Raisonnablement, elle devrait le dénoncer à ses supérieurs pour qu'il soit éliminé de l'affaire. Mais si elle le faisait, que deviendrait Jane ensuite ? Et s'il faisait une bêtise par désespoir. Elle refusa de prononcer le mot, rejetant cette possibilité de tout son être. Elle avait déjà sa réponse. Mais cela allait nécessiter de sa part et de son équipe un investissement important. En espérant qu'il ne soit pas irrévocable.
Jane se redressa sur sa chaise, conscient d'avoir tombé le masque un court instant. Un court instant durant lequel, il eu une vision de Lisbon qui lui était étrangère. Ou qu'il n'avait pas voulu voir. Ses propos étaient sincères, un étrange mélange de menaces et de promesses. Elle serait là pour lui. Quoi qu'il arrive. Même quand il ne voudrait pas d'elle.
C'est sur ces entrefaites que Cho arriva. Il comprit tout de suite, à la raideur de leur posture qu'il se passait quelque chose d'anormal. Aussi ne s'attardât il pas. Il livra son message et reparti presque aussitôt.
« Hightower est prête à nous recevoir, patron » Annonça t'il d'une voix égale.
« J'arrive. » Lança Lisbon sans bouger.
Jane ne put s'empêcher de sourire au départ de leur collègue asiatique. Le connaissant, il n'avait pas du aller bien loin.
Rompant le contact visuel, Lisbon se leva et remit sa chaise à sa place. Elle se saisit d'une tasse, qu'elle remplit de café. Elle se tourna une dernière fois vers le consultant pour lui adressé une dernière mise en garde :
« Jane, ne vous avisez plus jamais de tenter de m'hypnotiser sur ce cas car chacune de vos tentatives ne fera que renforcer ma décision. Je me suis bien fait comprendre ? »
« Parfaitement. » Et la voix de l'homme aux boucles d'or résonna péniblement dans l'ambiance alourdie de la pièce.
