Auteur : Tanuki
Source : Bishoujo Senshi Sailor Moon.
Genre :
One-shot, yuri.
Disclaimer : les personnages sont la
propriété de Naoko Takeuchi, mais cette version de
l'histoire m'appartient.
Rating : R
Résumé
: Suite de "All the things she said". Haruka et Michiru
comprennent que leur relation est incompatible avec la morale
rigoureuse de leurs parents. Il leur faut partir.
Not gonna get us
Le soleil se
levait, illuminant les deux jeunes filles qui le défiaient du
regard. Haruka observa le ciel pâle et un sourire éclaira
son visage. Les dernières étoiles scintillant dans le
bleu empourpré de la voûte céleste s'effaçaient,
comme chassées par les rayons éblouissants de l'astre
diurne. Elle dégusta la brise matinale filant dans ses courts
cheveux blonds et ferma les yeux.
– À quoi penses-tu,
Haruka ?
– À ce que nous allons devenir...
Le
garçon manqué lui jeta un coup d'œil anxieux.
–
Comment peux-tu être sûre qu'un jour, tu ne regretteras
pas ta famille ? Qu'est-ce qui peut t'assurer que tu seras
heureuse avec moi ?
Michiru l'arrêta d'un
sourire paisible.
– Comment peut-on effacer des milliers
d'années d'amour ? Même dans notre mort, lorsque
nous attendions le jour de notre réincarnation, nous étions
enlacées l'une contre l'autre. (Elle leva les yeux vers
l'horizon :) Le destin nous a faites pour que l'une soit
complémentaire à l'autre ; si quelqu'un nous
sépare, tu partiras à ma recherche. Si tu vas quelque
part, je te suivrai sans hésiter.
Haruka lui rendit
son sourire. Les paroles de Michiru pouvaient paraître
prétentieuses pour d'autres, mais elles ne l'étaient
pas à ses oreilles. C'était juste une évidence.
À présent que sa mémoire lui était
revenue, jamais elle n'accepterait qu'on lui enlève sa
partenaire.
Le silence intime fut rompu par une sonnerie.
Posé sur le tableau de bord de la voiture, le téléphone
portable de l'athlète résonnait inlassablement. Les
deux jeunes filles observèrent l'appareil, l'une avec
dédain, l'autre avec anxiété. Haruka le prit
dans sa main et accepta la communication.
– Haruka ? C'est
moi...
– Papa ?...
Les traits de Michiru se
figèrent tandis que le regard de l'athlète se
durcissait.
– Tu voulais me dire quelque chose, peut-être...
– Écoute, il faut qu'on parle, toi et moi...
–
Ah... marmonna Haruka d'un ton fatigué.
– Nous
devons reprendre notre relation sur des bases nouvelles... Tu es une
adolescente, tu veux t'affirmer, sortir de l'ordinaire, te
rebeller contre toute autorité. Cette attirance pour les
filles ne durera qu'un temps, je le sais... et je saurai être
patient...
Le garçon manqué retint de
justesse un rire nerveux, mais son nez émit un son
caractéristique. Elle s'assit contre l'appui-tête de
son fauteuil et se massa le front, un large sourire étirant
ses lèvres. Manifestement, cette discussion l'amusait
énormément, à la grande surprise de sa compagne
de plus en plus angoissée.
– Dis-moi, tu es hors
forfait, non ? Je ne pensais pas que tu gaspillerais ton temps de
communication pour me faire un bilan psychologique... Cela fait des
années que nous nous recherchons, Michiru et moi. Et ce n'est
pas toi qui pourras aller contre ça. Sauf si le petit employé
servile que tu es possède le pouvoir de manipuler le destin.
– Haruka... Tu auras d'autres amourettes de ce genre et tu
oublieras bien vite Michiru...
– J'ai vraiment
l'impression que ça t'emmerde d'avoir une fille
lesbienne, ricana la jeune fille. À tel point que tu veux la
forcer à devenir hétérosexuelle. Tu ne veux donc
pas admettre qu'une relation avec un homme m'est contre-nature ?
– Je ne te laisse pas le choix ! Fuguer et s'afficher dans
un rôle d'homosexuelle qui n'est pas le sien... Mais
qu'est-ce que j'ai fait pour avoir une adolescente aussi stupide
? Tu as passé l'âge des enfantillages et crois-moi que
cette attirance n'est qu'un effet de mode qui te passera très
vite !
L'homme criait si fort que Michiru pouvait
tout entendre de leur communication. Elle gardait le silence, presque
découragée de voir sa relation avec Haruka commencer si
mal... Le dos d'une main caressa tendrement sa pommette pour la
réconforter et elle s'autorisa un sourire.
– Si c'est
tout ce que tu as à me raconter, nous n'avons plus qu'à
nous dire adieu, énonça l'athlète avec
froideur.
– Certainement pas ! Tu vas revenir maintenant et
quitter cette petite sal...
« Bip... bip... bip... »
Haruka avait préféré raccrocher pour
ne pas entendre son père insulter Michiru. Elle ne pouvait
supporter ce langage à l'encontre de sa partenaire. Son
regard fixa longuement l'appareil. Sans crier gare, elle se
redressa et le jeta de toutes ses forces, observant le portable se
briser contre les rochers et se faire engloutir par les vagues
affamées. Calmée grâce à ce geste furieux,
elle se rassit et s'enfonça confortablement dans son siège.
Un sourire soulagé faisait rayonner son visage.
– Seule
la mort pourra nous séparer... déclara Michiru d'un
ton sans appel.
Le visage déjà plus sombre,
Haruka hocha la tête. Un instant, elle avait failli dévoiler
un côté romantique qu'elle avait toujours nié.
Elle avait presque oublié qu'à présent
qu'elles étaient scellées à leur destin de
guerrières, elles avaient une mission à remplir. Une
mission dangereuse, qui les amènerait à rencontrer des
démons très bientôt et à encourir bon
nombre de risques pour sauver la vie sur Terre.
– Nous devons
rechercher les trois talismans qui formeront le Saint Graal et
trouver le Sauveur qui protégera le monde du silence, murmura
à nouveau la violoniste.
– Nous ne pouvons nous
permettre de faire dans le sentiment... Si l'une de nous deux vient
à disparaître, l'autre devra continuer la mission sans
le moindre regret, ajouta Haruka.
– C'est notre promesse...
conclut sa partenaire.
D'un accord tacite, elles
attachèrent leurs ceintures de sécurité et le
garçon manqué manœuvra une marche arrière afin
de quitter la digue du phare. Le soleil peinait encore à se
lever mais bientôt, il resplendirait de mille feux. Haruka
refusait de voir cette magnifique ascension alors que Michiru et
elle-même venaient d'assister à leur chute.
– Où
allons-nous ?
Le ton de l'artiste était confiant
mais l'on pouvait y percevoir une note d'anxiété.
Haruka observa la nuit tout autour d'elle, puis fixa effrontément
l'est et ce soleil qui semblait vouloir les rattraper. Un frisson
d'effroi courut de ses reins à sa nuque et son regard se
tourna dans l'autre direction.
– Vers l'ouest...
Dans
un crissement de pneus sur les gravillons, elle démarra et
accéléra pour atteindre au plus vite la voie rapide.
Préférant ne pas attirer l'attention sur sa voiture,
Haruka consentit à ne pas dépasser les limites
autorisées. Toujours confiante en la conduite de son amie,
Michiru scrutait calmement le paysage sombre qui défilait sous
ses yeux tandis qu'elles s'éloignaient du soleil. Le vent
frais de l'aube s'engouffrant dans la décapotable lui
enleva un frisson et elle resserra son gilet contre ses bras.
–
Eh bien, tu as l'air triste... ou plutôt soucieuse.
–
Je n'arrive pas m'ôter cette idée de la tête ;
si on nous rattrapait, on nous séparerait...
Haruka
l'observa du coin de l'œil, un sourire ourlant la commissure de
ses lèvres, puis un rire fit secouer ses épaules.
–
En tout cas, ce n'est pas ce matin qu'ils nous auront...
L'artiste ignorait si la réaction de son amie
devait la rassurer ou l'inquiéter un peu plus. Intriguée
par cette attitude décontractée alors que leurs parents
allaient certainement organiser des recherches, elle demanda :
–
Comment peux-tu en être certaine ?
Haruka retint
difficilement un second rire et murmura :
– Tu crois qu'avec
leurs petites Toyota, ils pourront rattraper une Ferrari F40 ?
Surtout avec un pilote tel que moi au volant ?
Michiru se
sentit rougir de honte. Pendant un instant, elle avait oublié
les capacités de sa compagne et de leur voiture de course.
Elle sourit, amusée par propre question bien innocente, puis
elle croisa le regard gentiment moqueur de l'athlète.
Illuminés par le clair de lune, les nuages noirs se
dispersaient au gré du vent, retournant vers les montagnes
d'où ils étaient nés. Ils semblaient porter
l'écho du rire des deux jeunes filles et du rugissement du
moteur au moindre changement de vitesse.
Haruka prit une
bretelle et parvint à la voie rapide tant convoitée. À
cette heure et à cette époque de l'année,
rares étaient les automobilistes à se diriger vers
Tokyo ; leur file était déserte. Là, elle
accéléra et put constater que les routes étaient
vierges...
– La chance est avec nous. S'il n'y a personne
sur la route, nous pourrons arriver au plus vite à Tokyo,
murmura Haruka, pensive.
– Tu... tu veux partir à Tokyo
?
Michiru était étonnée et angoissée.
Comment feraient-elles pour survivre dans la capitale ? Trouver un
logement digne de ce nom à un prix décent était
parfaitement impossible. Et jamais encore elle n'avait mis les
pieds dans une telle mégalopole. Toute sa vie, elle l'avait
passée à Narita, sa ville natale, allant au plus loin à
Funabashi ou à Chiba... Cette notion d'une indépendance
si soudaine l'inquiétait, mais le désir de faire sa
vie avec sa partenaire était plus fort. À présent,
un sentiment d'excitation lui picotait le ventre...
– C'est
là que nos ennemis ont installé leur base, déclara
Haruka. Il y a une étrange école ; la Mugen Gakuen.
Cela te dit quelque chose ?
– Non, avoua l'artiste.
–
C'est un lycée privé réservé à
l'élite nationale ; seuls les surdoués peuvent y
entrer. Nous n'aurons aucun mal à être acceptées.
Souviens-toi, nos professeurs au lycée nous avaient toutes
deux convoquées pour nous en parler ; les élèves
ciblés sont plus particulièrement les musiciens, les
artistes et les sportifs qui se préparent à une
carrière professionnelle. Étrange coïncidence,
n'est-ce pas ? Eh bien nous allons répondre à cette
invitation et nous inscrire à la Mugen Gakuen.
– Je ne
crains pas le niveau exigé pour être admis dans ce
lycée, mais pourquoi ? Ne pouvons-nous pas surveiller cette
école de loin ?
– Non. Nous devons nous fondre parmi la
masse des élèves de la Mugen Gakuen pour atteindre le
point vital de notre ennemi.
– Pourquoi est-ce si important de
s'intégrer là-bas ? Tu as découvert quelque
chose ?
– ... Le fondateur de ce lycée serait de mèche
avec les Death Bastards.
– Ceux qui recherchent des cœurs purs
pour posséder le Saint Graal et réveiller leur Sauveur
du Silence ?
Haruka hocha la tête et darda son
regard sur la route. Alors qu'elles passaient à côté
de l'aéroport de Narita, les spots lumineux le long des
pistes d'atterrissage éclairaient leur voie et baignait
Michiru d'un halo de lumière. L'athlète glissa un
coup d'œil et sourit, charmée par cet effet d'optique.
Même dans ses rêves les plus lointains d'enfant
assaillie par les prémonitions, sa partenaire aux longs
cheveux marine avait toujours attiré la lumière sur
elle...
– Tel un ange... ajouta Haruka pour elle-même en
reportant son attention sur la route.
Arrachée à
ses contemplations, la violoniste se tourna et sourit doucement, les
cheveux dans le vent.
– Pardon ? murmura-t-elle.
Haruka
toussota et bénit l'absence de clarté, persuadée
d'être aussi rouge que sa première moto de course.
Sans que Michiru s'en rende compte, sa voix prenait parfois le ton
incroyablement doux et sensuel d'une jeune femme qu'elle n'était
pas encore, mais qu'elle deviendrait au cours des prochaines
années...
– Nous sommes à combien ?
–
Environ 130 km/h... répondit la pilote avec un sourire
rassurant. Pourquoi ? Tu as peur ?
– Non... J'ai confiance en
tes réflexes et ta conduite... En réalité, je
m'étonnais que tu n'ailles pas plus vite, la taquina
Michiru.
Son amie se mit à rire. Il était
vrai qu'elle n'avait pas volé cette réputation de
conductrice amoureuse des grandes vitesses.
– Espérons
seulement qu'il n'y a pas de radar... Nous risquerions de nous
faire arrêter et...
– Non, Michiru. Rien sur cette terre
ne nous arrêtera.
Ces simples mots d'un ton ferme
rassurèrent la jeune fille qui posa une main sur la cuisse de
l'athlète. Celle-ci frémit à ce contact et
détourna légèrement la tête, trop
intimidée pour croiser le regard de sa partenaire.
– Tu
as raison... chuchota une voix tendre.
Un petit silence
s'installa entre elles. La main toujours posée sur la jambe
de sa compagne, Michiru laissait errer son regard sur la ligne
d'arbres noirs longeant l'autoroute. La nuit les rendait
tellement plus austères. Pourtant, leur attitude menaçante
ne l'effrayait plus.
– Rien ne peut aller contre nous,
conclut-elle.
Haruka rosit un peu plus encore et, sans
s'en rendre compte, elles passèrent en trombe devant deux
motos de police garées sur la bande d'arrêt d'urgence.
Les deux officiers s'échangèrent un regard et
décidèrent de poursuivre le chauffard. Ils démarrèrent
à leur tour et suivirent la décapotable, faisant signe
à la pilote de s'arrêter. Celle-ci grommela un instant
et ralentit. Elle stationna sur le bas-côté en attendant
que les policiers s'approchent.
Le plus âgé
descendit de son engin et salua le couple.
– Vous avez l'air
bien pressés, les jeunes, fit-il d'un ton assez amical.
Savez-vous que la vitesse est limitée à 100 km/h sur
cette portion d'autoroute ? Vous étiez à plus de
120...
Michiru se cala dans son siège et Haruka
répondit calmement :
– Je n'ai pas vu cette
signalisation, je pensais que la limite était à 130. Je
reconnais mes torts...
– Il faudra faire preuve de plus de
vigilance à l'avenir...
– Promis, je vais faire
attention, déclara Haruka avec un sourire sincère.
–
Puis-je vous demander vos papiers ? Simple formalité, vous
comprenez...
– Bien sûr.
Le garçon
manqué tendit son permis et son autorisation en tant que
mineure. Logiquement, elle n'avait pas le droit de conduire à
seize ans. Mais tous les pilotes de Formule 1 ou de cross ayant
obtenu leur permis de conduire faisaient entorse à cette loi
et étaient autorisés à prendre les commandes
d'un engin motorisé, même sans avoir atteint leur
majorité.
– Tenoh Haruka ! s'exclama le policier. La
pilote ?
– Elle-même.
Le policier lui offrit
un large sourire.
– Si je n'étais pas en service, je
vous demanderais volontiers un autographe. Mon fils est l'un de vos
plus grands fans. Il suit toutes vos courses à la télévision.
Vous êtes son idole...
– Je vous remercie... répliqua
simplement Haruka en récupérant ses papiers d'identité,
un sourire flatté aux lèvres.
Alors que le
premier discutait avec les deux jeunes filles, visiblement enjoué,
le second écoutait un message audio d'un de ses collègues
resté au commissariat. Il fixa le couple intercepté et
fit signe à son ami de le rejoindre. Ce dernier obéit à
contrecœur, présentant ses excuses à la conductrice
pour la faire patienter.
– Il s'agit bien de Tenoh Haruka ?
Michiru et Haruka, mine de rien, tendaient l'oreille
afin de suivre leur conversation.
– Oui, répondit le
jeune policier. Et la jeune fille à côté d'elle
est Kaioh Michiru, une nouvelle artiste peintre très
prometteuse. Ma femme adore ses tableaux...
– Peu importe,
coupa le cadet avec impatience. Leurs parents respectifs ont déposé
un avis de recherche. Ces deux gamines sont en cavale.
–
J'ignorais tout ça...
– Je viens de l'apprendre par
le commissariat. J'appelle du renfort pour qu'ils bloquent
l'autoroute. Toi, tiens leur la discussion le temps que l'on
installe le piège.
Le vieux policier acquiesça
non sans grimacer. Ces deux filles avaient l'air si sages et
sympathiques qu'il lui était difficile de les imaginer
désobéir à la loi. Et peut-être
avaient-elles leurs raisons ? Mais un policier ne pouvait se
permettre de penser ainsi.
Les mains de l'athlète
se crispèrent sur le volant et le levier de vitesse. La
discussion entre les deux fonctionnaires ne leur avait pas échappée.
Ainsi, leurs parents les cherchaient ? Retourner dans leurs foyers
était pourtant impensable ; ce qui les attendait était
pire que tout. Du moins, pour Haruka... Elle savait son père
moins clément que la famille Kaioh.
– Accroche-toi,
Michiru... murmura-t-elle calmement.
Voyant le policier
approcher, elle démarra en trombe, faisant sauter sous ses
pneus le gravier du bas-côté. Les petits projectiles
atteignirent le vieil officier qui se protégea le visage de
ses bras. Michiru se cramponna à son siège et jeta un
regard inquiet à sa compagne.
– Haruka... es-tu sûre
que...
– Ne t'inquiète pas, Michi-chan... nous avons
tout ce qu'il faut avec nous, nous n'avons pas besoin de plus.
Ils ne vont pas nous suivre pendant des années. Crois-moi
qu'ils abandonneront les recherches très bientôt. Et
mon père se fera vite à mon absence...
Elle
jeta un coup d'œil dans son rétroviseur. Au loin, les
policiers venaient à peine de démarrer leurs motos.
Elles avaient déjà plusieurs longueurs d'avance...
–
De toute façon, nous ne manquerons de rien... Dans moins de
deux jours, nous aurons un appartement pour nous deux seulement. Tu
en as ma parole...
– Moins de deux jours ? Mais, Haruka...
Haruka était bien consciente de la portée de
ses mots et l'artiste lut sur son visage une fermeté
absolue. Aussi insurmontable et irréaliste que cela pouvait
paraître, il ne s'agissait pas de paroles en l'air. Soudain
désireuse de croire en ce projet farfelu, Michiru s'installa
confortablement dans son siège et se détendit.
–
J'ai confiance en toi, murmura-t-elle en fermant les yeux,
dégustant les effets du vent dans ses longs cheveux bleus.
(Elle sourit doucement et répéta :) Michi-chan... C'est
mignon.
Haruka se permit un petit rire gêné.
Ce surnom affectueux, elle l'avait toujours gardé pour elle.
Mais aujourd'hui, il lui avait échappé sans même
qu'elle s'en rende compte.
– Désolée, ça
m'a échappé...
– Tu n'as pas à
t'excuser, Ruka-kun...
L'athlète haussa les
épaules sans pouvoir retenir un mince sourire. Le temps d'une
seconde, elle couvrit Michiru d'un regard protecteur, puis reporta
son attention sur ses rétroviseurs latéraux.
Apparemment, les deux motards peinaient à les rattraper.
D'humeur joueuse, elle ralentit un peu, les laissant gagner du
terrain pour leur donner de faux espoirs. À seulement deux
longueurs d'intervalle, elle écrasa la pédale de
l'accélérateur et récupéra une centaine
de mètres en quatre secondes.
Haruka se savait très
chanceuse en général. Pourquoi n'y avait-il personne
sur les routes, à cette heure ? D'ordinaire, on croisait
toujours au moins quelques dizaines de voitures et de camions sur les
diverses voies or ce matin-là, le goudron ne connaissait
d'autre caoutchouc que celui des pneus de la Ferrari d'Haruka.
C'était là une preuve suffisante pour croire en sa
bonne étoile.
Michiru observa le rétroviseur
de son côté et contempla les phares des deux motos de
plus en plus lointaines. Bientôt, leur lumière ne fut
plus perceptible ; ces motards n'avaient aucune chance de les
rattraper. Même si elle ne pouvait prédire l'avenir,
elle en avait la certitude. Rassurée, elle reporta son
attention sur l'autoroute vide.
– C'est étrange...
D'ordinaire, cette route est peuplée dès les
premières heures, murmura-t-elle. (Elle se tourna vers Haruka
et l'observa avec un sourire :) Je suis certaine que tu es un
ange... mon ange gardien.
L'athlète
observa son amie avec surprise, puis le rouge lui monta aux joues et
la poussa à regarder ailleurs. En la qualifiant d'ange
gardien, on lui prêtait beaucoup de qualités qu'elle
ne possédait pas, qu'elle ne possèderait sans doute
jamais. Résignée, elle sourit et soupira :
–
J'ignore si tu dis vrai... Mais si je suis ton ange gardien, je
pourrai te protéger de mes ailes...
Haruka observa
la voûte étoilée et se mit à rire
moqueusement, gênée par ce romantisme qui lui était
si peu familier.
– C'est ridicule...
– Je trouvais ça
très beau, protesta Michiru.
Le garçon
manqué s'empourpra de plus belle et haussa les épaules
d'une manière souhaitée nonchalante.
– Tant que
ce ne sont pas des ailes de pigeon, je m'en fiche...
– Mais
non, pas des ailes de pigeon ! assura la violoniste. Le modèle
au-dessus ; deux grandes ailes d'un blanc pur, belles et
majestueuses... au moins trois mètres chacune !
– Trois
mètres, rien que ça ? Avec ça, nous pourrions
trouver refuge au Paradis...
– Et si Dieu ne veut pas de nous,
alors nous traverserons la Mer des Miracles et nous atteindrons la
Terre Promise, où nous vivrons heureuses pour l'éternité...
– C'est ridicule, répéta Haruka en secouant la
tête, un sourire triste aux lèvres.
Michiru
hocha doucement la tête et s'étira sur le siège.
Depuis quand exprimait-elle de telles absurdités ? De toute sa
vie, jamais elle n'avait tenu des propos aussi risibles que
ceux-ci. Elle avait toujours été une fille rigoureuse,
parfaitement inaccessible. Victime de sa froideur naturelle, elle
avait patiemment enduré sa solitude. Et ces dernières
vingt-quatre heures bouleversantes influençaient très
certainement son esprit rationnel. Après tout, elle n'était
qu'une jeune fille fragile de seize ans qui avait mûri trop
vite ; sa destinée ne lui permettait plus aucun rêve.
Ses épaules minces devaient soutenir le poids écrasant
de responsabilités démesurées.
– Oui,
complètement ridicule... (Elle fixa le ciel étoilé
qui les protégeait :) Pourtant, j'y crois et ça me
fait du bien d'y croire... se dire que quelque part, là-bas,
au-delà des mers profondes, il existe une île
merveilleuse... une île peuplée de gens pacifistes et
aimants... qui dansent avec les oiseaux et qui chantent à
longueur de journée...
Haruka l'observa avec
tendresse. Inconsciemment, la fibre artistique de Michiru se
préparait à donner naissance à un nouveau
tableau. Bien sûr, cette idée de Terre Promise était
séduisante... Néanmoins, l'esprit pragmatique de
l'athlète la fit revenir sur terre. Non sans une pointe
d'humour, elle déclara :
– Sans un volant et une piste
de course, je ne suis rien. Je ne sais ni danser ni chanter...
–
Menteuse, roucoula sa jolie compagne. Tu connais parfaitement les
danses de salon et tu chantes comme une sirène.
Le
regard d'Haruka se durcit.
– En parlant de sirène,
Michiru, en voilà une fort désagréable qui nous
vient...
Une alarme spécifique à la police
nationale s'était déclenchée ; quatre voitures
de polices défilaient depuis la dernière voie
d'insertion qu'elles venaient tout juste de dépasser et
les prenaient en chasse. La jeune fille serra les poings autour du
volant et grinça des dents :
– Ils veulent nous
coincer... Je suis certaine qu'ils ont préparé un
barrage un peu plus loin.
Ignorant l'expression inquiète
de Michiru, elle focalisa toute sa concentration sur la route et ne
prononça plus un mot, le visage fermé. L'artiste
jetait des coups d'œil anxieux par-dessus son épaule, mais
son amie ne cherchait pas à la rassurer, bien trop occupée
à élaborer un plan pour mieux appréhender
l'éventualité du barrage.
Elles filaient à
toute allure. Futur-pilote professionnelle et détentrice d'une
des voitures les plus fiables, Haruka n'avait aucun problème
pour garder une vitesse constante dans les virages, contrairement aux
policiers forcés de décélérer. Cet
avantage énorme permettait aux deux fugitives de conserver
leur avance, voire l'allonger de quelques mètres dans les
courbes les plus serrées. Mais les prédictions de
l'athlète ne tardèrent pas à se révéler
exactes.
Quelques kilomètres plus loin, un barrage
se dressa. Haruka ne s'était absolument pas attendue à
ce type d'obstacle ; deux voitures de police les avaient devancées
et roulaient en prenant le maximum de place possible sur les deux
voies. Devinant la détermination de la pilote, les policiers
avaient compris que placer des barrières ne l'arrêterait
point dans sa course. Le barrage par voitures interposées
était sans doute le plus rapide et le plus efficace pour les
forcer à immobiliser leur véhicule.
– Les
fumiers... marmonna-t-elle, furieuse.
Elle fut contrainte
de ralentir à son tour alors que les automobiles qui la
suivaient se rapprochaient toujours plus.
150... 140... 130...
110... L'athlète contempla avec horreur l'aiguille du
compteur de vitesse qui baissait inexorablement.
– Michiru...
souffla-t-elle. Ce que je vais faire, c'est pour toi...
L'interpellée dévisagea son amie. Ces mots
mystérieux et peu rassurants l'angoissaient. Haruka
allait-elle entreprendre quelque action insensée ? Ou bien
allait-elle se rendre et se dénoncer à la police pour
leur épargner un futur trop difficile à surmonter ?
–
Je ne veux pas retourner là-bas... déclara Michiru d'un
ton catégorique.
L'athlète lui lança
un regard désespéré et ne put maîtriser sa
voix gémissante d'appréhension :
– Nous ne
retournerons pas là-bas. Ils ne nous comprendraient pas, nous
serions à peine mieux traitées que des bêtes.
Puisqu'ils veulent nous coincer, je vais tenter le tout pour le
tout...
La gorge de Michiru se serra. Toute cette
aventure, tous ces ennuis... à cause de parents qui
n'admettaient pas leur relation et qui conservaient une vision
étriquée de l'amour. Pourtant, l'amour n'était-il
pas le sentiment qui ne connaissait aucune limite ?
L'idée
d'être incomprises et brimées par les êtres qui
leur avaient donné naissance faisait germer des milliers de
questions qui menaient peu à peu Michiru à la folie.
–
Haruka, je refuse de vivre cachée ! s'écria-t-elle en
lui lançant un regard acéré.
Alarmée
par le ton agressif de cette phrase, l'athlète la fixa et
posa une main ferme sur son épaule. La haine qui flamboyait
dans les yeux bleus de l'artiste ne lui était bien
évidemment pas destinée, mais voir sa partenaire dans
un tel état la peinait. Cette fureur dans le regard se
transforma en panique alors que Michiru croisait les prunelles
embrasées de son amie. Emportée par sa fougue et sa
rage de vivre, Haruka observa leur route bloquée par deux
voitures de plus en plus lentes et déclara fièrement :
– Michiru, écoute-moi bien. Tu ne vivras plus cachée
et tu ne retourneras plus là-bas. Nous ne retournerons plus
là-bas. Nous sommes ensemble à présent... toi et
moi... À la vie, à la mort... mais surtout à la
vie... car nous vivrons, Michiru, tu m'entends ? Nous vivrons !
Un
éclat de tonnerre résonna longuement, faisant presque
vibrer le ciel sombre. Une pluie violente tomba sur le pays, nourrie
par les rafales d'un vent furieux.
– Nous n'avons aucune
raison de nous adapter au modèle de conduite de nos parents.
S'ils ne nous acceptent pas pour ce que nous sommes, nous ne sommes
pas forcées de partager leur toit ! Ce sont eux qui refusent
de ne nous comprendre et pas l'inverse... Nous ne sommes pas
coupables !
Haruka hurlait à présent, comme
pour défier la voix du tonnerre qui grondait au-dessus
d'elles. L'eau ruisselait sur leurs visages, leurs gorges et
imprégnait le tissu de leurs chemises. Tremblante mais
fascinée par les paroles de sa partenaire, Michiru hochait la
tête, le regard vide fixant la ligne discontinue de la route.
Un bras protecteur s'enroula autour de ses épaules frêles
pour l'aider à se ressaisir.
– Arrêtez-vous !
ordonna la voix d'un policier dans un haut-parleur.
– Jamais
! rugit Haruka en faisant ronfler le moteur.
Ils ne
nous auront pas ! Ils ne nous auront jamais ! pensait-elle avec
hargne.
Elle se crispa au fond de son siège,
n'hésitant plus à forcer les pare-chocs arrière
des deux voitures de fonction qui lui condamnaient sa seule issue.
–
Alors ? Vous allez avancer ou il faut que je vous pousse ?
demanda-t-elle, acerbe.
Les conducteurs respectifs
s'échangèrent des coups d'œil angoissés
pendant qu'elle manoeuvrait de droite à gauche pour se
frayer un chemin. Apparemment, cette gamine était bien plus
hardie qu'ils ne l'avaient soupçonné.
– Sois
prudent, Takeshi ! Elle va chercher à te doubler par la
droite... alerta le premier.
– Ne t'inquiète pas... je
vais faire en sorte de lui bloquer le passage de ce côté.
Voyant que sa ruse avait fonctionné, Haruka sourit
à la vue de l'écart croissant entre les deux
voitures.
– Eh bien cette fois, je vais passer par le milieu...
Elle écrasa la pédale d'accélération
et fit une brusque avancée, dépassant en un instant les
deux policiers. Elle passa la quatrième vitesse et monta
toujours plus, continuant ainsi jusqu'à dépasser les
200 km/h. Une pluie violente fouettait les visages des deux jeunes
filles qui se serraient la main contre le levier de vitesse. Ce
levier de vitesse qui venait de les libérer...
– Je te
l'avais dit ! Ils ne nous attraperont jamais ! s'écria
Haruka avec un sourire radieux.
Michiru soupirait de soulagement,
un rire nerveux perturbant parfois son souffle irrégulier
tandis que la vitesse les grisait. Savourant leur victoire, elles se
mirent à crier, hurlant leur liberté, raillant ceux qui
avaient voulu les retenir prisonnières et mesurant leur voix à
celle du tonnerre au-dessus d'elles :
– Ils ne nous
attraperont pas ! clamaient-elles en filant vers l'ouest.
Toute réserve avait été balayée
pour faire place à l'euphorie. Après avoir été
étouffées plusieurs heures durant et malmenées
par leurs familles et les forces de l'ordre, elles pouvaient enfin
inspirer un grand bol d'air frais ; cette délivrance était
tellement jubilatoire que la notion de pudeur ne leur était
plus concevable.
Le vent atténua leurs cris de
victoire en même temps qu'il repoussait l'orage vers l'est,
dévoilant un ciel doré aux étoiles mourantes.
L'averse prit fin à son tour et un sentiment de paix gagna
les deux jeunes filles. À présent, elles roulaient à
une allure modérée, le cœur léger, les yeux
brillants. Plongeant sa main dans la poche de son gilet, Michiru en
sortit un portable et composa un numéro. Le destinataire ne
décrocha pas et la messagerie vocale se déclencha :
–
Bonjour, mère, c'est Michiru. Je vous appelais pour vous
dire au revoir et vous demander de retirer votre plainte. Elle est
inutile. Transmettez le message à Tenoh-san, s'il vous
plaît... Je vous remercie.
Elle coupa la communication et
jeta son portable depuis la voiture, le laissant se briser contre le
goudron de la chaussée. Elle s'étendit doucement et
ferma les yeux. Déjà, un sentiment de bien-être
l'engourdissait peu à peu.
– Haruka... murmura-t-elle
simplement.
Ce petit mot avait mille et une
significations. Alors qu'elle se cachait d'une main pour bâiller
en toute discrétion, Haruka l'observait du coin de l'œil
en souriant. Contempler l'artiste somnolente sous les premiers
rayons du soleil était un spectacle charmant et réconfortant.
– Si nous survivons à notre mission... murmura
l'athlète, plus pour elle-même que pour son amie. Je
ferai ma vie avec toi...
Alors qu'elle dégustait
la brise marine dans ses courts cheveux blonds, un silence les
enveloppa. Elles étaient arrivées à la baie de
Tokyo et Haruka pouvait admirer la mer nappée d'un voile
d'or que le chaud soleil matinal surplombait. Ce chemin vers
l'indépendance, parsemé d'embûches et
fortement compromis, avait faibli face à la puissance de leur
volonté. Ce matin-là, elles étaient parvenues à
se défaire de leurs chaînes.
– J'ai hâte à
ce jour, reprit Michiru, après quelques minutes de silence.
Haruka s'empourpra, honteuse à l'idée
d'avoir été entendue.
– Je pensais que tu
dormais...
Les yeux clos, Michiru sourit doucement et
s'autorisa un soupir fatigué. La veille au soir, elles
s'étaient avoués leurs sentiments, s'étaient
crues séparées à jamais et aujourd'hui, elles
avaient pris leur envol et s'étaient échappées
de cette prison fabriquée par une société qui ne
souhaitait pas les comprendre.
– Je ne suis pas fière de
m'être enfuie et de t'avoir enlevée pour que tu me
suives... Cependant, c'était la meilleure solution... Pour
nous et pour notre mission, murmura Haruka, pensive, alors qu'elle
ressassait cette journée à la fois pénible mais
satisfaisante.
– Ne te martyrise pas, Haruka ; la décision
que tu as prise était la meilleure... elle n'a pas été
sans sacrifice pour toi... lui répondit Michiru avec douceur.
Un sourire résigné ourla tristement les
lèvres de la pilote. Désireuse de se changer les idées
et ne plus afficher un visage morose, elle se permit une petite
pointe de vitesse sur un des larges ponts qui enjambaient la mer.
Quelque peu consolée par le sifflement insouciant du vent dans
ses oreilles, elle glissa un coup d'œil à son rétroviseur.
Pas une voiture derrière elles.
– Je ne regrette pas ces
sacrifices...
Une main vint se poser sur la sienne. Ce
simple geste réconforta Haruka et la gonfla d'orgueil. Plus
altière qu'un aigle, elle leva effrontément son
regard suffisant vers la capitale qui s'éveillait au rythme
de l'aurore.
Fin.
