DE L'AUTRE COTE DE LA BARRIERE

Mary Dove alla s'appuyer contre la barrière qui séparait la voie 9 de la voie 10. Il faisait chaud, ce jour-là, très chaud et la gare de King's Cross était bondée. Mary ferma les yeux et se lova contre la barrière. Le contact du métal sur sa peau la rafraîchit.

Elle aurait tellement préféré rester lire dans le jardin ensoleillé, un verre de jus de fruit glacé à la main. Mais, comme d'habitude, sa mère avait profité du beau temps pou aller à Londres faire des emplettes et, comme d'habitude, elle avait tenu à ce que Mary l'accompagne.

« Ma chérie, il faut absolument que tu sortes de ton isolement. Ce n'est plus possible. Une sortie à Londres te fera le plus grand bien, tu verras. Je suis sûre que tu vas beaucoup t'amuser. »

Beaucoup s'amuser. S'ennuyer à mourir, plutôt. Mary soupira. Sa mère ne changerait jamais. Heureusement, le train pour Great Hangleton partait dans trois quarts d'heure. Dans trois quarts d'heure, elle serait chez elle.

Pour se changer les idées, elle se mit à observer la foule qui se pressait autour d'elle. La gare était remplie par une immense marée humaine composée d'estivants de tous âges et de toutes nationalités.

Mary détestait les foules et, pourtant, devant cet assemblage hétéroclite, des idées agréables de voyages, de pays lointains et d'aventures lui vinrent à l'esprit. L'aventure, voila précisément ce qui lui manquait. Sa vie était terne, banale, ennuyeuse comme la pluie et réglée comme une horloge. Elle habitait Little Hangleton, un petit village reculé où il ne se passait jamais rien et où chaque jour ressemblait au précèdent.

Mais soudain, quelque chose attira son attention et la tira de sa triste rêverie. Quelque chose ou plutôt quelqu'un. Un homme bizarrement vêtu. Avec ses souliers vernis, son survêtement et sa cravate à l'envers, il avait l'air d'un fou échappé de l'asile. Néanmoins, l'affluence était si grande qu'il passait inaperçu. Prudente, Mary recula le long de la barrière jusqu'à ce qu'un groupe de touristes japonais la dissimule entièrement aux regards. Elle ne voulait pas être surprise en train de dévisager un parfait inconnu. L'homme s'arrêta à quelques mètres d'elle, jeta un regard furtif dans toutes les directions et se mit à courir vers la barrière à toute vitesse. Il va la heurter, il va se faire mal, pensa Mary. A ce moment précis, elle sentit la barrière céder sous son poids, bascula en arrière et s'effondra sur le sol.

Hébétée, le dos douloureux, elle se releva lentement et regarda autour d'elle. Pas de doute. Elle était bien sur un quai de gare, un quai aussi bondé que celui qu'elle venait de quitter mais dont les occupants étaient complètement différents. Tous, les hommes comme les femmes, portaient robes, capes, chapeaux pointus aux couleurs chatoyantes. Mary sourit, émerveillée par ce ballet d'uniformes multicolores. Elle avait l'impression de s'être égarée au cœur d'un bal costumé.

Mais la logique reprit brutalement le dessus et elle se rendit pleinement compte de toute l'étrangeté de la scène. C'était impossible. Ces gens ne pouvaient pas exister. Elle avait dû avoir un étourdissement à cause de la chaleur. Oui, il n'y avait pas d'autre explication. Il fallait qu'elle revienne à la réalité au plus vite.

Mary se pinça violemment à plusieurs reprises. Sans succès. La douleur lui arracha un cri et ses yeux s'embuèrent de larmes mais la foule bruyante qui l'entourait était restée telle quelle. Les robes ne s'étaient pas changées en shorts et en T-shirts bariolés et aucun attaché case ni téléphone portable n'était venu prendre place dans la main des gens.

Affolée, elle se précipita vers la barrière… avant de se rendre compte qu'il n'y avait plus de barrière. A la place se dressait une grande arcade surmontée de l'inscription « Voie 9 ¾ ». Alors Mary comprit. Cette arcade était une porte, un lien entre deux mondes. Elle l'avait franchie par mégarde lorsque l'homme était entré. Elle s'approcha et vit, comme à travers une fenêtre, la foule si familière se déplacer sur le quai n°9. Il lui suffisait donc de franchir la porte en sens inverse pour retrouver la gare, sa mère, Little Hangleton, sa vie d'avant. Mais en avait-elle vraiment envie ? Allait-elle se détourner du secret caché au-delà de la barrière et faire comme si rien ne s'était passé ? Non.

Mary se mit à arpenter le quai de long en large, tendant l'oreille, à l'affût du moindre indice qui puisse la renseigner sur l'endroit où elle se trouvait. Le résultat fut peu concluant : il était presque impossible d'entendre quoi que ce soit dans le brouhaha ambiant et les rares bribes de conversation qu'elle parvenait à saisir au vol étaient pleines de mots incompréhensibles.

Soudain, Mary entrevit une lueur d'espoir. A l'autre bout du quai, un homme attendait. Un homme habillé normalement. C'était le moment ou jamais. Mary s'avança vers lui et prit la parole en rougissant :

« Monsieur, désolé de vous déranger. Je suis perdue… »

Elle se tut, vaincue par la timidité. L'homme sourit d'un air bienveillant et dit :

« Oh, je comprends, vous savez. Moi et ma femme, nous sommes dentistes. Quand nous avons appris pour notre fille…

Tenez, ajouta-t-il en sortant un livre de sa poche. Il m'a beaucoup aidé. Je n'en ai plus besoin maintenant. Il vous apprendra tout ce que vous devez savoir sur la communauté magique. »

Mary se répandit en remerciements, prit congé de l'homme avec un sourire et retourna dans le monde des Moldus, serrant contre elle le livre qui contenait la clé de l'énigme.