Prologue :
Il faisait froid. Je ne savais plus où j'étais. J'avais peur. Je ne pouvais plus bouger. J'avais si mal. Tout mon corps était engourdi, je ne sentais plus rien. Aucun de mes membres ne répondait. Il faisait si sombre. Je ne voyais rien. Une seule chose me venait en tête.
« Grand frère. »
Je perdis la mesure du temps. Quelle heure était-il ? Quel jour ? Quel mois ? Quelle année ? Tout se mélangeait, tout se perdait. Tous mes repères filaient dans le silence et l'obscurité, dans les méandres d'une mémoire oubliée. Les souvenirs s'envolaient. Mon nom, mon identité, mon âge... Tout ce qui faisaient ce que j'étais, tout ce qui me définissait. Ma famille, mes amis... Même des liens censés être incassables, s'annihilaient et disparaissaient avec tant de facilité, de superficialité.
Qui étais-je à présent ? Ou plutôt, qu'étais-je devenue ? Comment définir quelqu'un n'ayant plus d'essence propre ? Une simple enveloppe charnelle, un réceptacle qui accueillait autrefois quelqu'un... Une coquille vide... Je n'étais plus qu'une chose...
Soudain, après tant de solitude, je sentis un souffle glacial près de mon oreille. Un souffle plus froid que mon corps ne l'était déjà. Un souffle de mort. Il provenait d'une personne à la voix masculine et rauque, qui murmurait de belles paroles d'un ton gentil. Je ne comprenais rien :
— Tu m'appartiens désormais. Je te possède. Grâce à toi, je pourrais contrôler tous les cristaux et de ce fait, affaiblir puis anéantir pour ensuite dominer les royaumes propriétaires de chacun des cristaux. Je serais toujours avec toi. Je t'ai marquée. Quand tu penseras t'être débarrassé de moi, d'être enfin en paix, je t'utiliserai pour abattre le royaume de Lucis tout entier. Et ce sera de ta faute. Tu culpabiliseras. Tu chercheras un moyen de te racheter, un moyen de rédemption. C'est ainsi que la domination des autres royaumes suivra. Tu seras au premier rang pour assister ce que tu auras déclenchée. Tu seras la seule à tout savoir. Du moins, si tu réussis à retrouver ta mémoire.
Il sourit. Un sourire avide de pouvoir. Ses doigts touchèrent mon corps glacé, et chaque contact m'était comme une brûlure intérieure, réveillant quelque chose d'instable, de non-voulu. Il rit, glacialement. Ces échos résonnaient dans le vide intérieur de ma tête.
Dans ces moments-là, je crois que je pensais à quelque chose de très lointain pour me soulager. Quelque chose... ou quelqu'un. Oui, c'était ça, quelqu'un. D'important et d'indispensable. Une dernière pensée s'y forma, rien que le temps d'un souffle :
« Grand frère... »
Ces mots se rapportaient à ce « quelqu'un » mais cela n'avait désormais plus aucun sens. Un assemblement de lettres sans signification.
Brusquement, toutes les logiques existantes, possibles et rationnelles se brisèrent. Plus rien n'était rattaché à rien. Comme un puzzle complexe, les éléments mémoriels s'écartèrent les uns des autres. N'ayant plus aucun lien, ils disparurent. Plus de douleur, plus de joie, plus d'amour. Plus rien. Sans sens, sans relation ni direction, le monde, mon monde, n'avait plus de raison d'exister.
Et de là, je n'étais désormais plus rien.
Vide.
