Histoire: Maux croisés
Disclaimer: Pratchett est riche, anglais et cultive des plantes carnivores. Pas moi.
Genre: Pratchettien, on va dire ...
Correctrice: Mirliton
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Chapitre 1
Albert était heureux dans sa cuisine. Au bout de toutes ces années passées à y cuisiner, elle reflétait exactement ses convictions culinaires: gloire à la graisse, longue vie aux calories, bienvenue au cholestérol et tir à vue sur les vitamines.
Tout de suite, il était très occupé à vérifier s'il était possible de frire un curry. On s'amuse comme on peut dans une maison pareille. Il était en pleine expérience quand on l'interrompit.
- ALBERT ?
Ah, son maitre était rentré en avance on dirait.
- Oui maitre ?
- J'AI BESOIN DE TON AIDE.
Aie. La dernière fois que le maitre lui avait dit ça, il avait dû passer une heure à lui expliquer l'utilité du coucou dans une horloge. Et pourquoi un coucou? Et pourquoi on l'appelait comme ça? Et comment on faisait pour le repeindre sans démonter l'horloge ? Et pourquoi .... (1)
Question curiosité et questions inutiles, le maitre était loin devant le gamin de quatre ans hyperactif. Enfin, il l'aurait été s'il ne s'était pas arrêté toutes les cinq minutes pour demander aux passants pourquoi il était sensé être devant.
- J'arrive, j'arrive ...
Albert posa donc précautionneusement tout ce qu'il avait dans la main avant de se retourner. Au moins, il ne se casserait pas un pied en lâchant ce qu'il tenait sous le coup de la surprise. Puis il fit face à son interlocuteur.
Dans l'encadrement de la porte, la Mort (3) attendait patiemment.
- Qu'est que je peux faire pour vous aider ?
- JE ME SUIS OCCUPE D'UN ROI AUJOURD'HUI.
- Ah? Il est mort de quoi? Coup de poignard, chute dans l'escalier, bouillon de 11 heures ?
- REPAS DE MIDI. LES HUITRES N'ETAIENT PAS FRAICHES.
Albert plaignait presque les pauvres biographes royaux. Pas facile de montrer à la postérité la dignité et la majesté de quelqu'un, avec une mort pareille.
- BREF, LE ROI ETAIT SUR LE TRONE QUAND IL EST MORT. IL AVAIT CE LIVRE A LA MAIN, ET IL A TENU A L'EMPORTER APRES MON PASSAGE. POUR NE PAS S'ENNUYER, IL A DIT.
C'est étonnant comme les gens restent eux-même: ils meurent, mais ne changent surtout pas d'habitude. Les petits tics, les manies, les peurs, tout cela perdure. Le Faucheur était à chaque fois stupéfait par ce phénomène, et essayait désespérément de comprendre le pourquoi du comment.
Albert se souvenait par exemple du cas d'une grand-mère qui avait décidé de rester sous forme d'esprit frappeur jusqu'à ce que son pull-over pour son petit-fils soit terminé. Devant son insistance, le Faucheur avait accepté de terminer son travail: le petit fils avait reçu un vêtement qui ressemblait vaguement à une robe modèle XXL, la grand-mère avait pris une retraite définitive et la Mort-Aux-Rats avait souffert d'un certain nombre d'indigestions dues à la laine.
C'est pour cela que Albert comprit d'office ce qui perturbait la Mort.
- Et en voyant ça, vous avez pris ce fameux livre pour voir en quoi il était aussi fabuleux, c'est ça?
- OUI.
- Alors, c'était quoi ce livre? Le code civil ?
- NON.
- Le Livre d'Om ?
- POUR NE PAS S'ENNUYER ?
- Pas faux. Le Lopin parfumé ou le Jardin des Délices ?
- LE QUOI ?
- Un livre ...
Aie. Comment expliquer ça à quelqu'un qui pensait que la fonction des Sonky (5) multicolores étaient de décorer un bureau ?
- ... sur l'anatomie. Humaine. Avec beaucoup de chair. Et sur la souplesse. C'est ça, la souplesse.
- ALBERT, POURQUOI ES TU TOUT ROUGE ?
- Il fait chaud, non ? Je vais aller éteindre le phénix, d'accord ?
Ce ne fut qu'une fois qu'il se sentit à peu près normal qu'il retourna à la conversation. Enfin, si normal veut dire quelque chose pour un homme qui côtoyait un squelette ambulant tous les jours.
- Alors, c'est quoi ce livre si passionnant ?
Le Faucheur lui tendit un petit fascicule. Pas vraiment ce à quoi s'attendait Albert comme lecture d'un roi.
- Vous plaisantez ?
- NON.
- Le roi lisait ça sur son trône ?
- OUI.
- Des mots croisés? Force "Zero et demi" ?
- OUI.
- Devant tout le monde ?
- COMMENT CA?
- J'imagine mal un roi devant tous ces courtisans, leur demandant "Qui pourrait me dire ce qu'on bat tous les jours en 7 lettres (7) ?". C'est un coup à se faire renverser par quelqu'un de plus futé. Ou à révolutionner l'orthographe.
- QUELS COURTISANS ?
- Bah, y'en avait forcément. Un roi s'assoit pas sur son trône s'il n'y a personne autour. Je veux dire, c'est beau et impressionnant comme siège, ça brille et tout, mais ça fait mal comme pas permis aux ...
- AH. MAIS ALORS POURQUOI TOUS LES HUMAINS Y VONT ILS SI SOUVENT ?
- Tous les humains ? Comm ... Oh. Je crois qu'on ne parlait pas de la même chose. Le trône, hein?
Et bizarrement, sur ce siège là, ça ne le surprenait pas de voir un roi avec un truc de ce genre. Après tout, quand on est roi, on peut monopoliser la place aussi longtemps qu'on veut sans qu'un quidam pressé défonce la porte.
- ALFRED ... TU VEUX BIEN M'AIDER? S'IL TE PLAIT?
- Vous n'avez pas autre chose à faire? Une petite épidémie, une guerre en cours, je sais pas ?
- NON. TOUT EST CALME. JE M'ENNUIE.
Quand la Mort s'ennuyait, ce n'était jamais bon signe. Il finissait toujours par s'humaniser et commettre des erreurs, du genre prendre un apprenti pour avoir ses soirées libres, ou adopter quelqu'un pour s'occuper un peu.
Albert devrait donc se dévouer, il le savait. Mais il n'aimait vraiment pas les mots croisés ....
- De toute façon, les consignes sont au début du livret. Lisez les.
- ET SI JE NE COMPRENDS PAS?
- Alors, regardez ce que le roi a fait. Ca vous aidera.
- BONNE IDEE. MERCI ALBERT.
- Y'a pas de quoi .
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Cinq minutes plus tard ...
- ALBERT ?
- Quoi?
- JE N'AI PAS COMPRIS.
- Je vous ai dit de regarder les grilles déjà remplies pour vous aider!
- JE L'AI FAIT. REGARDE, EN "DIRIGEANT DU ROYAUME", IL Y A MARQUE "MOI". MAIS JE NE GOUVERNE PAS DE ROYAUME, MOI ?
- Euh ....
- ET A "ON Y CHANGE AU MOIS DE MARS", IL Y A MARQUE "MOIS". ET IL Y A DES CASES COLORIEES EN NOIR.
Albert n'était pas amateur de ce genre de jeu. Il ne voyait vraiment pas l'intérêt de se lancer pour le plaisir dans une chose qui nécessitait trois heures de libres, un crayon, quatre gros dictionnaires, d'innombrables gommes et un anti-migrainique.
Mais il savait bien que la Mort s'ennuyait beaucoup ces derniers temps. Si lui apprendre à jouer à ce genre de jeu l'empêchait de vadrouiller ou de faire des expériences stupides, il était prêt à sacrifier un peu de son temps.
Et puis, c'était un niveau nullissime. Même les amibes devaient pouvoir répondre correctement à ces définitions. Ca serait vite fait.
C'est pour cela qu'il soupira et abandonna l'idée de frire du curry pour aujourd'hui.
- Bon, vous auriez pas quelques encyclopédies sous la main ?
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Notes:
(1) Ce qui expliquait l'impressionnante armée d'horloges mécaniques dans le hall de la maison noire. Impressionnante, parce que le propriétaire avait tenu à y faire figurer toutes les espéces d'oiseaux connus. Autant le "coucou" ne prenait pas trop de place, autant l'"autruche" forçait tous les visiteurs à marcher en crabe pour rentrer dans le salon. Quand au "phénix", Albert l'avait emprunté pour le mettre sous sa poêle à omelette-trop-cuite. (2)
(2) De toute façon, le temps ne s'écoule pas dans cette maison, et les pendules ne fonctionnent pas. D'une certaine façon, Albert avait rendu service au phénix en lui permettant de sortir de là.
(3) Oui oui, la Mort. Grand, squelettique, une cape noire. Pas de faux cependant, il (4) prenait soin de la déposer dans le porte-parapluie quand il rentrait chez lui. Pas de travail à la maison.
(4) La Mort se considérait comme étant de sexe masculin. Et de toute façon, à part les anthropologues surdoués et suicidaires, personne n'oserait demander à la Mort la largeur de son bassin pour contredire ou valider ses dires.
(5) Du nom d'un chef d'entreprise particulièrement civique, qui avait permis de limiter la surpopulation d'Ankh-Morpock et de relancer la Couture grâce à du caoutchouc et un peu d'imagination. Ses dernières créations ("phosphorescent" (6) et "parfum bourre-pif") connaissaient un véritable succès.
(6) Pas forcément pour l'usage habituel. Après de multiples plaintes, le Guet d'Ankh-Morpock en avait acheté des caisses entières afin d'en faire des gilets pour pigeons et permettre aux infortunés passants de les voir arriver et de se baisser à temps lors de leur descente.
(7) La Lessive bien sur. Vous voyez autre chose, vous?