Je l'ai trouvée devant ma porte, un soir que je rentrais chez moi
Partout elle me fait escorte, elle est revenue, la voilà
La renifleuse des amours mortes, elle m'a suivie pas à pas
La garce, que le diable l'emporte, elle est revenue, elle est là

Avec sa gueule de carême, avec ses larges yeux cernés
Elle nous fait le coeur à la traîne, elle nous fait le coeur à pleurer
Elle nous fait des matins blêmes et de longues nuits désolées
La garce, elle nous ferait même l'hiver au plein coeur de l'été

Dans ta triste robe de moire, avec tes cheveux mal peignés
T'as la mine du désespoir, tu n'es pas belle à regarder
Allez va-t'en porter ailleurs ta triste gueule de l'ennui
Je n'ai pas le goût du malheur, va-t-en voir ailleurs si j'y suis

Je veux encore rouler des hanches, je veux me saouler de printemps
Je veux m'en payer des nuits blanches, à coeur qui bat, à coeur battant
Avant que sonne l'heure blême et jusqu'à mon souffle dernier
Je veux encore dire 'je t'aime' et vouloir mourir d'aimer

Elle a dit : 'Ouvre-moi ta porte, je t'avais suivie pas à pas
Je sais que tes amours sont mortes, je suis revenue, me voilà
Ils t'ont récités leurs poèmes, tes beaux messieurs, tes beaux enfants
Tes faux Rimbaud, tes faux Verlaine, eh bien c'est fini maintenant'

Depuis elle me fait des nuits blanches, elle s'est pendue à mon cou
Elle s'est enroulée à mes hanches, elle se couche à mes genoux
Partout elle me fait escorte et elle me suit pas à pas
Elle m'attend devant ma porte, elle est revenue, elle est là

La solitude, la solitude...

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C'était tous les soirs la même chose, le même rituel immuable.
Tout d'abord, elle restait le plus longtemps possible au JAG, prétextant un quelconque dossier à étudier. Puis, lorsqu'aucune excuse valable ne pouvait encore la retenir et qu'elle s'était décidée à quitter son bureau, elle s'éternisait encore un peu auprès des derniers collègues qui se trouvaient là et ce n'était toujours qu'après quelques détours, quelques courses ou une vague promenade dans un parc, qu'elle rentrait enfin. Seule. Là encore, sa vie tournait au ralenti. Elle dînait devant la télé, son chien à ses côté, puis passait le reste de la soirée à étudier les dossiers qu'elle rapportait du JAG. Et quand elle n'avait vraiment rien pour s'occuper l'esprit, elle restait prostrée sur son sofa, sans rien faire d'autre que caresser distraitement les longues oreilles de Jingo, avant que le sommeil finisse en désespoir de cause par avoir raison de ses forces et par l'emporter dans le monde béni de l'inconscience.
A la longue, les jours se confondaient, les soirées ressemblaient aux soirées, et le temps passait avec une banalité affligeante qui convenait parfaitement à l'état d'esprit de la jeune femme. Elle se laissait vivre sans rien entreprendre qui puisse la tirer de sa léthargie.

Ce soir-là, elle avait refusé de suivre ses amis au pub pour fêter l'anniversaire de l'amiral, et s'était lâchement réfugiée chez elle. Où, une fois encore, elle se retrouvait seule. Blottie sur son sofa, la télé allumée en sourdine et la tête de Jingo sur ses genoux, la jeune femme restait songeuse. Dans les rares instants, comme celui-ci, où elle acceptait de se regarder en face et de ne pas nier tout ce qui lui arrivait, elle se rendait compte qu'elle s'appesantissait sur son sort avec un soin si particulier qu'il en devenait malsain. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle faisait face à une séparation mais chaque fois elle avait pris sur elle et était repartie de l'avant, tant bien que mal. Généralement plus mal que bien, d'ailleurs, mais chaque fois elle avait eu cette volonté de s'en sortir malgré tout et avait fini par y réussir.
A présent ... Mic était parti et, depuis lors, la jeune femme sombrait doucement, sans faire de vagues. Et en sachant que les choses auraient sans doute étaient plus faciles si seulement...

Mac tressaillit et Jingo se réveilla en sursaut. Elle se mit à lui caresser doucement les oreilles pour le calmer autant que pour se calmer elle-même.

Elle ne supportait plus de le voir. Avec l'Autre.
Sans cesse, les souvenirs de sa soirée de fiançailles lui revenaient en mémoire. Non pas ceux de ses fiançailles avec Mic, mais les longs moments qu'elle avait passé avec Harm sous la véranda, tout ce qu'ils s'étaient remémorés, tout ce qu'ils s'étaient dit.

Et leur baiser.

De sa part, ce n'était qu'une caresse légère du bout des lèvres, un regret sur ce qui aurait pu être et qui ne serait jamais plus. Une façon de lui faire ses adieux, d'essayer de tourner la page avant de commencer quelque chose de définitif avec Mic. Mais Harm avait tout bouleversé. A l'instant exact où elle se sentait enfin prête à renoncer à lui, il l'avait prise dans ses bras et l'avait embrassée avec une passion qui avait fait voler en éclat toutes ses belles résolutions. Une onde de chaleur incroyable l'avait traversée de part en part, dégringolant de sa nuque jusqu'au creux de ses reins, la faisant frissonner de bien-être.
_ "Enfin...", n'avait-elle pu s'empêcher de songer.

Il était là.
Pour elle.
Il la désirait.
Elle sentait encore ses bras autour de sa taille la pressant fermement contre lui. Il s'était imposé à elle et elle s'était laissée faire avec bonheur. Elle n'avait qu'à fermer les yeux pour se remémorer les moindres détails de cette délicieuse caresse, la chaleur un peu humide de ses lèvres sur les siennes, son souffle tiède sur ses joues et ses mains glissant lentement le long de son dos. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, l'un et l'autre s'étaient totalement laissés porter.

Et puis la raison avait repris le dessus. Il en demandait encore mais elle s'était écartée. En quelques secondes, le temps de reprendre son souffle, elle s'était de nouveau persuadée que ce baiser ne serait jamais plus qu'une façon de conclure leur histoire avant même qu'elle commence. Rien qu'un souvenir qu'elle enfouirait très loin dans sa mémoire et auquel elle pourrait repenser avec tendresse, des années plus tard. Le coeur battant et l'estomac noué, elle lui avait rendu sa veste en évitant de le regarder dans les yeux et s'était éloignée de quelques pas. Avait hésité, la main sur la poignée de la porte d'entrée, avant de se retourner pour lui dire :
_ "Nous devenons de plus en plus doués pour nous dire adieux..."

Mac se mit à rire nerveusement. Quelle idiote elle avait été de croire que tout cela allait prendre fin sous cette véranda, aussi facilement que cela avait commencé ! Et pourtant, elle le pensait sincèrement, à ce moment-là, ou en tout cas avait tenté de s'en persuader. Elle avait vraiment voulu croire que son mariage avec Mic allait être une réussite, une revanche triomphante qu'elle prendrait sur tous les déboires qu'elle avait eu à essuyer auparavant. Elle avait vraiment voulu y croire...

Mais lorsqu'il s'agissait de bouleverser sa vie, Harm devenait soudain redoutable. Une fois encore, il était revenu à la charge et avait détruit ses espoirs de la même façon qu'un courant d'air faisait effondrer un château de cartes. Sans avoir l'air de rien. Sans qu'on le voie venir. Et sans qu'on puisse l'en empêcher.
La veille de son mariage, il avait disparu en pleine mer. Son Tomcat avait été pris dans une tempête et l'équipage du porte-avion avait été dans l'impossibilité de le localiser. L'amiral Chegwidden avait tenté de leur annoncer la nouvelle avec tout le tact dont il était capable, mais ses mots rassurants avaient eu l'effet inverse sur la jeune femme. Ne supportant plus la présence de Renée, ni celle de ses amis, ni même celle de Mic, elle s'était retirée dans une autre pièce et s'était mise à pleurer. Elle le voyait déjà mort, elle imaginait déjà une chaloupe de secours repêchant son corps et le renvoyant à sa famille avec les condoléances de l'armée et de la nation. Lorsqu'Harm lui avait annoncé qu'il ne pourrait pas être présent ce soir-là parce qu'il partait voler, elle lui en avait terriblement voulu et ils s'étaient quittés en mauvais termes. Elle ne supportait pas l'idée qu'il puisse la quitter pour toujours sans qu'elle ait eu le temps de s'excuser et de lui dire à quel point il comptait pour elle. A quel point elle avait besoin de lui.
Puis, la bonne nouvelle était tombée, apportant d'autres larmes : Harm avait été retrouvé et ramené à bord. Il était vivant, quoiqu'en assez mauvais état. Après une longue convalescence, il avait fini par se remettre de sa grave hypothermie et avait réintégré le JAG, avec pour seul souvenir quelques mauvaises blessures à la tête.
Il était là... De nouveau.

La vie avait tenté de reprendre son cours mais après ces évènements, il était impossible que tout redevienne comme avant. Cette fois, ils étaient allés trop loin.

Et puis Mic l'avait quittée.

Leur projet de mariage, tout d'abord reculé à cause de l'accident d'Harm, s'était peu à peu transformé en douce illusion. Plus elle avait parlé de réorganiser un autre mariage, plus Mic était devenu évasif. Avant de finalement lui annoncer au téléphone qu'il quittait Washington et rentrait en Australie. Définitivement.
Il ne lui avait rien expliqué, mais elle n'avait pas eu besoin de mots pour le comprendre. Il la quittait à cause de... l'autre. Depuis le début, Mic avait compris qu'il n'était pas seul dans le coeur de la jeune femme et il avait eu la confirmation évidente la veille de leur mariage. Il avait tout tenté pour lui faire oublier mais il avait échoué.
Et il ne voulait plus continuer à la partager. Il avait fait de gros sacrifices pour elle, avait quitté la Marine australienne et son pays pour venir vivre à ses côtés, mais il n'avait pas reçu la récompense à laquelle il aurait pu prétendre. La Royal Australian Navy lui manquait terriblement et depuis sa démission il avait beaucoup de mal à retrouver du travail. Et en retour, que lui offrait-elle ? De reculer leur mariage et de consacrer la quasi totalité de ses pensée et de ses sentiments à un autre homme ? Elle comprenait qu'il ait baissé les bras : il avait persévéré bien plus longtemps qu'il n'aurait du.

Mais qu'aurait-elle pu faire ? Jouer la carte de l'hypocrisie et le retenir ? Elle ne s'en sentait pas capable d'autant que...
_ "Sois au moins honnête avec toi-même si tu n'es pas fichue de l'être avec les autres, Sarah", murmura la jeune femme. "Avoue que tu étais plutôt soulagée qu'il te quitte comme ça... Sans avoir besoin d'expliquer les choses..."
Jingo leva la tête et gémit doucement. La jeune femme eut un petit sourire triste et lui caressa le museau.
_ "Tu es d'accord avec moi, mon vieux... C'était plus facile comme ça... Mic parti, je suis de nouveau libre comme l'air. Libre de pouvoir... Avec..."
Sous l'effet d'une soudaine bouffée d'angoisse, les mots s'étranglèrent dans sa gorge et la jeune femme poussa un profond soupir. Jingo gémit de nouveau et laissa sa tête retomber sur ses genoux.

Effectivement, elle n'était pas plus capable d'être honnête avec elle-même. Incapable de s'avouer qu'elle était désespérément amoureuse de son partenaire et qu'elle ne supportait plus de le voir s'afficher avec sa jolie blonde écervelée.
_ "Jolie ? Elle ? Laissez-moi rire !" ricana Mac avant de se reprendre aussitôt. "Allons, ma fille, ne change pas de sujet..."
Un instant, elle resta silencieuse.
_ "Dis-le..." songeait-elle. "Dis-le au moins une fois... Si tu es capable de le penser, tu dois être capable de le dire à voix haute..."

Elle prit une profonde inspiration.
_ "Je... Je l'aime..." chuchota-t-elle d'une voix sourde. "Harm... Je vous aime..."

Et elle fondit en larmes.

Près d'elle, la tête penchée de côté, Jingo la regardait d'un air perplexe.