Disclaimer : Les personnages appartiennent à Tadatoshi Fujimaki. UA, bien qu'ils soient toujours au lycée. L'histoire m'appartient.

Raiting : M

Auteur : Heaven (moi quoi, pas de chichis !)

Pitit mot (Avouez, comparé aux autres, il est min-m-i) : Yo mina ! Voici la première partie de cet mini-fic Aokaga et croyez-moi, j'ai mis le plus haut raiting parce qu'elle est très loin d'être joyeuse. C'est même un sujet très très très dur. J'ai eu énormément de mal à l'écrire psychologiquement parlant. Enfin, vous comprendrez mieux en lisant, même si la partie II est de loin la pire à mon goût. Je suis d'ailleurs encore en train de l'écrire -et oui, comme toujours, je n'ai pas su attendre la fin -'-

Les persos sont un peu OOC mais vu le thème, je pense que ça passe.

Oui je laisse planer le doute parce que j'aime le suspense et être sadique.

Excusez-moi pour les éventuelles fautes mais j'étais fatiguée quand je l'ai relu.

Bonne lecture !

x Heaven


Les sévices de ton pardon

Partie I

De fines gouttelettes d'eau s'écrasaient avec violence sur le verre avant de continuer leur course le long du bâtiment. Kagami regardait la pluie tomber, le menton posé dans le creux de sa main, las. Ses yeux, d'un rouge carmin singulier, n'exprimaient que l'ennui. Il n'avait même pas envie de rentrer chez lui.

Il savait que personne ne l'attendait et qu'une fois le pas de sa porte franchi, il allait retrouver le quotidien morne de sa vie, cloîtré entre quatre murs. Même si son chat lui apportait un peu de réconfort, il se sentait toujours seul. Il n'avait aucun but dans la vie et cela l'ennuyait profondément.

Comme s'il était destiné à être une âme perdue en quête d'action.

Il n'avait jamais vécu de réelle angoisse, l'action le fuyait, l'amour ne l'intéressait pas. Seule la tristesse avait eu l'obligeance d'étreindre son cœur lorsqu'il s'était retrouvé orphelin, à l'âge de sept ans. La douleur s'est peu à peu ternie au fil des années, laissant le temps à l'ennui de prendre sa place. Maintenant, il regrettait de n'avoir rien eu de palpitant dans sa vie.

À aucun moment il ne s'était senti important pour quelqu'un, comme si l'humanité cherchait à le fuir. Kuroko, son meilleur ami, préférait s'enfermer dans sa bulle de silence et de sérénité plutôt que de lui parler. Il aurait volontiers donné son âme au diable pour seulement avoir le privilège de savourer une partie de jeux vidéo entre amis.

Kagami se prenait souvent à penser que si son chat pouvait parler, sa solitude serait peut-être moins encombrante.

La sonnerie stridente le tira de ses sombres pensées. Avec des gestes las, le jeune homme rassembla ses affaires dans un sac avant de quitter la salle, ne se donnant pas la peine de saluer le professeur qu'il n'avait écouté que d'une oreille.

Une fois qu'il eut quitté l'établissement, il laissa ses yeux fatigués vagabonder sur la rue. Il n'y avait pas grand monde. Les rares passants qu'il voyait se hâtaient de rentrer chez eux, se protégeant du mieux qu'ils pouvaient de la pluie et du vent avec leur parapluie.

La pluie fouettait les cheveux rouge sombre de Taiga tandis que le vent lui envoyait de l'air frais en plein visage, lui provoquant de petits frissons qu'il accepta avec délice. Si tomber malade pouvait apporter un peu de piment dans sa vie …

Un léger grattement attira son attention. Il tourna la tête vers la droite et aperçut une silhouette qui se découpait sur le mur d'une ruelle semblant mal entretenue. L'eau qui lui tombait devant les yeux lui brouillait quelque peu la vue, si bien qu'il ne voyait pas avec précision.

Kagami s'apprêtait à continuer son chemin lorsqu'il vit la forme floue tomber à genoux. Il lui sembla entendre un gémissement provenant de cette silhouette. Il s'arrêta au beau milieu de la rue, en proie à un dilemme intérieur.

Devait-il aller voir si tout allait bien ou faire comme si de rien n'était et continuer son chemin ?

Peut-être était-ce un de ces types qui faisait partie d'un gang -un délinquant donc-. Mais en même temps, il pourrait faire partie d'un de ces gars malchanceux qui avait besoin d'aide. Le rouquin se rendit compte qu'il se mordait la lèvre lorsque le goût métallique du sang envahit sa bouche.

Il hésita encore quelques secondes avant de prendre sa décision. Il n'aurait certainement pas d'autres occasions de rendre sa vie un peu plus excitante, alors pourquoi pas ? Il avança d'un pas timide en direction de la silhouette qui avait disparu avant de raffermir sa démarche et d'apparaître, ainsi, plus déterminé.

Il s'arrêta finalement près du mur. La pluie lui cinglait le visage, si bien qu'il eut du mal à identifier les traces présentes sur le mur au niveau de son ventre. Il écarquilla les yeux lorsqu'il réalisa que c'était du sang. Il suivit les taches. Il put apercevoir une longue traînée du liquide poisseux ainsi que le début d'une empreinte de main.

Il longea le mur, une légère angoisse lui tordant le ventre à l'idée de ce qu'il allait découvrir. Néanmoins, une certaine excitation qu'il n'avait jamais ressentie prenait place dans son ventre, laissant le temps à l'adrénaline d'envahir lentement ses veines. Il aperçut enfin ce qu'il cherchait.

Au vu de sa carrure, il s'agissait d'un homme. Il gisait pitoyablement dans une flaque d'eau devenue écarlate. Le roux comprit rapidement que le sang provenait de lui. Ses cheveux étaient tellement sales qu'il n'arrivait pas à reconnaître leur couleur initiale. Il lui sembla qu'ils étaient courts et foncés.

Il ne s'attarda pas sur ce détail et s'approcha, craintif. Une plainte s'échappa de la bouche du jeune homme tandis qu'il essayait de se relever. Kagami prit son courage à deux mains et demanda :

« Hey mec, ça va ? »

Il se sentit stupide après cette question. Pour toute réponse, le garçon grogna. Taiga ne put dire s'il s'agissait d'un grognement agacé ou surpris. Il s'avança encore un peu, prêt à l'aider si l'inconnu s'effondrait. Ce dernier donnait l'impression de l'avoir entendu malgré la pluie qui se faisait de plus en plus forte puisqu'il se tourna quelque peu pour le toiser.

Kagami s'immobilisa, les yeux rivés à l'œil visible de l'homme en face de lui, l'autre étant caché par son profil. Étonnamment, il n'eut aucun mal à le discerner, comme si la pluie formait un rideau protecteur autour d'eux, leur créant une bulle d'intimité. Son œil droit d'un bleu saphir profond le scrutait avec dureté, le clouant sur place. Cette pierre sombre le laissait pantois, il ne savait que penser. Il était sûr que ses propres yeux ne reflétaient que l'incompréhension et un certain malaise.

Mais il discerna autre chose dans sa pupille. Il crut voir de la peur refoulée ainsi qu'un profond sentiment de douleur et de dégoût. Cependant, il ignorait les raisons de ces émotions. Tout ce qui traversa son esprit à ce moment-là était qu'il ne pouvait pas laisser ce garçon ici, à se tordre de douleur sous ses blessures.

« Dégage. »

La voix du jeune homme le ramena à la réalité. Dure, froide, implacable, il parlait comme s'il n'était pas au sol. Comme s'il était en position de force. Taiga en fut sidéré. Comment un garçon, aussi blessé soit-il et certainement d'un âge qui se rapprochait beaucoup du sien, pouvait parler avec une telle froideur, sans faille ? Le roux lui répondit, la voix légèrement tremblante dû à l'intimidation que lui procurait son interlocuteur en face :

« J'peux pas te laisser là. »

Le regard du jeune homme par terre ne flancha pas, il parut même agacé. Il lui répondit, impassible :

« J'ai pas besoin de toi.

- Mais si je te laisse-là, qui sait ce qui pourrait t'arriver... »

Kagami s'étranglait presque en s'imaginant laisser ce pauvre garçon seul, blessé. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il était sans défense. Même à terre, il était sûr qu'il pouvait gagner un combat à mains nus. Cet homme dégageait une telle force que c'était impossible pour lui de ne pas trembler. Il ne savait pas ce qui lui arrivait, depuis quand quelqu'un l'intimidait à ce point ? Lui qui se foutait de tout et qui ne rêvait que d'une chose, vivre une aventure, il ne savait pas quoi penser de cette situation.

« Rentre chez toi. »

Il ponctua sa phrase d'un grognement alors qu'il tentait une nouvelle fois de se lever. Prenant appui sur ses bras tremblants, il hissa le haut de son corps. Seulement, c'était un trop gros effort alors il s'effondra une nouvelle fois, heurtant le sol avec brutalité.

Kagami se précipita vers lui, la peur au ventre. Il ne pouvait pas se résigner à le laisser là, c'était au-dessus de ses forces et contre ses principes. Il s'agenouilla près de lui, tout de même un peu craintif à l'idée de ce que pourrait faire le jeune homme à la peau qu'il devinait foncé -les saletés sur son corps lui permettaient d'en douter-. Après tout, il pouvait très bien lui sauter dessus et l'agresser, même dans son état.

« Va-t'en. »

Malgré l'insistance du garçon, la détermination de Kagami à le sauver était sans faille. Il ouvrit la bouche et lui dit d'une voix qu'il espérait assez ferme :

« Je vais t'emmener à l'hôpital.

- Non ! »

Le cri du garçon surprit Taiga qui stoppa tout mouvement. L'individu lui avait agrippé le bras et le serrait tellement fort qu'il commençait à avoir mal. Il releva la tête vers lui et le rouquin lut une telle panique dans son regard que cela le déstabilisa. Ne sachant pas quoi faire, il attendit qu'il parle, ce qu'il fit quelques secondes après avoir repris son souffle :

« Ne fais pas ça, pas l'hôpital. Tout sauf l'hôpital. S'il te plaît. »

Choqué de l'entendre le supplier, Kagami ne réagit pas tout de suite. Qu'est-ce qui poussait ce garçon à fuir les hôpitaux ? Qu'est-ce qu'il craignait ? Il n'eut pas le temps de parler que le jeune homme partait en avant. Il le réceptionna dans ses bras juste avant qu'il ne s'écrase une nouvelle fois contre le sol. Il murmura, assez fort pour que le roux entende malgré les clapotis réguliers de l'eau qui se fracasse contre le sol :

« Je t'en supplie, pas l'hôpital... »

Puis il sombra dans l'inconscience.

« Taiga, mais qu'est-ce que tu fous ? marmonna le rouquin, furieux contre lui-même. »

Il tournait en rond comme un tigre en cage, en proie à une nuée de sentiments et d'émotions que jamais auparavant il n'avait éprouvé. L'errance qu'il menait le noyait dans les profondeurs de ses pensées. L'agitation et l'affolement régnaient en maîtres. Mais il sentait que l'exaltation prenait peu à peu sa place, l'ébranlant plus que de nécessaire.

C'était la première fois que quelque chose d'aussi fort lui arrivait. Grâce à ce garçon qu'il avait découvert agonisant et blessé, il avait pu ressentir tout un palmarès d'émotions qu'il avait depuis longtemps oublié. Néanmoins, il trouvait ça absurde que ce même garçon avait fini par atterrir chez lui, assoupi dans son canapé.

Il avait d'abord longuement hésité lorsqu'il l'avait supplié de ne pas l'emmener à l'hôpital. Mais il avait senti une telle détresse dans la voix du garçon qu'il n'avait pas pu résister. Son cœur avait alors pris le dessus et il s'était retrouvé à porter le jeune homme sur son dos, la pluie l'aveuglant presque. Il était sûr qu'il avait attrapé une maladie. Tant pis, ce sera le prix à payer pour avoir été aussi fougueux.

Et lorsqu'il l'avait installé sur son canapé, inconscient, il s'était senti tout de suite très idiot. Qu'allait-il faire maintenant ? Il avait alors jeté un coup d'œil sur ses blessures. Il en avait quelques-unes superficielles qu'il pouvait voir à travers ses manches et son pantalon déchiré. Mais celle qui suintait le sang était située au niveau de son abdomen, sur l'aine droite.

Lorsqu'il prit la décision de le soigner, il n'avait pas pensé à la gêne que lui octroierait ce geste. Dès lors où il avait entrepris de baisser son pantalon, puis légèrement son caleçon après avoir amené le matériel de soin, il s'était tout de suite sentie embarrassé tandis que ses joues se coloraient de rose, le brûlant quelque peu -sensation qui, sois-dite en passant, était inédite pour lui-.

Puis il avait soufflé un bon coup, pensant qu'il était vraiment idiot de s'embarrasser pour si peu alors qu'il n'avait jamais réagi comme ça et que surtout, ils avaient à peu près la même morphologie, puis il commença à faire le nécessaire, appliquant ses doigts froids sur la peau hâlée du jeune homme toujours inconscient.

Il s'émerveilla de la chair de poule que la froideur de sa peau provoquait sur celle, brûlante, de son compagnon de fortune.

« Qu'est-ce que j'ai l'air con, tomber en admiration pour si peu … Ce type me rend fou et je ne sais même pas pourquoi, c'est de plus en plus glauque, marmonna-t-il. »

Pourtant, il continua sa « besogne », s'appliquant. Alors qu'il remontait le haut que portait son colocataire improvisé, il découvrit plusieurs bleus, de la taille de son poing, recouvrant une grande étendue de la peau de son ventre. Il n'osa pas remonter plus haut, ne voulant pas aller plus loin dans son intimité, d'autant plus qu'ils ne se connaissaient pas.

Néanmoins, sa curiosité était piquée à vif ; qu'avait bien pu faire ce type pour se faire battre comme ça ? Avait-il fait rentrer un délinquant chez lui ? À cette possibilité, il frissonna de peur, mais aussi d'excitation. Le danger, chose nouvelle pour lui, exerçait une attraction sur lui. Mais il savait qu'à trop s'en approcher, il finirait par succomber.

Il avait alors fini de le panser, pour se retrouver là, dans la même pièce que cet homme dont il ne connaissait même pas le nom, à attendre impatiemment qu'il se réveille. Il semblait tellement mal en point que Kagami se dit qu'il n'émergerait que le lendemain, étant donné que la soirée était déjà bien avancée. Cependant, il aurait aimé connaître son nom, afin de savoir qui exactement il avait fait rentrer chez lui.

Soupirant, résigné, il alla prendre une chaise qui se trouvait dans sa cuisine et l'installa près du canapé où reposait l'inconnu. Hors de question de le laisser seul dans son appartement. Il était peut-être excité et un peu étourdi à l'idée qu'un danger venait d'apparaître dans sa vie, mais pas fou au point de laisser ce même danger se balader librement dans sa demeure.

Somnolent, il attendit plusieurs heures dans la même position : la chaise retournée et lui, positionné à cheval dessus. Puis il finit par s'endormir, se demandant si le danger qu'il avait permis d'entrer serait bénéfique ou au contraire, catastrophique.

Kagami était à moitié endormi, toujours dans la même position. Il sentait le bois rugueux de la chaise contre ses avant-bras ainsi que l'aspect inconfortable de son positionnement, mais ne semblait pas décidé à sortir de ses songes, voulant encore profiter de ces instants de sommeil supplémentaires.

Il manqua tomber de sa chaise lorsque le bruit d'un objet se fracassant contre le sol le réveilla définitivement. Il laissa ses yeux vagabonder partout, perdu, avant de remarquer l'objet en question -qui s'avérait être une bouteille d'eau- par terre et de voir un garçon debout.

Se demandant ce que fichait un inconnu chez lui, Taiga fronça les sourcils avant d'ouvrir la bouche, prêt à le questionner mais s'interrompit, les yeux écarquillés. La soirée d'hier lui revint en mémoire et il se leva d'un bond, les membres endoloris. Tout en se massant la nuque, il demanda :

« Où vas-tu ?

- Je rentre. »

Son impassibilité surpris une nouvelle fois le grand rouge qui le dévisagea. Il portait toujours ses habits en lambeaux et son visage crasseux était aussi sale que ses cheveux. Il n'arrivait pas à distinguer ses yeux, cachés en parti par les ombres que jouaient la lumière sur son visage. Il se rendit compte seulement maintenant que son faciès n'était pas du tout abîmé, pas même une égratignure. Une question lui vint à l'esprit.

Vivait-il dans la rue ?

Mais il ne la posa pas, jugeant cela trop indiscret. Alors que le jeune homme se détournait pour partir, la main sur la poignée de la porte, Kagami ne put résister et demanda, priant pour qu'il lui réponde :

« Qui es-tu ? »

Il avait peur que le garçon ne lui jette un regard assassin avant de s'enfuir. Mais il n'en fit rien. Il lui montra simplement son profil, se contentant de lui jeter un regard à peine intéressé, avant de souffler :

« Daiki. »

Puis il détourna la tête avant que Kagami ne réagisse. Son prénom résonnait dans la tête de ce dernier. Un simple mot, son prénom, savoir son prénom, le rendait euphorique. C'était comme une victoire. Il était vraiment heureux de savoir l'identité de celui qu'il avait accueilli chez lui, à défaut de l'avoir emmené à l'hôpital.

Juste avant de franchir la porte, Daiki murmura, si bas que Taiga crut que son ouïe était défaillante :

« Merci... Taiga. »

Et il disparut, refermant la porte derrière lui. Kagami resta pantois quelques secondes, clignant des yeux fébrilement. Comment connaissait-il son prénom ? Il ne se rappelait pas lui avoir communiqué cette information !

Troublé, Kagami fit quelques pas en direction de sa salle de bain. C'est lorsqu'il se cogna contre le comptoir de sa cuisine qu'il se rendit compte qu'elle se trouvait de l'autre côté. Une fois arrivé devant son miroir, il constata qu'il avait les yeux bouffis de fatigue et de longues cernes. Il avait gardé les mêmes habits qu'hier, si bien qu'ils étaient tâchés de sang.

Il s'était tout de même lavé les mains avant de toucher la blessure de Daiki, ne voulant pas l'infecter. Pour rien au monde il n'aurait voulu aggraver son cas, déjà qu'il s'était demandé comment réagir, n'ayant jamais eu affaire à une situation similaire auparavant.

Il prit une douche rapide, remarquant que l'heure s'écoulait rapidement. Il ne mangea qu'un bout de pain, accompagné d'un jus d'orange avant de sortir de son appartement, fermant à clé au passage. Puis il prit le chemin de son lycée, soupirant.

L'ennui le gagnait déjà, alors même que la journée n'était pas encore commencée.

Deux semaines s'étaient écoulées sans que Kagami n'ait revu Daiki. Il essayait de se persuader qu'il s'en fichait, que de toute façon personne ne faisait attention à lui et que jamais il n'aurait une vie plus mouvementée. Rester à jamais coincé dans sa vie monocorde semblait être l'unique solution.

Seul le fait qu'il était émancipé le différenciait des autres adolescents de son âge, lui permettant d'être plus autonome et plus mature qu'eux. Il ne savait pas si c'était une bonne chose, après tout, s'il n'était pas émancipé, cela signifierait que peut-être, ses parents seraient toujours de ce monde.

Néanmoins, cela l'aidait beaucoup. Il recevait une aide tous les mois et comme il n'était pas très dépensier, cela suffisait largement pour ses besoins, il n'avait donc pas besoin de travailler pour l'instant. Il avait, certes, plus de responsabilités mais il n'y voyait là qu'un moyen de s'occuper, afin de ne pas se perdre dans son océan d'oubli.

Il croqua dans une pomme, tandis que de sa main droite, il tenait un livre, qu'il lisait lentement, savourant l'histoire qui se déroulait, retranscrite par de simples mots. Afin de combler un tant soit peu son manque d'aventures, il s'était réfugié dans les livres d'action, ceux qui lui contaient une histoire afin qu'il puisse en rêver, ceux qui lui permettaient de s'évader, d'oublier le temps d'un instant la vie banale et sans but qu'il menait.

Qu'est-ce qu'il aimerait être à la place de tous ces héros auxquels il arrive toujours quelque chose d'incroyable. Il jalousait secrètement tous ces êtres inventés, se demandant pourquoi lui non plus ne pouvait pas être un personnage fictif ayant une vie extraordinaire, sans aucune notion du mot « ennui », au lieu de ce jeune homme ennuyant, banal et sans intérêt.

Il aurait tellement aimé être une autre personne. Que Kagami Taiga n'existe plus. Peut-être même serait-il mieux mort, coulant des jours heureux avec ses parents, qui sait ?

Levant les yeux de son livre en sentant un regard insistant sur lui, chose à mettre dans la liste des choses nouvelles pour lui, il croisa un regard qu'il n'avait pas pu oublier. Son cœur manqua un battement à mesure qu'il reconnaissait la personne assise en face de lui, à seulement quelques mètres.

Daiki se tenait sous un cerisier qui avait revêtu sa tenue d'hiver. Kagami ne bougea pas, préférant l'admirer de loin. Il avait cette fois-ci des habits propres, lui donnant un aspect banal. La seule chose qui ne lui permettait pas d'entrer dans cette catégorie était bien ses cheveux.

D'une couleur bleu marine comme le serait une mer déchaînée, ses cheveux détonaient sur le paysage sombre et monotone qui l'entourait. Ses traits semblaient constamment tirés, lui donnant un air plus âgé et mature.

Sa peau halée, que Taiga n'avait pas pu vraiment remarquer la dernière fois à cause du sang et de la poussière qui le recouvrait, contrastait elle aussi avec les couleurs clairs qui l'entouraient ainsi que ses cheveux. Ces derniers encadraient son visage, dévoilant une mâchoire affinée sur les côtés, tout de même masculine, un nez proportionnel au reste et des yeux en amandes bleu roi. S'il se concentrait pour affiner sa vision, il pouvait même apercevoir des reflets lagons.

Refermant son bouquin en prenant soin de marquer la page, le roux le glissa dans son sac et se leva. D'une démarche nonchalante, il rejoignit Daiki qui n'avait pas bougé d'un pouce. Alors que son apparence extérieure semblait montrer une indifférence extrême, en son propre intérieur, c'était tout autre chose.

Ce garçon l'intimidait, il ne pouvait le nier. Si bien que l'angoisse qui se tapissait au fond de son ventre, menaçant d'émerger à tout moment, lui faisait peur. Depuis sa rencontre avec ce jeune homme, Kagami était assailli d'émotions différentes qu'il n'avait jamais ressenties auparavant.

Jamais il ne s'était inquiété pour quelqu'un, surtout pour un inconnu. Jamais quelqu'un ne l'avait intimidé, lui qui se fichait royalement de tout et de tout le monde, c'était une première. Et surtout, jamais quelqu'un ne l'avait intrigué à ce point.

Daiki avait développé chez lui une faculté qu'il croyait perdue : la curiosité. Il l'attirait, semblant le narguer avec son expression faciale tantôt neutre, tantôt froide. Il voulait savoir la raison pour laquelle il l'avait retrouvé dans cet état. Pourquoi, alors qu'ils ne se connaissaient pas, il l'avait ramené chez lui sans aucunes craintes, comme si c'était naturel. Il voulait voir d'autres émotions que l'impassibilité ou la froideur chez Daiki. Et ce qui lui faisait tellement peur, à un tel point qu'il sentait sa gorge se serrer, c'était le sentiment de vouloir faire surgir autre chose que ces deux sentiments dominant chez Daiki.

Il voulait qu'il ressente des émotions inédites avec lui, et qu'il les fasse partager seulement avec lui.

Et cela l'effrayait, littéralement. Ils ne s'étaient vus qu'une seule fois et déjà, le rouquin en était à un tel stade d'obsession qu'il ne savait plus quoi faire, ni comment réagir. Devait-il laisser les choses se faire d'elle-même ou les provoquer ? Ou bien tout simplement faire demi-tour et l'ignorer ?

Mais il ne pouvait pas réfléchir plus, étant déjà arrivé à destination. Les mains dans les poches, il ne parla pas, laissant le silence perdurer. Plongé dans les yeux de Daiki, il pouvait enfin les admirer de près. Ils étaient bien d'un bleu saphir profond avec une touche de bleu plus clair lorsqu'un faible rayon de soleil venait caresser sa pupille. Il était de face, laissant le champ libre à ses yeux de pouvoir découvrir son œil gauche. Il remarqua qu'une fine cicatrice barrait son œil verticalement. Mais c'était bien parce qu'il était observateur, seuls de fins traits dépassaient de chaque côté de son œil, masqué par sa peau brune.

La cicatrice se concentrait surtout à l'intérieur de son œil, si bien qu'il remarqua une légère différence de couleur entre les deux yeux. Le gauche avait une teinte plus claire que le droit, les rendant de ce fait légèrement vairons. Néanmoins, c'était très léger, l'un avait seulement plus de bleu ciel que l'autre, c'est tout. Kagami comprit avec stupeur qu'il ne devait voir que d'un seul œil, étant donné que l'autre n'était plus fonctionnel.

Son œil gauche était aveugle.

Dans un premier temps, il se demanda comment cela était arrivé. Au vu de la cicatrice, ce n'était pas anodin. Il fût même tenté de lui demander, mais s'abstint. En guise de bonjour, il était sûr d'avoir déjà fait mieux. Puis il se demanda depuis quand est-ce qu'il était devenu aussi entreprenant. La réponse lui vint d'elle-même.

Ce n'était pas depuis quand, mais avec qui, qu'il devrait se poser la question. Et ce n'était qu'avec lui qu'il avait ce comportement, ces pensées inhabituelles à l'égard d'autrui.

Il ne voulait s'intéresser qu'à Daiki.

Réalisant que cela faisait depuis trop longtemps qu'ils se dévisageaient dans le blanc des yeux sans amorcés le moindre mouvement, Taiga décida de s'asseoir à côté de lui, non sans garder une distance respectable. La raideur de ses épaules prouvait que Daiki n'avait pas tellement envie qu'il s'approche, de même que le regard froid qu'il n'avait de cesse de couler dans sa direction. Kagami amorça tout de même la conversation :

« Salut, hésita-t-il. »

Aucune réponse ne lui parvint. Il s'en doutait un peu, ayant deviné que le jeune homme n'était pas quelqu'un de vraiment sociable. Mais il ne se décourageait pas pour autant, sa curiosité était bien trop forte pour abandonner. C'était la première fois qu'il s'intéressait à quelqu'un, autant en profiter.

« C'est drôle, je ne t'ai jamais vu dans ce lycée. Pourtant, tu es facilement remarquable, essaya-t-il de plaisanter. »

Cela n'eut aucun effet. Daiki demeurait impassible, ses yeux parcourant l'ensemble de la cour. Kagami se racla la gorge. Il voulait tant lui demander comment est-ce qu'il connaissait son prénom, mais il n'osait pas, de peur que le garçon n'ouvre la bouche pour lui dire de foutre le camp. Alors à la place il demanda :

« Tu as l'air d'aller mieux, depuis la dernière fois. Enfin, d'après ce que j'en vois... »

Il ne continua pas, se traitant mentalement d'idiot. Voilà qu'il perdait ses moyens, alors même qu'il ne lui avait pas adressé la parole. Alors il se tût, se disant que ça ne servait à rien de tenter une conversation tant qu'elle était à sens unique.

Il reprit son livre, voulant continuer sa lecture là où il s'était arrêté. Mais il ne s'éloigna pas, restant à côté de Daiki qui semblait se perdre dans ce silence. Ils passèrent leur temps libre comme ça, assis l'un à côté de l'autre, sans se parler, profitant inconsciemment de la présence de chacun.

Plusieurs semaines passèrent. Ils se retrouvèrent tous les jours, au même endroit, à la même heure, excepté le week-end où Kagami retrouvait son ennui glaçant. Daiki était toujours présent avant le grand rouge. Ce dernier avait l'impression qu'il l'attendait.

Il fallait dire qu'au fil des moments qu'ils passaient ensemble, Kagami voyait un changement chez Daiki. Il ne contractait plus ses muscles dans une position de défense lorsqu'il approchait, au contraire, il semblait détendu. Ses yeux affichaient une expression moins froide, plus tranquille. Taiga n'irait pas jusqu'à dire qu'ils possédaient une apparence plus douce mais il y décelait un calme apparent.

Bien qu'ils ne s'échangeaient aucunes paroles, Kagami commençait à se sentir de plus en plus à l'aise avec Daiki, moins intimidé. Il était heureux, car ce garçon, de par sa simple présence, arrivait à le sortir de sa vie morne mais aussi parce que c'était la première fois qu'il se sentait aussi proche de quelqu'un.

Ils n'avaient pas besoin de paroles, le silence parlait pour eux. Ils avaient appris à se comprendre d'un regard, au fur et à mesure qu'ils s'observaient. Kagami avait mémorisé de nombreux tics du corps de Daiki. Lorsqu'il semblait nerveux, il ne pouvait pas s'empêcher de passer une main dans ses cheveux courts ou alors au contraire, lorsqu'il dégageait une aura sombre, il baissait volontairement la tête vers la gauche, comme s'il voulait masquer son œil infirme.

De même qu'il avait remarqué que lorsqu'il changeait de position, un léger rictus de douleur s'emparait de son visage avant de s'évanouir aussi vite qu'il était apparu. Cela ne faisait qu'attiser un peu plus la curiosité de Kagami. Avait-il encore des blessures ? Mais qui les lui faisait ? Peut-être se battait-il, peut-être était-ce un délinquant ? Taiga n'en savait rien, et ça le frustrait quelque peu.

Ce jour-là, à sa plus grande surprise, lorsqu'il arriva il n'y avait personne. Cela changeait l'habitude qu'il avait pris de voir Daiki et le déboussola quelque peu. Kagami s'assit tout de même, se persuadant qu'il était seulement en retard. Alors qu'il lisait son livre tout en levant les yeux toutes les cinq minutes afin de le voir arriver, il sentait les minutes s'écouler sans que Daiki ne se montre. Une étrange sensation montait en lui, Taiga essaya de la décrypter. Il mit longtemps, mais parvint à la déchiffrer.

Il était déçu.

Il se rendit compte avec stupeur qu'il s'était attaché à lui, maintenant habitué à sa présence. Ne pas le voir à ses côtés lui provoquait un horrible manque. Comme s'il lui manquait une partie de lui-même. Cette situation lui rappela ses parents. Sans qu'il ne puisse le contrôler, une douleur vive surgie au niveau de son cœur, nouant sa gorge au passage.

Il referma le livre, n'étant plus capable de voir correctement et appuya sa tête contre le tronc du cerisier, fermant les yeux, le visage offert au ciel recouvert d'un voile de nuages cotonneux. Une profonde tristesse le prit, comme pour lui rappeler qu'il était seul.

Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi abattu et désemparé. Il ricana légèrement lorsqu'il se dit que toute cette déferlante d'émotions négatives n'était provoquée que part un type dont il ne connaissait que le nom, et le langage du corps.

Était-ce une bonne chose de s'être attaché à lui ?

Car il ne savait pas si Daiki le prenait vraiment en considération au même titre que lui faisait attention à lui. Certes, il lui faisait ressentir des choses nouvelles ou oubliées mais ce qu'il espérait le plus, c'était de ne pas être détruit. Il ne pourrait pas le supporter une deuxième fois.

Taiga ne savait même pas dans quel cours il se trouvait. Cela faisait trois jours qu'une boule au ventre ne le quittait plus, l'empêchant de se concentrer. Ses pensées étaient toutes dirigées vers Daiki, qu'il n'avait pas revu durant ces trois jours. Le week-end débutera ce soir et il ne savait pas s'il allait supporter deux jours de plus sans le voir.

Cette envie d'être avec lui constamment depuis qu'il avait pris conscience qu'il tenait à lui le déroutait fortement. Était-ce parce qu'il n'avait jamais eu personne dans sa vie qu'il s'attachait en si peu de temps ? Le regard tourné vers la fenêtre, sa jambe droite bougeant frénétiquement, il ne tenait pas en place. Il voulait courir et retourner dans la ruelle où il l'avait rencontré afin de le chercher désespérément.

Soudain, le temps sembla s'arrêter, les discussions autour de lui s'évanouir, ne laissant qu'un grand silence. L'objet de ses pensées traversait la pelouse, les mains dans les poches, la tête baissée. Kagami aurait pu reconnaître sa démarche nonchalante, ses épaules carrées, sa prestance, son charisme et ses cheveux d'un bleu roi sublime entre mille copies.

Le rouge dû se faire violence pour ne pas quitter la salle immédiatement et se ruer vers lui. Il ne savait pas comment il allait réagir une fois en face de lui. Allait-il le prendre dans ses bras ? L'ignorer pour le manque qu'il lui a fait subir ? Continuer ses habitudes comme si de rien n'était ? Après tout, ce n'était pas comme s'ils étaient amis...

Un mal de crâne menaçait de le prendre d'assaut tandis que Daiki disparaissait de sa vue. Il avait l'impression d'entendre son cœur hurler dans ses oreilles tandis qu'il essayait de forcer la barrière de sa cage thoracique pour se précipiter vers lui.

Le reste de l'heure se passa comme une séance de torture. Kagami ne tenait pas en place, il changeait toutes les cinq minutes de posture. Plusieurs personnes le regardaient du coin de l'œil, surpris de le voir s'agiter ainsi. Lui qui était d'ordinaire calme avec constamment un regard fatigué d'ennui, le voir bouger dans tous les sens faisait naître des questions dans la tête de plus d'une personne.

Quand enfin la sonnerie se manifesta, Kagami se leva d'un bond et manqua de faire tomber sa chaise. Il détala sans prendre la peine de dire au revoir, se précipitant vers leur cerisier, priant pour qu'il soit là. Le chemin lui parut beaucoup trop long tandis qu'il longeait les corridors et descendait les escaliers.

Un soulagement sans nom se déversa en lui alors qu'il l'apercevait, non pas assis, mais appuyé contre l'arbre, les mains dans les poches. Alors qu'il s'arrêta à quelques mètres de lui, ses jambes se mirent à trembler et il dû s'appuyer contre une table pour ne pas tomber.

Il contempla sa main qu'il mit à hauteur de son visage. Elle tremblait violemment, comme un junkie en manque. Et lui était en manque. En manque d'une drogue bien différente de celles habituelles. Une drogue que nul autre ne pourra avoir.

Il était en manque de Daiki.

Respirant difficilement, il sentait l'hyperventilation arriver. La sensation d'être oppressé le prit, comme s'il se trouvait dans une boite minuscule. Une douleur lui compressa la poitrine, et il sentait les palpitations de son cœur s'accélérer. Sa bouche devint sèche et des vertiges se manifestèrent. Il recula, la main sur la poitrine, jusqu'à ce que son dos ne rentre en contact avec le mur froid de son lycée.

Une panique sans nom se propagea en lui, tel un poison qui venait achever sa proie. Il essaya de reprendre sa respiration, en vain. Il ne pouvait pas lutter contre l'affolement qui le prenait, l'empêchant de reprendre son souffle.

Alors qu'il se croyait mourir, sa respiration lui échappant de plus en plus, une main chaude se posa sur son épaule, le faisant sursauter. Une bouffée d'effroi le prit, accentuant sa panique. Qui était-ce ? Qu'est-ce que cette personne allait lui faire ? Il n'arrivait plus à réfléchir correctement si bien que lorsqu'il vit le visage de Daiki devant le sien, il crû d'abord à un mirage.

« Taiga, calmes-toi, lui ordonna Daiki sans le brusquer. »

Sa voix, ses mains sur ses épaules, son visage si proche du sien, son odeur lui chatouillant ses narines, ses yeux d'un bleu saphir profond soulignant son inquiétude, chose que Kagami n'avait jamais vu dans son regard. Il continua à lui parler doucement, l'apaisant peu à peu. Taiga découvrait une autre facette de Daiki.

Enfin calmé, Kagami put reprendre sa respiration, s'octroyant une grande goulée d'air frais. Le métis soupira de soulagement, continuant de caresser inconsciemment l'épaule du roux. Lorsqu'il s'en rendit compte, il la retira doucement, ne faisant pas cas de cet acte. Puis il s'installa à côté de Kagami, qui ne réagit pas.

Ce dernier était consterné. Il s'était mis dans cet état, simplement parce qu'il avait revu Daiki après trois jours d'absences consécutives ? Il n'arrivait pas à y croire. Comment pouvait-on arriver à une telle extrémité, juste parce que quelqu'un manquait à l'appel ? Il était vraiment pathétique. Jamais le bleuté ne se serait mis dans cet état pour lui.

Mais il devait avouer qu'il était plutôt surpris. Daiki lui avait porté de l'attention et au lieu de le laisser se calmer tout seul, ce que la plupart des gens auraient fait, il était venu l'aider. Avec seulement un toucher et des paroles apaisantes, il avait réussi en cinq minutes ce que les autres auraient effectué en dix minutes.

Le pouvoir qu'exerçait Daiki sur lui l'impressionnait autant qu'il l'effrayait. Il avait peur à l'idée de ne pas pouvoir lutter contre lui. S'il était capable de se mettre dans un état pareil juste parce qu'il ne l'avait pas vu pendant trois jours, jusqu'où pourrait-il aller ?

Soudain, un détail le frappa. Il se souvint de son visage relevé vers lui, mais surtout de son œil gauche. Une forme brunâtre, assombrissant ses traits, très peu visible à cause de son teint foncé. Il coula un regard vers lui, la tête toujours un peu baissée. Daiki regardait devant lui, sans s'occuper du reste. Kagami ouvrit la bouche, l'appelant timidement. Il tourna la tête vers lui, comme il l'espérait, et il sentit sa gorge se nouer.

Son imagination ne lui jouait pas des tours, il avait bien remarqué cet hématome qui lui recouvrait la partie gauche de son visage. Des veines étaient visibles tandis qu'un coquard d'un violet foncé, tirant sur le noir prenait quasiment toute la surface. Taiga retint son souffle mais il se souvint qu'il avait fait de l'hyperventilation il y a peine quelques minutes, alors il le relâcha. Il démarra la conversation, incertain quant à l'obtention d'une réponse :

« Comment tu t'es fait ça ? »

Il ignorait quelle serait sa réaction et la redoutait. Après tout, ils ne s'étaient pas parlé pendant des semaines, n'apprenant à se connaître seulement par le langage corporel, et il avait fallu qu'il manque d'air et fasse une crise pour qu'enfin, il lui adresse la parole.

« Un combat, souffla Daiki, détournant le regard. »

Kagami failli s'étouffer sous la surprise. Il avait daigné lui répondre ? D'ailleurs, il n'était pas tellement étonné par sa réponse. En fait, ce qu'il avait voulu demandé par l'intermédiaire de cette question, c'était de savoir qui lui avait fait ça. Et il savait que Daiki avait su lire entre les lignes, ne souhaitant pas répondre à cette question muette.

« J'ai l'impression que tu te bats souvent. »

Le grand rouge se mordit la langue et attendit sa réaction. Il venait de lui révéler implicitement qu'il avait remarqué ses nombreuses grimaces lorsqu'il bougeait. Daiki se raidit, le regard devenu plus froid. Il ne répondit pas, laissant cette affirmation en suspens. Kagami commençait à bien le connaître, et savait maintenant que lorsque quelque chose le dérangeait, il préférait se murer dans le silence.

Alors il lui sourit, doucement, avec hésitation.

Il redécouvrait le plaisir de montrer sa compréhension et sa confiance en l'extériorisant. Il ne saurait l'expliquer, mais il avait confiance en Daiki. Ce sourire lui prouvait cette hardiesse, et il voulait qu'il se sente en sécurité, lui aussi. Qu'il ait confiance en lui.

Cela paru troubler Daiki qui bougea imperceptiblement, tantôt s'éloignant de Kagami, tantôt se rapprochant de lui. Il ne savait pas quoi faire. Personne ne lui souriait, sa froideur faisait fuir tout le monde. Il n'avait droit qu'à des regards de peur ou d'appréhension. Et il savait qu'il intimidait Kagami, au début. Il le voyait dans son regard. Et pourtant.

Pourtant il était revenu, s'était accommodé de sa présence, avait partagé le silence avec lui. Il semblait le comprendre alors même qu'il ne savait rien. Daiki avait envie d'avoir confiance en quelqu'un, mais il avait bien trop peur.

Il avait bien trop peur des représailles, si jamais son bourreau venait à découvrir l'existence de Taiga.

« Je détruirai ton bonheur, sois en sûr, mon garçon. » lui avait-il dit.

Et Taiga … Taiga lui procurait du bonheur. Il le réconfortait un tant soit peu, en restant là, avec lui. En ne le fuyant pas. Il ne le laissait pas seul. Et ça, il avait du mal à rester indifférent. Il avait vu dans le regard du rouquin qu'il se sentait seul lui aussi. En l'acceptant dans sa vie, il lui permettait sans doute de combler quelque peu le vide en lui, tout comme il le faisait avec lui.

Alors s'il lui souriait comme ça, sans arrières pensées, sans craintes, sans préjugés, il avait du mal à résister. Il avait envie de tout déballer sur-le-champ. Il en avait assez de tout garder pour lui, et Taiga semblait être celui qui l'écouterait, au même titre que Daiki était celui qui lui permettait de sortir de la monotonie de la vie. Même s'ils gagnaient tous les deux, au final, n'était-ce pas Taiga qui en souffrirait le plus ?

Si jamais il venait à l'apprendre... Non, il devait tout faire pour qu'il ne soit au courant de rien. Il ne pouvait pas... il ne pouvait prendre le risque que le jeune homme à la chevelure rouge soit blessé, autant physiquement que mentalement, et par sa faute.

« Ça va aller pour ton œil ? »

La voix de Kagami exprimait une nonchalance feinte. En vérité, il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet. Daiki eut un sourire amer, qui ressemblait fortement à un rictus méprisant. Puis il répondit, d'une voix éteinte :

« J'ai connu pire. De toute façon, il ne voit plus. »

Taiga sentait de la rancœur derrière ses paroles. Il n'ajouta rien, se contentant de regarder devant lui. Mais il ne pouvait s'empêcher de trouver cela étrange. S'était-il battu au point d'être gravement blessé et donc de ne plus pouvoir bouger pendant trois jours ? Ou y avait-il autre chose ? Plus le temps passait, et plus Kagami était sûr que Daiki cachait quelque chose.

Un pressentiment tiraillait son ventre, le prévenant que ça ne lui plairait sûrement pas.

Le week-end. Pour la plupart des gens, cela signifiait la fin de la semaine, pouvoir se détendre, les sorties entre amis. Pour d'autre cela signifiait une course contre la montre, une tonne de devoirs et d'obligations, travailler le dimanche sans aucun repos.

Kagami n'avait pas la même façon de penser que tous les autres. Pour lui, le week-end ne signifiait rien. C'était seulement deux jours dans la semaine, à la différence près qu'il restait enfermé dans son logis avec son chat à regarder la télévision ou lire des livres avec pour seule compagnie l'ennui. Parfois, il sortait mais jamais de grandes expéditions.

C'est pourquoi en ce terne samedi après-midi, Taiga décida de sortir. Afin de, peut-être, trouver une occupation qui l'intéresse, ce qui n'était pas une mince affaire. Peut-être irait-il s'acheter un nouveau livre, qui sait ?

Il laissa juste ses pas le guider dans des directions différentes. Il fit attention à ce qui l'entourait sans vraiment s'émerveiller. Quelques gouttes d'eau se déposèrent sur ses cheveux et son visage, avant qu'un véritable torrent ne se déverse.

Ce n'était pas pour autant que Kagami rentra chez lui, au contraire. Il était exaspéré de voir tous les passants se précipiter chez eux, essayant d'échapper le plus rapidement possible à la pluie. Ses pieds s'arrêtèrent d'eux même et il leva la tête, découvrant qu'il se trouvait devant la ruelle où il avait rencontré Daiki.

Ses lèvres s'étirèrent en un mince sourire en remarquant la similitude du moment présent avec celui du passé. Il ne manquait plus que Daiki et tout aurait concordé. Il crut voir ce dernier à quelques mètres de lui. Il secoua la tête, se disant que la pluie devait altérer sa vision. Pourtant, il sentait un regard lui brûler une partie du visage. Il finit par tourner la tête. Ses yeux s'écarquillèrent d'eux-mêmes.

Daiki était bien là, adossé à une porte, et l'observait. Kagami ne parvint pas à déchiffrer son regard, étant trop loin. Ils restèrent longtemps ainsi, à se dévisager, jusqu'à ce que le basané ne se décide à le rejoindre. Il jetait des coups d'œil furtifs autour de lui, comme s'il avait peur d'être observé.

Kagami remarqua que Daiki se tenait auparavant devant un immeuble. Long de sept étages, le bâtiment semblait vieux et tenait à peine debout. Les murs décrépis, il faisait bien pâle figure à côté de son propre immeuble. Taiga regardait Daiki approcher, pensif.

Habitait-il ici ?

Une fois qu'il fût assez proche, le roux pût identifier son expression. Tout son corps était crispé, les traits de son visage étaient tendus et son regard se faisait fuyant, presque effrayé. Taiga fronça les sourcils. Qu'est-ce qui pouvait bien mettre Daiki dans cet état ?

« Qu'est-ce que tu fais ici ? »

Le ton bourru de son interlocuteur surprit Kagami. Il ne s'attendait pas à être accueilli de la sorte, d'autant qu'il n'avait pas prévu de le voir. Visiblement, Daiki attendait une réponse. Le roux la lui fournit, hésitant, déstabilisé par le regard noir que lui lançait le bleuté :

« Je sais pas... je ne prévoyais pas …

- Il faut que tu t'en ailles. »

Son ton était sans appel. Kagami en fût de plus en plus troublé. Il n'avait même plus le droit d'aller où il voulait ? Mais alors qu'il aurait dû s'énerver, ce qui aurait été encore une fois un progrès dans la liste de ses émotions retrouvées, il se mit à fixer Daiki encore plus intensément, faisant abstraction du rideau d'eau qui tombait autour et devant eux. Ses cheveux mouillés collés sur son front, ses yeux sombres qui ne le lâchaient pas un instant, son tee-shirt qui lui collait à la peau, saillant ses muscles, son air sur le qui-vive, sa mâchoire serrée, les veines apparentes sur ses bras dont il avait relevé les manches.

Tout en lui l'appelait au désir.

Kagami ne connaissait pas cette forme d'émotion. Le trouver attirant et sexy était une première pour lui, si bien qu'il resta cloué au sol, hypnotisé. Il était dans l'incapacité de détourner son regard, Daiki accaparait toute son attention.

Un frisson se propagea dans tout son corps, comme une onde de choc alors que Daiki lui avait saisi le bras. Ce dernier ne bougeait plus, les yeux rivés aux siens. Tout deux étaient dans l'incapacité de penser. Leur peau était brûlante, ils ne sentaient plus les gouttes de pluie.

Il n'y avait qu'eux et leurs deux peaux en contact.

Kagami avait perdu la notion du temps, préférant se plonger dans les abysses profonds qu'étaient les yeux de Daiki. Il avait l'impression de tomber en chute libre, sans qu'il n'y ait de fin. Malgré le trouble évident qu'ils exerçaient l'un sur l'autre, Daiki paru se ressaisir et dit d'une voix légèrement tremblante :

« Tu... tu devrais pas être ici.

- Pourquoi ? répondit machinalement Taiga, fasciné. »

Son interlocuteur allait répondre, mais une voix sourde interrompit leur échange. Le charme était rompu, Daiki lâcha immédiatement le bras de Kagami, comme électrocuté. Il s'était de nouveau raidi en entendant cette voix chargée de colère l'appeler.

Taiga, perdu et frustré, regarda derrière l'épaule de Daiki pour voir qui avait osé interrompre ce moment. Il ne distinguait qu'une vague silhouette semblant appartenir à un homme. Il s'approchait, le pas courroucé. Daiki attira une nouvelle fois l'attention de Kagami en lui soufflant :

« Va-t'en ! »

Le roux n'eut pas le loisir de répondre, le nouvel arrivant était maintenant à leur hauteur, les toisant. Des cheveux noirs hirsutes, un regard encore plus froid et dur que Daiki, un teint de peau légèrement moins foncé que l'adolescent, une carrure imposante. Dès le premier regard posé sur cet homme, Taiga sût qu'il ne l'aimait pas. Quelque chose de malsain se dégageait de cet inconnu, et ça ne lui plaisait pas. Malgré cela, Kagami décela une légère ressemblance avec Daiki, qui se confirma lorsqu'il prit la parole :

« Alors fils, qui est-ce ? »

Sa voix faussement mielleuse provoqua des frissons d'un autre genre à Kagami. La peur s'insinuait lentement en lui. Sans qu'il ne sache pourquoi, cet homme l'effrayait. Et apparemment, il s'agissait du père de Daiki. Comment, en un seul regard et en une seule parole, cet homme arrivait à lui provoquer des sueurs froides ?

« Personne, juste un type qui s'était pommé, grogna Daiki. »

Blessé par les propos du jeune homme, Kagami se tourna vers lui, près à l'incendier du regard. Mais il s'arrêta dans son élan. Les yeux de Daiki exprimaient une détresse telle qu'elle le laissa sans voix. Il lui intimait silencieusement de partir au plus vite, comme pour le mettre en garde.

Hébété, Taiga fit un pas en arrière, ne sachant pas quelle était la bonne décision à prendre. Il mit longtemps à comprendre que Daiki cherchait à l'éloigner de son père, mais n'en comprit pas la raison. Ce dernier le fixait toujours, les yeux plissés, méfiant. Alors, rentrant dans le jeu de Daiki, Kagami dit :

« Heu ... ouais. Merci pour les … indications. A plus ! »

Avalant sa salive avec beaucoup de mal, Kagami fit encore un pas en arrière, avant de se détourner complètement et de se mettre à marcher dans le sens opposé à Daiki. Alors qu'il s'éloignait, le regard de Daiki lui brûlant le dos, Kagami sentit qu'il avait fait une énorme connerie.

Pourquoi se sentait-il aussi coupable de laisser Daiki seul avec son père ?

Kagami allait devenir fou, littéralement.

Après l'épisode du samedi après-midi, le roux avait passé son dimanche cloîtré dans sa chambre, sous sa couette, à fixer le mur en face de lui. Il avait été dans l'incapacité de formuler des pensées cohérentes, passant du coq à l'âne sans interruption.

Puis il était retourné au lycée le lendemain, appréhendant le moment où il reverrait Daiki. Son image de lui sous une pluie battante qui avait éveillé son désir ne l'avait pas quitté une seule seconde, de même que le regard paniqué qu'il lui avait lancé. Les deux ne collaient pas et pourtant, Taiga ne pouvait s'empêcher de le revoir dans ces deux situations, encore et encore.

Mais lorsqu'il était arrivé sous le cerisier, Daiki n'était pas là. Et il savait qu'il ne viendrait pas, car il était toujours ici avant lui. Il avait alors serré les dents et avait tenté de faire comme si de rien n'était, alors qu'au fond de lui, il bouillonnait.

Que s'était-il passé lorsqu'il l'avait laissé avec son père ? Pourquoi n'était-il pas venu ? Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Allait-il l'abandonner ? Mais l'appréciait-il, après tout ? Que représentait-il pour lui ? Se souciait-il de lui, autant que lui le prenait en considération ?

Les pensées en ébullition, il était retourné chaque jour au cerisier, sans que Daiki ne se montre. Ce manège avait duré une semaine, et Taiga sentait qu'il allait bientôt craquer. Tournant en rond comme un tigre dans sa cage, le manque l'attaquait par vague, augmentant son inquiétude et sa colère.

Une image de lui baignant dans son sang lui traversa l'esprit. Il revoyait le jour de leur rencontre, son sang tâcher ses vêtements, ses rictus de douleurs qui déformaient de temps à autre son visage, l'énorme coquard qu'il avait à l'œil gauche. Toutes ces visions l'assaillaient, ses nerfs lâchaient peu à peu. N'en pouvant plus, il craqua.

Dans un cri de frustration, il envoya son point contre le mur le plus proche.

Ce dernier se fracassa contre le plâtre, créant un grand trou dans lequel sa main resta coincée. La douleur lui parvenait, vive. Il sentait des morceaux du mur incrustés dans sa peau, tiraillant sa chaire. Mais il ne fit rien pour la stopper. Au contraire, il l'accueillit à bras ouverts.

La douleur physique l'empêchait pendant quelques secondes de penser à celle présente dans son cœur.

Un gémissement lui échappa tandis qu'il cognait son front contre le mur, le faisant glisser jusqu'à se retrouver accroupis, la main tirée vers le bas, toujours enfoncée dans le trou. Le souffle court, il peinait à reprendre sa respiration. N'ayant pas Daiki à ses côtés, c'était très difficile pour lui de se calmer.

Il essaya de penser à des choses plus gaies, en vain. Rien de vraiment joyeux n'était arrivé dans sa vie. Alors il repensa à l'apaisement que lui prodiguait Daiki, à sa façon de parler lorsqu'il était en pleine crise d'hyperventilation. Penser à lui lui provoquait autant d'apaisement que de colère.

Malgré cela, le calme l'envahit peu à peu, lui permettant de réguler sa respiration. Il remarqua à peine le sang qui coulait le long du mur blanc. Il se fichait pas mal d'avoir le propriétaire sur le dos lorsqu'il aurait découvert cela.

Une envie indescriptible d'aller rendre visite à ses parents le prit. Cela faisait vraiment longtemps qu'il n'était pas aller les voir au cimetière, n'ayant pas spécialement envie. Mais aujourd'hui, il avait besoin de se sentir proche d'eux, d'avoir l'impression qu'ils le réconfortent, même en étant pas présent physiquement. Il le ressentait comme un besoin vital.

Sans s'attarder d'avantage, Taiga retira sa main du mur sans aucune délicatesse et le regretta tout de suite après, la douleur fulgurante remontant à toute vitesse sur son bras pour finir sa course jusqu'à son cerveau. Néanmoins, il ne prit pas la peine de nettoyer sa main, ni même de mettre quelque chose dessus.

Il se mit directement à courir, laissant son appartement ouvert, bien qu'il ait fermé la porte. Il se fichait complètement des conséquences que cela pouvait impliquer, il ne voulait qu'une chose, être enfin en paix. Accélérant, ne prenant pas en compte le sol devenu glissant à cause du verglas, Kagami n'avait qu'une seule destination en tête, un seul but.

Ignorant ses poumons en feu qui commençait à protester, Taiga dérapa violemment juste devant l'entrée du cimetière, tombant par terre. Il ne tint pas compte de son genou qui le picotait, ni même de sa main qui tremblait, le transperçant d'une douleur fulgurante.

Sale, son jean maintenant troué, des mèches de cheveux tombant devant ses yeux, il se déplaça rapidement dans les allées, cherchant les deux tombes qui étaient côte à côte sans faire attention à ce qui l'entourait. Une fois devant, Kagami s'arrêta, le souffle court, le cœur battant à tout rompre, les membres tremblants, sa main commençant à s'engourdir.

Il s'approcha d'une des pierres tombales, celle de sa mère, et la caressa du bout des doigts. Elle était froide, dénuée de chaleur. Le moral au plus bas et le cœur lourd, Kagami s'assit à même le sol en tailleur, ne faisant pas attention à l'herbe mouillée. Il se souvint que lors de leur enterrement, il avait demandé à une de ses tantes pourquoi on ne les brûlait pas, comme papy. Elle lui avait répondu que ses parents ne souhaitaient pas voir leurs cendres s'éparpiller dans les airs, s'éloignant les unes des autres.

Ils voulaient rester pour toujours ensemble, sans jamais être séparés.

A l'époque, Kagami n'avait pas vraiment fait attention à ce détail, tout ce qui l'accaparait, était le fait qu'il n'avait plus de famille. Mais aujourd'hui, il comprenait leur choix. Étant resté seul trop longtemps, il savait ce que ça faisait d'être séparé de quelqu'un au point d'en souffrir. Il le vivait lui-même avec Daiki.

« Je comprends pas. »

Sa bouche s'était mise en mouvement d'elle-même. Taiga ne voyait pas l'intérêt de saluer deux pierres. C'est pourquoi il commença directement à s'exprimer, partant du principe que ses parents devaient l'observer et être déjà au courant de sa situation. Il avait besoin de s'exprimer, de mettre des mots sur ce qu'il vivait.

« Comment ai-je pu m'attacher à quelqu'un à ce point-là ? C'est pas possible, je peux pas... enfin ! Dès qu'il est pas là, qu'il manque un de nos -si je puis dire- rendez-vous, je me mets dans des états pas possible, au point que ça me fasse mal ! C'est le premier type à qui je m'intéresse, alors est-ce vraiment normal d'avoir de telles réactions ? »

Kagami bouillonnait. Au fond de lui, il avait envie de tout casser. Mais il se contentait de parler, le ton de plus en plus crescendo, jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus et qu'il explose. Ce qui sera une grande première. S'énerver pour quelqu'un était tout nouveau pour lui, ses pensées s'emmêlaient et se démêlaient sans arrêt, comme un casse-tête chinois.

« J'ai l'impression d'être une bombe et que bientôt, j'exploserai. Mais je ne sais pas de quelle manière. J'ai envie d'être avec lui, tout le temps, tout le temps. J'arrive pas à me concentrer quand je suis en cours, il n'y a que lui, lui et toujours lui. »

Il marqua un temps d'arrêt, essayant de mettre de l'ordre dans ses pensées. N'y arrivant pas, il décida de laisser son cœur parler, plutôt que sa tête. De laisser ses sentiments le guider.

« Quand je suis avec lui... je sais pas. Il m'apaise, il m'fait du bien. Avec lui, j'ai l'impression de vivre quelque chose d'unique. Je m'ennuie jamais lorsqu'il est avec moi, mais c'est stupide puisqu'on se parle pas. Et pourtant... Pourtant il est le seul à avoir réussi à débloquer tous les sentiments et émotions que je croyais avoir perdu. Je ressens de nouveau la colère, la tristesse, la joie, la tranquillité, le manque et encore, je suis sûr d'en oublier plein. J'ai l'impression d'enfin vivre. Il est … il est … »

Kagami n'arrivait pas à mettre de mot sur ce sentiment. Il n'arrivait pas à décrire ce qu'il provoquait chez lui. Et cela augmentait un peu plus sa fureur. Il se mit à frapper du point sur la terre dure, ravivant la douleur. Il étouffa un gémissement et se mit à ricaner, tel un fou ayant perdu la raison.

« Je me suis même explosé la main juste parce que je ne l'ai pas vu depuis une semaine. Une putain de semaine ! C'est court, et pourtant, j'ai l'impression qu'il me manque quelque chose, que je suis incomplet. Et vous auriez dû voir les trois jours où il n'était pas là. Lorsque je l'ai enfin revu, j'ai fait de l'hyperventilation. Sérieusement, juste parce que je l'ai vu. Je suis tellement pathétique. »

Il rit amèrement, sa main valide serrant une touffe d'herbe tandis qu'il essayait d'ignorer la douleur présente dans l'autre. Mais ce n'était rien comparé à la souffrance qu'il ressentait dans son cœur.

« Je me plaignais que ma vie n'était pas assez mouvementée, qu'elle manquait cruellement d'action. Maintenant, je sais plus ce que je veux. C'est débile ! J'en ai marre, y a des fois, j'aurai bien envie de vous rejoindre et de tout laisser. Pourquoi est-ce que je vis ? Qu'est-ce que j'apporte ? Rien, rien du tout. J'étudie, je sais même pas pourquoi. À quoi ça sert ? À trouver un travail ? Mais moi j'ai aucun but, ça ne m'intéresse pas de travailler ! Je ne sais même pas ce que je cherche ! Et Daiki... Daiki... j'en reviens à lui bon sang ! Pourquoi il m'a laissé ? Il veut m'abandonner lui aussi, comme vous l'avez fait ? Je vais encore être tout seul, enfermé dans cette putain de vie monocorde, à errer sans but ? C'est pour ça que vous m'avez mis au monde ? Pour me condamner à mener une vie dont j'ai pas voulu, tout ça parce que vous ne pouviez plus vivre la vôtre ? Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Hein, qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai envie de … j'ai envie de ... »

Il ne savait pas de quoi il avait envie. Respirant fortement, il était maintenant debout, s'étant levé lors de sa tirade. Il faisait face à ces deux pierres tombales qui représentaient les seules figures maternelles et paternelles qu'il n'avait jamais eu. Les membres flageolants, il voyait flou. Les larmes lui piquaient les yeux, menaçant de tomber. Mais il refusait de les laisser couler, il ne voulait pas pleurer devant deux simples pierres qui ne signifiaient strictement rien ! Sans s'en rendre compte, il souffla :

« J'ai envie de le voir. »

Se rendant compte de ce qu'il venait de dire, Taiga ne pût dire un mot de plus, choqué. Il savait qu'il avait envie de le voir, cette envie ne le quittait pas depuis le premier jour où il a disparu, seulement, il se rendait peu à peu compte de ce que ça signifiait. Ses jambes le laissèrent tomber et il tomba à genoux. Il reprit, d'une voix tremblante :

« J'ai besoin de le voir, de savoir qu'il est avec moi. Bon sang, j'ai … j'ai l'impression d'avoir fait une grosse connerie en le laissant avec son père ! Son père il … il fait vraiment flipper. Je veux dire, rien qu'avec un regard... Et je l'ai laissé seul, face à lui. Pourquoi est-ce que je me sens si coupable ? »

Il se rapprocha un peu plus des pierres, comme pour ressentir leur protection. Il répéta, comme pour se convaincre lui-même que ce n'était pas une autre personne qui parlait, mais lui :

« Je veux être avec lui, maintenant. »

Il se mordit la lèvre jusqu'au sang, comme pour étouffer la brûlure présente dans son cœur. Il en avait assez que la vie l'ignore, assez qu'elle lui interdise tout accès au bonheur. Il voulait être heureux, mais ignorait quel chemin prendre pour y accéder.

« Maman, papa, qu'est-ce que j'dois faire ? gémit-il. »

Conscient qu'il n'obtiendra jamais de réponse, il resta dans la même position, à genoux, la tête baissée. Son esprit n'était que néant, un silence infini se répandait autour de lui, comme pour l'encourager à méditer. Mais il n'y arrivait pas. S'il se mettait à penser maintenant, il ne pourrait plus retenir ses larmes.

Il se sentait complètement démuni, perdu, oublié. Il ignorait ce qu'il devait faire. Se confier indirectement à ses parents lui avait parmi de lâcher ce qui pesait sur son cœur, mais il ne se sentait pas apaisé pour autant. Or, dans chaque livre qu'il avait dévoré où le héros agissait comme lui, il était écrit qu'il se sentait toujours mieux après sa confession.

Mais pas lui. Lui n'était pas un héros de roman où quoiqu'il arrive, il s'en sortirait toujours. Non, lui avait l'impression de ne plus exister. Comme s'il flottait. Mais un poids le maintenait en vie, le faisant suffoquer, lui laissant à peine assez d'espace pour respirer. C'est alors qu'il comprit.

Se confier ne suffisait pas à le délivrer de ses tourments, il lui manquait quelque chose. Il lui manquait la présence de Daiki. Lui seul parvenait à le débarrasser du poids de ses maux.

Un mal-être le prit et il se recroquevilla un peu plus sur lui-même, les bras serrés autour de ses jambes et la tête entre les genoux. Il ressemblait à un enfant perdu et sale. Un enfant de la rue, à qui l'on avait tout enlevé pour mettre les choses qui lui avaient été arraché juste sous son nez, comme pour le narguer.

Il avait cette chose juste devant lui, mais il ne savait pas ce que c'était, ni comment l'atteindre. Tout ce dont il était sûr, c'était que cette chose était reliée à Daiki, comme une ancre qui ne le lâcherait jamais. Pourquoi, bon sang ? Pourquoi avait-il autant besoin de lui ?

« J'ai toujours cru que j'aurai besoin de vous, et uniquement de vous, chuchota-t-il, l'esprit vide. Je tente toujours de me rappeler le sentiment dans vos yeux lorsque vous me regardiez. Était-ce de l'affection ? De l'amour ? Je sais même plus. Je pourrai jamais le savoir, car vous êtes parti. Vous avez fait vos égoïstes en me laissant tout seul. J'arrive même pas à déterminer si je vous en veux. »

Un rire amer le secoua, avant qu'il ne reprenne :

« Depuis l'temps, je me suis fait à l'idée que je finirais comme ça, et pas autrement. Je vivrai seul, je mourrai seul. Je ne sais même pas ce que c'est d'aimer, ou même d'être aimé. J'ai dû connaître ça avec vous, je suppose. Mais... »

Il s'interrompit. Il laissa ses yeux vagabonder sur les deux pierres lisses en face de lui, le menton posé sur ses genoux. Le soir tombait, la façade nuageuse donnait un air sinistre à l'endroit. Bientôt, il ne verra plus à cent mètres, le cimetière vaguement éclairé par quelques lanternes. Il reprit, comme pour lui-même :

« Maintenant, j'ai réalisé que si j'avais pas rencontré Daiki cette nuit-là, j'en serais encore à m'interroger sur l'intérêt de vivre. Je serais encore persuadé de finir seul, sans personne à mes côtés. Mais avec lui, c'est différent. J'peux pas l'expliquer, mais j'arrive à apercevoir un avenir. Je... je me rends compte que je ne veux pas d'un avenir où il n'y est pas. Délirant, hein ? J'aimerais pouvoir comprendre pourquoi je me mets dans cet état. Finalement, j'abandonne. J'préfère laisser les choses venir comme elles sont. Peut-être parvenir à vivre ma vie d'une autre façon, qui sait ? »

Ses yeux à demi-fermés brillaient légèrement. Il avait envie d'hurler et de laisser sa peine couler librement. Mais il ne voulait pas faire ça dans la solitude. Il voulait que quelqu'un l'entende, et non deux bouts de pierres qui étaient censées représenter ceux qui l'avaient élevé.

Ce qu'il ignorait, c'était que quelqu'un l'avait entendu. Quelqu'un d'aussi solitaire que lui, qui avait réussi à trouver du réconfort en sa personne. Quelqu'un qui avait autant besoin de lui.

Taiga sentit quelque chose de chaud se poser sur le haut de son crâne. Il n'y fit pas vraiment attention, son esprit égaré parcourant un royaume de solitude et de tristesse.

« Tu ne seras plus seul. »

Cette voix le réveilla instantanément, lui prodiguant une chaleur intense qui se propagea dans le reste de son corps. Il ne connaissait qu'une seule personne qui était capable de la lui faire parvenir par une simple phrase. Ses yeux se remplirent à nouveau de larmes et il ne put les contenir, les laissant enfin couler le long de ses joues pour finir par s'écraser contre sa peau, se perdant le long de son pantalon.

Dans un élan de détresse, Kagami entoura les jambes de Daiki, les serrant de toutes ses forces contre lui, posant sa joue contre la plus proche, sentant sa main toujours positionnée sur sa tête. Il se fichait complètement du fait que Daiki ait entendu son monologue. Il ne tenait en compte que sa présence, sa chaleur et sa promesse.

Lui non plus ne le laisserait pas partir. Il avait bien trop souffert de son absence.

Son corps tremblait tellement que Kagami craignait de s'effondrer si jamais le métis le lâchait. Ses pleurs silencieux se faisaient de plus en plus nombreux et mouillaient le pantalon du jeune homme aux cheveux bleu foncé. Ce dernier ne bougea pas pendant un temps, permettant à Taiga d'être entièrement sûr que c'était bien lui qui le soutenait, et non un mirage fondé dans le seul but de le torturer un peu plus.

Puis il écarta gentiment le rouge pour ne pas lui faire mal et s'assit. Kagami, malgré ses larmes qui lui brouillait la vue, vit une expression de douleur se peindre sur le visage de Daiki pendant une fraction de seconde. Il se mit à l'observer plus en détails. Au fur et à mesure qu'il prenait conscience de l'état de l'adolescent, ses tremblements reprenaient, plus violents.

L'horreur, la peine, la douleur, la colère, la joie, l'inquiétude se bousculaient en lui et il laissa échapper une plainte étouffée. Il toucha du bout des doigts la joue de Daiki, réticent à l'idée de lui faire mal. Ce dernier prit sa main dans la sienne, son regard bleu roi s'accrochant aux rubis de Taiga, leur aspect neutre disparaissant au fur et à mesure, remplacé progressivement par de la tendresse.

Un nouveau flot de larmes ravagea le visage de Kagami tandis qu'il faisait défiler différentes images mentalement. Il revoyait Daiki et ses rictus de douleur lorsqu'il faisait un geste précis, son œil au beurre noir, le jour catastrophique de leur rencontre, la première fois qu'il avait vu son père, ses absences répétées. Les pièces du puzzle entourant le mystère de Daiki s'emboîtèrent et Taiga comprit.

« En réalité, tu ne te bats pas, hein ? murmura-t-il, connaissant déjà la réponse. »

Daiki ne répondit pas et saisit délicatement la tête de Taiga, la posant sur sa clavicule, près de son cœur. Ayant peur de lui faire mal, Kagami essaya de se dégager mais Daiki résistait. Alors il s'abandonna à ses douces caresses sur ses cheveux, essayant par tous les moyens de tarir ses larmes.

« Pourquoi Daiki ? »

Sa voix se brisa, il continua malgré tout :

« Pourquoi tu laisses ton père te traiter ainsi ? »

Il n'obtint encore une fois aucune réponse. Il eut comme l'impression de partager sa douleur, de la faire sienne. Il avait tellement envie de le soulager de ce poids bien trop lourd à supporter. Alors il pleura pour deux.

« Si je suis venu ici, commença Daiki d'une voix basse, c'est pour voir ma mère. Enfin, ce qu'il en reste. »

Taiga sentit l'amertume dans sa voix sans même avoir besoin de le voir. Il le laissa continuer, ne l'interrompant pas :

« Elle est mort il y a quatre ans. Elle se trouvait au mauvais moment au mauvais endroit. Faut dire qu'on ne peut pas vraiment prévoir les braquages. C'est une mort bête, hein ? Juste deux petits cons qui voulaient se faire du fric. Des nerveux qui, dès que quelqu'un bougeait, appuyaient sur la gâchette sans même savoir viser. »

Il l'avait dit d'un ton tellement abattu et résigné que Kagami sentit des vibrations dans son corps. Ce dernier tremblait encore, loin de s'être remis de son surplus d'émotions. Daiki poursuivit, continuant de caresser les cheveux du roux dans un geste d'apaisement, le regard dans le vague :

« Ça a été l'élément déclencheur du changement de mon père. Il n'arrivait plus à aimer, et ne parvenait qu'à rester distant. Renfermé sur lui-même. Moi aussi j'ai changé. Je me suis senti perdu, d'abord. Puis j'me suis replié sur moi-même. J'ai tenté par tous les moyens de nier la réalité, de tout oublier. »

Il marqua un temps d'arrêt, stoppant aussi les mouvements sur la chevelure de Kagami. Ce dernier n'osait pas bouger pour le regarder, de peur de le troubler dans son récit. Néanmoins, chaque mot qu'il prononçait lui déchirait un peu plus le cœur. Daiki continua, morose :

« Mais il a fallu qu'un jour quelqu'un fasse la remarque que je ressemblais à ma mère, devant mon père. Il n'a pas pu le supporter et a rejeté la faute sur moi. J'crois que je me souviendrais toute ma vie de cette nuit-là. En même temps, je pense qu'il en avait fait exprès, histoire que j'oublie pas. Au fond, je suis sûr qu'il m'en tient pour responsable. »

Kagami ne dit rien, certain qu'il nierait tout ce qu'il pourrait dire. Mais il n'en pensait pas moins. D'un ton devenu pensif, Daiki poursuivit :

« Dans un sens, je le comprends. Je veux dire, lorsqu'on a mal, on peut faire des choses incompréhensibles. Et lui, je sais qu'il avait mal. C'est ce que mon père m'a appris, indirectement. Il aimait ma mère. Beaucoup trop même, c'est ce qui l'a perdu. Je... je sais pas comment j'aurais réagis à sa place. Moi c'était différent, j'étais plus jeune. Je vivais pas avec elle depuis vingt-cinq ans. »

Taiga était aberré par le calme avec lequel il s'exprimait. Mais il était conscient que ce n'était qu'une façade. A l'intérieur, Daiki devait être aussi tourmenté et détruit que lui. Cependant, la voix tremblante de son ami le surpris tout de même lorsqu'il murmura :

« J'ai peur de devenir comme lui. J'veux pas me défendre pour finir agressif et violent. Je supporterais pas de finir comme mon père. Je veux pas faire de mal aux gens que j'aime. Même s'il y en a pas beaucoup. »

Kagami se mordit la lèvre, une dernière larme s'échappant de son œil. Les yeux maintenant rouges, s'accordant avec le carmin de ses pupilles et de ses cheveux, il observait une nuée de moustique tourner autour d'une lumière. Il se raidit lorsqu'il sentit la prise de Daiki sur son corps se faire plus légère. Ce dernier chuchota, assez fort pour que le rouge l'entende :

« J'veux pas risquer de te faire du mal à toi. Même si apparemment, c'est déjà fait. Vaudrait peut-être mieux... s'éloigner. »

Dès que ses oreilles perçurent le dernier mot, Taiga se releva d'un bond, poussant un peu trop brusquement Daiki qui ne put empêcher une grimace de douleur de déformée ses traits. Chassant la culpabilité de son esprit, il le saisit par le col, l'obligeant à se lever. Il planta ses iris colériques où brûlait une flamme vive dans les siennes et déclara, le ton soudain devenu dur :

« Je t'interdis de dire ça. Écoute-toi, bon sang ! Tu m'as fait la promesse de ne pas me laisser seul, et tu me dis qu'on devrait s'éloigner ? C'est quoi ton problème ? Tu crois vraiment que je vais laisser faire ça, sans rien faire, sans rien dire ? »

Les saphirs de Daiki scintillèrent lorsqu'il parût comprendre le sous-entendu de Taiga. Il retira sa main qui serrait toujours son col, et d'une voix chargée de fureur non-retenue, siffla :

« Te mêles pas de ça, Taiga.

- C'est trop tard, tu crois pas ? Même si ça ne l'était pas, j'ai pas l'intention de te laisser seul dans ta merde. J'ai compris que je tenais trop à toi pour pouvoir te laisser t'éloigner.

- Parce que tu crois que c'est ce que je veux ? »

Plus le ton montait, plus la rage se lisait sur le visage de Daiki. Kagami n'avait pas peur de lui, il avait appris à ne plus être intimidé par lui. Il savait qu'il devait lui faire entendre raison avant qu'il ne le rejette totalement. Mais la phrase du basané l'informa sur la détresse que ressentait son interlocuteur.

« Je veux pas qu'il t'arrive quelque chose, je pense que là, j'y survivrais pas. Il faut que tu te barres de ma vie avant qu'il soit trop tard.

- Je reviendrais pas sur ma décision. Je m'en contrefous des dangers, tant que toi, tu n'y es pas. Ça peut paraître complètement débile mais qui sait, ça mettra peut-être plus de piment dans ma foutue vie, ironisa Taiga.

- Prends pas ça à la légère. Putain Taiga ! Je le redirais pas, je veux que tu te casses de ma vie, et que tu te mêles plus de mes affaires.

- Non.

- Taiga, menaça Daiki, se rapprochant de lui.

- Tu comprends pas que je peux pas te laisser ? »

Il avait craqué, face à Daiki. Il haussa encore la voix, se mettant à faire les cent pas sans pouvoir s'arrêter. Le bleuté lui demandait de le laisser faire et de s'éloigner, croyait-il réellement que le rouge allait cautionner ça ? La fureur parcourait tout ses membres, et il menaçait de tomber à chaque instant, mais il tenait bon devant la panthère qui lui faisait face.

« Je me suis jamais retrouvé dans une situation pareille, je sais pas comment réagir. Mais je sais au moins une chose, c'est que je risque pas de te laisser. Merde Daiki ! Peut-être que c'est clair pour toi, mais moi, je comprends rien là. Tout est mélangé, je comprends pas ce qui m'arrive. Je sais juste qu'à chaque fois que je suis avec toi, il y a quelque chose qui se produit, juste là, fit-il en désignant son cœur, n'arrêtant pas de marcher. Tu sais pas comme j'ai envie d'arracher la tête à ton père, qu'il ait une raison ou pas pour faire ça.

- Taiga, l'appela doucement Daiki, mais le rouge l'ignora.

- « Faut qu'on s'éloigne. » J't'en foutrais moi, des « faut qu'on s'éloigne », bougonna-t-il. Est-ce que tu as une seule seconde pensée à ce que je pouvais ressentir ? Tu crois que c'est simple d'apprendre seulement maintenant que tu te fais maltraités, alors que j'aurais pu agir bien avant ? J'l'ai avais remarqué, tes bleus. Et comme un con, je pensais que t'étais qu'un petit délinquant qui s'amusait à se battre. Mais quel abruti je fais, ricana-t-il, hystériquement.

- Taiga, calmes-toi.

- Non ! Tu vas pas me la refaire ! Ton truc là, avec ta voix, comment ça s'fait que t'arrives à me calmer comme ça ? Non, non, non, t'approches pas ! J'ai pas fini ! Pourquoi est-ce que c'est toi qui t'occupes de moi, alors que ça devrait être l'inverse ? J'ai même pas su voir, j'ai pas pu intervenir avant...

- Ça n'aurait rien changé, plaida Daiki.

- Bien sûr que si ! Qu'est-ce qui se passera si un jour ça devient tellement grave, que tu finiras à l'hôpital ? Hein, t'y as pensé à ça ?

- Dans ce cas-là, tu n'y pourras rien.

- On dirait que tu t'en fiches ! Mais moi, je m'en fiche pas. Ça non, je m'en fiche pas. Si tu finis à l'hosto, pire si tu te réveilles pas, mais je vais faire comment ? Tu veux que je te dise, pourquoi j'ai fait cette foutue crise d'hyperventilation ? »

Daiki le sondait de ses yeux bleus. Il voulait s'approcher pour tenter de le calmer mais le roux veillait à mettre une distance de sécurité entre eux. Il se doutait un peu de la réponse, mais ne voulait pas l'entendre, de peur de ne plus sentir son cœur battre. Taiga ne lui en laissa pas le choix :

« C'est parce que je t'avais pas vu depuis trois jours. Seulement trois petits jours et j'ai bien cru que j'allais crever. Alors tu imagines ce qu'il se passera si toi aussi tu m'abandonnes pour aller je ne sais où sans moi ? »

Kagami poussa un soupir de frustration, furieux que Daiki ne prenne même pas en compte sa propre vie. Il ne pouvait pas accepter qu'il s'éloigne si c'était pour rester dans la situation dans laquelle il se trouvait et surtout, si c'était pour l'abandonner à la solitude. Maintenant qu'il avait laissé le métis entrer dans sa vie, il ne pourrait plus la supporter.

Les poings serrés, le rouge tentait par tous les moyens de retenir sa fureur d'éclater. Mais une violente douleur à sa main le fit revenir sur terre et il se détourna, serrant sa main meurtrit dans l'autre, les larmes de rage et de douleur mêlées menaçant de couler. Le silence s'installa durant plusieurs minutes. Aucun des deux n'ouvrit la bouche, jusqu'à ce que Daiki ne le fasse :

« Tu dois savoir que ma cicatrice à l'œil n'est pas une tache de naissance. »

Taiga se tourna un peu vers lui, lui offrant son profil. Le bleuté avait-il décidé de lui faire confiance en lui dévoilant tout ça ? Mais alors, pourquoi tenait-il tant à le rejeter ? Il savait très bien se défendre seul, surtout lorsqu'un être cher était en danger. Daiki continua, sans exprimer d'émotions :

« Il disait que j'avais les mêmes yeux qu'elle. Que je méritais de ne plus voir, puisqu'elle n'avait plus la chance de le faire. Est-ce qu'il considérait que ma mère voyait à travers mes yeux ? Je sais pas. Lui sans doute la voyait à travers les miens. Ça doit être pour ça qu'il a décidé de me priver de la vue. Et encore j'ai eu de la chance, j'ai réussi à sauver l'autre. »

Taiga ressentait de la haine envers l'homme qui osait poser la main sur Daiki. Une haine noire et sans borne qu'il n'arrivait pas à refouler. Jamais il n'avait connu pareille révulsion. Il siffla dans sa barbe :

« Ce type, je vais le …

- Hey Taiga, c'est bon. C'est du passé maintenant, j'ai appris à vivre avec, dit doucement Daiki en s'avançant un peu.

- Tu considères tant que ça ta vie comme inférieure ? »

Touché.

Kagami venait de mettre le doigt sur le problème. Daiki baissa les yeux, n'osant plus faire un pas. Ainsi donc, son père lui avait tellement répété que c'était de sa faute qu'il le croyait lui aussi ? Sa haine n'en fût que plus accentuée. Daiki avait beau dire qu'avant il n'était pas comme ça, c'était un monstre.

« Je le tolère pas, ça.

- Taiga, tu...

- Non. »

Conscient que sa façon de penser n'était pas correct, mais ne pouvant s'en empêcher, Daiki recula d'un pas, le visage baissé. Il savait qu'il décevait Taiga, et ça lui broyait le cœur. La dernière chose qu'il souhaitait, c'était de lui faire du mal. Que ce soit mentalement ou physiquement, il ne voulait pas devenir comme son père.

« Si tu te fiches de ta vie, moi je la prendrais en compte pour toi. »

Kagami franchit les quelques mètres les séparant, se plantant devant Daiki. La situation s'était inversée, Daiki était le plus vulnérable tandis que Kagami faisait preuve d'une détermination et d'une ardeur nouvelle. Il prit instinctivement le visage du plus grand en coupe, afin qu'il ne le quitte pas des yeux, et dit, en détachant bien chaque syllabe :

« Tu auras beau faire tous les efforts du monde, je m'éloignerais pas. Le mieux, ce serait que tu arrêtes de me rejeter et que tu m'acceptes tout de suite, tu crois pas ?

- Taiga... »

Les yeux du métis brillaient à la lueur des lampes. Que quelqu'un tienne autant à lui le chamboulait. Il n'avait pas ressenti cette sensation depuis quatre ans. Il savait ce que signifiait les tourments du rouquin à son égard. Il savait pourquoi ils ne pouvaient pas rester loin l'un de l'autre trop longtemps. Mais il ne voulait pas le dire, il avait peur.

Après tout, c'était le trop plein d'amour qui avait rendu son père violent et cruel.

Il vit l'autre s'avancer encore et il se demanda comment c'était possible avant que des lèvres ne s'emparent des siennes. C'était maladroit et leurs bouts de chaires ne s'emboîtaient pas parfaitement. Kagami exerçait une infime pression, de peur de le brusquer ou de lui faire mal. Il n'avait pas réfléchi, et avait juste fait ce dont il avait envie.

Daiki gardait les yeux grands ouverts, contrastant avec ceux fermés de Kagami. Il n'osait pas bouger. Il ne s'y était pas du tout attendu, et maintenant que ça arrivait, il sentait la peur s'infiltrer en lui. Qu'est-ce qu'il faisait ? Qu'est-ce qu'il devait faire ? Il avait tellement envie de se laisser aller, de laisser les choses venir comme elles viennent.

« Je détruirai ton bonheur, sois en sûr, mon garçon. »

Mais cette sourde menace l'en empêchait. S'il ne pouvait pas éloigner Kagami, il devait faire en sorte que cela n'aille pas plus loin. Perdu dans ses pensées, il se rendit compte que cela faisait déjà quelques minutes que la pression s'était arrêtée, et que Taiga l'observait, les yeux à demi-fermés, les cils cachant ses iris de feu.

Plus Daiki le contemplait, et plus il ne voulait pas le repousser. Un cri de frustration resta bloqué dans sa gorge et il se mordit la lèvre, furieux contre lui-même d'être aussi faible. Il se détourna, la tête basse et s'insuffla du courage. Il tenta pendant plusieurs minutes d'ouvrir la bouche pour parler mais elle restait scellée. Il ne devait pas céder. Il. ne. devait. pas. céder.

« Je... on peut pas, lâcha-t-il piteusement. »

Cette simple phrase le déchirait de l'intérieur. Il avait eu beaucoup de mal à la prononcer et n'avait pu que la murmurer, n'étant pas convaincu lui-même. Bien sûr qu'ils ne pouvaient pas, c'était bien trop dangereux pour le rouquin. Mais là, là, il avait envie d'être égoïste. Il avait envie de...

Il avait envie de toucher le bonheur. Même l'effleurer, rien qu'un peu.

Il resta stoïque lorsque deux bras encerclèrent sa taille, s'empêchant de toutes ses forces de répondre à son étreinte. Kagami sentit le tumulte intérieur qui hurlait en Daiki mais ne dit rien. Ils restèrent ainsi, pendant une durée indéterminée. Des secondes, des minutes, des heures, ils ne savaient plus. Kagami chuchota, brisant le silence du cimetière :

« Je te promets qu'un jour on pourra. »

Une unique larme roula sur la joue de Daiki.

« La famille, ce havre de sécurité, est en même temps le lieu de la violence extrême. » -Boris Cyrulnik


Je tiens à rajouter que c'est depuis que j'ai vu le film "L'emprise" que l'inspiration s'est emparé de moi. Il m'a tellement prit aux tripes que ça m'a obsédé durant des journée entière jusqu'à ce que je couche sur le papier ce sujet qui me tenait à cœur à ma sauce.

Petite question tout de même, voulez-vous que je mette la playliste dont je me suis inspiré pour l'écrire ? Rien n'est joyeux, c'est clair, mais rassurez-vous, j'ai pas écouté du Lana Del Rey non plus, c'est pas trop suicidaire.

x Heaven