Sur la table de la cuisine, un mot.

« Je suis parti faire un tour, ne m'attend pas pour manger. »

C'est devenu une habitude.

Alec s'est trompé. Il a cru qu'il pouvait lui suffire. Il se sert un café noir. Lit un rapport de l'Institut. Ses yeux suivent les phrases sans en comprendre le sens, comme un automate. Son esprit est bloqué sur d'autres mots.

Sur ce post-it et cette écriture penchée qu'il aime tant. Magnus a une manière de tracer les « j », de glisser les « r », enrouler les « a ». On y devine les courbes d'un autre temps, d'un autre Magnus, de dizaine de version de Magnus qui ont vécu, aimé, perdu.

Avec d'autres. Sans Alec.

Lui n'est qu'une étoile sur un ciel de souvenirs. Une étoile brillante, irradiante. Vouée à s'éteindre.

Mais il est égoïste, Alec. Il ne supporte pas l'idée d'avoir créé son monde autour de Magnus et de n'être qu'une petite partie du sien. Alors quand l'homme de sa vie a perdu sa magie, il y a vu une chance.

Une chance d'être unique.

Il a fermé les yeux sur la souffrance. Pourtant là, partout. Dans les regards qui fuient, les rires faux et les soupirs contenus. Il s'est dit que ce n'était qu'un passage. Qu'il pouvait devenir sa magie. Le sens de son existence.

Il s'est trompé.

Ils sont misérables. Hier soir, ils ont dîné sans un mot. Se sont endormis sans une étreinte. Ils se sont éteints tous les deux. Doucement. A la manière de la flamme d'une bougie qui vacille, vacille puis disparaît dans la nuit. Il fait noir. Il n'y a rien dans leur relation qui ne les fasse pas souffrir. Le silence est pesant. Les paroles sont vides. Les contacts sont froids. Alec ne sait plus comment ils arrivaient à rire aussi facilement. A être deux. Il ne s'est jamais senti aussi seul.

Et dans ce stupide post-it laissé sur la table de la cuisine, il lit toutes les choses qu'il ne veut pas entendre.

« Je ne veux plus être près de toi »

« Je ne veux plus être avec toi. »

Et il voudrait retrouver le Magnus des premiers jours. Celui qui jouait, flirtait, surprenait. L'oiseau sans cage. Celui qui était libre. Seulement, cet homme-là était trop volatile. Il glissait entre les doigts d'Alec en un tour de magie. Alors il l'a enfermé dans son étreinte. Etouffé dans ses incertitudes.

J'ai si froid sans mon cœur, rend-le moi

Ne le mets pas dans une cage

Il va mourir comme l'amour

Laisse-moi courir les rues

Laisse-moi vivre au fil des jours… *

En réalité, la personne qu'il aime, c'est Magnus heureux.

Et Magnus heureux, c'est Magnus sans Alec.


NB : * Poème de Boris Vian : L'amour en cage