Titre: Les âges sombres

Disclaimer: les personnages appartiennent à JK Rowling, je ne fais que jouer avec et je n'en tire aucun profit.

Notes: Cette fic fait suite à "Cloîtré". Je crois nécessaire d'avoir lu celle-ci d'abord. Cela reste dans le même univers, donc un UA médiéval, avec une référence au présent. C'est évidemment un snarry.

Les âges sombres

Chapitre 1

L'allée des Embrumes arborait son aspect sinistre depuis des siècles et rien ne changerait cela. Les sorciers avaient beau parler d'un nouveau monde depuis la fin de Voldemort, cela n'empêcherait pas l'existence des sorts impardonnables, des potions illégales et des parias de la société. L'allée de Embrumes resterait un refuge pour le côté sombre du monde de la magie.

Severus vérifia l'adresse que son contact lui avait donnée, sous le sceau du secret, et s'engouffra dans la boutique. La porte ne grinça pas et aucune cloche ne retentit pour annoncer son arrivée. C'était à se demander si cette sorcière mystérieuse voulait réellement des clients.

Une voix sépulcrale retentit derrière lui :

- Vous avez pénétré dans l'antre où les forces puissantes se déchaînent…

Severus se retourna vivement. Il avait devant lui une sorcière en longue robe noire et rouge, dont le visage était à moitié dissimulé par une capuche. Elle avait une allure intimidante, pour qui n'était pas un professeur et un ancien Mangemort. Severus se contenta de hausser un sourcil. Puis, l'ayant examiné plus attentivement, il s'écria, incrédule :

- Mademoiselle Greengrass ?

La sorcière ôta sa capuche, stoppée net dans sa représentation :

- Professeur Snape ? Si je m'attendais…

Elle eut soudain l'air coupable et empruntée, comme un élève de première année en cours de Potions. Severus remarqua :

- Je me demande souvent ce qu'il advient de mes anciens Serpentards après Poudlard. Je ne vous imaginais pas dans le commerce, Daphné, surtout allée des Embrumes. Je me demande ce qu'en pense votre mère…

Daphné Greengrass haussa les épaules. Elle fit signe à Severus de la suivre à l'arrière, où un joli petit salon se découvrait derrière une porte d'ébène. Tous deux prirent place devant une table, et un plateau de thé vint se poser devant eux sans en renverser une goutte.

- Ma mère se soucie beaucoup de nos ressources, et peu de ses origines. Une famille de Serpentards n'est pas très bien vue en ce moment, surtout que nous n'avions pas pris partie ouvertement pour Potter et ses amis.

- Vous n'aviez pas pris partie non plus pour Voldemort.

Daphné frissonna et lui lança un regard maussade.

- Non. Nous espérions surtout que cette folie prendrait fin très vite et que personne chez nous n'en souffrirait. Cela a été le cas, heureusement. Vous vous rappelez ma petite sœur, Astoria ? Elle sort avec Drago Malefoy. Ma mère est ravie. Ce serait une alliance avec un vrai Serpentard, mais un qui a eu l'intelligence de choisir clairement le côté de Potter. Une rare opportunité !

Severus but son thé, non sans lui envoyer un regard perçant.

- Et que faites-vous exactement ici, Daphné ?

- Des sorts inhabituels, que personne n'offre ailleurs. Des potions aussi. Je n'étais pas si mauvaise, si vous vous rappelez !

Severus hocha la tête. Son ancienne élève se détendit et à son tour le scruta avec attention.

- Que faites-vous ici, professeur ? A voir votre surprise, ce n'était pas moi spécifiquement que vous cherchiez.

- Un médicomage m'a envoyé vers vous. Il m'a assuré que vous étiez très douée. Je crains d'avoir un problème… inhabituel également. Un problème sans précédent.

Daphné le regarda avec curiosité. Avec réticence, Severus remonta sa manche. Les yeux de Daphné s'arrondirent de surprise : de toute évidence, elle n'avait pas souvent vu la Marque des Ténèbres. La sorcière se pencha, effleura la trace. Elle avait reconnu l'empreinte du Seigneur des Ténèbres car son visage se contracta. Severus ne voulait pas entrer dans les détails par chance, avec une Serpentard, c'était inutile. Daphné Greengrass n'avait pas l'expérience de l'âge mais elle avait toujours été intelligente.

Après l'anéantissement de Voldemort, le fait est qu'il ne restait pas grand-chose de la Marque: une peau craquelée et tordue, plus pâle encore qu'ailleurs, comme si un étudiant de Poudlard maladroit avait tenté d'effacer une cicatrice avec une potion mal dosée.

- Bien qu'elle soit plus qu'à moitié effacée, je continue de ressentir parfois une forte brûlure, dit Severus.

Daphné pâlit brusquement.

- Vous ne croyez pas… Vous n'envisagez tout de même pas… qu'Il pourrait revenir ? Avoir survécu ?

- Voldemort ? s'enquit Severus avec une fausse innocence.

Il avait pris l'habitude de dire son nom à voix haute, à présent que tout était terminé. Après tout, si Potter y parvenait quand le Mage était toujours vivant, pourquoi Severus ne le pourrait-il pas maintenant ? Il y avait du pouvoir dans un nom. Mais pour Voldemort, il n'y avait plus aucun pouvoir d'aucune sorte.

- Non. Il est fini. Mais il avait mis dans sa Marque quelque chose de si puissant que je ne puis m'en débarrasser totalement. J'ai tout essayé.

- En avez-vous parlé à Lucius Malefoy ? demanda Daphné après un instant de silence embarrassé. Est-il pareillement affecté ?

- Je l'ignore, dit froidement Severus, et je ne veux pas le savoir. J'ai assez vu Lucius Malefoy pour cette vie et pour toutes mes vies futures. Mais cela ne m'étonnerait pas qu'il paye encore le prix de ses errements, comme moi. Je crois que le sort qu'il avait utilisé sur nous tous, pour graver nos corps, est plus profond, plus enraciné que nous l'avions cru.

Daphné hocha la tête. Elle se leva, fit quelques pas en silence, réfléchissant furieusement. Elle quitta la pièce quelques instants, avant de revenir avec un lourd grimoire qu'elle plaça sur ses genoux. Elle le feuilleta vivement avant de s'absorber dans un chapitre.

Severus attendait calmement. Il ne voulait pas la presser par des remarques désobligeantes il n'y aurait pas légion de sorciers à accepter de l'aider. Il contracta les mâchoires. Même si son rôle d'espion pour l'Ordre du Phénix avait été rendu public, il restait aux yeux de tous un Mangemort. Pire, il était l'assassin de Dumbledore. Rien ne changerait le passé. Il ne lui restait qu'un espoir : le temps. Les années passeraient, les gens oublieraient. Les gens oubliaient tout, le bon comme le mauvais. Ils oublieraient même tout ce qu'ils lui devaient.

Son seul regret était que Potter oublierait aussi…

Daphné eut une exclamation satisfaite.

- Bien, je sais quoi faire. Me faites-vous confiance ? Je ne vous promets pas de réussir, pas au premier essai, mais je sais ce que je peux tenter.

Severus répondit :

- Je vous laisse essayer tout ce qu'il faudra.

Il surprit la lassitude dans sa voix. Il avait espéré se dispenser de magie noire et de sorcellerie illégale, cette fois, mais ce n'était apparemment pas son destin. Il était fatigué de la souffrance physique. Il ne supportait plus l'influence que gardait Voldemort sur sa vie, même si celui-ci était réduit en poussière. Il ne pouvait plus faire face au vide abyssal qu'était devenue son existence.

- Je vais vous endormir, prévint Daphné.

- Non ! jeta Severus. Certainement pas.

- Il le faut, sinon ce sera douloureux. Mon incantation va littéralement fouiller dans votre chair.

- Peu importe. Je veux rester conscient.

Daphné n'insista pas. Elle commença à prononcer la formule magique, et le bras de Severus prit feu. Tout au moins ce fut ainsi qu'il le ressentit. Il se crispa tout entier et serra les dents. Il ne voulait pas crier. Pourtant c'était insoutenable, comme une arme brûlée au fer rouge rentrant dans sa peau.

Puis la douleur s'estompa. Severus eut la sensation de flotter, comme s'il avait quitté le sol au lieu d'être toujours assis dans ce siège. La tête lui tournait. Il dut fermer les yeux. Il ne voulait pas s'évanouir. Cependant il se sentait partir, tomber, être entraîné très loin de cette pièce, dans un trou noir d'où provenaient des sons, des odeurs, des voix qu'il ne reconnaissait pas…

Quand il put ouvrir les yeux, il ne reconnut rien.

Puis, dans un éclair, il reconnut tout.

HPHPHPHPHP

Severus sentait monter un mal de tête. Il se massa les tempes. Il lança un regard torve à ses deux élèves ceux-ci se raidirent quelque peu sur leurs chaises.

- Non, reprit Severus avec un soupir, on les appelait des hoplites. Les guerriers grecs étaient des hoplites, pas des palites. Ce mot ne veut strictement rien dire au demeurant.

Il avait envie de prendre l'aîné des gamins et de le secouer par l'oreille, cet enfant gâté pourri. Mais bien sûr il n'en fit rien. Certains seigneurs acceptaient que les professeurs chahutent quelque peu leur progéniture, mais ce n'était pas le cas du baron Sirius Black.

Son fils cadet leva un menton insolent, avec sa supériorité d'homme du XIIIe siècle après Notre-Seigneur.

- De toute façon, les Grecs étaient tous des païens. Ils n'ont aucun intérêt, dit mon père, et ses chevaliers sont d'accord avec lui. Alors pourquoi s'embêter à les étudier ?

- Parce que, monsieur Regulus, les Grecs ont inventé les mathématiques, l'astronomie, la poésie, l'histoire, l'organisation sociale et politique de la cité. Nous ne serions rien sans eux. S'ils étaient païens, c'est parce qu'ils n'ont pas eu la chance que Jésus les gratifie de son enseignement. Je ne crois pas que nous puissions leur en tenir rigueur pour cela.

Les deux gamins haussèrent les épaules. Severus se redressa de toute sa taille et vint se pencher au-dessus de leurs pupitres, dans sa position favorite pour les impressionner.

- Je pourrais vous montrer comment être les meilleurs stratèges du monde, comment enfermer toute la science existante dans une bouteille que vous ouvririez à votre convenance, comment domestiquer la gloire… si vous n'étiez pas des cornichons à qui j'ai la malchance de dispenser mes cours.

Regulus et Andromedus avalèrent leur salive et se tinrent cois. Ils venaient de comprendre que ce n'était pas le jour pour secouer la cage de la bête sauvage.

Severus recula d'un pas.

- Pour demain, vous m'écrirez un rouleau de parchemin sur les techniques de guerre des Grecs anciens.

Les deux garçons grognèrent. Un regard de Severus les fit taire. Ils ramassèrent leurs plumes et quittèrent la petite salle d'étude, au premier étage du manoir fortifié.

Severus, resté seul, se demanda pourquoi, au nom de tous les saints, il avait accepté de devenir professeur. Il était persuadé n'avoir aucun talent pédagogique et aucune vocation pour cela.

Mais depuis qu'il avait renoncé à sa vie monastique, il peinait à trouver quelque chose pour remplir sa vie et assurer sa subsistance. Etre le précepteur des fils du baron était finalement un coup de chance. Même s'il en doutait à cet instant précis.

Severus ferma son livre et s'apprêtait à quitter les lieux quand le baron Sirius Black en personne entra. Severus se redressa pour lui faire face. Bien que le baron l'ait engagé pour s'occuper de ses enfants, les relations entre eux étaient tendues pour parler par euphémisme.

- Comment s'est passée votre leçon aujourd'hui ? s'enquit Sirius.

- Bien, monsieur le baron.

Severus lui donnait son titre. Mais Black, lui, évitait de lui donner du « monsieur », ce qui était une marque de dédain à peine déguisée.

- J'ai entendu vos dernières paroles alors que je me trouvais derrière la tenture, poursuivit Black. Non que je veuille vous espionner, mais je suis poussé par la curiosité. Pourquoi diantre leur parlez-vous des anciens Grecs ?

- Parce que nous étions en cours d'histoire, répliqua Severus en levant les yeux au ciel.

- Je croyais que l'histoire parlait surtout de l'histoire biblique, ou de celle du royaume d'Angleterre…

- Entre les deux, il y a eu plusieurs siècles, rétorqua Severus, qui sentait poindre son agacement à devoir se justifier. On ne peut pas les balayer d'un revers de main.

- C'est pourtant ce que suggère le curé quand nous bavardons tous les deux.

Severus pinça les lèvres. L'opinion du curé de la paroisse n'était pas l'opinion de toute l'Eglise. Et il s'estimait mieux placé pour parler de l'opinion de l'Eglise. Mais cela bien sûr, il ne pouvait le dire.

- J'espère en tout cas, poursuivit Black, que vous ne leur parlez pas de l'abominable vice des Grecs…

Severus tressaillit.

Les Grecs avaient codifié les relations entre hommes, appelées pédérastie, qui soutenaient leur cohésion sociale. C'était évidemment une des raisons qui avait poussé Severus à s'intéresser à la civilisation grecque. Platon avait été une découverte majeure dans sa vie. Il espérait avec ferveur que Black ne soupçonnait rien de ses inclinations personnelles et qu'il émettait simplement une remarque en l'air, sans se douter qu'il touchait juste. Le seigneur lui apparaissait assez stupide pour cela.

- Certes non, répliqua Severus. Ce sujet n'était pas abordé par Thucydide et Xénophon quand ils racontaient la guerre contre l'empire perse. Et ces lectures-là, ainsi que celle des œuvres du philosophe Aristote, sont recommandées par la Curie romaine depuis le pape Sylvestre II, qui était un lettré et un savant.

Sirius Black le regarda avec des yeux ronds.

- D'autre part, poursuivit Severus, vous entendez faire de vos garçons de bons chevaliers, n'est-ce pas ? La stratégie militaire des Grecs était incomparable. Ils sont d'excellents modèles dans l'art de la guerre. A présent, si vous voulez bien m'excuser…

Severus sortit en passant près du baron, qui restait coi. Il était soulagé d'en avoir fini avec cet homme et avec ses héritiers pour aujourd'hui. Chaque conversation avec Black tournait à l'affrontement. Severus aurait donné beaucoup pour pouvoir quitter sa charge au manoir des Black, mais il avait besoin des subsides que cet emploi lui procurait.

Severus sortit du manoir et prit la route du village, dont on voyait les premières maisons au bout du chemin. Harry aussi avait probablement terminé son travail pour la journée et ils pourraient prendre leur repas tous les deux.

Harry réparait des livres. Il pouvait consolider une reliure qui tombait en lambeaux, reformer une page qui semblait sur le point de se déchirer et, évidemment, tracer de nouveau une enluminure qui s'était affadie. Si le jeune homme avait toujours été récalcitrant au travail manuel, il ne rechignait pas à celui-ci, plus artistique. Il faisait un bon artisan et les familles qui avaient des ouvrages en leur possession, ou même un seul ouvrage comme c'était souvent le cas, le confiaient à ses mains expertes. Quand on lui demandait où il avait appris son art, Harry répondait honnêtement : « auprès de frères bénédictins ».

Mais il se gardait bien de révéler que lui-même avait porté l'habit et qu'il avait défroqué. Ce serait assez pour les faire chasser à coups de pierres, Severus et lui. Dans le meilleur des cas.

Severus, arrivé au village après une courte marche, poussa la porte de leur logis. Harry n'était pas encore là. Severus jeta un coup d'œil autour de lui. L'endroit manquait d'entretien. Il faudrait balayer, nettoyer. A l'abbaye, il y avait toujours quelqu'un pour le faire, alors ni Harry ni Severus n'avaient l'habitude d'être leurs propres domestiques.

Alors que Severus fronçait le nez de dégoût, Harry entra à son tour.

- Ah, tu es là ! C'est bien, je meurs de faim !

Mais le sourire de Harry disparut en avisant qu'il n'y avait aucun feu allumé dans l'âtre et encore moins de pot mijotant au-dessus des flammes.

- Oh, tu n'as rien préparé ?

- Je viens de rentrer, dit Severus, les dents serrées. Et je ne crois pas qu'il soit consigné dans une règle quelconque que ce soit à moi de préparer le repas.

- Et à moi non plus, répliqua Harry, qui paraissait essoufflé et irritable. Je fais la plupart des corvées ici. J'aimerais que cela change.

- Si j'en crois l'état de la maison, tu n'es pas épuisé par les corvées en question, contrecarra Severus avec un haussement de sourcils sardonique.

Parfois, discuter avec Harry était comme discuter avec Sirius Black. Deux idiots qui ne connaissaient rien de ce dont ils parlaient. Il n'était alors pas très difficile de répliquer et de gagner la joute verbale.

Harry était furieux, à présent. Ses yeux verts étincelaient. Il cherchait ses mots pour répondre, et certainement les mots ne seraient guère courtois.

Severus, à son corps défendant, le trouvait très beau ainsi. Il avait toujours trouvé qu'Harry était irrésistible, même quand il n'était qu'un novice de dix-sept ans à l'air têtu. Severus, qui était son Maître au sein du monastère, s'était acharné à le traiter sévèrement pour que jamais Harry ne devine son attirance. Mais cette même attirance l'avait poussé à sauver Harry des mains de Lucius, puis finalement à quitter la vie conventuelle avec lui.

Ils vivaient ensemble depuis des mois. Mais il serait exagéré de dire que tout se passait à merveille.

Severus avait lu en cachette, comme tous les moines, les romans de chevalerie qui étaient fortement déconseillés aux clercs, lesquels n'avaient pas de temps à perdre avec ces absurdités peu évangéliques. Il se demandait à présent ce qui se passait après les ferventes déclarations d'amour éternel. Si Lancelot avait dû vivre avec Guenièvre, peut-être aurait-il réalisé qu'elle n'était qu'une enfant gâtée. Si Tristan s'était disputé avec Iseult sur l'état du parquet, ou si n'importe quel chevalier avait dû discuter avec la dame de ses pensées duquel d'entre eux devrait ôter des écuries le crottin de cheval, cela aurait considérablement affaibli l'amour courtois.

Harry dut lire quelque chose de plus plaisant dans les yeux de Severus car sa colère sembla se dissiper comme un nuage.

- Bon, soupira-t-il. Voyons cela ensemble. Qu'y a-t-il comme restes ?

Il s'avéra que leur coffre de victuailles était quasiment vide. Harry lança à Severus un regard désappointé, comme s'il était un chevalier qui avait failli à chasser la subsistance pour la dame de ses pensées. Mais Severus, qui n'avait ni arbalète ni destrier, préféra entraîner Harry vers le marché de la place voisine.

Ils n'étaient guère doués pour la vie hors des murs du cloître, tous les deux.

Severus eut une pensée pour son ancienne demeure, l'endroit où il avait passé toutes ces années. Il de demanda ce que ses anciens frères devenaient, sous la férule de Lucius.

HPHPHPHPHP

Après avoir frappé, Neville poussa la porte de la cellule du père abbé. Du temps d'Albus, il aurait été accueilli par un bon sourire de l'abbé du monastère, et par la vision réjouissante d'un bouquet de fleurs sur le bureau. Albus aimait être au calme, dans la solitude de sa chambre spartiate. Il avait réussi à la rendre chaleureuse, alors que la cellule répondait strictement aux commandements de saint Benoît, fondateur de l'ordre des Bénédictins : fonctionnelle et sans confort.

Mais bien des choses avaient changé récemment.

La pire de toutes était la mort d'Albus. Certes, il était âgé et son cœur était faible. C'était cela qui l'avait tué en fin de compte. Il avait encore toute sa tête et il veillait avec affection sur l'assemblée de ses moines. Sa disparition était une perte terrible pour le monastère. Il avait été porté en terre dans le cimetière, derrière l'église. Il rejoignait tous les frères Bénédictins qui avaient rejoint Dieu en ces lieux.

Le second changement majeur était l'accession de Lucius au poste de père abbé. L'ancien prieur avait pris la place qu'il convoitait depuis toujours. Avec l'appui du comte Cornelius, dont le pouvoir de ban, c'est-à-dire l'autorité, s'étendait sur le monastère, il avait pris la tête de la communauté. Ses partisans étaient très rares. Lucius était un homme corrompu, que beaucoup de monde craignait à juste titre. En théorie, les moines avaient leur mot à dire sur le choix de celui qui les dirigeait. Mais en pratique, la consultation avait été confisquée par le pouvoir séculier : le seigneur local nommait son favori. La nomination de Lucius était un témoignage des accointances qu'il avait nouées avec le comte.

Et les frères n'avaient rien à dire. Encore heureux que l'abbé fut l'un d'eux, et non un parfait inconnu arrivé de l'autre bout du pays pour prendre la direction des lieux.

Neville vérifia d'un regard circulaire que Lucius était absent. Ce n'était pas si évident car le nouvel abbé avait fait apporter plusieurs meubles qui ne s'y trouvaient pas auparavant. Le fauteuil recouvert de brocart avait l'air très confortable. Lucius venait d'une grande famille et avait gardé des goûts de luxe.

- Père abbé, vous êtes là ? Non ? Tant mieux !

Neville n'aurait pas eu ces paroles téméraires en présence de Lucius. Mais il se détendait en son absence. Remus, le frère qui dirigeait l'infirmerie, l'avait envoyé porter un remède à Lucius. Neville n'avait pas été ravi de la commission.

Il fit quelques pas et regarda autour de lui, curieux malgré lui. Frère Rusard, le concierge, disait que Lucius était un grand seigneur de par sa naissance et que son entrée dans les ordres n'y avait rien changé. Rusard était cynique et désagréable mais il y voyait souvent clair et ne se laissait pas abuser par les apparences. Toute une vie à observer les mœurs des moines l'avait laissé assez désenchanté…

Comment vivait un grand seigneur ecclésiastique ?

Visiblement il n'avait pas renoncé au confort. Il y avait des couvertures en fourrure sur le lit et celui-ci était rembourré. Des tentures étaient suspendues au mur et des tapis recouvraient le sol : ils chassaient le froid diffusé par les épaisses pierres tout en donnant un aspect confortable et luxueux à la pièce. La cheminée, qui restait souvent nue du temps d'Albus, abritait à présent une bonne flambée.

Neville fut saisi par l'envie presque irrésistible de s'allonger sur le lit. Il aurait pu avoir chaud, se sentir protégé, sentir contre sa peau la douceur de la fourrure. Jamais il n'avait expérimenté un tel confort…

Mais il se ressaisit. C'était beaucoup trop dangereux. Il se serait immanquablement endormi et Lucius le surprendrait. La pénitence serait terrible. Lucius était indulgent envers ses propres fautes, beaucoup moins envers celles des autres…

Neville avança jusqu'à la table de travail d'Albus – enfin ce qui était avant la table de travail d'Albus. Un flot de souvenirs l'envahit et lui arracha un sourire. Albus avait une personnalité originale et irrésistible. Ses yeux clairs pétillaient de malice avec lui, la foi était joyeuse, l'espérance vivante. La vie monacale était plus légère à porter sous la houlette d'Albus. Un jour, alors que Neville était un jeune novice de quinze ans, fraîchement entré au cloître et peu accoutumé à ses règles, Albus lui avait longuement parlé, dans cette même pièce.

Neville n'était pas orphelin mais il était bien seul au monde. Ses parents avaient été torturés par des bandits et en avaient perdu la raison. Cette histoire tragique le rapprochait de Harry, un novice de son âge. Mais Neville n'avait pas la faculté de Harry de se faire des amis et de garder leur amitié. Il se sentait seul au monastère, il était affreusement timide et maladroit. Heureusement, Remus avait fait de lui son apprenti, et Neville avait commencé lentement mais sûrement à trouver sa place.

- Tout le monde a sa place dans ce monde, avait dit Albus. Tu es rempli de qualités, Neville. Tu dois prendre confiance en toi.

Neville, intimidé, gardait les yeux baissés. Ce n'était pas facile d'avoir confiance en soi quand le Maître des Novices, Severus, le harcelait sans cesse.

- Je sais que frère Severus est particulièrement sévère avec toi, reprit Albus.

Neville sursauta le père Abbé lisait-il dans les pensées ? Mais Albus eut un bon sourire.

- Severus sait voir le potentiel de chacun d'entre nous. Il fait cela mieux que personne. Je sais qu'il voit en toi des qualités de courage et de fermeté d'âme, mais il attend pour les voir s'exprimer pleinement que tu sortes de l'enfance. Il essaie, à sa manière, de te faire grandir.

- Mais je ne suis plus un enfant ! protesta Neville, piqué au vif.

- Encore un peu… N'aie pas peur, Neville. Sois toi-même.

Albus lui avait ensuite montré son bureau, qui ressemblait à une simple table de bois.

- Je vais te montrer une chose, Neville. J'ai moi aussi des craintes, des inquiétudes pour l'avenir, même si je fais confiance à la providence. J'ai un endroit secret, où je mets par écrit les pensées farfelues qui me traversent la tête. Veux-tu le voir ?

Neville, intrigué, hocha la tête et se rapprocha. Albus passa la main sous la table et frappa d'un coup sec. Il devait y avoir une petite trappe qui entreposait un papier, parce que le père abbé ramena de dessous un document qu'il montra à Neville.

- Voilà mon secret. Si tu savais les stupidités qui me viennent en tête, tu rirais ! Les coucher par écrit m'aide énormément. Elles n'encombrent plus mon esprit, et pourtant elles restent à portée si j'ai besoin ou envie de m'y replonger. Tu pourrais faire quelque chose de ce genre pour toi-même, Neville.

Neville acquiesça, attiré par cette idée. Lui qui n'avait personne à qui se confier, cela pourrait peut-être l'aider. Ce qu'il avait en tête, il ne pouvait certes pas les confier à Severus, son confesseur attitré. Les cacher dans un endroit à lui apparaissait tentant.

- J'aimerais qu'un jour, on puisse entreposer les souvenirs, les pensées, murmura Albus. On y reverrait des événements passés comme s'ils s'étaient produits hier, avec les images et les paroles… Je l'appellerais « pensine »…

Puis il secoua la tête, amusé par ses propres paroles.

- Je crois que j'ai vécu trop longtemps déjà, j'ai accumulé trop de choses dans ma pauvre tête !

L'entretien avait pris fin, mais Neville en avait toujours gardé un souvenir ému. Albus avait raison, les souvenirs avaient de la force. Celui-là l'avait porté à travers bien des mauvais moments.

Un autre mauvais moment avait été la disparition de Harry et de Ron, les deux seuls garçons ici que Neville pouvait appeler ses amis. Harry avait été mis aux arrêts sur ordre de Lucius, pour possession démoniaque, le prétexte le plus grotesque qui soit. La témérité de Neville n'allait pas jusqu'à nier l'existence du diable. Comme disait certains moines plus expérimentés que lui, il suffisait de regarder autour de soi. Mais Harry n'était pas un envoyé du diable. Lucius ferait un bien meilleur candidat. Neville et les autres moines s'inquiétaient de ce qui allait advenir à Harry, alors ils l'avaient aidé : sa cellule avait été retrouvée vide, la porte battante.

Harry avait fui, et personne ne lui en tenait rigueur. Plus étrange était la disparition simultanée de deux autres frères : Severus, le Maître des Novices, et Ron, le meilleur ami de Harry. Lucius les avait envoyé en pénitence travailler à la léproserie, à l'autre bout de la forêt. Jamais ils n'avaient regagné le cloître.

Harry et Ron lui manquaient. Il allait sans dire que Severus ne lui manquait pas du tout.

Tout en songeant au sort de ses amis perdus, Neville passa la main sous le bureau d'Albus, non de Lucius à présent. Il donna un coup, mais rien ne se produisit alors il déplaça un peu sa main et tapa de nouveau.

Si un des frère surgissait à ce moment précis, il s'inquièterait beaucoup au sujet de sa santé mentale. Peut-être l'accuserait-on de possession démoniaque, lui aussi…

Et soudain plusieurs papiers lui tombèrent dans la main, et il faillit les faire tomber tant sa surprise fut grande. Il se redressa et les regarda, hébété. Des documents qui avaient appartenu à Albus. C'était comme si le vieil abbé avait surgi de sa tombe pour lui parler.

- Que fais-tu là ? dit soudain une voix derrière lui.

(à suivre)