Chapitre 1 :

Oh… Que se passait-t-il ? J'avais l'esprit léger mais la tête si lourde. J'avais énormément de mal à définir mon corps et ses limites, du mal à discerner clairement mes membres, dont je ne parvenais pas à tirer la moindre coopération. Ils refusaient catégoriquement de bouger. Je me sentais raide, courbaturée, brisée.

Où suis-je ?

L'endroit était calme, il n'y avait pas un seul bruit. Lorsque l'air s'infiltra dans mes poumons, une brûlure vive les consuma. Cette respiration, ma respiration, pénible et rauque, résonnait étrangement dans la pièce. J'avais envie de tousser mais je pressentais que cela ne ferait qu'envenimer les choses. Je parvins à ouvrir les yeux mais la lumière du jour filtrant au travers de la fenêtre m'éblouie douloureusement, ravivant de surcroit mon mal de tête. Je refermais aussitôt les paupières, étouffant un gémissement plaintif.

Un bruit étrange troubla le silence. Tel un rideau lourd que l'on tire. La lumière vive et dorée qui éclairait mes paupières fut remplacée par un voile plus sombre et supportable. Je n'étais donc pas seule ? Quelqu'un était avec moi dans cette pièce. Mes doigts furent agités de tremblements légers. Je voulus les serrer mais quelque chose entrava ma main droite, étirant ma peau, m'empêchant tout mouvement. Je gémis à nouveau.

Quelque chose de froid entra soudain en contact avec mes doigts frémissants. Des frissons gagnèrent aussitôt mon bras, hérissant mes poils jusqu'à l'épaule sans que je ne puisse rien contrôler. Ce contact était glacé : une main plongée dans un fraiseur aurait était aussi froide. Je me dégageais dans un sursaut, n'osant ouvrir les yeux à présent.

Qui était là ? Que me voulait-on ? Je sentis les battements de mon cœur redoubler sous mes côtes douloureuses. La présence semblait toute proche.

_ Tu m'entends ? Tout va bien, tu es sortie d'affaire.

Qu'entendait-il par là ? La voix était masculine : un ténor doux qui se voulait rassurant. J'inspirais avant de me décider à ouvrir les yeux. Une silhouette floue était penchée sur moi. Je clignais des yeux pour mieux voir et mon regard croisa deux prunelles sombres et profondes, encadrées de cheveux broussailleux et désordonnés. C'était un homme assez jeune, au teint très pâle. Etait-il malade? Anémique ? On aurait dit un fantôme avec ses cernes violacées. Un soupir de soulagement franchit ses lèvres et il s'assit sur le lit où j'étais moi-même allongée.

Je pris alors conscience de l'endroit dans lequel je me trouvais. Une pièce blanche, avec une télévision éteinte, un fauteuil et près du lit, toute une batterie d'instruments, de prises, de fils, de boutons et de tubes. J'eu peur en voyant plusieurs d'entre eux reliés à mes poignets. Ma respiration s'accéléra, ravivant l'incendie de ma gorge et les élancements dans mon crâne. Sa main se posa sur mon front, aussi froide que le contact glacé de tout à l'heure. Je sursautais à nouveau, le fixant incrédule.

_ J'ai eu si peur, reprit-il imperturbable, ses doigts revenant même effleurer ma joue : j'ai bien cru que cette fois…

Une moue inquiète déforma sa bouche. Ses doigts glissèrent sous mon menton avant qu'il n'approche dangereusement son visage du mien. Mes yeux s'écarquillèrent. Qui était-il ? Pour qui se prenait-il ?! Je secouais la tête, échappant de justesse à ses lèvres effrontées et sans gêne qui manquèrent de peu les miennes. Il se figea un instant puis se redressa :

_ Que se passe-t-il ?

J'ouvris la bouche, mais le seul son qui parvint à en sortir fut un souffle ridicule et inaudible qui me déchira pourtant ma gorge. La douleur me fit hoqueter. Je n'arrivais pas à articuler le moindre son, la moindre syllabe ou parole. Mon cœur s'affola de nouveau et du coin de l'œil, je vis sur l'un des moniteurs, un tracé sinueux accélérer lui aussi sa course. Un chiffre vert oscilla entre 84 et 88.

_ Ah, fit-il, j'oubliais : tu ne peux pas encore parler pour le moment à cause de l'eau.

De l'eau ?

Ses yeux me détaillèrent un moment, longeant l'ensemble de mon corps.

_ Tu es dans un piteux état ! Je vais étriper ce clébard !

Clébard ?

Je ne comprenais plus : m'étais-je noyée ou est-ce qu'un chien m'avait fait cela ? Je le fixais incrédule. Qui était-il ? L'avais-je déjà vu ? Pourquoi se comportait-il de la sorte avec moi ? Aussi intimement alors que je ne le connaissais pas ?

Je commençais sérieusement à paniquer. Après tout, nous étions dans un hôpital, peut-être étais-je proche du service psychiatrie ? Peut-être s'était-il trompé de chambre ? Peut-être s'était-il enfui ?! Je jaugeais de nouveau ses cernes, son teint blême et maladif et ses yeux si étranges avant d'ouvrir la bouche pour appeler à l'aide. A mon grand désespoir, rien ne sorti hormis un râle rauque. Cette tentative ratée l'alarma malgré tout:

_ Qu'as-tu ? Ca ne va pas ?

Sa main glacée effleura ma gorge et je paniquais pour de bon : allait-il me tuer pour m'empêcher de protester ? Que comptait-il me faire ?! J'hoquetais, impuissante, respirant avec difficulté.

_ Arêtes, ne paniques pas ! Calmes-toi,

Il se leva, pour contourner le lit et s'approcher de ma tête. Quelque chose me disais que cela n'allais pas être bon pour moi. Mes poumons étaient en feux, je peinais de plus en plus à faire passer l'air dans ma trachée. Je le vis appuyer sur un bouton rouge alors que le chiffre vert du moniteur passait à 94.

Quelques instants seulement plus tard, un homme blond en blouse blanche ouvrit la porte. Un sourire étira ses lèvres lorsque ses yeux dorés se posèrent sur moi. Un médecin ! J'étais sauvée ! J'ouvrais la bouche à nouveau, essayant dans une tentative désespérée de parler, de lui demander de l'aide pour faire sortir cet intrus.

L'homme aux cernes s'éloigna un peu de mon lit tandis que celui en blouse s'approchait de moi. Ses yeux jaugèrent le moniteur, notamment le tracé sinueux. Une ride contrariée barra son front et son air enjoué laissa place au sérieux. Il inspecta le tube à perfusion relié à mon poignet ainsi que le contenu de la poche transparente auquel il était relié. Il sorti de la poche de sa blouse, une petite torche ainsi qu'un bâtonnet aplati en plastique qu'il retira d'une pochette stérilisée.

_ Pourrais-tu ouvrir la bouche ? Je vais regarder ta gorge.

Je m'exécutais et il appliqua délicatement la spatule sur ma langue avant de braquer le faisceau lumineux à l'intérieur de ma cavité buccale. L'opération me fut étrangement douloureuse et j'eu rapidement l'impression d'étouffer. Jetant le bâtonnet dans la poubelle, il sortit une petite roulette métallique à l'extrémité crantée. D'un geste lent, il retira les couvertures.

_ Je vais poser cet instrument à différents endroits, expliqua-t-il : tu me diras si tu sens quelque chose, d'accord ? J'ai vu que tu avais bougé les mains et les bras, je veux m'assurer que les terminaisons nerveuses de tes jambes fonctionnent.

J'approuvais d'un hochement de tête. Il posa la roulette dentée sur la plante de mes pieds tour à tour, puis sur chacun de mes mollets et de mes genoux. Je ressentais les picotements des dents de la roulette, ce qui ne présentait donc rien d'anormal et l'en informais silencieusement. Il termina son rapide examen en sortant un petit appareil qu'il plaça dans mon oreille. Il y eu un bip et ce fut tout. Le médecin s'écarta:

_ Pourquoi m'avoir fait venir ? Questionna-t-il à l'encontre de l'homme aux prunelles sombres : son rythme cardiaque est élevé certes mais il n'y a rien d'inquiétant. Elle est légèrement fiévreuse : c'est une réaction défensive normale vue l'état de sa gorge. Je vais lui donner quelque chose pour l'atténuer.

Les deux hommes semblaient se connaître. Pourquoi le médecin ne trouvait rien d'anormal à ce que cet homme soit présent dans ma chambre ? Etait-il un patient ou un interne ?

Dans une série de gestes sûrs, il décapsula la protection d'une seringue, la remplie d'un liquide transparent qu'il injecta dans un autre petit cylindre relié à ma perfusion. Sans que je ne m'y attende, sa main se posa sur mon front, aussi froide que celle de l'autre homme. Je sursautais. Etait-ce vraiment la fièvre qui me faisait réagir ainsi ?

_ Ta gorge est très gonflée. Tu ne pourras parler que dans quelques jours Bella. Je pense que tu ne pourras pas vas réussir à manger.

Comment m'avait-il appelé ? Bella ? Etait-ce un surnom ? Une manière de dire qu'il me trouvait jolie ? Je jaugeais sa pâleur et ses cheveux blonds il n'avait rien d'italien chez lui Qu'est-ce que cela signifiait ? Pourquoi m'appeler ainsi ? Pourquoi Bella ?

Malgré l'état de ma gorge, je devais lui dire comment je m'appelais : ce surnom était trop dérangeant. Je me figeais face au vide qui se mit à sévir dans mon crâne. Un vide dérangeant, abyssal. J'aurais ris face à pareille absurdité si j'avais été capable de le contredire, de l'interrompre pour lui dire quel était mon prénom. Mais j'en étais incapable. Bella… Se pourrait-il, aussi impensable que cela puisse paraître, être mon nom ? Mon nom ?!

Un brusque vertige s'empara de moi. J'appuyais mon crâne contre l'oreiller. Tout semblait confus. La panique m'envahie alors que je me mettais à chercher une réponse à ces questions : qui… qui étais-je ? Quel âge pouvais-je avoir ? Qui étaient mes parents, ma famille ? Avais-je des frères, des sœurs ?

_ Bella que se passe-t-il ?

C'était le médecin, il jaugeait mes poings crispés, ma respiration rauque et rapide. Pourquoi cette difficulté à retrouver mes esprits ? Pourquoi pareil handicap à formuler des noms, à trouver les visages qui s''y rapportent et à visualiser des lieux connus ?

Je sentis mes yeux se remplir de larmes, ma vision devint floue et je m'enfonçais un peu plus dans le lit.

_ Tu veux quelque chose ? De l'eau ? Quoi ? fit le second en s'approchant d'un pas vif.

Les râles secs reprirent, déchirants ma gorge tel un souffle d'épines.

Enfin, ce n'était pas croyable ! Comment… Comment était-il possible d'oublier ma propre existence? Je me creusais les méninges, oppressée, affolée, cherchant la moindre bride, le moindre indice sur moi-même. Mais rien ! Rien du tout !

_ Elle panique ! Quelque chose ne va pas… il lui faut un papier, un crayon!

L'homme aux cernes gagna la petite table de nuit à côté du lit et revint vers moi pour me tendre un bloc-notes à l'effigie de l'hôpital ainsi qu'un stylo. Je fus incapable de m'en saisir, mes mains tremblaient trop.

C'est alors qu'on toqua alors à la porte. Un coup bref avant que celle-ci ne s'ouvre.

_ Mais qu'est ce qui se passe ? Qu'est-ce que vous lui faites pour qu'elle ait peur comme ça ?

Un grand blond venait d'entrer, suivit de près par une jeune femme, petite et fluette. Ses cheveux noirs étaient courts et coiffés à la garçonne. Un sourire rassurant apparut sur ses lèvres alors qu'elle s'avançait vers moi :

_ Je suis si contente de te voir enfin ouvrir les yeux … Ca va ?

Elle me jaugea, soucieuse, ses prunelles dorées braquées sur moi. Celles-ci descendirent vers le bloc note et le crayon. Elle m'aida à m'en saisir, sa main froide se referma doucement autour de la mienne pour m'aider à maintenir le crayon en place. Je réussis à ne pas sursauter mais gribouillais d'une écriture presque illisible qui m'amena au bord du sanglot.

_ Chut murmura la jeune femme: voyons, ce n'est pas grave. Ne paniques pas, tu vas y arriver. Calmes-toi, ça va aller.

Bizarrement, j'étais plus rassurée avec elle et le grand blond qui l'accompagnait me faisait moins peur que l'homme aux cernes. Je dus m'y reprendre à trois reprises avant de réussir à inscrire quelque chose de compréhensible.

« Qui êtes-vous ? »

Un silence pesant s'abatis sur la pièce quand la jeune femme assise à mon côté lu à haute voix ma question. Tous se figèrent d'un bloc. De longues secondes s'écoulèrent avant que le médecin, stupéfait se reprenne :

_ Comment ça ? Tu ne te souviens de rien ?

Je secouais la tête pour nier mais la douleur m'arrêta net. Quatre paires d'yeux se posèrent sur moi avec hébétude. L'homme aux prunelles sombres s'était écarté mais son regard était plus dérangeant encore que celui des autres. Intimidée, je reportais mon attention sur le médecin qui s'approcha :

_ Quel âge as-tu ?

Les larmes noyèrent mes yeux alors que j'inscrivais :

« Je ne sais pas. »

_ Et Charlie ? Est-ce que ce prénom évoque quelque chose pour toi ? Peux-tu me dire quelque chose à son sujet, ce qui il est pour toi ?

Je niais.

Le médecin soupira, songeur et visiblement déstabilisé. Son diagnostic encourageant semblait s'effriter.

_ Je vais réserver une place au bloc pour qu'elle puisse faire un IRM en urgence. Les dommages cérébraux causés par l'œdème sont peut-être plus importants que ce nous avions évalué.

Il quitta la chambre, toujours plongée dans le silence. La petite femme s'écarta un peu de moi, me jaugeant à son tour:

_ Tu-sais comment je m'appelle ? Tu ne m'as pas… oublié ?

Je me mordais nerveusement la lèvre, incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Un mouvement à la périphérie de ma vision me fit sursauter. Soudain, l'homme aux cernes était penché sur mon lit, plus proche qu'il ne l'avait était. Je n'eue pas le temps de réagir : ses deux mains se posèrent sur mes joues et il me força à le regarder.

_ Ça ne va pas durer. Je suis sûr que la mémoire va te revenir, tout va rentrer dans l'ordre. Ce n'est que passager, le choc a était rude…

Point de vue Edwardien

La Mercedes noire filait sur la nationale, les phares éclairant de leur lumière blême la route. La nuit avait plongée l'habitacle dans une obscurité presque totale.

_ Je ne comprends pas, lâcha Alice : les résultats de ses examens étaient plus qu'encourageants. Est-il possible de tout oublier aussi facilement ?

Mes mains se crispèrent. Jasper avait insisté pour prendre le volant, me jugeant inapte à la conduite. J'écoutais l'exposé de ma sœur sans que ma nervosité ne puisse redescendre :

_ L'œdème s'était résorbé. Carlisle avait malgré tout décidé de la laisser sous coma artificiel quelques jours afin de lui épargner la douleur. Cette perte de mémoire ne devrait pas durer ?

Elle me jaugea dans le rétroviseur tandis que je demeurais silencieux, n'ayant moi-même aucune affirmation à lui donner.

_ Le choc a été rude. Combien de mètres entre la route et l'eau ?

Jasper fut plus prompt à réagir que moi :

_ Plus d'une vingtaine, il me semble. C'est un miracle que la Chevrolet ne se soit pas enflammée en tombant. Ont-ils laissé l'épave en place ?

_ Non, fis-je, sortant de ma léthargie : elle a été rapatriée à la casse de la Push.

_ Des nouvelles de Jacob ? lança Alice d'une petite voix.

Je grondais pour toute réponse mais elle intervint :

_ Il a sorti Bella de l'habitacle Edward, ne l'oublie pas. Sans lui elle n'aurait pas survécu.

_ Je ne discute pas ce point, rétorquais-je amère : j'aimerais juste savoir ce qu'il s'est passé pour que sa voiture atterrisse sur la plage. L'enquête a conclu que la sortie de route était due en grande partie à une vitesse excessive. Les traces de pneus et la quantité de gomme retrouvées sur l'asphalte l'attestent. Ca ne lui ressemble pas de conduire aussi vite.

Jasper quitta la nationale pour gagner la sortie de Forks. Il demanda :

_ Tu sembles bien renseigné, elle a eu cet accident sur le territoire Quileute, comment as-tu eu accès à ces informations ?

_ Charlie, avouais-je dans un soupire.

Il opina et le silence revint dans l'habitacle. Je n'étais pas fière de mon attitude, du zèle avec lequel j'avais écouté les pensées de mon futur beau-père. Tout comme moi, il avait traversé cette épreuve avec difficulté. Sa fonction de shérif l'avait même contraint à assister au relevage de la voiture-épave de sa propre fille. Le souvenir de la carcasse de la Chevrolet hantait depuis son esprit et le mien par conséquent depuis une dizaine de jours.

Nous ne tardâmes pas à rejoindre le chemin menant à la villa qui se dressait seule au milieu de l'ombre des sapins. Je montais à l'étage sans un mot alors qu'Alice et Jasper se chargeaient de mettre Rosalie et Emmett au courant de la situation.

J'arpentais ma chambre de long en large, hagard. La situation était tellement délicate. Je ne cessais de repenser à ces étranges retrouvailles à l'hôpital, à son trouble en me voyant, à cette peur qui l'avait secouée lorsque je m'étais approché d'elle. Dévasté, je restais debout, tantôt figé, tantôt errant dans la pièce sans qu'un état ou l'autre ne m'apporte un quelconque soulagement.

Carlisle rentra tard cette nuit-là. A peine eu-t-il franchit le seuil que je descendais à sa rencontre, espérant qu'il m'annonce avec soulagement que la situation était rentré dans l'ordre et que la perte de mémoire de Bella n'avait été que le résultat des effets du coma. Il n'en fut rien. Un seul regard, une seule pensée suffirent à réduire cet espoir. Sa mine était préoccupée, grave et tout comme moi, il préféra se réfugier dans le silence pour le reste de la nuit. La porte de son bureau se referma derrière lui et même Esmé n'osa en franchir le seuil.