Chapitre 1 : Une nouvelle terre et de nouveaux visages
Le jeune homme remua péniblement ses doigts engourdis contre la terre sèche. Il tenta de se relever, mais ses jambes faillirent avant qu'il eût pu se tenir tout à fait debout. La clarté d'une lune inhabituellement lumineuse et pâle l'auréolait. Sa chevelure argentée, bien qu'il ne dépassât pas la vingtaine d'années, miroitait autant que les perles qui la paraient et que ses vastes yeux bleutés, ourlés de longs cils bleu nuit. Au prix de nombreux efforts, il fut sur pied.
Cette terre qui s'étendait lui parut tout à la fois coutumière et inconnue et sa vision le figea. Une migraine épouvantable lui vrillait le cerveau. Il ne voulait pas réfléchir, ni même se concentrer pour rassembler quelques souvenirs ; il ne s'en sentait juste pas capable. Les premiers pas furent hésitants, maladroits. La lourde armure immaculée, mais qui bizarrement moulait son corps athlétique irréprochable, ne lui facilitait pas la tâche. Après une dizaine de minutes, il recouvrit l'ampleur de ses sens et de ses capacités. Il s'arrêta et regarda le paysage lunaire qui s'étendait à perte de vue autour de lui. Il bondit de plusieurs mètres, ce qui pour lui était une sinécure, et atterrit au sommet d'un promontoire rocheux.
- Où suis-je ? Où est ma terre ? murmura-t-il et il serra son épée dans sa main droite, tandis que la gauche tenait sa lance.
Soudain, il entendit des voix humaines. Son premier réflexe ne fut pas d'aller au-devant du guerrier et du gamin blond qu'il entrevit. Cecil n'était ni quelqu'un de particulièrement sociable et aimable en réalité. Il s'y efforçait. Tous ses anciens compagnons, dont maintenant les noms lui revenaient, Edward, Yang et tous les autres, le prenaient pour un vrai paladin. Lui savait que le chevalier noir, froid, insensible et assassin, avait survécu en lui et il prenait souvent son contrôle durant les combats. En quelques secondes, il jaugea les deux hommes.
- Hum, des proies faciles, grogna Cecil. Je ne risque rien.
Son sourire carnassier révéla des canines prédatrices dignes d'un vampire. Se jetant dans le vide, il toucha terre juste devant eux. Le blondinet fit un bond en arrière, en laissant échapper un petit cri de surprise qui fit ricaner Cecil. Quant à son compagnon, un bandeau emperlé noué dans ses cheveux gris coupés court et en bataille, il se contenta de rapprocher sensiblement sa main d'une de ses nombreuses armes.
- T'es qui toi ? s'exclama le jeunot.
Cecil vissa son regard peu rassurant sur lui et il perçut nettement autre chose qu'une simple agitation, de la peur. Comme il ne répondait pas, le plus vieux prit la parole.
- Tu es paladin ? le questionna-t-il. Comment te nommes-tu ?
Sa voix avait quelque chose d'hésitant qu'il s'entêtait à dissimuler. Ce qui passait inaperçu pour un autre, Cecil le ressentait nettement. Elle transportait également une certaine tendresse, qui ne suscita que de l'incompréhension chez Cecil ; ils ne se connaissaient pas. Celui-ci, bien qu'il fût quelque peu déconcerté, répondit aimablement :
- En effet. Je me nomme Cecil. Cecil Harvey. Quel est cet endroit ?
Le plus grand des deux le lorgnait d'une drôle de façon, qui l'embarrassa. Cet inconnu détaillait le visage fin de Cecil, de sa peau diaphane à ses lèvres bleutées en passant par ses immenses yeux que l'on eût cru maquillés. Cecil remua la tête en espérant que des mèches de ses cheveux viendraient entraver sa face et obligeraient l'importun à cesser sa contemplation. Le stratagème réussit.
- C'est la Lune, lâcha-t-il enfin, reprenant ses esprits.
Cecil baissa les yeux ; ses craintes se concrétisaient.
- Zemus est-il derrière tout ça ? Il est vivant ? demanda-t-il avec empressement.
- Je n'ai pas la moindre idée de de qui tu parles, lui assura le combattant. Viens, suis-nous.
Cecil eut un mouvement de défiance. Méfiant par nature, il s'enquit :
- Où donc ?
- Nous t'emmenons auprès de quelqu'un qui apportera des réponses à toutes tes questions. Au fait, moi c'est Firion et lui, Tidus.
Cecil se demandait sur quelle sorte d'illuminés il était tombé. Il n'y avait rien, ni personne à des kilomètres à la ronde, mis à part eux. Néanmoins, détestant se plaindre et considérant cela comme une marque de faiblesse, il leur emboîta le pas sans mot dire. Ils le conduisirent jusqu'à ce qui ressemblait un gigantesque cristal. Non loin de là, voletait une créature qui, elle, n'avait rien d'étrangère. Tidus effleura le premier le portail de téléportation et son corps s'évanouit dans l'air. Cecil fronça les sourcils une seconde, puis reporta son attention sur le Mog, qui décrivait des cercles dans les airs.
- Qu'est-ce qu'il fait sur la Lune ? demanda-t-il à Firion.
- Tu n'as pas confiance en moi ? se contenta-t-il de rétorquer.
Cecil se tenait immobile, rechignant à se jeter dans l'inconnu. Il secoua négativement la tête, les yeux baissés.
- Comment pourrais-je croire qui que ce soit ? Je ne connais rien d'ici, reconnut-il.
Il entendit un léger rire, qui lui fit relever les yeux. Il serra les dents, déjà prêt à se courroucer au cas où son compagnon se moquerait de lui. Mais ce dernier lui souriait désormais avec candeur.
- Faux, le contredit-il. Maintenant, tu me connais moi.
Et il lui tendit une main amicale, qui déchaîna un torrent de questions en Cecil. Il décida d'encourir le risque, mais, peu désireux de saisir cette main offerte, il murmura :
- Bien, bien… Je te suis.
Firion ramena lentement sa main à lui, comme légèrement blessé, mais ne fit pas de remarque. Cecil attendit qu'il eût totalement disparu, puis s'avança vers le cristal et imita les gestes qu'il les avait vus accomplir. Ensuite, ce fut comme si le sol se déchirait sous ses pieds et il tombait. Au bout de quelques secondes, le mouvement s'inversa et il toucha de nouveau le sol, de la glace cette fois. Quelqu'un lui prit le bras pour le remettre d'aplomb. Cecil se dégagea, effrayé par ce contact si soudain.
Duran une fraction de seconde, il lui sembla apercevoir à nouveau un voile de déception dans les yeux de Firion. Puis il se tourna et vit tous les regards braqués sur lui. En dehors de Firion, un autre chevalier portant un casque à cornes et lui-même, il ne remarqua personne de très impressionnant. Un gamin, engoncé dans son armure de taille réduite, se tenait même parmi eux. Les lèvres de Cecil se fendirent, tandis qu'il imaginait le garçon jouer et se blesser lui-même avec son épée. Deux hommes s'écartèrent et une femme, dont il émanait une aura à la fois douce au paladin et désagréable au chevalier noir, vint vers lui. Ses cheveux blonds ondulaient dans les airs, sans qu'il y eût le moindre souffle de vent. Elle portait une simple robe blême aux pans glissant derrière elle.
- Je me présente, Cosmos, lui sourit-elle. Tu dois être Cecil Harvey. Ainsi, toi aussi tu as fini par répondre à mon appel.
- Comment connaissez-vous mon nom ? s'emporta-t-il presque aussitôt.
Il était seul, sur une terre perdue, inconnue ; il n'avait aucune raison de se fier à ces gens, encore moins à cette apparition surnaturelle qui aurait pu prendre les traits trompeurs d'une femme. Le chevalier casqué dégaina immédiatement sa lame, prêt à défendre la déesse contre le nouveau-venu.
- Allons, Chevalier de Lumière, inutile de se disputer, le gourmanda-t-elle doucement. Il est normal que notre ami soit perturbé.
Cecil se retourna. Un brun balafré et le fameux Tidus s'étaient approchés dans son dos. Il jeta des coups d'œil à la ronde ; ils l'encerclaient. Qui pouvait être cette femme pour qu'ils la défendent avec tant de ferveur ? Cecil éloigna sa main de son arme, pour leur montrer qu'il ne tenterait rien d'inconsidéré. L'effet fut immédiat. Les guerriers reculèrent d'un pas et l'ambiance se détendit. Le Chevalier de Lumière, par contre, le fixait toujours, d'un air suspicieux. Il ressentait l'aura mêlée de Cecil et sa part maléfique, enténébrée, l'incommodait fortement.
- Est-ce vous qui m'avez attiré ici ? s'enquit brutalement Cecil, bien décidé à tirer des réponses de la mystérieuse femme.
Cosmos prit le temps de lui expliquer les motifs de sa venue dans ce monde étrange.
- Pourquoi récupérerais-je mon cristal ? ricana-t-il. Je me moque de vos querelles de dieux.
Le Guerrier de Lumière fronça les sourcils. Cecil et lui échangèrent un regard froid.
- Visiblement, je ne m'entendrai pas avec lui, songea le paladin.
- Je te l'ai dit, reprit Cosmos. Si tu veux rentrer chez toi, le seul moyen est de récupérer ton cristal et de défaire Chaos. Ne t'en fais pas, tu ne seras pas seul…
Elle posa délicatement sa main sur son bras, qu'il retira avec autant de discrétion que possible.
- C'est bien ce qui m'inquiète, maugréa-t-il.
- Tu dois partir en quête de ton cristal avec quelqu'un. Choisis au moins une personne, le somma le Guerrier de Lumière.
Cecil abhorrait que quiconque lui adressât des ordres, mais il tâcha de calmer sa rancœur et acquiesça. Il promena un regard méprisant sur la troupe de ceux qu'il percevait comme des prépubères. Puis il l'arrêta sur Firion, qui lui décocha un formidable sourire. Cecil en esquissa à peine un, ce qui lui coûta déjà beaucoup.
- Je partirai avec Firion. C'est la première personne que j'ai rencontrée, expliqua-t-il.
- Je viens avec vous ! s'écria Tidus, qui jouait avec sa balle de blitzball en la faisant tourner sur un doigt.
