Disclaimers : cela serait un peu fastidieux de tout énumérer, je compte sur vous pour rendre la propriété de chacun à qui de droit, la majorité appartenant à Leiji Matsumoto-sama. Parmi les petits nouveaux, Nova, Jack et Yamato ainsi que les méchants de l'histoire sont à moi.
Chronologie : trois ans après la fin du film de 2013.
Remerciements : mille mercis à The beautifull Cleopatra, Iloveharlock et Aerandir Linaewen pour leurs relectures, conseils avisés et encouragements. C'est grâce à vous que j'ai repris courage et que j'ai pu mener à bien mon histoire alors que j'étais en panne sèche d'inspiration. Je vous adore, les filles !
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Chapitre 1
Elle ne se souvenait plus de son vrai nom. Elle ignorait son âge et ne se rappelait pas d'avoir eu un père, une mère, un foyer ou même un objet qui lui aurait appartenu en propre. Parfois, dans ses rêves, elle entrevoyait un visage flou et souriant. Dans ces moments là, elle avait chaud, elle était bien. Mais cette impression était très fugace, remplacée presque aussitôt par des flashs. La peur. Le sang. Les cris. Elle se réveillait alors et retrouvait sa réalité d'esclave. Le labeur épuisant, la faim, les coups et les cris de son maître étaient son passé et son présent. Quand elle regardait son futur, elle ne voyait rien d'autre. Elle avait essayé de fuir une fois. Elle avait été retrouvée très vite. Ce jour-là, elle avait reçu une correction telle qu'elle avait cru en mourir. Pourtant, le lendemain, elle avait dû se relever et travailler. Depuis, elle n'avait plus osé tenter de s'évader. De toute façon, la marque apposée sur sa joue gauche révélait à tous son statut d'esclave, rendant toute tentative quasiment impossible.
Elle revenait de la ville, tirant derrière elle la mule rachitique chargée des bouteilles d'alcool et autres achats de son maître. Le sol était aride à cause de la sécheresse et le vent soufflait face à elle, la noyant de poussière. Elle avait soif mais n'osait s'arrêter ni même ralentir. Son maître était resté au saloon et si tout n'était pas rangé à son retour, elle serait battue. Non qu'il ait besoin d'une excuse pour ça. Elle ne voulait pas tout simplement pas lui donner l'impression d'avoir raison de le faire.
Un grondement lointain naquit et s'éleva progressivement, faisant trembler la terre. Elle s'arrêta, surprise et un peu effrayée puis leva les yeux. Elle se figea, stupéfaite, le cœur battant à tout rompre. C'était lui, c'était l'Arcadia, elle en était sûre. Elle avait entendu parler de ce vaisseau et de son capitaine. Elle avait vu les reproductions sur les avis de recherche. Elle réfléchit très vite. Si elle continuait son chemin, sa vie d'esclave continuerait jusqu'à sa mort et elle sentait qu'elle n'était plus très loin. Son corps amaigri faiblissait de jour en jour. Il la trahissait de plus en plus souvent. Elle entrevit pour la première fois une lueur d'espoir. Si elle arrivait à monter à bord de l'Arcadia, elle serait sauvée et libre. Elle ne voyait pas comment sa candidature pourrait être prise au sérieux mais tant pis. C'était sa dernière chance. L'Arcadia se posa au sommet de la mesa toute proche. Elle n'en cru pas ses yeux. C'était comme s'il était venu pour elle ! Elle avait conscience que c'était ridicule de penser une chose pareille mais cela la décida. Elle déchargea la mule, monta sur son dos et se mit à trotter vers l'Arcadia.
Arrivée au pied de la mesa, elle prit conscience de sa folie. Jamais elle n'arriverait à atteindre le sommet dans l'état de faiblesse où elle était. Elle n'hésita pas longtemps, elle préférait mourir en essayant de gagner sa liberté que sous les coups de son maître. Et puis, la paroi était plutôt inclinée et la mesa n'était pas si haute. Elle donna une claque sur la croupe de la mule pour la faire partir et commença l'escalade.
L'ascension fut longue et pénible. Plusieurs fois, elle faillit abandonner mais alors que ses doigts glissaient, ne soutenant qu'à peine son corps tremblant d'épuisement, elle serrait les dents et trouvait en elle des réserves d'énergies qu'elle ignorait posséder. Le moment le plus dur, où elle en pleura de découragement, fut lorsque deux hommes la rattrapèrent. Ils la dépassèrent alors qu'elle était presque au sommet. Ils grimpaient avec facilité et furent étonnés en la voyant.
‒ Eh, regarde-la, lança celui qui passait à sa droite. Comment elle a pu arriver jusque là ? Elle n'a que la peau sur les os.
‒ J'en sais rien répondit celui de gauche, mais t'inquiètes pas, ils risquent pas de la prendre. Elle fait trop peur à voir, et qu'est-ce que tu voudrais qu'elle fasse à bord d'un vaisseau comme l'Arcadia ? Faut être fort et savoir se battre pour survivre dans l'espace. De toute façon, elle a la marque des esclaves, même un chat a plus de valeur qu'elle, il est capable de chasser les rats, lui. Vu comme elle est grosse, elle ferait même pas peur à une mouche. Non, la gloire et la richesse, ce sera pour nous !
Ils se mirent à rire, terminèrent l'ascension et disparurent à sa vue en quelques instants. A ce moment-là, elle toucha le fond du désespoir.
‒ A quoi bon ? se dit-elle. Ils ont raison, je ne fait rien d'autre que me torturer. Si je me laisse tomber, je mourrais. Ce serait tellement plus simple. Il suffit de desserrer les doigts.
Elle regarda ses doigts ensanglantés et relâcha sa prise avant de la resserrer brutalement.
‒ Non, j'y suis presque. Je n'aurais pas grimpé tout ça pour rien, il ne reste qu'une dizaine de mètres. J'y arriverais.
Pendant ce temps là, les deux hommes regardaient l'Arcadia, impressionnés. Une plateforme s'en détacha et descendit jusqu'au sol. A son bord, se trouvait un homme en armure. Après un instant d'hésitation, ils se précipitèrent et y montèrent. Comme la plate-forme ne bougeait pas, l'un d'entre eux finit par oser s'adresser à l'homme d'équipage qui restait tourné vers le bord de la mesa.
‒ On monte pas ?
‒ Un troisième candidat est en chemin, répondit le pirate sans bouger. On l'attend.
‒ Vous parlez de la fille ? demanda le deuxième homme.
Comme le pirate ne répondait pas, il se risqua à nouveau.
‒ Vous savez, ce n'est pas la peine, elle est toute maigrichonne et en plus c'est une esclave…
Il s'interrompit en voyant le visage anonyme de l'armure se tourner vers lui. L'homme déglutit, mal à l'aise devant le mutisme du pirate qui le fixa quelques instants avant de reprendre son observation.
Au bout de quelques minutes, une main apparut et elle se hissa péniblement. Elle resta allongée, le temps de reprendre son souffle. Quand elle se redressa, elle vit la plate-forme avec les trois hommes et resta interdite.
‒ Bon alors, tu t'amènes ? lança le candidat qui s'était moqué d'elle. Ça fait un moment qu'on t'attend.
Les deux candidats ricanèrent méchamment en la voyant boitiller vers eux, le corps encore tremblant de l'effort qu'elle avait fourni. Le pirate, lui, ne dit rien, se contentant de l'observer et de la retenir lorsque son pied buta sur la marche. Il l'aida à monter sur la plate-forme qui s'ébranla et remonta doucement jusqu'au vaisseau.
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Les hommes avaient ravalé leurs ricanements quelques minutes plus tard lorsqu'ils se retrouvèrent chacun sur une planche au-dessus du vide, les mains sur la tête, face à tout l'équipage en armure. La jeune fille était assise par terre devant une troisième planche, entre eux. Le hasard avait voulu qu'ils soient placés du même côté que lorsqu'ils l'avaient dépassée.
‒ Eh, lança celui de droite, pourquoi elle est pas sur la planche, elle aussi ?
‒ T'inquiètes pas, fit l'un des hommes d'équipage en s'avançant vers lui, je la pousserai moi-même si nécessaire. Dis-moi plutôt pourquoi tu veux monter sur l'Arcadia ?
‒ Pour la richesse, répondit-il.
Le pirate fit un geste bref et la planche bascula, précipitant l'homme hurlant dans le vide. Puis il se planta devant la jeune fille.
‒ Et toi ?
Elle le regarda un instant, une lueur farouche dans les yeux.
‒ Pour survivre et être libre, dit-elle d'une voix rauque.
Le pirate se dirigea vers le deuxième homme.
‒ Et toi ?
L'homme hésita. Il regarda le vide puis la jeune fille.
‒ Pour … pour être libre, finit-il par dire.
Les hommes d'équipage s'écartèrent pour laisser passer le capitaine Harlock. Il s'arrêta devant la jeune fille. Elle leva les yeux et leurs regards s'accrochèrent. Le regard d'Harlock était indéchiffrable, celui de la jeune fille, brûlant d'espoir. Il put y lire une volonté farouche ainsi qu'une grande tristesse. Elle soutint son regard sans faiblir malgré sa peur. Harlock se tourna ensuite vers l'homme. Lui aussi fut accroché par le regard énigmatique du capitaine mais fut incapable de le soutenir.
‒ Pourquoi as-tu hésité à répondre ? demanda Harlock. Ce n'est pas ce que tu voulais dire depuis le début ?
‒ Non… enfin si, c'est que je veux…
Harlock leva la main. L'homme ferma les yeux, mais la planche ne basculant pas, il les rouvrit quand il entendit sa propre voix s'élever. Il reconnu ce qu'il avait dit à son compagnon en grimpant. Harlock dégaina lentement son sabre et le pointa entre les yeux de l'homme terrifié.
‒ La gloire et la richesse, ce sont là tes propres mots, dit le pirate. Maintenant, dis-moi : qui es-tu pour juger qu'une vie humaine vaut moins que celle d'un chat ?
Il tira et l'homme bascula sans un cri, touché entre les deux yeux, tandis qu'Harlock se tournait de nouveau vers la jeune fille en rengainant son sabre. Elle regardait le corps chuter, tétanisée. Harlock retira sa cape et se pencha vers elle. Il suspendit son geste en voyant le mouvement de recul instinctif de la jeune fille qui abrita son visage derrière ses bras. Tous comprirent à sa manière de faire, qu'elle avait l'habitude d'être battue. Harlock laissa passer un instant et lui déposa sa cape sur les épaules avec douceur avant de se redresser. Elle s'affaissa légèrement sous le poids de la cape de cuir avant de s'y agripper instinctivement, surprise de son geste.
‒ Kei, occupe-toi d'elle, ordonna Harlock.
‒ A tes ordres, capitaine, fit une voix féminine.
La jeune fille vit une belle femme blonde se placer à côté du premier pirate en armure qui ouvrit son casque, révélant son visage et ses lunettes rondes, tandis que le capitaine retournait à l'intérieur du vaisseau et que la porte de la soute se refermait.
‒ Bienvenue à bord de l'Arcadia, dit le pirate. Je m'appelle Yattaran, je suis le premier lieutenant. Quel est ton nom ?
Elle n'en croyait pas ses oreilles. Ils l'emmenaient ! Elle eu du mal à parler tellement elle était soulagée. Elle déglutit plusieurs fois, des larmes de soulagement traçant des sillons dans la poussière couvrant son visage.
‒ Je… j'ai pas de nom, finit-elle par dire. Je l'ai perdu en devenant esclave et je m'en souviens plus, ça fait trop longtemps.
‒ Ce n'est pas grave, fit Kei, nouvelle vie, nouvelle identité. Nous allons te trouver un nom, n'est-ce pas, Yattaran ?
‒ Bien sûr, approuva celui-ci. Par contre, il va falloir y réfléchir sérieusement. Il faut trouver un beau nom.
‒ Je suis d'accord, dit Kei, et toi ?
La jeune fille fut étonnée qu'on lui demande son avis.
‒ Euh …. Oui… Oui, bien sûr…
Kei lui tendit la main en souriant et l'aida à se relever.
‒ Suis-moi. Il te faut de nouveaux vêtements et une bonne douche. Au fait, je m'appelle Kei Yuki.
La jeune fille croyait rêver. Tous les membres de l'équipage avaient relevé leur casque et la regardait en souriant. Elle rougit, embarrassée par sa robe en loques et la crasse qui la couvrait. Elle resserra la cape d'Harlock sur elle dans un geste instinctif de pudeur. Kei l'entraina dans les couloirs du vaisseau jusqu'à l'infirmerie, ôtant son armure au passage.
‒ Je vais aller te chercher des vêtements propres et un plateau-repas. En attendant, tu entres dans cette pièce pour te doucher.
Kei lui ouvrit une porte dans un coin de l'infirmerie et la laissa passer. La jeune fille tomba en arrêt devant le miroir au-dessus du lavabo. Elle y vit un visage sale et émacié aux joues creuses avec des yeux immenses d'un violet intense et au regard brûlant. Une tignasse de cheveux bruns emmêlés l'encadrait. Elle posa la main sur la marque en forme de cercle, barré d'un trait vertical qui défigurait sa joue gauche. Une larme coula sur sa main. Kei lui posa la main sur l'épaule.
‒ Ça va aller, maintenant. Tu es libre, lui dit-elle avec douceur.
‒ Oui, mais je resterais marquée toute ma vie.
La jeune fille soupira, tournant le dos au miroir.
‒ Tu vas utiliser ce savon désinfectant. N'aie pas peur d'en mettre ni de faire couler l'eau. Il y a un peignoir que tu pourras mettre ensuite. Tu mets ta robe dans cette trappe, à moins que tu ne veuilles la garder.
La jeune fille regardait la douche, désemparée.
‒ Comment je fais ? demanda-t-elle.
‒ Tu ne sais pas te servir d'une douche ? demanda Kei. Je vais t'expliquer, tu vas voir, c'est facile.
Kei la laissa ensuite en refermant la porte derrière elle. Elle récupéra la cape du capitaine avant de quitter l'infirmerie. Elle croisa Yattaran en allant à la cuisine.
‒ Kei, le capitaine voudrait parler à notre nouvelle recrue dès qu'elle sera prête, lui dit-il.
‒ D'accord. Mais dis-lui que ce ne sera pas tout de suite. Elle prend une douche, je vais soigner ses plaies, la faire manger et ensuite je voudrais lui faire passer un examen médical complet.
‒ Ok, je lui passe le message. Donne-moi sa cape, je la lui rendrai en même temps. Cette pauvre fille fait pitié, elle a l'air plus morte que vive.
‒ Oui, mais son regard, lui, n'est pas mort.
‒ Tu as remarqué aussi, sourit Yattaran. Elle m'a presque fait peur tout à l'heure quand elle a répondu à la question-test. Et ses yeux sont d'une couleur peu banale, un violet comme ça, je pensais pas que ça pouvait exister.
‒ Yattaran, j'ignorais que tu étais du genre à remarquer la couleur des yeux de quelqu'un ! le taquina Kei en souriant.
‒ Ses yeux sont tellement grands que c'est difficile de les rater, répliqua-t-il en s'éloignant.
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Après le départ de Kei, la jeune fille jeta ses vêtements et entra dans la douche. Elle fit couler l'eau. Elle goûta pour la première fois la sensation de l'eau chaude sur sa peau et la laissa couler avec délice. Elle se savonna jusqu'à sentir sa peau s'irriter sous le savon. Elle sortit de la douche, s'enveloppa dans le peignoir et revint dans l'autre pièce pour trouver Kei qui l'attendait, assise à une table où était posé un plateau chargé d'un bol de soupe fumant, de pain frais, de fromage, de fruits secs et d'une carafe d'eau. Comme elle attendait, intimidée, Kei lui fit signe de s'assoir en souriant.
‒ Viens manger un peu, pendant qu'on discute toutes les deux.
‒ C'est pour moi tout ça ?
‒ Oui, mais laisse moi d'abord bander tes mains. Tu les as bien abimées en montant. Je te soignerai mieux une fois que tu auras l'estomac plein.
Kei lui enroula rapidement un bandage autour des mains et lui fit signe de manger.
Elle prit timidement un morceau de pain et croqua dedans. Elle agrandit les yeux de surprise et goûta un bout de fromage puis un fruit sec.
‒ C'est bon, dit-elle. J'avais jamais mangé qu'que chose de si bon.
Comme Kei ne disait rien, elle s'enhardit et mangea avec voracité, ignorant la cuillère pour boire la soupe à même le bol, manquant de se brûler au passage. Elle dédaigna également le couteau, croquant directement dans le fromage et le pain.
‒ Que mangeais-tu avant ? demanda doucement Kei.
‒ C'que mon maître laissait ou c'qui n'était plus assez bon. Parfois, j'arrivais à voler un œuf aux poules ou quelques épluchures aux cochons.
Elle s'arrêta de manger et rougit, embarrassée.
‒ Je sais, murmura-t-elle, j'aurais pas dû voler mais j'avais si faim.
Elle regarda Kei d'un regard intense et reprit avec véhémence.
‒ Vous inquiétez pas, je volerais pas, ici. Je suis tellement heureuse d'être là. Je travaillerais dur, vous verrez, vous regretterez pas de m'avoir acceptée à bord.
Kei lui prit la main, émue.
‒ Je ne m'inquiète pas et tu n'auras pas besoin de voler car tu mangeras à ta faim. Ce qui n'est pas normal, c'est que tu aie eu faim au point de devoir voler. Si tu as fini de manger, je voudrais te soigner correctement et te faire passer un examen médical, maintenant. Et cesse de me vouvoyer, d'accord ?
‒ D'accord, répondit timidement la jeune fille.
Lorsqu'elle retira son peignoir, Kei fut atterrée en découvrant la réalité de sa maigreur et les hématomes qui couvraient son corps. Son dos était strié de cicatrices et de marques de fouet à différents degrés de cicatrisation. Certaines étaient si récentes que du sang perlait encore par endroit.
‒ Qui t'a fait ça ?
‒ Mon maître, il me battait tous les jours. Parce que je travaillais pas assez bien ou assez vite ou parce que je passais à portée.
‒ As-tu déjà tenté de fuir avant ?
‒ Oui, une fois, juste après la première fois qu'il…
‒ Qu'il quoi ?
‒ Rien.
Sans insister, Kei lui fit passer toute une batterie de tests et une prise de sang. Elle la soigna avec douceur, puis la fit asseoir et lui coupa les cheveux courts tant pour venir à bout des nœuds inextricables que pour retirer les derniers poux qui auraient échappé au savon.
Kei lui montra les vêtements qu'elle lui avait choisi et l'aida à les mettre. Elle la conduisit devant un miroir qui la laissa sans voix.
‒ C'est moi, ça ? demanda-t-elle.
‒ Oui, c'est toi, sourit Kei, amusée par sa surprise.
Elle ne se reconnaissait pas dans cette jeune femme aux courts cheveux bruns. Sa peau très pâle contrastait avec le pull noir orné d'une tête de mort. Le pull et le pantalon sur lesquels remontaient des bottes étaient sensés être moulants mais elle était tellement maigre qu'ils flottaient. Elle se mit à rire.
‒ Qu'y a-t-il ? demanda Kei, ravie de ce rire inattendu.
La jeune fille riait tellement maintenant qu'elle eu du mal à répondre.
‒ Je suis si maigre que je ressemble à un épouvantail avec ces vêtements trop larges. J'ai vraiment une tête à faire peur, surtout à côté de toi, tu es si belle, ajouta-t-elle en reprenant son souffle.
Kei sourit.
‒ Ne t'inquiètes pas, tu vas vite reprendre du poids. Et mon intuition me dit que tu vas te révéler plutôt jolie fille ! Maintenant, viens. Yattaran m'a dit que le capitaine voulait te parler.
Cela acheva de calmer la jeune fille tandis que Kei l'entrainait hors de la pièce.
‒ Me parler ? Pourquoi ?
‒ Je ne sais pas.
- Kei!
Elles se retournèrent en entendant Yattaran.
‒ Le capitaine n'est plus sur la passerelle. Il attend Nova dans ses quartiers.
‒ Qui ? fit Kei, qui avait deviné bien sûr.
‒ Nova, répéta Yattaran en souriant. Cela te plaît comme nom ? demanda-t-il en se tournant vers la jeune fille. Je l'ai trouvé approprié puisque c'est un nom d'étoile et que cela ressemble un peu au mot nouveau, ça symbolise la nouvelle vie qui t'attend.
‒ Nova ? Nova… Nova… répéta-t-elle pensivement en savourant la sonorité.
Elle adressa un sourire éblouissant à Yattaran. Sourire qui transforma son visage en révélant une beauté qui ne demandait qu'à s'épanouir.
‒ Oui, ça me plaît, désormais, je serais Nova. Merci, Yattaran, merci beaucoup.
‒ Bien, va vite rejoindre le capitaine, maintenant, fit-il d'un ton bourru, espérant cacher qu'il était ému.
Kei emmena Nova en souriant à Yattaran par-dessus son épaule. Elle n'était pas dupe, connaissant trop bien son ami. Elles parcoururent plusieurs couloirs et s'arrêtèrent devant une porte. Nova saisit la main de Kei et la lui serra.
‒ Qu'est-ce que je vais lui dire ?
‒ Réponds simplement à ses questions, dit Kei en frappant à la porte.
La porte s'ouvrit et Kei poussa Nova à l'intérieur. Cette dernière se retourna pour voir la porte se refermer sur le visage souriant de Kei. Après un instant d'hésitation, elle fit face à la pièce. Elle fut surprise par sa grandeur, les bougies qui l'éclairaient avec douceur et les grandes baies vitrées à petits carreaux donnant sur l'espace. Cela la fascina.
‒ Assieds-toi.
Elle sursauta. Elle n'avait pas encore vu Harlock, assis derrière son bureau. Elle s'approcha et s'assit au bord d'une méridienne. Il se leva et lui offrit un verre de vin. Elle le prit en hésitant.
‒ Si tu n'aimes pas le vin, dis-le, je ne te forcerais pas, dit doucement Harlock.
‒ En fait, j'en ai jamais bu.
‒ De ce cas, bois-le doucement si tu ne veux pas que la tête te tourne.
Harlock se rassit et Nova se rendit compte qu'il avait l'air plus jeune qu'elle ne s'y attendait. Elle n'y avait pas fait attention lorsqu'elle l'avait vu la première fois mais il ne paraissait pas avoir plus d'une vingtaine d'années.
‒ Parle-moi de toi, demanda-t-il.
‒ De moi ? Qu'est-ce que vous voulez savoir ?
‒ Ton nom, ton âge, comment tu es devenue esclave, depuis combien de temps tu l'es… tout ce que tu voudras bien me dire.
‒ Eh bien, mon vrai nom, j'm'en souviens plus. En fait, je me souviens de rien concernant ma vie d'avant. Yattaran vient de m'appeler Nova et c'est comme ça que je m'appelle, maintenant. Mon âge… J'en suis pas sûre. Ma maîtresse m'a dit un jour, que je devais avoir à peu près quatre ans quand ils m'ont achetée car ils pouvaient pas se payer un esclave plus âgé. Elle a ajouté que cela faisait six ans donc j'avais …
Elle se tut, et jeta un regard embarrassé vers Harlock.
‒ Dix ans, dit Harlock.
Elle opina avec un petit sourire contrit et reprit.
‒ Ensuite… voyons, c'était l'année des tempêtes de sables.
Elle posa son verre et se mit à compter sur ses doigts.
‒ Ensuite, il y a eu l'année où ils ont acheté le cochon, l'année de la mule, l'année de la première portée, l'année de la mort de maîtresse, l'année de la grande sécheresse, l'année où j'ai essayé de fuir, encore une année et cette année.
Elle leva les yeux vers Harlock qui l'écoutait énumérer les années, impassible. Il répondit à sa question muette.
‒ Cela te fait dix-huit ans dont quatorze ans privée de ta liberté.
‒ Dix-huit ans. J'pensais pas les avoir. Comment je suis devenue esclave… C'est très flou. J'ai des vagues souvenirs de cris, d'explosions… Je me souviens de la douleur quand j'ai été marquée sur la joue mais surtout que j'avais peur, froid et faim. J'étais enfermée dans une pièce sombre avec d'autres enfants. Je crois que je devais être dans un vaisseau spatial. Les bruits que j'entendais ressemblaient à ceux de l'Arcadia. Ensuite, j'ai été vendue.
Elle reprit son verre et en but une gorgée. Elle ne put retenir une grimace ce qui arracha un sourire fugitif à Harlock.
‒ Comment a été ton quotidien avec ceux qui t'ont achetée ?
‒ Tant que maîtresse était là, ça allait. Je devais travailler dur mais j'étais rarement battue, j'étais nourrie et je dormais par terre près du four dans la cuisine. Ils me laissaient une couverture. Ensuite, quand elle est morte, le maître a commencé à boire et tout a changé. J'avais beau travailler, il me battait tout le temps car il était jamais satisfait. Il prétendait que je mangeais trop alors il a donné moins en moins jusqu'à ce que j'ai presque plus rien et m'a envoyée dormir dehors. J'ai voulu m'enfuir mais j'ai été reprise et il m'a tellement battue que j'serais morte si ceux qui m'ont ramenée ne l'avaient pas obligé à arrêter.
Harlock se leva et alla à la baie vitrée.
‒ Quand j'ai vu l'Arcadia se poser si près de moi, j'ai cru rêver. J'sais pas comment j'ai réussi à escalader cette mesa. Je veux plus jamais être à la merci de qui que ce soit, je veux pouvoir décider de ma vie. Mais je veux pas pour autant rester à rien faire, dites-moi seulement quel travail vous voulez que je fasse.
‒ Pour l'instant, le seul travail que tu auras à accomplir sera de te reposer et de reprendre des forces. Je vais demander un volontaire pour t'apprendre à lire, à écrire et à compter. Quand tu auras retrouvé assez de forces, tu pourras apprendre à combattre et à tirer. Tu apprendras aussi à piloter nos appareils et à te servir des ordinateurs. A bord de l'Arcadia, tu deviendras une femme indépendante et capable de se défendre comme n'importe lequel des membres de mon équipage. Du moins, si tu en as envie…
Nova en resta bouche bée. C'était plus que tout ce qu'elle avait pu rêver !
‒ Oui. Oui, je veux apprendre tout ce qu'on veut bien m'apprendre, dit-elle.
Harlock se rapprocha d'elle et tourna son visage pour examiner la marque qu'elle avait sur la joue.
‒ L'esclavage que tu as vécu n'est plus qu'un souvenir cruel que le temps estompera. Va te reposer maintenant.
‒ Merci, capitaine, merci de m'avoir sauvée. Merci pour tout.
Elle sortit de la pièce et retrouva Kei dans le couloir.
‒ Tu m'as attendue ? lui demanda-t-elle, surprise.
‒ Oui, tu ne connais pas encore le vaisseau et je ne t'ai pas montré ta cabine.
‒ Ma cabine ? Je vais avoir une cabine juste pour moi ?
‒ Bien sûr, tu croyais que tu allais dormir où ? Dans la soute ?
‒ Je sais pas, j'y avais pas pensé…
‒ Suis-moi.
En repartant, elles croisèrent Miimé. Etonnée, Nova s'arrêta et suivit Miimé du regard. Cette dernière lui adressa un léger sourire avant d'entrer dans les quartiers d'Harlock.
‒ Qui est-ce ?
‒ Elle s'appelle Miimé, répondit Kei. Elle est la dernière de sa race, les Nibelunguns.
Elles finirent par arriver dans un long couloir où de nombreuses portes s'échelonnaient à intervalle régulier. Kei en ouvrit une.
‒ Si cette cabine te plaît, elle est à toi. Cette porte donne sur ta salle de bain. Comme tu es une femme et que nous sommes très peu, tu as droit à une salle de bains privée. Ma cabine est juste à côté. Si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas.
‒ C'est incroyable, j'ai l'impression de rêver.
‒ C'est bien réel, je t'assure. Va dormir, il est tard. Demain, tu visiteras le vaisseau en entier, si tu veux.
‒ Oui, je veux bien.
‒ Alors, bonne nuit.
Kei la laissa et Nova, encore abasourdie de sa journée, s'écroula sur le lit toute habillée et s'endormit aussitôt.
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De retour dans sa propre cabine, Kei reçut un appel d'Harlock lui demandant de le retrouver pour lui exposer le bilan de santé de Nova. Elle retourna donc dans les quartiers de ce dernier. Elle lui résuma les résultats des examens qu'elle avait effectué en signalant les nombreuses marques de coups et autres cicatrices qui marquaient le corps de Nova.
‒ Nova est dans un état de faiblesse générale très inquiétant, conclut-elle. Je ne comprends pas comment elle a réussi à escalader cette mesa. Pour n'importe qui cela était déjà difficile mais pour elle, c'est tout simplement un miracle.
‒ Les humains sont capables de bien des choses apparemment impossibles lorsqu'ils en ont la volonté et la foi, dit doucement Miimé, allongée sur la méridienne, un verre de vin à la main.
‒ Nous allons l'emmener voir le docteur Zéro dès demain, nous sommes tout près de sa planète, décida Harlock. Tu l'accompagneras, Kei, prends deux hommes avec toi pour vous escorter. Vois avec le doc s'il peut aussi effacer la marque d'esclave sur sa joue.
‒ A tes ordres, capitaine, répondit Kei avec un grand sourire.
Elle quitta ensuite la pièce.
‒ Tu ne t'intéresses pas autant aux nouveaux, d'habitude, remarqua Miimé.
‒ D'habitude, nous ne libérons pas une esclave.
‒ Crois-tu qu'elle va survivre ? Elle est vraiment mal en point.
‒ Tu l'as vue ?
‒ Je l'ai croisée en arrivant. Elle donne l'impression de pouvoir s'envoler au moindre souffle de vent.
‒ As-tu remarqué son regard ?
‒ J'y ai vu la même surprise que pour tous ceux qui me voit pour la première fois.
‒ Quand la surprise sera passée, tu y verras de la détermination, de la volonté et la rage de vivre. Alors oui, je pense qu'elle va survivre. Elle fait partie de ces personnes dont on dit qu'ils ont l'âme chevillée au corps. Elle pourrait même nous réserver des surprises.
Miimé remua son verre pensivement et but une gorgée.
‒ Cela faisait un moment qu'on entendait de vagues rumeurs sur des esclavagistes, remarqua-t-elle.
‒ Maintenant que la rumeur est devenue certitude, j'ai bien l'intention de m'en mêler. Je ne peux pas tolérer ce genre de pratiques. Nous allons y mettre un terme.
‒ Je me doutais que tu allais dire ça. Le problème, c'est qu'on a déjà essayé de savoir si c'était vrai sans succès. Pourquoi trouverions-nous des renseignements maintenant, alors que nous avons échoués par le passé ?
‒ Les hommes seront beaucoup plus motivés pour chercher en sachant qu'ils ne courent pas après du vent. S'ils échouent malgré tout, j'irais interroger l'ancien maître de Nova. Mais pas tout de suite, je voudrais lui éviter de le revoir et j'aurais besoin d'elle pour le trouver.
‒ Tu avais décidé la prendre quoiqu'il arrive avant même qu'ils ne finissent l'ascension, n'est-ce pas ?
‒ Comment aurais-je pu laisser une esclave derrière moi alors que nous nous battons pour vivre libre ? De toute façon, si je n'avais pas voulu d'elle, j'aurais eu une mutinerie sur les bras.
Miimé rit doucement.
‒ Quand ils ont entendu les commentaires des deux hommes, tous ceux qui étaient présents ont été révoltés, dit-elle. Je crois que je n'ai jamais vu Yattaran aussi furieux. Il les aurait abattus sur le champ d'un coup de canon si tu ne lui avais pas fait remarquer qu'il risquait de la tuer en même temps.
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Au cours de la nuit, Kei fut réveillée par des cris étouffés. Elle se leva rapidement et se précipita dans la cabine de Nova. Cette dernière s'agitait et criait dans son sommeil. Kei s'assit sur le lit et la secoua en l'appelant. Elle eu du mal à la réveiller. Lorsque Nova ouvrit enfin les yeux, elle continua à se débattre encore quelques secondes avant de réaliser où elle était.
‒ C'est moi, Kei. Calme-toi, c'est fini, ce n'était qu'un cauchemar.
Nova se redressa avant d'entourer ses genoux de ses bras et d'y enfouir son visage baigné de larmes. Elle était secouée de tremblements qui s'estompèrent peu à peu.
‒ Pardon de t'avoir réveillée, Kei, finit-elle par dire.
‒ Ce n'est rien, tu veux en parler ?
‒ Je t'ai assez embêtée. De toute façon, c'est un cauchemar que je fais très souvent, j'ai l'habitude.
‒ Justement, le raconter pourrait t'aider à ne plus le faire.
Nova hésita. Kei l'encouragea d'un sourire.
‒ Eh bien, mon maître et ses amis sont dans la cuisine et se saoulent. Il m'appelle pour que j'apporte des bouteilles pleines et reprenne les vides. En repartant, une bouteille m'échappe et se casse par terre. Mon maître m'attrape et me frappe. Il me secoue en disant à ses amis que je suis une bonne à rien et que j'suis inutile, qu'un gars aurait été plus costaud, qu'il se serait déjà débarrassé de moi s'il avait eu les moyens de se payer un esclave garçon. Pendant qu'il me secoue, ma robe se déchire sur le devant. Un de ses amis lui dit que je suis une fille et qu'il y a des choses qu'on peut faire avec une fille qui sont pas possible avec un garçon. Il arrête de me secouer et me fixe avec un drôle de regard. Ses amis ont le même regard. J'le comprends pas mais ça me terrifie et j'essaie de m'enfuir. Je reçois un coup qui m'envoie par terre. Les hommes me relèvent, m'arrachent ma robe et me forcent à m'allonger sur la table…
La voix de Nova se brisa et elle se mit à pleurer. Kei, bouleversée, l'entoura de ses bras. Nova termina le récit de son calvaire d'une voix hachée en s'agrippant à sa nouvelle amie, parlant le plus bas possible.
‒ Ce n'était qu'un cauchemar, lui murmura Kei, encore sous le coup de son récit, en lui caressant les cheveux. Tu es en sécurité avec nous.
‒ Non, Kei, ce n'est pas qu'un cauchemar… c'est aussi un souvenir, finit par lui avouer Nova d'une voix lasse.
‒ C'est après ça que tu as essayé de t'enfuir la première fois ?
‒ Oui.
Kei n'insista pas davantage, se contentant de la serrer dans ses bras en la berçant comme une enfant.
