Spoilers pour Infinity War, à vos risques et périls.
Ex nihilo
Les étoiles étaient restées les mêmes. Brillantes, silencieuses, magnifiques et désintéressées. Elles teintaient la nuit d'une nuance onirique, comme le font toutes les choses immuables après une tragédie. Pourtant, la majesté du ciel, la fraîcheur d'une nuit calme et le murmure du vent dans les jardins étaient tous aussi vrais que la disparition de la moitié de l'humanité. Tout aussi vrais que leur échec. Tout aussi vrais que les cendres en lesquelles s'étaient envolés leurs amis.
Natasha était vide comme elle ne l'avait plus été depuis Clint. C'était la fatigue et c'était la peine et c'était l'incompréhension et c'était trop et ce n'était plus rien. Assise sur une marche menant à la terrasse, elle regardait le ciel avec des yeux secs qui ne voyaient pas, écoutant un cœur qui ne battait pas.
Un châle tomba sur ses épaules et les frissons dont elle n'avait pas eu conscience se calmèrent. Elle ne dit pas merci ni ne leva les yeux vers la bonne âme qui l'avait couverte. Elle ne broncha pas plus quand Steve s'installa lourdement à ses côtés.
Pendant un instant indéfinissable, tout aussi vide qu'elle et pourtant tout aussi vrai que le reste, il ne dit rien. Puis :
« Clint ? »
Quelqu'un répondit mais Natasha n'était pas certaine que ce fût elle :
« Entier. Ce qui n'est pas le cas de Laura, Cooper et Nat. »
L'image de sa famille honoraire disparaissant dans les cendres traversa sans impact le néant à l'intérieur d'elle. Le bras qui s'enroula autour de son épaule, en revanche, emplit ses yeux de larmes.
Natasha ne croyait pas, comme le faisaient désespérément le raton-laveur et tout le Wakanda, que l'acte de Thanos pouvait être inversé. Steve avait dit : « Thanos a bien annulé la mort de Vision. Alors… peut-être ? ». Thor avait ajouté : « qu'avons-nous à perdre à essayer ? » Elle avait suivi le mouvement parce que ne pas avancer revenait à ne plus jamais se mettre en marche mais elle s'était néanmoins résignée à l'inanité de tout ce qu'ils pourraient entreprendre. Ce monde décimé était le leur et ce qu'on perd ne revient pas.
Ce qu'ils avaient perdu ne reviendrait pas, il fallait, il faudrait, reconstruire sur le vide, comme ils l'avaient déjà fait. À chaque fois. Encore et encore.
Natasha ravala un sanglot. Dans un effort pour ne pas laisser le vide la dévorer, pour ne pas sombrer dans l'inexistence, elle se concentra sur ce qu'elle n'avait pas perdu.
« Steve ? » souffla-t-elle.
Puis, comme il ne répondait rien :
« Tu trembles. »
Aussitôt, comme si elle venait de lui dire qu'il la brûlait, Steve rétracta son bras. Un éclat d'empathie s'alluma au sein du vide et Natasha s'y accrocha de toutes ses forces. Elle se tourna et, gardant une main pour retenir le châle sur ses épaules, elle posa doucement l'autre sur la forme prostrée de son ami défait.
Elle dit : « on survivra à ça aussi. » et sa voix se brisa.
Steve hocha la tête avec un rire nerveux.
« Si seulement le reste du monde était aussi increvable que nous, » railla-t-il avec un tel désespoir que Natasha en fut prise à la gorge.
Mais il se recomposa, car il se recomposait toujours. Reprendre pied sur le vide et reconstruire le néant, Steve Rogers en était un expert. Celui sur qui Natasha avait pris exemple.
Il accrocha son regard et déclama, avec une gratitude si triste et si sincère qu'elle entendit son cœur battre à nouveau :
« Merci d'être increvable Natasha. »
