Gueule-d'Ange

Atelier de la Lanterne Fringante de mars 2009

Sur le pairing imposé : Lucius Vorenus/Titus Pullo

Avec le thème imposé : Gueule-d'Ange

L'espèce d'innocence malmenée qui émanait de Lucius Vorenus le touchait, quelque part, encore qu'il n'y comprît pas toujours grand-chose. Peut-être aurait-il été plus juste de parler d'intégrité que d'innocence, au fond… Le vice des institutions comme des méthodes barbares de la légion ne lui était pas inconnu ; il refusait, autant que possible, d'y participer. Se récuser en toute connaissance de cause ne lui conférait que plus de mérite. C'était un homme droit, aussi droit que ses traits durs et symétriques de centurion. … Néanmoins, tout bien réfléchi, à quelques occasions ce chef d'armée lui était bel et bien apparu dans toute sa… candeur. Lorsqu'il lui avait appris l'existence d'un petit bourgeon infaillible tout en haut du sexe des femmes, l'air ahuri avec lequel Lucius Vorenus l'avait dévisagé valait son pesant d'or. Ses yeux bleus écarquillés par l'incrédulité, les premières rides sur son front annonçant l'affolement, il s'était tourné vers lui, interrogateur, lui qui se chargeait la plupart du temps de le chapitrer sur tous les sujets, en lui aboyant parfois du garde-à-vous pour mieux se faire entendre. Titus avait été particulièrement amusé par cet épisode, et son souvenir le confortait dans sa réflexion : de Lucius le Lumineux se dégageait bien quelque chose de virginal, en plus de la probité réfléchie. Il avait vu le masque ferme et intransigeant tomber. Lorsqu'il s'était rendu ivre-mort, par désespoir et non par frivolité, Titus Pullo avait eu à ses pieds son centurion dans toute sa vulnérabilité. Le tableau n'avait rien eu de joli, le beau visage de statue dévasté par l'alcool et l'accablement le plus complet. Pourtant lui, la grosse brute primaire de la Treizième Légion, avait été attendrie. « Tout va bien, mon agneau, là… Je te tiens. » lui avait-il dit à voix basse en le hissant sur ses épaules, juste pour le rassurer, dans les brumes de sa déchéance morale.

C'était cependant ce visage sain et droit qui en avait fait l'élu de Caius Julius Caesar. Il l'avait vêtu de drap immaculé et l'avait envoyé dans la rue gagner la confiance du chaland, grâce à l'honnêteté et la conviction intime qui transparaissait si naturellement dans son regard ou sa voix ferme, comme jamais elles n'émanaient des chatteries d'un sénateur. La naïveté de Lucius Vorenus, cette fois, l'avait déçu. Ce n'était pas assez de voir ces sourcils toujours douloureusement froncés, ce front constamment plissé par le trouble, ces lèvres en permanence serrées sur le doute. Il n'avait plus que l'apparence d'un demi-dieu lumineux, la substance l'avait fui par fins filets au fil de ses négociations intérieures sur le Bien et le Sensé. Titus Pullo, en admiration devant cette figure, n'avait pu que s'abandonner à la ruine auquel il était enclin, en assistant à son érosion progressive. Et voilà où il en était, à présent : dans l'arène, à genoux devant sa mort prochaine, en sang… tout cela pour avoir trop aimé ce qui n'était qu'un visage de pureté.

Pourtant, s'il avait pu voir ses traits brisés et tordus à cet instant, alors qu'il retenait ses sanglots contre son poignet, Pullo aurait su que la rouille n'avait pas tout à fait atteint le cœur de Lucius Vorenus. Il pliait plus que jamais sous le joug de la morale, de la Loi. Il s'y raccrochait désespérément… mais à défaut d'être resté intègre, il n'avait pu rester entièrement de marbre. Paradoxalement, rien n'aurait été plus auguste aux yeux de Titus Pullo que son faciès ravagé au moment où il hurla : « LA TREIZIEME ! ».