Disclaimer : n'importe quel disclaimer.
Je voulais une vie parfaite.
D'aussi longtemps que je me souvienne, j'ai toujours voulu avoir une vie parfaite.
Malheureusement, sur Mars, il y a deux catégories de personnes : les verts, qui peuvent faire absolument ce qu'ils veulent et les blancs, qui ne le peuvent pas. Dès la maternelle, on m'a traitée de « sale blanche » et ça s'est reproduit pratiquement chaque jour de mon enfance. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à exprimer à quel point tout ça m'a fait mal.
Pour résister malgré tout, j'ai développé deux stratégies. La première, c'était l'agression : dès qu'un enfant m'attaquait dans la cour de récré, j'essayais de lui griller les neurones. Ça peut paraître assez barbare mais les Martiens sont taillés pour résister à ce genre d'attaque. Quand on me cherchait, je pouvais devenir assez méchante.
Ma deuxième stratégie, celle que je préférais, c'était la gentillesse exagérée. A la maison, c'était souvent moi qui cuisinais, qui m'occupait des plus jeunes et qui les consolait quand ils avaient du chagrin. Certains jours, j'aurais vraiment fait n'importe quoi pour me faire aimer par tout le monde. Malheureusement, mes efforts n'étaient jamais complètement récompensés. Par exemple, quand mes parents recevaient quelqu'un et que je me précipitais pour leur servir le thé, les invités s'extasiaient en disant « oh, mais comme elle est gentille » et ma mère disait toujours « oui, mais elle est blanche, c'est dommage… »
Ça a duré pendant des années. Personne ne voulait être ami avec moi alors que j'aurais tellement voulu avoir des amis. Pendant que mes sœurs allaient s'amuser chez leurs copines, je restais à la maison et je regardais une série-télé terrienne que j'adorais. Je m'imaginais que j'étais l'héroïne de cette série, que j'avais une vie parfaite et que tout le monde m'aimait. A 48 ans, j'ai fugué et j'ai réussi à convaincre mon oncle de m'emmener sur Terre.
Au début, j'ai pensé que je l'avais enfin, ma vie parfaite. D'ailleurs, je voulais que tout soit parfait : j'étais gentille avec tout le monde, je régalais l'équipe en faisant des cookies… Pour la première fois, je me sentais vraiment aimée ! Seulement, je savais qu'il y avait des conditions à ce bonheur. Si mes amis apprenaient que j'étais blanche, ils ne voudraient plus jamais de moi. C'est comme ça que j'ai longtemps menti à mes amis en croyant bien faire.
C'était la réaction de Conner que je craignais le plus. C'était mon premier petit copain et on s'était retrouvés attirés l'un par l'autre pour des raisons que j'avais du mal à m'expliquer. On était très différents : moi, je passais mon temps à materner tout le monde et lui, il voulait qu'on lui fiche la paix. Dans le fond, c'était peut-être pour cela que notre couple marchait : on était complémentaires. Je voulais lui laisser croire que j'étais la fille parfaite, celle qui ressemble à une Terrienne normale et pas une Martienne blanche. J'étais prête à mentir pour rentrer dans le moule et me faire accepter.
Un jour, je me suis décidée à leur avouer mon terrible secret. A ma grande surprise, ils m'ont tous acceptée comme je suis, Conner le premier ! On a travaillé ensemble et on a fini par sauver le monde, une fois de plus. Sauver des gens, c'était notre routine.
Les années ont passé et l'équipe s'est agrandie avec les arrivées successives de Jason, Donna, Mary, Freddy, Garth et Tula. On dit au revoir à Rocket et Zatanna quand elles ont rejoint la ligue à dix-huit ans et on a souhaité bonne route à Wally et Artémis quand ils ont décidé de prendre leur retraite. L'un des pires moments a été quand Jason est mort. Donna, Mary et Freddy sont partis peu après, après quoi on a été rejoints par Barbara, Karen, Jaime, Mal, Laga'an, Tim et Cassie. A chaque fois qu'un membre de l'équipe partait, cela m'attristait même si je ne le montrais pas. Ils étaient tous comme une famille pour moi. Tous les soirs, quand je me mettais au lit, je souhaitais que mes amis ne meurent jamais.
Seulement, les souhaits ne se réalisent pas toujours. On a perdu Tula lors d'une de nos missions les plus récentes et ça a fait tellement mal à Kaldur qu'il a rejoint le côté obscur. Ce jour-là, j'ai beaucoup pleuré mais je l'ai fait en cachette, alors que je m'étais pratiquement changée en fontaine devant tout le monde quand on a perdu Jason. Je ne pouvais pas me permettre de verser une larme devant les plus jeunes, j'étais l'une des aînés et il fallait que j'aie l'air fort devant eux, qu'ils puissent me faire confiance et s'appuyer sur moi.
Souvent, je faisais le même cauchemar. Je m'imaginais qu'un de mes amis mourrait dans mes bras sans que je puisse rien faire pour lui ou elle. Dans ce rêve, c'était Garfield qui apparaissait le plus souvent, mon petit Garfield si innocent, le dernier arrivé, celui qui me disait toujours que j'étais comme sa sœur et qui n'avait plus de maman pour veiller sur lui. Ce cauchemar me rendait malade et si jamais il lui était arrivé quelque chose, je crois que j'aurais perdu la tête.
Je crois que c'est pour Garfield que j'ai mis de côté la Megan « plus gentille tu meurs ». Au contraire, je me suis énormément endurcie pour le protéger. J'ai pris l'habitude de lobotomiser systématiquement tous les ennemis dont je devais fouiller la mémoire. Les premières fois, ça me dégoûtait mais je repensais ensuite à l'abîme de tristesse dans lequel s'était trouvé Garfield quand Queen Bee a tué Marie et je me disais que je ne voulais pas que cela se reproduise. J'aurais fait n'importe quoi pour protéger mes amis.
A l'époque, je n'ai pas remarqué que Conner devenait de plus en plus distant. Après les missions, il me disait parfois « tu vends ton âme au diable » ou « je ne te reconnais plus. » Au début, j'ai pris cela pour un compliment. J'étais fière d'avoir mis de côté l'ancienne Megan, la majorette évaporée, pour devenir quelqu'un de nettement plus sérieux. Je ne comprenais pas pourquoi il prenait ses distances avec moi, pourquoi il voulait de moins en moins me toucher…
Un jour, il m'a posé un ultimatum. Il m'a dit que si je n'allais pas donner à Nightwing un compte-rendu exact de tous les gens à qui j'avais grillé les neurones, il le ferait lui-même. Je lui ai répondu que je le ferais plus tard, quand je lui aurais massé le dos, je suis entrée dans son esprit et…
J'ai eu un geste de trop, d'accord. On ne va pas en faire tout un plat ? De toute façon, j'étais déjà entrée dans son esprit plusieurs fois alors une de plus, ça ne devait faire aucune différence. Et puis, quand quelqu'un ne dit pas clairement non, ça veut dire oui, pas vrai ? On avait fait des séances d'entraînement à la télépathie et il savait très bien construire une défense de base. S'il ne l'a pas fait, c'était qu'il voulait…
D'accord, aucune de mes justifications n'est valable, même si j'avais l'impression qu'elles l'étaient. J'aimais Conner et j'étais terrorisée à l'idée de le perdre alors je suis allée trop loin. Il a hurlé de sortir de sa tête, m'a envoyée valser à travers la pièce et est sorti sans un mot d'explication. Une heure après, il m'a dit qu'il voulait rompre. J'ai eu un mal fou à expliquer tout ça à Garfield sans le perturber.
Quand j'essaie d'y repenser, tout ça est un peu flou dans ma tête, comme quand on essaie de se rappeler d'un rêve. Je me souviens que je me suis encore cachée pour pleurer. Et puis, je me suis mise à sortir avec Laga'an. Sur le coup, j'ai vraiment cru que c'était une bonne idée. D'une certaine façon, on se ressemblait, lui et moi : on avait souffert à cause de la discrimination et on vivait dans un endroit qui ne ressemblait pas à celui où on avait grandi. Il était gentil, il ne me critiquait pas et j'adorais lui préparer des cakes au crabe, moi qui aime tant cuisiner. Le pire, c'est que pendant un moment, j'ai réellement cru que j'étais amoureuse de lui.
A suivre...
