"On a deux vies. La deuxième commence le jour où on réalise qu'on en a juste une."

Confucius


Je rêvai. La plupart des gens ignorent la différence entre rêve et réalité, pourtant moi, je le sentais très bien quand tout n'était que le fruit de mon imagination. Peut-être que si j'avais su que ce rêve serait le dernier, j'en aurai profité. J'aurai essayé de tout voir, de tout entendre, de retenir les visages féeriques ou simplement étranges dans ma tête. Ou éventuellement, je n'aurai rien changé à mon habitude, j'aurai juste vécu ce rêve comme un autre. Je ne saurai jamais...

Il est impossible de décrire un songe, alors je n'essayerai pas. Je vais simplement vous dire que ce fut la dernière nuit où je dormis paisiblement, le sourire aux lèvres dans un monde où aucun mal ne pouvait m'être fait.

Un cri aigu perça l'obscurité de la maison, me réveillant en sursaut. En voulant me rehausser trop vite, je me cognai la tête brutalement contre l'étagère au-dessus de mon lit, m'assommant presque et m'obligeant à me rallonger. La respiration haletante, je tentai de me calmer. Le ventre noué par la peur, je tendis l'oreille attendant qu'un autre hurlement me parvienne. Je me relevai doucement cette fois et me suis mise en position assise, tous mes sens en alerte. Je fermai les yeux, écoutant attentivement les bruits autour de moi. J'entendais les voitures qui passaient dans la rue malgré l'heure tardive, les klaxons, les habitants de la petite ville, mais l'habitation semblait étrangement calme.

« Tu as vraiment une imagination trop débordante... »

C'était ce que me disait souvent ma mère.

Mais soudain, j'entendis quelqu'un approcher de ma chambre. En temps normal, je n'aurai pas réagi, il n'y avait que mes parents chez nous et je n'avais pas à avoir peur, mais ce n'était ni le pas souple de ma mère, ni celui feutré de mon père, c'était une démarche lourde qui faisait craquer les lattes du plancher. Mon instinct de survie me hurlait une seule chose : me cacher le plus vite possible.

Je sortis de mon lit précipitamment, mais le plus silencieusement possible, ma chambre éclairée seulement par la lumière de la ville filtrant à travers les rideaux était remplie de cachettes et de coins de sombres, vite mis en évidence si la lumière était allumée. La cache la plus évidente était sous mon lit, je me ferai repérer facilement, tandis que les pas approchaient de plus en plus et que je commençais à paniquer, mon regard rencontra mon armoire, je m'y précipitai sans réfléchir, la peur au ventre. Une fois la porte refermée sur moi, ni vraiment debout, ni totalement accroupie, j'entendis celle de ma chambre s'ouvrir en grinçant fortement.

Je retins ma respiration tandis qu'il retournait la chambre de fond en comble, je l'entendais retourner le lit - j'avais failli me cacher en dessous ! - balancer tous les meubles à porter de ses mains, briser mon miroir et ma fenêtre rageusement, puis plus rien. Le silence était tel que je percevais son souffle tandis que j'essayai de respirer le moins bruyamment possible. Il me sembla qu'il s'approchait de moi, en tout cas de ma cachette. Je voyais déjà un sourire sadique étiré sur ses lèvres et des larmes de terreur glissèrent le long de mes joues. Il toucha les portes de l'armoire, tapota dessus doucement d'abord, puis en augmentant sa force de frappe à chaque fois un peu plus, comme s'il voulait briser ce bout de bois qui nous séparait alors qu'il aurait pu simplement l'ouvrir...

Puis il donna un coup plus fort que les autres ce qui me fit sursauter. Il arrêta soudain de frapper et je le sentis s'appuyer contre la porte comme s'il voulait se poser. Était-il fatigué ? J'essayai de calmer le torrent de larmes silencieuses qui dévalaient le long de mes joues. Soudainement, j'entendis un bruit étouffé, comme un raclement de gorge, il se répéta plusieurs fois, de plus en plus fort, avant que je ne comprenne que c'était lui qui riait. Un rire abdominal, dénué de toute humanité et de conscience, un rire plein de folie, de haine et de tristesse. Un rire qui me fit froid dans le dos...

Brusquement, plus rien. Il se tut et s'en alla, toujours dans le bruit, de ma chambre. Je n'osai pas bouger, ni faire le moindre sons, de peur qu'il ne revienne. Les minutes s'écoulèrent, tremblante comme une feuille, j'hésitais entre soulagements, il était parti et inquiétude, allait-il revenir ? J'avais la chair de poule alors qu'il faisait si chaud dans cette armoire remplie de mes vêtements de fin d'été, je me suis assise complètement, mes jambes ne me soutenant plus et la pression que j'avais accumulée se relâcha. Ce n'était plus les petites larmes muettes, mais de gros sanglots. Je m'étonnai que mon cœur n'ai pas lâché avant.

Mais une pensée fit revenir la peur au grand galop :

« Et mes parents ? »

L'idée qu'il leur soit fait du mal m'était insupportable.

Mon coeur me disait que ce n'était qu'un cambrioleur qui avait un peu bu, qu'il avait renversé les meubles par un accès de colère de ne rien trouver de valeur, que maintenant, il n'était plus là et que tout allait rentrer dans l'ordre, que mon père l'avait entendu et qu'il avait appelé la police, que l'on m'achèterait un nouveau mobilier, que plus tard, on en rirait...

Mais ma raison me répétait la même chose inlassablement : j'avais entendu un cri.

Et elle avait raison.

Je restai plusieurs minutes encore cachée, à écouter tout autour de moi, mais seul le silence me répondait. Incertaine, je me levai et ouvris la porte, je m'attendais à ce qu'il surgisse du noir pour me tuer, mais il ne se passa rien.

La chambre était sans dessus, sans dessous, le lit se trouvait à l'autre bout de la pièce, ma commode avait été réduite en miette, ma porte était à terre, mon tapis, lui, déchiqueté et la plupart de mes objets avaient été brisés, ainsi que mon miroir et ma fenêtre. J'avais envie de hurler à l'aide à travers celle-ci, mais j'avais bien trop peur que l'intrus soit encore dans la maison.

Vacillante, je fis quelques pas et, contournant la porte, je sortis de la pièce. Ma chambre n'était pas la seule à avoir subi des dégâts, tous les meubles que je rencontrai avaient été abîmés, griffés, brisés ou déplacés violemment. Les belles peintures que ma mère aimait tant avaient été arrachées et ses beaux vases ressemblaient à de véritables puzzles, mais si tranchants que l'on pouvait facilement y perdre un doigt.

Penser à ma mère fit monter un peu plus mon stress et j'accélérai le pas en direction de leur chambre. Une fois devant leur porte, je me stoppai net, la peur ravageant mon âme, malgré tout l'espoir m'aida à y croire encore un peu. Pourtant, mon bras tremblait en ouvrant la porte.

La première chose qui me frappa fut l'odeur du sang. Ensuite, je faillis m'évanouir devant la scène qui m'attendait tant elle était atroce. Ma mère était sur le mur en face de moi. Sur le mur. Entièrement nue comme les femmes sur ses tableaux, elle n'était raccrochée qu'à des clous fixés à l'arrache. Le ventre ouvert laissant apparaître les boyaux, le sang dégoulinant sur elle comme une robe écarlate, ses si beaux cheveux coupés puis jetés à terre, sa peau trouée par un canif entre les deux yeux, ceux-ci perdus dans un monde inaccessible, encore rouge d'avoir pleuré. D'avoir souffert.

Mon père lui avait été assis sur son lit, son pyjama déchiqueté, laissant apparaître sa peau meurtrie, presque violette. De son cou jusqu'à son nombril, un couteau y avait laissé une tranchée. Un autre, ou peut-être le même, avait fait un immense trou dans son front. Son regard vide était tourné vers sa femme.

Morts.

Ils étaient morts.

Assassinés.

Et j'aurais pu connaître le même sort...

Je reculai, cherchant à échapper à cette vision d'horreur, à échapper à la vérité, à la tristesse qui montait en moi, qui semblait me tuer à mon tour, échapper à ma colère, à mon incompréhension, à l'épouvante pure qui commençait à me ronger. À tout ce qui voulait me faire du mal.

Quand soudain, j'entendis son ricanement derrière moi.

Je me retournai, il était là, telle une ombre menaçante prête à en finir avec moi. Je ne voyais que ses yeux noirs pleins de haines et de folie.

D'une rapidité et d'une force inouïe, il me lança son poing dans mon ventre, me coupant la respiration, puis me prenant par le cou, il me jeta contre le mur le plus proche. J'hurlai et pleurai de douleur quand mon bras droit se brisa contre la pierre. Lui riait.

Il s'approcha de moi, me releva brutalement en prenant mon bras blessé, ce qui me fit défaillir. La souffrance était trop intense. Cela sembla l'amuser. Puis comme s'il avait eu pitié de moi, il me donna le coup de grâce. Son canif alla se planter dans mon abdomen, qu'il s'amusa à tourner puis à retourner dans tous les sens.

Il paraît qu'à un certain stade, on ne ressent plus la douleur.

C'est faux.

Quand il me lâcha enfin, me laissant tomber à terre, j'avais franchi une ligne entre la vie et la mort. Juste après m'avoir crachée dessus, il partit pour de bon, m'abandonnant à mourir en me vidant de mon sang entre les deux cadavres de mes parents.

Je ne tenus pas plus longtemps. Je m'évanouis...

Contrairement à ce que je pensais, je n'avais pas mal au début.

En fait, j'avais l'impression de flotter. D'ouvrir les yeux, puis de me rendormir immédiatement, comme si j'étais sous l'eau incapable de remonter à la surface. Séparée par un mur immense de ma réalité. J'aurais incapable de dire combien de temps s'était écoulé, des secondes, des heures, des mois, des siècles. Tout paraissait plus long et chaque fois que le noir m'engloutissait, c'était un pur soulagement. Comme si ses bras me tenait vigoureusement, mais d'une étreinte presque agréable. Je crois que j'aurais pu rester ainsi définitivement. Entre la vie et la mort, entre rêve et réalité, entre innocence et douleur.

Je ne voulais pas me réveiller.

Cependant, aucun dieu ne m'a entendue.

La première chose que je ressentis en me réveillant fut un élancement au niveau de mon ventre et de mon bras. Puis vint l'incompréhension. Suivie très vite par les souvenirs, plus violents et plus réels les uns que les autres. La tristesse m'enveloppa à son tour rassurante bizarrement par sa simplicité. Je voulus continuer ce demi-sommeil dans lequel j'étais si bien, mais des images d'horreur se formèrent bientôt sur mes paupières closes.

Quand j'ouvris les yeux, la lumière m'éblouit. Celle de ma chambre d'hôpital. Une fois habituée à la luminosité, je dus m'accommoder de la blancheur des lieux. J'étais confortablement allongée dans un lit incolore, à côté de moi se trouver une table de chevet, ainsi qu'une télévision en face de moi. Mes yeux passèrent dessus comme si ces objets n'étaient pas là. Mais le repère que mon corps cherchait désespérément n'étais pas loin. En vérité, le dît repère prit ma main au moment même où il me vit entrouvrir les paupières. Ku, mon oncle par alliance, le maris de la soeur de ma mère, le meilleur ami de mon père, était assis à mes côtés, l'air inquiet et presque aussi égaré que moi. Je le reconnus tout de suite à ses cheveux foncés, ni ébène ni châtain et ses yeux noirs, il ressemblait tant à mon père, pas physiquement, mais à sa manière de bouger, de se mordre la lèvre, que cela me fit mal.

Il semblai si triste lui aussi et fatigué qu'il confirma sans même ouvrir la bouche tout mes soupçons. Cependant, j'ai pas pu m'empêcher de lui posai la question du regard : est-ce que mes parents avaient été sauvés ?

Ses yeux à lui voulaient tout dire : non.

Il serra un peu plus ma main, compatissant à ma douleur et à ma peine. Et nous nous mîmes à pleurer. Comme deux personnes normales qui venaient de perdre des êtres chers.

Par la suite, il m'apprit que c'était notre voisine qui avait donné l'alerte, que mon bras droit était bel et bien cassé et que c'était un miracle qu'aucun organe vital n'est été touché.

- Un miracle, répétai-je.

Mon nom était Tenten Ama, j'avais quinze ans, mes parents venaient d'être assassinés et leur meurtrier, qui était aussi mon agresseur, n'avait laissé aucune trace sur son passage.

Voici l'histoire de ma vie...


Voilà déjà la fin de ce prologue ! J'espère que vous allez aimé la suite (tout aussi sympathique)
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé,
Si vous avez remarqué des fautes ou des incohérences,
Si vous avez des questions ou des suggestions,
Ou si vous voulez exprimer haut et fort ce que vous avez sur le cœur ! :)