PS : C'était un parapluie banal
« J'aime la pluie. C'est un peu cliché, je l'avoue, mais le son des milliers de gouttes d'eau qui s'écrasent par terre a sur moi un effet hypnotisant. Je te le disais, souvent, et je te disais la blessure de mon âme, ouverte et déchirée, qui laissait s'échapper tout espoir et toute lumière pour combler le trou de mon cœur avec de la tristesse. Je te disais mon amour aussi, mais ça tu dois l'avoir oublié. Après tout, nous étions uniquement fait pour être amis, c'est ce que je t'ai dit. J'ai passé ma main derrière ton oreille gauche, comme je le faisais si souvent, et je te l'ai dit sans pouvoir te regarder dans les yeux. J'ai vu tes lèvres trembler et tes yeux briller, et tu es parti, me lançant un « il faut que je digère tout ça » avec une voix brisée. Comme ton cœur. Comme le mien. Sauf que tu ne le savais pas.
Je suis souvent repassé près de tes endroits habituels. C'était un peu comme si je nous y revoyais. Ma main qui se glissait contre la tienne, ma peau toujours froide sur la tienne, brûlante. Je me souviens d'un jour où on s'était assis ensemble, sur un banc, dans le centre-ville. Personne ne nous connaissait, j'ai posé ma tête sur ton épaule, et j'ai respiré ton odeur. C'était étrange, parce qu'à ce moment je ne m'étais pas rendu compte que mes lèvres brûlaient. Elles brûlaient contre ta peau mais je n'osais rien faire, parce que je ne voulais pas que ma noirceur abîme ta blancheur si lumineuse et si apaisante. C'est pourquoi je ne t'ai pas embrassé ce jour-là. Ni le lendemain. Ni le surlendemain. Nous avions tout d'un couple, sauf le toucher, tu pensais que c'était simplement ma timidité, mais je savais que tu commençais à comprendre. Tu commençais à comprendre mes mouvements d'humeur, ma froideur, mes yeux rougis dès le matin. Pourtant tu te contentais de me sourire, de toujours m'envoyer un message dans la nuit, comme si tu savais que je ne dors que très peu. C'est un peu comme si ce lundi-là, j'avais arraché une partie de mon âme pour la brûler. J'ai senti la chaleur de ta présence s'en aller, remplacée par ce vent froid. Tu m'as d'ailleurs reproché le choix du lundi. C'est vrai que personne n'aime le lundi.
Ce n'était pas à toi de me contacter, mais j'attendais un message ou un appel, même si tu m'as dit que plus jamais je n'aurais de tes nouvelles. Tu avais raison, je suis une personne toxique, affligeante et indigne. Mais c'était plus agréable à mon cœur que de te contaminer avec ma tristesse.
Je sais que tu m'en veux, Gregory, mais je sais aussi que tu t'en voudras à toi-même. Sache que je n'ai jamais été aussi heureux avec quelqu'un qu'avec toi.
Mycroft »
Gregory relu les mots écrits sur ce bout de papier trop de fois. Il avait d'abord pensé à une mise en scène mais la façon dont Sherlock la lui avait donné, sans aucun commentaire, les yeux voilés, il avait compris.
Il apprit un peu plus tard comment ça s'était passé. Comment ça s'était réellement passé. John le lui avait dit, sans oser le regarder en face, la voix basse. Ce n'était pas la mission qui l'avait tué, en réalité. Il s'était laissé mourir sous les poings de l'homme de main de la mafia indienne. « Simplement », avait ajouté John.
Lestrade comprit alors ce vide dont Mycroft parlait. Parce qu'il en était rempli. Il aurait dû réagir avant. Sa vie sans Mycroft était littéralement vide.
