Titre : Sept-Royaumes

Auteur : Nandra-chan

Disclaimer : Tout est à Clamp, j'ai aussi piqué des idées à d'autres, notamment à un film que j'adorais quand j'étais gamine (essayez de deviner, pour voir, de quel film il s'agit. Si personne ne trouve je le dirai tout à la fin), et également j'ai piqué quelques idées tordues à une série remplie de gens tordus (là aussi, essayez de deviner, sinon je dirai à la fin).


Note : Ouah ! ça fait du bien de se retrouver là !

Bon, avant de publier le premier chapitre de cette nouvelle fic, tout d'abord :

***Bonne Année à tous !***

Bonheur, santé, joie de vivre, prospérité, foie gras, petits fours, etc... Je vous passe la liste complète des vœux mais le cœur y est, hein.

A part ça, je n'ai pas publié sur ce site depuis presque un an, mais je reçois encore régulièrement des reviews auxquelles je n'ai pas répondu. Il me serait difficile de répondre individuellement, étant donné leur nombre (que ma modestie m'oblige à... oh puis non, y en a 30, je sais c'est pas la mort mais bon bref, passons, voilà j'ai pas le temps c'est tout !) et surtout étant donné que la plupart des reviewteurs et reviewteuses négligent de se logger avant de poster leurs messages, mais je voudrais vraiment dire un gros gros merci à toutes les personnes qui ont pris le temps de me laisser un petit mot.

Merci donc à : Piwi-chan, Me and my brain, Pucca-Funny-Love (merci plein fois vu qu'il y a plein de reviews de toi ! Et j'ai vraiment apprécié tes petits commentaires très gentils), celle que vous connaissez pas, Mm-Cc, swallow-no-tsubasa, Kahlane, elleay sahbel, Soel la multicolore, Naminé, tisha, chii46 (qui n'a laissé qu'une review mais elle fait 1 km de long :p), ValouX-chan, vanina chan, KingSoren, Alicia, Waders, Irissia, Axel Poulpy, Evangelysta, et Niacy. (je remarque que dans cette liste, l'absence d'une certaine mauvaise graine se fait clairement ressentir. A bon entendeur...)

Merci également à tous ceux et celles qui ont pris le temps de me lire. Quand je regarde mes stats, j'ai mon petit cœur tout gonflé de bonheur à l'idée que ça vous a plu et que vous ne vous êtes pas arrêtés au premier chapitre de mes fics.

Du coup, je remets ça avec une toute nouvelle fic à chapitre. Ce n'est pas la suite promise d'Himitsu, je pense que je vais m'arrêter là pour l'instant avec cette série, je m'essouffle un peu niveau idées avec elle et puis j'avais envie de passer à autre chose.

Donc voilà, Sept-Royaumes, c'est une intrigue complètement nouvelle, dans un univers totalement alternatif. A vrai dire, j'aurais aussi bien pu écrire une fic originale avec cette histoire parce que, même si je reprends les personnages de TRC, ils sont tous placés dans des contextes assez différents de leurs origines. A part le « couple » Tomoyo/Kuro qui fonctionne normalement, le reste, ma foi, ça n'a plus grand chose à avoir avec TRC et je précise donc que ce sera, je pense, lisible et compréhensible même par ceux qui ne connaissent pas Clamp (si, si, ça existe :p). Mais j'avais quand même envie de continuer à exploiter honteusement les muscles de Kuro et à torturer mon deuxième blond préféré entre tous les blonds de tout l'univers.

Et puis j'avais une idée. Ça m'arrive qu'une fois par an, si on croit mon rythme de publication, alors il fallait en profiter.

Sinon, je ne répondrai à aucune question concernant la longueur de la fic (sauf pour dire qu'elle sera très longue), je ne ferai aucun résumé, aucune présentation de quoi que ce soit, je vous lâche direct dans la fosse aux ours (oui oui, aux ours), comme ça, cash, sans prévenir... Brefouille, voilà, Sept-Royaumes, c'est parti et c'est pas près de s'arrêter.

Petit message perso pour Fye : Désolée, hein... Je peux pas m'en empêcher...

Enfin, une petite musique pour aller avec : un extrait de Peer Gynt, The Death of Ase que vous pouvez trouver sur mon blog ( 3w . nandra . overblog . com) dans le ticket du 1er janvier.

Pour me donner votre opinion, c'est toujours le même bouton !


Sept-Royaumes – Chapitre 1 – Pour le sang versé

- Ils sont arrivés.

La jeune femme n'obtint aucune réponse. Une moue interrogatrice sur ses lèvres nacrées, elle se détourna de la fenêtre, cherchant le magicien du regard. Il était assis à même le sol, au centre de la pièce, près de la cheminée au foyer carré ceint de pierres taillées. La mine grave, son regard azur perdu quelque part bien loin de ce décor, il nourrissait machinalement le feu avec de vieilles lettres froissées, usant de gestes lents et automatiques qui témoignaient de sa distraction.

Chii l'observa un moment en silence. C'était son cœur qu'il brûlait avec ces parchemins, son plus grand secret ; c'était sans doute très douloureux, et l'instant n'était vraiment pas bien choisi pour le déranger. Mais comment faire autrement ?

- Ils sont arrivés, Fye.

Fye D. Flowright devait avoir une vingtaine d'années. Il était grand, élancé, et il avait un visage agréable aux traits délicats. Ni sa chevelure dorée, trop longue et indisciplinée, ni sa tenue négligée, pieds nus, tunique à demi-ouverte sur son torse glabre, pans sortis de son pantalon, ni sa posture nonchalante, à demi vautré sur le parquet luisant, ne parvenaient à occulter son élégance naturelle. La noblesse de son sang transpirait dans chacune de ses attitudes, même lorsqu'il ne faisait rien d'autre que de se débarrasser de quelques souvenirs et s'enivrer, activité qu'il pratiquait avec une application suspecte, à cette heure matinale.

- Fye ?

Cette fois, il réagit aux paroles de sa domestique. Un léger soupir lui échappa. Un voile de tristesse passa un instant sur ses yeux clairs, puis il redressa la tête et il lui sourit. Il déposa précautionneusement la coupelle de saké qu'il avait à la main, déplia ses longues jambes et se mit debout.

Aussitôt, elle fut près de lui et elle entreprit de l'aider à arranger sa tenue. Ses pieds légers produisaient de petits bruits mats sur le plancher tandis qu'elle tourbillonnait autour de lui, et ses petites mains délicates s'affairaient adroitement à lisser les plis de ses habits, à l'inciter d'un geste à enfiler ses bottes, lacer ce qui devait l'être, arranger un peu sa chevelure...

Enfin, il fut prêt. Elle l'inspecta une dernière fois. Par-dessus sa chemise blanche, il portait un haori, une veste écrue dotée de manches si longues qu'elles recouvraient complètement ses mains fines et serrée à la taille par une large ceinture de couleur brune, et un hakama, un pantalon assorti, plissé, très ample, qui masquait les mouvements de ses pieds. Chii lui tendit un épais manteau noir qu'il passa sans rien dire.

- Qu'est-ce que tu vas faire ? demanda-t-elle.

De la tension filtrait à travers la douceur de sa voix, et le mage perdit un instant son expression triste pour lui adresser un petit sourire. Puis il haussa les épaules.

- Rien. Il n'y a rien que je puisse faire.

- Mais, c'est injuste...

- Je ne pense pas.

Un chat blanc aux yeux dorés vint se frotter contre les jambes du blond. Il se baissa pour le ramasser, le tint dans ses bras quelques instants, s'attachant à le gratter au point stratégique derrière ses oreilles pour le faire ronronner, puis il le tendit à sa servante.

- Tu prendras bien soin de lui, n'est-ce pas ?

- Je...

Elle n'eut pas le temps de répondre. Des coups tambourinés contre la porte par un poing ganté lui coupèrent la parole, tandis qu'une voix grave et autoritaire s'élevait, étouffée par l'épaisseur du battant mais clairement audible. Trop clairement.

- Ouvrez, au nom de Sa Majesté ! Ouvrez cette porte immédiatement !

Le ton était péremptoire et cassant. Ce n'était pas ainsi que l'on s'adressait aux honnêtes gens et, Chii, soudain, parut réaliser ce qui était vraiment en train de se passer. Elle était prévenue, cela faisait plusieurs jours qu'ils attendaient ce moment, son maître et elle, mais finalement, elle n'y avait peut-être pas vraiment cru. Elle s'était peut-être dit que ça n'arriverait pas, que cela ne pouvait pas être, et qu'ils échapperaient à leur destin. Mais à présent il y avait les coups, cette voix, ces silhouettes noires qu'elle avait vues traversant le jardin, et elle ne pouvait plus se voiler la face. Il fallait comprendre, admettre que tout était fini, et qu'il n'y avait pas de planche de salut.

La peur s'empara brutalement d'elle, la saisit aux entrailles et lui tordit le ventre. Les yeux écarquillés, elle pâlit et recula précipitamment, tout en serrant le chat contre sa poitrine. Quand son dos s'achoppa contre la cloison qui séparait le salon de sa chambre, elle faillit céder à la panique. Un gémissement s'étrangla au fond de sa gorge ; un appel de détresse muet mais le mage l'entendit. Alors qu'il était déjà à l'entrée du couloir, il fit demi-tour et revint jusqu'à elle. Il lui sourit gentiment, caressa doucement son front, laissa son doigt glisser le long de sa joue, sur le tracé invisible d'une larme qui n'avait pas encore coulé, puis la prit brièvement dans ses bras.

- N'aie pas peur, Chii, lui dit-il d'un ton rassurant, plein de l'immense affection qu'il lui portait. Tu n'as rien à craindre. Quoi qu'ils puissent me faire, à toi il n'arrivera rien de mauvais. Ces gens sont honorables. C'est uniquement après moi qu'ils en ont, alors ne sois pas effrayée. Tout ira bien. Tout ira bien, tu verras.

Il déposa un baiser sur ses cheveux, puis il la repoussa gentiment, rajusta son manteau, et se dirigea vers la porte sans se retourner.

Lorsqu'il ouvrit, un violent courant d'air glacé s'engouffra dans la maison, amenant avec lui une bourrasque de neige qui lui fouetta le visage et lui fit plisser les yeux. Et quand il retrouva la vue, ce fut pour tomber plus ou moins nez à nez avec un homme de haute taille – plus grand que lui, ce qui n'était pas courant - qui le toisait d'un regard sévère, les sourcils froncés. Huit soldats se tenaient derrière lui et battaient de la semelle dans la petite allée de la maison, les orteils visiblement à la torture et le nez rougi par le froid, mais l'œil vigilant et la main prête à se poser sur la poignée de leur épée.

- Je suis Kurogane, lieutenant des forces de police de Sa Majesté le Roi Susanoo, dit le brun d'un ton neutre, en plantant ses prunelles à la teinte grenat exceptionnelle dans celles de son interlocuteur.

- Ravi de faire votre co...

- Fye D. Flowright, par ordre de Sa Majesté, vous êtes en état d'arrestation. Veuillez déposer vos armes et vous soumettre sur-le-champ.

L'homme était sur ses gardes et s'attendait apparemment à une autre réaction que celle à laquelle il eut droit. Le mage écarta simplement les bras de son corps, mains ouvertes, pour bien lui signifier ses intentions pacifiques.

- Voilà une bien mauvaise façon de commencer l'année, marmonna-t-il.

Puis un petit sourire espiègle apparut sur ses lèvres, illuminant un instant son visage au teint aussi clair que celui du guerrier était mat.

- Et cela porte un coup sévère à notre amitié.

- Quelle amitié ?

- Comment ça, quelle amitié ?

Négligeant de répondre, le brun le poussa sans brutalité à s'adosser contre le mur du couloir, avant de se pencher sur lui pour palper ses flancs à travers son manteau, à la recherche d'une arme quelconque dissimulée dans ses vêtements. Mais il n'y avait rien et il se redressa pour dévisager son prisonnier avec un air un peu incertain.

- Je ne crois pas vous avoir déjà rencontré. C'est le cas ?

- Je parlais de notre amitié naissante, Kuro-chan,...

- Je m'appelle Kurogane...

- …, celle qui t'autorise à me tripoter aussi familièrement alors que...

- … ET JE NE TE TRIPOTE PAS, JE TE FOUILLE !

L'officier prit une grande respiration. Il connaissait ce type depuis deux minutes à peine, et il le trouvait déjà insupportable sous bien des facettes. Il était incapable de dire ce qui l'énervait le plus, entre son manque de respect flagrant, ce surnom débile – Kuro-chan, et puis quoi encore ? Il n'était pas une fillette ! -, cette allusion à une éventuelle amitié - qu'il avait l'air de considérer comme absolument évidente, tombant sous le sens, alors qu'elle était totalement et définitivement inconcevable -, ou simplement le fait que le blond ne paraissait pas bien réaliser ce qui était en train de se passer et prenait à la légère une situation qui n'avait pourtant rien d'un divertissement.

- Et ce n'est pas vraiment le moment de s'amuser, le mage. Tu es en très fâcheuse posture.

Ce n'était pas une menace, mais un constat. La gravité du ton du guerrier était parfaitement explicite, et ne faisait que donner plus de corps à ce que le magicien avait deviné depuis quelques temps déjà. Cette fois, tout était bel et bien terminé. Il était au pied d'un mur, et ce mur était celui du gibet. Pourtant, ce fut avec docilité qu'il tendit ses poignets afin que le lieutenant y place les fers.

- Dis-moi, demanda-t-il à mi-voix afin de ne pas être entendu des soldats, que je sourie ou que je pleure, cela fera-t-il une différence ? Ton roi m'épargnera-t-il si je verse une larme, alors même qu'il t'envoie m'arrêter pour un crime commis par un autre que moi ?

- Tu es plutôt téméraire, toi, pour parler de mon roi de cette manière.

- Je ne fais que dire ce que tout le monde, ici, sait déjà. Mais si cela te déplaît, je retire mes paroles au sujet d'une possible erreur judiciaire. Ce qui ne t'empêche pas de répondre à ma question.

- Je n'ai pas à présumer des décisions de Sa Majesté.

- Mais tu as bien une opinion, non, Kuro-pon ?

- Je m'appelle Kurogane. Et mon opinion, c'est que tu n'aurais jamais dû venir dans ce pays. Et maintenant, ferme-la et avance sagement. Mes hommes n'ont pas besoin que tu troubles leur esprit par ton comportement de... crétin.

Le blond haussa légèrement les épaules, lui adressa un petit sourire désabusé et passa devant lui pour s'avancer dans l'allée où il fut aussitôt encadré par les gardes. Ils se mirent immédiatement en route. La neige épaisse rendait la marche fatigante et difficile, il fallait se concentrer pour ne pas poser par mégarde le pied sur un objet enfoui sous le manteau blanc, et le prisonnier ne se retourna pas une seule fois vers sa maison, tandis qu'il quittait le jardin avec sa déplaisante escorte.

S'il l'avait fait, il aurait vu une splendide jeune femme qui le regardait partir depuis le seuil, un chat blanc dans les bras. Elle pleurait.

Suwa, capitale du pays de Nihon, n'avait pas connu d'hiver aussi rigoureux que celui-là depuis des années. Les rues rectilignes et empierrées, au dallage habituellement impeccable, étaient encombrées de grands tas de neige que l'on avait repoussés le long des façades, afin de ménager au centre un passage pour les piétons, cavaliers et attelages qui circulaient depuis l'aurore jusqu'à des heures parfois très avancées dans la nuit.

Malgré le froid et le mauvais temps, la ville était agitée. Les commerçants, emmitouflés dans leurs habits les plus chauds, faisaient le pied de grue à l'entrée de leurs échoppes, à l'affut du moindre client potentiel. Des femmes de toutes les conditions s'agglutinaient devant leurs étals. Les plus luxueux kimonos côtoyaient les robes les plus élimées, mais toutes avaient les mêmes soucis en tête ; et le moindre radis, le moindre boisseau de blé, faisaient l'objet de longs marchandages. On discutait âprement les prix, avec des voix haut perchées aux intonations nerveuses qui résonnaient de façon étrange sous les toitures dont la couverture blanche et ouatée étouffait tous les sons.

Les bruits, les odeurs, les mouvements, les couleurs, auraient pu former un mélange joyeux, le brouhaha d'une cité prospère en des temps florissants, mais ce n'était pas le cas. Après seulement quelques mois de tranquillité, les crieurs s'étaient faits oiseaux de mauvais augure depuis plusieurs jours, clamant au coin des rues une nouvelle que le peuple de Nihon avait trop souvent entendue par le passé : la guerre. La trêve était terminée, la paix rompue, et les hostilités avec le pays voisin de Seles allaient recommencer. Et au beau milieu de l'hiver, en plus.

Alors on se bousculait aux boutiques et aux marchés, on essayait de rassembler quelques provisions. On pensait déjà aux privations, aux efforts qu'il allait falloir fournir pour remplacer tous les hommes qui partiraient au combat, et surtout tous ceux qui n'en reviendraient pas. Il fallait faire pousser les enfants plus vite, on allait avoir besoin de leurs bras, de leurs forces, et non de bouches inutiles à nourrir.

A l'image du moral des citadins, la neige souillée partiellement fondue et mêlée à la poussière formait une boue grise qui collait aux bottes des passants, alourdissait leur démarche et gâchait définitivement le fond de leurs longs manteaux et de leurs robes. Le ciel était terne, encombré de gros nuages menaçants, et l'air juste assez froid pour que leur haleine forme de petits halos brumeux à chacune de leurs respirations.

Contrairement aux rues commerçantes, l'avenue principale menant au palais Shirasagi était très large, et une fois qu'ils l'eurent gagnée après avoir traversé le quartier bourgeois, le lieutenant, ses hommes et leur prisonnier purent marcher plus librement, en ne se préoccupant plus que de leur équilibre parfois précaire sur les pavés glissants. La patrouille avançait dans un ordre strict, formant un losange au centre duquel le captif allait sans entraves particulières hormis les fers de ses poignets. L'officier devançait ses hommes.

Sur leur passage, les badauds s'arrêtaient pour les regarder. Certains adressaient un petit sourire compatissant au mage, d'autres se contentaient de l'observer sans discrétion, tout en échangeant des commentaires à voix basse avec leurs voisins, et d'autres enfin le foudroyaient du regard et crachaient au sol puis se détournaient en marmonnant une quelconque malédiction, sans toujours savoir de quoi il était accusé. Sa couleur de peau trop pâle, ses cheveux blonds, ses yeux d'un bleu de ciel d'été, suffisaient à certains pour le juger comme coupable dans ce pays où tous avaient le teint doré et une épaisse tignasse d'ébène.

Depuis qu'il était arrivé à Suwa, quelques dix mois auparavant, juste après la signature du traité de paix, il avait mené une existence discrète, se liant peu mais partageant de bonnes relations avec son voisinage. Ceux qui le connaissaient un peu le jugeaient gentil, doux et amusant, les autres se méfiaient de lui. Il était un étranger, un selesien qui plus est, venu d'un pays contre lequel ils avaient connu de nombreuses années de guerre. Sa présence chez eux était mal perçue. Et pourtant, s'ils avaient su...

Ceux qui savaient, il les retrouva lorsqu'il franchit les portes du palais. Dans la grande cour, devant le bâtiment réservé aux audiences royales, tout ce que la cité comptait de notables, mais également de fonctionnaires du gouvernement avait été rassemblé, afin d'entendre chacune des paroles qui seraient prononcées lors des moments à venir, et de pouvoir la rapporter officiellement au peuple.

En découvrant toute cette foule, qui n'attendait visiblement que lui, le mage ne marqua pas le moindre mouvement de surprise. A cela aussi, il s'attendait depuis quelques jours. Il n'avait pas été arrêté pour être interrogé, ni même pour passer en jugement. Il avait déjà été jugé, de manière tacite, et il avait été amené pour entendre la sentence. Une sentence capitale, qui serait prononcée devant un public choisi. C'était une décision purement politique, prévisible. Mais c'était tout de même douloureux.

La formation stoppa, s'ouvrit, et se déploya en V autour du prisonnier, lui bloquant la retraite, mais le protégeant également de la foule, tout en permettant aux personnalités qui se tenaient face à lui sur une petite terrasse et aux trois nobles dont on distinguait à peine les silhouettes dissimulées derrière un grand rideau de bien le voir. Quand les soldats qui l'encadraient se furent éloignés de quelques pas, il ne resta plus à son côté que le lieutenant Kurogane, dont la présence à la fois tranquille et imposante avait quelque chose de profondément apaisant.

De part et d'autre de l'escouade qui l'avait escorté depuis sa maison, deux rangées de lanciers formaient un cordon serré et vigilant, maintenant à l'écart la foule conséquente des officiels conviés à l'audience. Mais par ailleurs, dès leur arrivée, les portes du château avaient été fermées afin d'écarter le public de la scène. L'homme-silhouette assis derrière le rideau était le roi Susanoo en personne. Les deux jeunes femmes qui se tenaient à sa gauche et à sa droite, debout mais tout aussi cachées, étaient ses filles, la princesse Amaterasu et la grande prêtresse Tsukuyomi. La plèbe n'était que très exceptionnellement autorisée à les approcher, mais le captif, lui, les avait déjà rencontrés tous les trois, et il les avait reconnus au premier coup d'œil.

Un homme s'avança. Il portait un pantalon large et une tunique simple, par-dessus lesquels il avait revêtu un long manteau violet brodé au fil d'or de motifs complexes. Une écharpe de soie noire barrait sa poitrine et un petit chapeau en forme de pain de sucre, de la même couleur, était posé sur sa chevelure sombre, strictement tirée en arrière et tressée. Il arborait une barbe divisée en deux longues mèches visiblement lissées et enduites d'un produit qui les raidissait et les faisait briller. A la main, il avait un parchemin qu'il déroula après s'être posté dans les escaliers, face au souverain et à ses filles, et avoir exécuté une profonde révérence.

- Votre Majesté, si vous le permettez, je vais maintenant énoncer les faits qui sont reprochés à l'accusé Fye D. Flowright.

Le roi Susanoo lui signifia son accord d'un petit geste de la main. L'homme se recula alors de quelque pas et se tourna légèrement, de façon à pouvoir embrasser dans son champ de vision à la fois le prisonnier et son seigneur, car il devait parler au premier mais en aucun cas il ne pouvait tourner le dos au second. Puis, à son tour, il adressa un signe à un officier en armure. Celui-ci s'avança, gonfla la poitrine, et fit son annonce, d'une voix forte.

- Silence ! Le très respecté Fujiwara no Yasuaki, Ministre de la Justice, va s'exprimer !

Aussitôt, les rares murmures qui parcouraient la foule s'éteignirent, et un lourd silence neigeux nappa de blanc les larges esplanades du palais Shirasagi. L'homme à la barbe en piques se porta en avant.

- Moi, Fujiwara no Yasuaki, Ministre de la Justice du pays de Nihon, en ce premier jour de l'année du Dragon de Givre, dix-septième année de la souveraineté de sa Majesté le roi Susanoo trente-deuxième du nom, assure droit et véridique l'enregistrement, établi sous l'autorité du premier greffier Hijikata Soujiro, dont il va vous être à présent donné lecture. Ce document atteste les éléments touchant à l'assassinat, le premier jour de l'avant-dernière semaine de l'année du Lièvre de Cendres, du seigneur Nishizuma no Tomomichi, en la place du Palais Krystal, au Royaume de Seles.

Fye remua légèrement, changea de jambe d'appui, s'attirant un regard sévère du guerrier qui le surveillait. Il lui répondit d'un petit sourire innocent ; il n'allait pas tenter de s'échapper, ou quoi que ce soit d'autre, mais le froid ankylosait les muscles de ses jambes : il avait simplement besoin de bouger. D'une oreille distraite, car il savait déjà parfaitement de quoi il était question, il écouta le magistrat réciter d'un ton monocorde le contenu du parchemin.

Au pays de Seles, à plus de cinq cent lieues de là, un jeune homme nommé Tomomichi avait été retrouvé mort, presque trois semaines plus tôt, la gorge et les entrailles lacérées. Malgré la barbarie des blessures, semblables à des coups de griffes, il avait été établi qu'elles étaient d'origine humaine, et que c'était avec ses mains nues que l'assassin avait égorgé et éviscéré sa victime, lui arrachant également les yeux et la langue.

- Si je tenais le salopard qui a fait ça..., grogna Kurogane entre ses dents serrées.

La simplicité de ses mots et la spontanéité de sa colère parurent toucher le magicien bien plus que toutes les explications détaillées, délivrées dans un abscons langage juridique et médical, que le ministre venait de fournir. Les chaînes de ses fers cliquetèrent quand il porta ses mains à sa poitrine. Ses doigts se crispèrent sur son manteau, à l'emplacement de son cœur, et il baissa le front, comme si une douleur soudaine l'avait rendu incapable de se tenir encore droit.

- C'est moi, murmura-t-il, dans un souffle.

Le lieutenant le foudroya du regard.

- Ne raconte pas de conneries. Il y a trois semaines, tu étais ici. Tu n'as pas quitté cette ville depuis presque un an. Et Seles, ce n'est pas la porte à côté. On dit que tu es un mage très doué, alors tu pourrais peut-être nous fausser compagnie pendant quelques heures, mais pas pendant des semaines le temps d'aller au Palais Krystal, d'assassiner un prince et de revenir. Tu es surveillé jour et nuit depuis le premier jour de ton séjour ici, ne l'oublie pas.

- Il me paraît difficile de l'oublier. Mais ça ne change rien, Kuro-chan. Ce jeune homme, Tomomichi, c'est moi qui l'ai tué, aussi sûrement que si j'avais plongé mes propres mains dans ses chairs.

- Tu étais ici ! siffla le guerrier, à mi-voix mais d'un ton nerveux. Ne t'accuse pas de choses dont tu n'es pas coupable ! Tu as déjà bien assez de problèmes comme ça.

- C'est vrai, je ne suis pas coupable. Pourtant, s'il faut nommer un responsable à tout ce gâchis, c'est moi. Et ton roi semble penser la même chose, puisque je me tiens devant lui comme un accusé, aujourd'hui. Mais rassure-toi, lieutenant, je vais être châtié pour le crime odieux que j'ai commis. Et ainsi, peut-être la colère qui brûle dans tes veines sera-t-elle apaisée.

- Tu es ici au titre de bouc-émissaire, tu le sais très bien, et même si je ne suis qu'un simple soldat, je le sais également. Ce n'est pas toi qui as tué cet homme, tu n'y es pour rien, et je n'ai aucune raison de souhaiter ta mort.

- C'est pourtant ce que tu vas obtenir. Et si cela ne te suffit pas, ne te sens pas frustré. Avec le meurtre de Tomomichi, la guerre va reprendre de plus belle. Cette belle lame que tu portes au côté va s'abreuver jusqu'à l'écœurement du sang de mon peuple, et peut-être que le véritable meurtrier de ce gentil jeune homme, qui a troqué sa place ici contre celle que j'occupais auprès de mon roi, et qui l'a payé de sa vie, se trouvera parmi les victimes que tu sèmeras sur les champs de bataille.

Le mage se tut un instant, et le guerrier réalisa que, depuis de longues secondes, il avait complètement fait abstraction de son devoir, de l'homme au manteau violet qui poursuivait sa lecture, de la foule qui écoutait dans un silence devenu nerveux, et même de son souverain et de ses princesses. Il se morigéna pour ce manque de discipline et rassembla ses esprits pour tenter de se concentrer sur la tâche qu'il avait à accomplir, mais la voix de son prisonnier capta à nouveau son attention. Le magicien parlait si bas qu'il était à peine audible.

- Je le souhaite, Kurogane. Je n'ai jamais souhaité la mort de personne auparavant mais, s'il arrivait que, durant les combats qui vont inévitablement venir, ta lame trouve le chemin du cœur de celui qui a torturé et assassiné ce jeune homme, ravivant par ce geste cette stupide guerre, après tout le travail que tes princesses et moi avions accompli afin d'obtenir enfin une trêve pour nos deux peuples, je me sentirais soulagé. Du moins, j'imagine que je me sentirais ainsi. Mais je ne pourrai jamais le vérifier, n'est-ce pas ?

Le brun ne se donna pas la peine de répondre. Il n'y avait d'ailleurs rien à dire. La lecture des témoignages achevée, le Ministre de la Justice procédait à présent à la mise en accusation.

Dix mois plus tôt, après plusieurs années de luttes territoriales sans pitié qui avaient saigné à blanc leurs deux pays, les souverains de Nihon et de Seles avaient enfin trouvé un terrain d'entente et signé un traité de paix. Le roi Susanoo avait accepté de céder à son homologue, Ashura, une bande de terre arable fertile, au pied des montagnes qui composaient la majeure partie du territoire selesien. En échange, ce dernier avait promis de cesser ses agressions contre son voisin et d'aménager les voies de communication, de son côté des frontières, afin que les habitants de Nihon puissent bénéficier des ressources de bois inépuisables des immenses forêts qui couvraient la surface de son royaume.

Toutefois, cette paix, obtenue avec difficultés, était précaire. Le réchauffement des relations entre les deux monarques était trop timide, et les risques de tout voir s'écrouler comme un château de cartes au moindre éternuement étaient immenses.

Fye D. Flowright, jeune mage de talent et fils adoptif du roi Ashura, n'avait pas les préventions de son aîné au sujet des habitants de Nihon. Dès les premiers contacts, il s'était entendu à merveille avec les deux filles du roi Susanoo, Amaterasu et Tsukuyomi, et particulièrement avec la seconde. Ils devinrent rapidement amis.

Ensemble, tous les trois réfléchirent à la façon de consolider la paix, et ce fut le jeune selesien, qui avait longuement étudié l'histoire de Nihon, qui se rappela une ancienne tradition de ce pays, depuis longtemps tombée en désuétude : l'échange d'otages. Il était courant, lors d'accords de paix entre de grandes familles, que chacune d'entre elles confie à l'autre un de ses membres, généralement un jeune homme ou une jeune fille de grande importance dans la hiérarchie, un proche du chef de famille, afin de garantir sur sa vie la solidité de l'accord. Ainsi, si une des parties rompait le pacte et agressait l'autre, elle perdait le précieux otage qu'elle avait remis.

Le roi Susanoo accepta immédiatement la proposition, et confia à son homologue le fils de sa sœur, Nishizuma no Tomomichi, premier mâle dans la ligne de succession au trône de Nihon. N'ayant pas de descendant direct et déjà en peine de trouver son propre héritier, le roi Ashura fit grise mine devant cette offre d'échange, mais son fils adoptif le convainquit que son peuple était au bord du gouffre, mis à genoux par des années de guerre, et qu'une paix durable serait plus profitable à Seles qu'un dauphin qui n'était même pas vraiment de son sang. Le magicien se proposa de lui-même pour être l'otage qui partirait à Suwa, et son roi finit par accepter, à contrecœur tout de même.

Malheureusement, la paix ne dura pas bien longtemps. Deux semaines avant la fin de l'année, Nishizuma no Tomomichi fut sauvagement assassiné à Seles, au cœur même du palais du roi Ashura, et l'auteur de ce crime odieux ne fut pas retrouvé. Il n'en fallait pas plus pour remettre le feu aux poudres entre les deux nations. Tandis que l'enquête piétinait, le roi Susanoo avait d'abord taxé son homologue de laxisme et de négligence, puis il commença à le soupçonner d'avoir fait volontairement tuer son neveu pour faire renaître la guerre.

Quelques jours avaient suffi pour raviver les vieilles haines et rallumer les tensions. Les régions limitrophes des deux contrées étaient déjà témoins de nombreuses échauffourées, officieuses, certes, mais quand même mortelles, et chaque jour voyait la nervosité des deux parties monter encore d'un cran.

Enfin, trois jours plus tôt, l'armée selesienne était officiellement intervenue contre une « bande d'individus masqués » qui s'en était prise à ses frontières et qui venait, selon elle, de Nihon. Suwa avait nié toute implication dans l'incident et accusé le roi Ashura d'inciter ses troupes à passer la frontière, et la hache de guerre avait été définitivement déterrée. A présent, afin que le pacte soit officiellement rompu, il ne restait plus qu'une formalité à accomplir : l'otage de Seles à Suwa, Fye D. Flowright, devait mourir.

Le fait qu'il soit totalement innocent du crime pour lequel il était jugé n'avait pas la moindre importance, et tandis que le ministre Fujiwara prononçait ses conclusions et réclamait sa tête pour se payer du sang versé au Palais Krystal, le lieutenant Kurogane observait du coin de l'œil son prisonnier, cet homme qui se savait déjà mort, et dont le visage était certes un peu pâle – n'était-ce pas là, cependant, son teint naturel ? - mais ne trahissait aucune peur, seulement une profonde tristesse, un chagrin sincère pour celui qui avait été assassiné et pour les deux peuples qui, à cause de ce crime, allaient recommencer à se déchirer. Le magicien était d'accord avec ce qui était en train de se dérouler. Il endossait sans broncher la responsabilité de la mort du prince Nishizuma, et quelle que soit la sentence qui serait prononcée, il l'accepterait sans la moindre discussion.

La colère de son gardien redoubla ; il haïssait ce genre de comportement résigné et il haïssait encore plus les gens capables de sacrifier leur vie sans même tenter de se défendre. Certes, le sang-froid et le dévouement du jeune selesien étaient impressionnants et admirables, mais ces qualités ne serviraient plus à personne, ni à lui ni à quiconque, une fois qu'il serait mort. Et il n'avait pas à payer pour la folie d'un autre.

De longues minutes pâles et froides s'égrenèrent. Avec une lenteur exaspérante, chaque acteur de ce simulacre de procès jouait son rôle.

L'accusé n'écoutait plus. Debout immobile sous la neige, au milieu de la place, les yeux posés sur un point invisible loin devant lui, il était absorbé dans ses pensées. Il n'entendit rien du réquisitoire du ministre, ni des grognements hostiles des fonctionnaires et des notables. Après les quelques mots qu'il avait échangés avec son gardien, il s'était replié sur lui-même et s'enfonçait lentement dans le désespoir. Il avait échoué, tout allait recommencer. Son peuple et celui de Nihon allaient à nouveau connaître la guerre, le plus atroce des cauchemars. Ils compteraient leurs morts par centaines et les survivants devraient se battre entre eux pour trouver de quoi manger, un lambeau d'étoffe pour protéger leurs enfants du froid... et lui, il ne pourrait même pas expier sa faute en souffrant avec eux, en se faisant tuer pour eux, car il allait mourir très bientôt sans avoir l'occasion de se battre encore une fois. C'était mérité, songeait-il, mais le moment était vraiment mal choisi.

Lorsque la voix grave du roi se fit entendre, prononçant à son encontre la sentence capitale attendue ainsi que les modalités de l'exécution, son visage ne trahit pas le moindre frémissement. Seul le brun, qui était tout à côté de lui, crut déceler une infime réaction, un bref éclat dans ses yeux, sous ses cils humblement baissés. Mais ce fut tout, et peut-être encore l'avait-il rêvé, car le magicien semblait complètement ailleurs, tout entier tourné vers son monde intérieur, et il n'avait probablement rien entendu de ce qui venait d'être dit.

Et quand l'audience se termina enfin, sans qu'il ait été donné à l'accusé l'opportunité de prononcer le moindre mot pour sa propre défense, les officiels se retirèrent en silence. Fye n'avait pas fait un geste depuis plusieurs minutes, et il sursauta lorsque le guerrier le prit par le bras et le secoua doucement.

- Allez, viens, dit Kurogane. Il ne faut pas rester là.

- C'est... fini ?

- Oui.

L'escorte se reforma autour du condamné, mais ils ne reprirent pas le chemin de la ville. Ils obliquèrent vers l'intérieur de l'enceinte du château, où se trouvait le bâtiment de la prison. La chaleur de la main du lieutenant qui tenait toujours son bras et le guidait acheva de ramener le blond à la réalité. Il cligna des yeux, l'air un peu hébété, comme si on venait de le tirer d'un profond sommeil et regarda autour de lui avec une certaine surprise. Puis il se tourna vers son gardien et, cette fois, fronça franchement les sourcils.

- Qu'est-ce que tu as, Kurogane ?

- Comment ça, qu'est-ce que j'ai ?

- Tu fais une tête bizarre.

- Tu ne sais rien des têtes que je fais habituellement, alors tu ne peux pas juger si j'ai l'air bizarre ou non.

- Ce n'est pas tout à fait faux. Cependant, tu n'es pas le seul...

D'un signe du menton, le magicien désigna la foule qui s'écartait en silence pour les laisser passer.

- Tu vois, dit-il, eux aussi ils font des têtes bizarres.

- Tu n'as rien écouté des paroles du roi, n'est-ce pas ? demanda le guerrier. Bien sûr que ces gens te regardent bizarrement. C'est normal. Aucune personne sensée n'aurait réagi comme tu l'as fait. Ou plutôt, aucune personne sensée n'aurait fait preuve d'une absence totale de réaction, comme tu l'as fait, à l'annonce du verdict.

- Je savais que je serais condamné, ce n'est pas une surprise, j'y étais préparé.

- Je ne parlais pas de ça.

- De quoi parlais-tu, dans ce cas ?

- Des... modalités d'application de la sentence capitale.

Le mage marqua un temps d'arrêt, infime, et se remit en route, toujours soutenu par la main ferme de son gardien.

- Tu es pénible, fit ce dernier. Tu aurais pu écouter. Maintenant je vais devoir te le dire moi-même et je m'en serais bien passé, crois-moi. Ça n'a absolument rien de réjouissant.

- Je suis désolé.

- Oublie ça.

- Alors, dis-moi.

- Après-demain, avant l'aube. Tu seras...

- Avant l'aube ?

- Oui. Le roi a jugé qu'une punition exemplaire devait être exercée après ce qui était arrivé à son neveu. Il t'accorde un délai afin que tu puisses réfléchir à l'atrocité des crimes commis par ton peuple et te repentir. Après-demain, au chant du coq, avant que le soleil ne soit levé, tu seras conduit en ville, à l'arène où se déroulent les combats de bêtes. On t'attachera au centre de l'arène et tu... recevras ton châtiment, avant que le jour puisse se lever sur un Nihon purifié de ta présence maléfique.

- Cela ne me dit pas de quelle manière je vais être exécuté, Kuro-chan, observa doucement le mage.

- Tu seras... tu seras dévoré vivant par des ours affamés qu'on aura sorti d'hibernation spécialement pour cette occasion. Inutile de te dire qu'ils seront...

Il ne finit pas sa phrase. Cette fois, Fye réagissait. Son visage devint livide et il porta sa main libre à ses lèvres blêmes. Ses longs doigts tremblaient. Il ferma les yeux, inspira profondément, rouvrit les paupières puis se tourna lentement vers son gardien et planta son regard au fond du sien, pendant deux longues secondes. Tandis que, probablement, la vision du destin qui l'attendait prenait peu à peu corps dans son esprit et qu'il réalisait à quel sort horrible il était voué, une larme solitaire perla au bord de ses cils et coula sur sa joue. Puis il se ressaisit, l'essuya distraitement, et remua doucement la tête.

- Dévoré vivant... Mon sang pour le sang qui a été versé à Seles, dit-il doucement. J'imagine que c'est justice mais, Kuro-chan, je crois que là, tout de suite, je vais être malade.