Titre : Quand la Nuit se Lève...

Genre : UA, gang et autres trucs...

Sujet : Bishos du pays du Visual et lointaines contrée popesques (mais le tout à l'est de notre chère France ;) )

Commentaire : Bon courage!


Quand la Nuit se Lève...

partie 1

par Ketsueki


" Ningyô "

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" Il fallait faire le premier pas pour oser faire le deuxième. Peut être avons nous troqué notre servitude pour une nouvelle, mais au moins, nous avons agi.

- Car la passivité est la mort."

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D'un geste de la main, le jeune homme fit signe à ses compagnons de ne pas l'attendre et il revint sur ses pas, fermant les lourdes portes du bureau derrière lui.

- " Viens Rame…"

Il attrapa la main de son ami et l'entraîna vers leurs appartements, suivit des deux autres. Lorsqu'ils y furent arrivés, il ferma soigneusement la porte. Il resta un instant immobile, les paumes appuyées sur le battant, tête baissée, comme si par ce simple geste il pouvait enfermer la réalité au dehors. Comme si dans cette pièce ils pouvaient enfin être protégés de la vie. Alors que c'était là même qu'était né le cauchemar. On a toujours le choix, même si c'est entre deux enfers. Nous avons choisit le notre. Il secoua la tête, faisant danser devant ses yeux de longues mèches rouges, comme pour en chasser les images qui paralysaient son cerveau. Puis il contourna Rame qui se tenait au milieu de l'entrée, à l'endroit même où il l'avait abandonné l'instant d'auparavant. Il se dirigea jusqu'au bar, se servant un verre plein d'une boisson épaisse et ambrée, puis alla s'affaler sur le canapé qui trônait au centre de la pièce. Il s'y enfonça profondément, sirotant distraitement le contenu de son verre. Ses yeux verts perdus dans le vague, la voix basse de Rame qui s'éleva brusquement manqua de le faire sursauter. Le jeune homme murmurait doucement quelques mots comme une litanie qui enflait lentement. Il se releva à demi, inquiet.

- " Rame ?"

L'interpellé se retourna vivement, comme électrocuté, les yeux brillants de colère.

- " On ne peut pas laisser faire ça Tero ! On ne peut pas! Tu as vu dans quel état il revient ? Tu as vu son regard, son corps et…"

Il s'effondra à genoux aux pieds de Tero alors que sa voix se brisait sur ces derniers mots. Les sanglots lui comprimaient la poitrine et il sentait les larmes rouler sur ses joues. Les bras du rouge vinrent entourer ses épaules et ils restèrent un moment enlacés, le temps que la crise de larmes du plus jeune se calme. Quand les sanglots eurent quitté le corps fin, Tero força son ami à redresser la tête. Du bout des doigts, il repoussa doucement les boucles brunes collées par les larmes sur ses joues.

- " Je le sais Rame, mais on ne peut rien faire." Il ancra son regard dans celui bicolore de son ami et après une seconde, il ajouta. " Pour le moment."

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Le couteau vint se planter dans la chair grasse et déchira lentement le ventre de part en part. Les yeux de l'homme s'agrandirent de surprise et de douleur avant qu'il ne s'effondre dans un gargouillement. Le jeune homme le regarda tomber, les mains serrées sur la plaie béante, tentant de retenir le flot de sang et de viscères qui s'en échappaient déjà. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire de froide satisfaction, de triomphe sans joie. Il ne resta pas plus longtemps sur place. Il avait accompli ce qu'il avait à faire. A grands pas, il ressortit du bureau, les gardes le laissèrent passer avec un sourire qu'il leur rendit sans peine. Puis il quitta l'immeuble. Les autres étaient déjà partis, en sécurité. En bas, l'attendait une voiture. Il monta sans hésiter à l'arrière, adressant un signe de tête au jeune homme qui l'y attendait et d'un mot, il ordonna au chauffeur de démarrer. La portière claqua et le véhicule s'éloigna rapidement du bâtiment. Un soupir de soulagement passa ses lèvres.

- Tout reste encore à faire…

- Je le sais Tero. Mais le plus dur vient d'être accompli.

Ses pupilles fendues qui contemplaient le paysage urbain qui défilaient derrière les vitres teintées vinrent plonger dans celles du rouge.

- Il fallait faire le premier pas pour oser faire le deuxième. Peut être avons nous troqué notre servitude pour une nouvelle, mais au moins, nous avons agi.

- Car la passivité est la mort.

Un sourire complice éclaira les lèvres des deux jeunes hommes. Peut être sommes nous esclaves, mais au moins nous sommes. Et nous sommes ensembles.

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Il avait choisit son chemin et eux le leur, il était évident qu'un jour leurs routes se recroiseraient. Et tout aussi évident que la rencontre ne serait pas amicale. Nos enfers ne sont pas compatibles.

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Les Putains de Pourpre, des poupées manipulées mais qui inspiraient la crainte malgré les insultes. Il sentait les regards dans son dos et connaissait les mots qui naissaient sur leurs lèvres. Il les ignora. Un jour viendrait la vengeance, et quand ce jour serait il ne leur resterait plus qu'à s'incliner devant lui pour ce qu'il était et non par crainte de son Shôgun. Il retint un cri de haine et de désespoir, plaquant sur son visage un de ses charmants et séduisants sourires. Ses mèches blond cendré encadraient un visage aux traits doux, seul son regard perçant – aux iris jaunes d'or et aux pupilles fendues – exprimait son intelligence et sa froideur. Il s'arrêta devant la porte de la boutique. Il ne savait rien de l'homme qui la tenait, rien de sa vie, rien de ses torts. Mais il avait déplut au Shôgun. Poupées… Bien sûr que les Ningyô étaient à la solde de leur Shôgun. Un cri leur parvint du fond du magasin, et l'homme apparut bientôt tenu de part et d'autre par les gardes qu'il avait eu la prudence de placer à la porte de derrière. L'homme se débattait, hurlait son innocence, ses remords. Tout ce qu'ils voudraient pourvu qu'il ait la vie sauve. D'une balle entre les deux yeux il le fit taire. Puis ils firent demi-tour, laissant le corps dans le caniveau et les murmures croître dans leur dos. Quelques mots, de la rancœur. Mais trop de peur pour l'exprimer clairement. Cependant parfois les poupées sont moins dociles que prévu.

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Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent dans un glissement souple et ses pas sur la moquette ne firent aucun bruit. Cette douceur ambiante l'écoeurait mais il sourit aimablement au garde qui lui ouvrit la porte de l'immense bureau. La baie vitrée qui faisait face à l'entrée offre une vue plongeante sur la Ville. La luminosité qu'elle déversait dans la pièce en ce petit matin ne lui permit pas de distinguer immédiatement la silhouette assise derrière le bureau de métal et de verre. La froideur de la pièce correspond tellement bien à son occupant… Il s'inclina légèrement devant le Shôgun qui le salua d'un signe de tête. La frange rousse dissimulait un de ses grands yeux bruns, mais l'autre le fixait sans laisser transparaître la moindre émotion. Froideur qui contrastait avec la douceur des courbes de son visage, la rondeur de ses lèvres, l'angélique candeur de son regard. Un démon dans un ange. Selon son habitude, Jui lui fit un rapide compte rendu de la nuit. Aucun événement notable n'était venu troubler celle-ci, aussi se tut-il rapidement, attendant l'ordre de se retirer. Mais le Shôgun ne semblait pas disposé à le lui donner. Il se leva de son siège dans un froissement de soie. Et fit face à la baie vitrée. Dans l'éclat du soleil, Jui ne distinguait maintenant plus qu'une fine silhouette voilée de soie écarlate.

- J'ai encore une mission pour toi Jui…

La voix du Shôgun avait changé de ton et le jeune homme cru y percevoir comme un regret. Ou une douleur. Il y eut un instant de silence. Le Shôgun se détacha de sa contemplation et s'approcha à pas mesuré de Jui jusqu'à lui faire face, il lui tendit une disquette.

- Une ancienne connaissance. J'espère que ça te fera plaisir de la revoir.

Sa voix avait retrouvé son habituelle et froide neutralité. Et ses yeux étaient toujours aussi opaques. Jui acquiesça d'une légère inclinaison du buste et prit la disquette.

- Tu peux y aller. Ramène-le moi dès que tu l'as…

Sur une nouvelle courbette, il quitta le bureau. Il avait l'impression que le plastique lui brûlait les doigts et un mauvais pressentiment l'oppressait.

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Les anglaises dorées tombaient impeccablement sur ses épaules, encadrant un visage à la peau fine et claire, aux grands yeux de poupée. Du plat de sa main gantée, il lissa le lourd tissu de sa robe et un soupir passa ses lèvres. L'attente l'exténuait. Il rêvait du jour où il n'aurait plus à attendre, où chacun de ses souhaits serait exécuté dans la seconde. Et ce jour viendra. Il s'approcha des hautes fenêtres, posant précautionneusement ses hauts talons sur le sol marqueté. Ces appartements luxueux l'agaçaient, tout y est trop beau pour qu'on ose le toucher, tout est trop fragile. Un mouvement derrière lui retint son attention. Des portes de gauche, quelqu'un venait d'entrer dans la pièce. Trop silencieux et discret pour être entendu. Mais je ne suis pas n'importe qui… Un fin sourire vint se dessiner sur les lèvres du jeune homme qui gardait ses yeux rivés sur le verre froid de la vitre, sans qu'aucune réaction ne vienne le trahir. Et quand la voix du nouveau venu rompit le silence pour le saluer, il se retourna le regard si vraisemblablement étonné que personne n'aurait osé imaginer que sa surprise était feinte.

- Nous vous attendions avec impatience mon cher…

Le jeune homme s'inclina légèrement.

- Mais je vous en prie, tout l'honneur est pour moi.

- Votre Shôgun fait les éloges de votre travail. Nous espérons que votre talent sera aussi bien exploité dans notre Shizoku.

- Je ferais de mon mieux Shôgun.

- Nous comptons tous sur vous Rame-kun.

Le jeune homme s'inclina encore une fois. Puis d'un geste de la main le Shôgun fit signe à un de ses hommes qui ouvrit de nouveau la porte. En reconnaissant la mince silhouette qui entra alors dans la pièce, Rame sentit son cœur rater un battement. Les cheveux bruns méchés de rouge tombaient en une frange irrégulière devant deux yeux sombres aux reflets violets. Sous ce regard qui ne le lâchait pas, il sentit ses jambes trembler alors que le passé se refermait lentement autour de lui, l'emprisonnant dans son étau glacé. Mais surtout ne pas montrer sa faiblesse. Aussi ne se départit-il pas du sourire aimable qui éclairait son visage.

- Ohayo Jun-san…

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Le gris, le métal et le froid. Il serra les poings à s'en déchirer les paumes. Quelle stupidité! Le papillon de nuit attrapé dans les filets du jour, quelle ironie. Un geste de colère le poussa à se défouler contre le mur mais il se retint, le regard des gardiens ne le lâchait pas. Il y lisait la peur. Un sourire amer vint déformer son visage. Même derrière un grillage… Il jouait avec eux, ne les lâchant pas du regard, et ses pupilles vertes brillaient de folie. Personne dans la cellule n'osait s'approcher de lui. Il y gagnait au moins la tranquillité. Assis dans un coin de la pièce, il n'avait pas esquissé un geste depuis qu'il y avait été enfermé, immobile jusqu'à la démence. Seuls ses yeux scrutaient chaque recoin, chaque visage, et ceux des autres se détournaient de lui. Tentant d'ignorer ce qui les effrayait. Pas une fenêtre, une ouverture ou une pendule ici pour savoir l'heure qu'il était. Aussi il attendait. Il savait que rien ne servait de s'énerver. Seule la patience permet d'arriver à son but alors… attendre. Il ferma doucement ses paupières sur ses iris clairs. Personne ne tenterait rien contre lui.

Un bruit de clef, le grillage de métal qui coulissa en grinçant et les voix des gardiens. Quelqu'un rentra dans la cellule. Il rouvrit lentement les yeux pour rencontrer deux iris jaunes et fendus devant lesquels dansaient des mèches blondes. Un mince sourire vint naître sur ses lèvres.

- Ohayo Jui-kun…

- Ohayo Tero. Content de te revoir...

- Je ne dirais pas la même chose.

Un bref éclat de rire échappa au blond qui se tourna vers les gardiens.

- C'est bien lui.

Il passa une enveloppe épaisse à un officier puis fit signe à Tero de le suivre alors qu'il sortait de la cellule. Souplement, celui-ci se releva et suivit le jeune homme sous les regards prudents des gardiens. Ils patientèrent un moment à un guichet ou un fonctionnaire restitua les affaires de Tero à son propriétaire. Au passage, Jui retint un couteau à cran d'arrêt et le portefeuille du jeune homme qui le regarda faire sans un mot avant de récupérer sa ceinture et ses lacets, une chaîne d'argent et quelques bagues. Ainsi qu'un élastique qu'il utilisa immédiatement pour relever ses longs cheveux rouges. Cela fait, ils sortirent enfin du poste de police. A peine furent-ils dans la rue que Tero repéra les hommes de main postés. Deux de chaque côté. Sans compter celui qui se trouvait en face. Et les trois dans la voiture. Il réprima une grimace en sentant le canon d'une arme heurter son dos.

- Pas un geste de travers Tero où je serais obligé de faire quelque chose de malheureux.

Un sourire moqueur se dessina sur les lèvres du rouge.

- Je ne pensais pas que tu serais rangé à de telles méthodes Jui, tu étais bien plus classe avant.

Et avant que le blond ne puisse lui répondre, il monta tranquillement dans la voiture. Deux hommes à l'avant, un autre à côté de lui et Jui qui vint prendre place à sa droite. Je préférais quand j'étais en cellule finalement… Il sursauta en reconnaissant dans le rétroviseur le visage du conducteur. Les yeux brun doré et tristes évitèrent son regard. Hideto… Mais il refoula en lui ses émotions. Il avait choisit son chemin et eux le leur, il était évident qu'un jour leurs routes se recroiseraient. Et tout aussi évident que la rencontre ne serait pas amicale. Nos enfers ne sont pas compatibles.

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Du dernier étage du building, la vue était impressionnante. Il laissa son regard plonger sur la ville, les rues en contrebas grouillent de vie, mais chacun n'est pas plus gros qu'une tête d'épingle. Il détourna le regard du vide qui semble vouloir l'aspirer, le soleil qui se réverbérait sur les vitres de l'immeuble était aveuglant. Le soleil. Il se sentit déchiré entre deux mondes, perdus dans deux réalités. Il appartenait à la Nuit mais vivait le jour. Il n'était vraiment ni a l'un ni a l'autre, comme une malédiction. Un sourire ironique naquit sur ses lèvres tandis qu'il prenait conscience de ce qui l'entourait. Tissus de luxe, tableaux et statuettes d'art, espace et richesse. Il doit exister des vies plus malheureuses. Ses yeux retrouvèrent l'extérieur, un peu plus loin au nord, les friches industrielles qui étendaient leurs structures de métal et de fer, leurs espaces déserts brûlés de soleil. En plein jour, le calme qu'elles dégageaient était mortel, la Nuit et la Lune leur rendaient leur aspect originel, leurs éclats métalliques. Et la vie. Elles étaient peuplées d'un monde qui ne naissait que lorsque la lumière se faisait ombre. Cela avait été son monde. Il était arrivé à la lumière maintenant et la dualité apparente de toute chose le rendait malade. Pourquoi cette mascarade? Le monde n'était pas duel, il était un dans sa diversité. Son poing vint heurter la vitre, et il chassa toutes ses pensées de son crâne. Rien ne servait de tourner et retourner les mêmes évidences sans cesse. Le soir même il présidait la réunion du Kazoku. Il serait bien plus judicieux de se concentrer sur son discours. Une fois encore il allait devoir réaffirmer sa supériorité. Aucun faux pas ne serait toléré. Mais avant cela il avait une autre tache à accomplir.

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Il vit le véhicule s'éloigner lentement et se fondre dans la circulation. Il savait très bien où se rendait le véhicule, il avait reconnu dans la seconde l'homme qui en était sorti. Il n'avait pas changé depuis qu'il l'avait vu. Mais cette fois, l'autre avait été trop rapide. Et maintenant Tero était entre leurs mains. Il aurait fallu l'en sortir immédiatement, avant même qu'ils n'atteignent la résidence du Shôgun mais ils n'en avaient pas la capacité. Quatre hommes dans la voiture où se trouvait Tero, au moins autant dans la seconde. Et il savait que Jui valait bien plus qu'un homme de main normal. Sans compter Hideto. Malgré les vitres teintées, il avait tout de suite reconnu le chauffeur. Sans que la moindre expression ne vienne troubler son visage, il se fondit de nouveau dans l'ombre.

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Il suivit à pas mesurés la longue silhouette vêtue d'écarlate. Pas un mot n'avait été échangé, seule la demande du Shôgun afin que Jun le conduise dans ses appartements. L'inquiétude et les questions se pressaient dans sa tête mais il les fit taire. Il avait choisit son enfer, il devait l'assumer. Le long des couloirs marquetés de bois sombre, ils croisèrent nombre de personnes. Il observait les visages le plus attentivement possible, il devait les connaître au mieux au plus vite. Il ne savait pas s'il lui restait encore longtemps à vivre, mais les habitudes sont ancrées au plus profond de nous. Aussi enregistrait-il le maximum d'informations sur les bâtiments dans lesquels il se trouvait. Et bientôt Jun s'arrêta devant une porte massive. Rame nota que le reste du couloir était percé à intervalle régulier de ces mêmes portes. Probablement une série d'appartements. Après avoir passé une carte magnétique devant le lecteur dissimulé dans un cadre de bois travaillé, Jun poussa le battant et pénétra dans la pièce. Rame entra à sa suite dans une longue suite luxueuse. La première pièce consistait en un salon d'accueil superbement meublé et le jeune homme devinait les autres pièces derrière les trois portes de bois sombre. Sans aucun doute un deuxième salon, et une chambre. Ainsi qu'une salle de bain. Il tourna enfin son regard vers le brun. Celui-ci le fixait en silence, aucun sentiment ne venant troubler son regard sombre.

- Je suppose que tu sais ce qui t'attend maintenant que tu te trouves ici.

Il retint un sursaut de surprise et un sourire aimable se dessina sur ses lèvres.

- J'aimerais beaucoup que tu me le re précises Jun-san.

Après un bref instant de silence, Jun indiqua le canapé à Rame. Puis il alla murmurer quelques mots à l'interphone avant de prendre à son tour place sur le siège qui faisait face au jeune homme.

- Cet interphone te permet de demander ce que tu désires aux employés. Il ne faut surtout pas hésiter à t'en servir. Tu n'en t'en rends peut être pas compte mais tu es quelqu'un d'important ici aux yeux de beaucoup de personnes…

Rame fronça légèrement les sourcils, il s'était attendu à beaucoup de choses mais pas à ça. Remarquant sa réaction, Jun laissa échapper un petit rire.

- S'il avait voulu te tuer, tu ne serais déjà plus en vie.

- Dois-je donc comprendre que je suis hors de danger ?

- Je ne crois pas que ce soit le terme exact...

Jun se releva souplement et pris un temps de réflexion avant de continuer.

- Il a toléré le premier écart. Cela ne veut pas dire qu'il en excusera un second.

Ses yeux bruns accrochèrent les iris clairs du plus jeune.

- Il t'accorde une deuxième chance Rame, mais c'est la dernière.

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La porte se referma lourdement et il s'assit sans un mot sur une des banquettes de velours sombre qui meublaient l'antichambre. Les lourdes tentures voilaient la lumière grise qui filtrait de l'extérieur. Le ciel était lourd et sombre depuis le matin et le pâle soleil de l'après-midi n'avait pas réussit à écarter les nuages. Il aurait du se douter que cela ne présageait rien de bon, cette lourdeur dans l'atmosphère qui le rendait nauséeux. Il ferma un instant les yeux. Mais la tension qui lui nouait le ventre ne disparut pas pour autant. Il les rouvrit et admit la vérité. Ça n'avait rien à voir avec la météo. Un gémissement étouffé lui parvint de l'autre côté de la cloison. Le bref espoir d'une illusion le traversa avant qu'un deuxième ne se fasse entendre. Et le silence. Puis les cris. Ses doigts se crispèrent sur le tissu soyeux. Mâchoires serrées, il refoula l'envie de fuir. Et malgré la nausée qui lui tordait le ventre, malgré les hurlements qui lui déchiraient l'âme et l'esprit, il ne bougea pas. Les vagues de douleur. Les cris. Ils lui semblèrent durer des heures sans qu'il ne sache combien de temps il avait supporté ce calvaire. Et de nouveau le silence. Il sentit la crampe qui lui déchirait le corps se dénouer lentement dans un spasme qui irradia chacun de ses membres, y abandonnant une douleur sourde. Un bref rire avant que les portes ne se rouvrent.

- Solide ton ami, Jui…

Après un nouveau rire, l'homme sortit de l'antichambre en lui précisant que le Shôgun le demandait. Il ne fallut qu'une seconde au blond pour reprendre contenance et lorsqu'il franchit la porte du bureau, un masque d'impassibilité avait recouvert son visage et envahit son regard.

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Les yeux bleu nuit s'écarquillèrent et une violente crispation parcouru son corps. Il dut s'appuyer contre le mur alors que le souffle lui manquait. Son vis-à-vis le considéra avec inquiétude :

- Daijobu ?

Les lèvres du jeune homme se pincèrent et il secoua la tête en signe de dénégation, ses yeux bleu sombre perdus dans le vide. Un mauvais pressentiment s'insinuait en lui et ce genre de malaise était suffisamment rare pour être inquiétant. Il savait très bien à quelles situations correspondaient les fois où il avait ressenti ces sensations auparavant. Et ce n'était pas pour le rassurer. En face de lui, le brun le regardait avec une perplexité mêlée d'inquiétude. Voir Ayano avouer une faiblesse –quelle qu'elle soit- n'était pas commun. Celui-ci consentit enfin quelques mots devant son regard interrogateur :

- J'ai un mauvais pressentiment pour Tero.

Il hocha pensivement la tête.

- Mmh… entre les mains de ces ordures, ce n'est pas bon signe.

Mais ce n'était pas le premier qui en souffrirait, il n'avait pas le temps de compatir. Et Ayano perçu clairement ce qu'il pensait.

- J'ai un très mauvais pressentiment…

C'était presque de l'angoisse qui était perceptible dans la voix du jeune homme. Le souffle court, il s'adossa au mur. Derrière ses mèches bleues, ses yeux tremblaient de douleur. Et un juron passa ses lèvres dans un souffle.

- K'so ! Mais qu'est ce qu'ils lui font ?

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Un pas et déjà il savait les mèches rouges de Tero sur la moquette claire. Son corps crispé. Le Shôgun n'avait pas bougé de derrière son bureau, le menton posé sur la main, il observait Jui. Celui-ci s'inclina devant lui sans un regard pour le corps qui se trouvait quelques mètres plus loin. Il crut voir un éclair de déception traverser le visage du roux mais il disparu rapidement pour laisser de nouveau place à l'air neutre qu'il affichait en permanence.

- Emmène-le dans vos appartements. Je le reverrais quand il se sera remis.

Il se contenta de s'incliner alors que le Shôgun se levait et passait dans ses propres appartements qui jouxtaient son bureau. Lorsqu'il eut disparu derrière porte de bois, et que celle-ci se fut dans un claquement refermée sur son dos, Jui resta un moment immobile. Le regard perdu à travers la baie vitrée, sans qu'il ne voie pourtant rien de la vue sur laquelle elle s'ouvrait. Après un instant, il se tourna lentement vers Tero qui s'était mis à gémir. A pas lent il s'approcha du jeune homme, les quelques mètres qui les séparaient lui parurent durer une éternité, et il se laissa tomber à genoux auprès de lui. Il ne pouvait réprimer les tremblements qui s'étaient emparés de son corps et de ses membres. Les paumes sur le sol, il laissa les mèches claires masquer son visage et l'émotion le submerger.

Ce fut la présence hésitante de Hideto qu'il perçut derrière la porte du bureau qui le ramena à la réalité. Il se redressa vivement et effaçant d'un revers de la main les traces qui maculaient son visage, il alla rapidement ouvrir les battants de bois. Les yeux clairs du brun étaient emplis d'inquiétude et malgré la froideur impénétrable du visage de Jui il sut aussitôt que ses craintes étaient fondées. Le blond le laissa entrer dans la pièce et le suivit. Hideto s'approcha lentement du corps allongé de Tero auprès duquel il s'agenouilla comme l'avait fait Jui quelques minutes auparavant. Mais pas une larme ne roula de ses iris doré alors qu'il frôlait les mèches écarlates. Et après un instant de silence il se tourna vers Jui.

- Qu'a-t-il décidé ?

- On l'emmène dans nos appartements. Pour le moment. Il souhaite le revoir quand il sera en état.

Hideto hocha pensivement la tête, puis du bout des doigts il dégagea les mèches qui voilaient le visage de Tero. Recroquevillé sur le côté, la tête à demi enfouie dans ses bras, celui-ci gisait inconscient sur le sol moquetté. Les mâchoires de Jui se crispèrent lorsque Hideto révéla le visage pâle et marqué de douleur du rouge. Les doigts fins du brun s'attardèrent un instant sur la joue humide de Tero, puis glissant ses bras autour du corps inerte il le souleva sans la moindre difficulté. La porte du bureau claqua derrière eux.

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Il contempla sans le voir le battant de bois sombre qui venait de se refermer tandis que son esprit passait méticuleusement en revue les dernières minutes qui venaient de s'écouler. Il avait bien cru vivre les derniers instants de sa vie lorsque la silhouette écarlate de Jun l'avait accueilli mais les événements s'était déroulés bien différemment que tout ce qu'il aurait pu imaginer. Il croisa les doigts et posa son menton sur ses mains jointes. Visiblement il tenait à mettre toutes les chances de son côté, quitte à faire quelques entorses à son intransigeance légendaire. Mais l'idée ne parvint pas à le faire sourire, il savait trop bien que les victoires trop rapides se changeaient le plus souvent en défaite. Et que la peur du fort n'est pas raison de la paix de ses proies. Bien au contraire. Il se leva nerveusement. Malgré les troubles qui agitaient le petit monde des Shôguns, malgré les remous qui se faisaient entendre du côté de ceux de la Nuit, malgré cette tension qu'il avait sentit naître et qui grandissait, il n'aurait jamais pensé qu'un Shôgun à la tête d'un Kazoku aussi puissant que celui que dominait Kisaki prendrait peur. Un frisson le secoua. Kisaki… Il s'était juré de ne plus prononcer son nom, il s'était juré de plus croiser son regard avant ce jour. Ce jour où il le tuerait. Un sourire amer se dessina sur ses lèvres. Il semblerait que cette promesse va avoir quelque mal à être tenue… Puis d'un pas vif il se dirigea vers la porte qu'il pensait être celle de sa nouvelle chambre. Comme il l'avait présumé, ses affaires personnelles y avaient été déposées. Il devait dîner avec son nouveau Shôgun ce soir et il était prêt à parier que Kisaki serait présent au repas. Alors autant mettre tous les atouts de son côté. Il devait se préparer.

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Ils avaient installé Tero et s'étaient retirés dans leurs appartements, laissant le rouge sous la surveillance de Giru. Le brun s'était gentiment proposé quand il avait vu l'état de trouble de ses aînés et ceux-ci avaient rapidement accepté. Ne supportant plus la vue du corps déchiré de Tero. Lorsqu'ils l'avaient quitté, le jeune homme était encore plongé dans une inconscience tenant plus du coma que du sommeil et son visage n'avait pas perdu son expression de souffrance.

Installé dans le salon de son appartement, le visage de Tero était encore présent à son esprit. Il fit pensivement rouler sa cigarette entre ses doigts alors qu'il regardait sans la voir la Nuit se lever. Il n'arrivait pas oublier cela, pas plus que ne se taisaient en lui les cris de douleurs de celui qu'il avait livré au Shôgun. Son visage de crispa de colère, contre lui-même et contre ce monde qui obligeait la servitude afin de rester en vie. Mais un froissement vint troubler ses pensées alors qu'il sentait quelqu'un se glisser dans son dos. Mais il ne bougea pas. Il se trouvait dans ses appartement ce qui signifiait que toute personne étant arrivée jusque là avait eu l'autorisation du Shôgun. De plus il ne percevait aucune agressivité. Il sentit l'arrivant s'approcher à pas souples dans son dans et s'arrêter juste derrière lui. Puis posant ses mains sur ses épaules, il se pencha jusqu'à effleurer son cou de son souffle.

- 'Ban Wa, Jui.

Il reconnu aussitôt le ton doux et séduisant de la voix.

- Jin…

- Et tu n'as pas l'air particulièrement réjouit de me voir là, koibito.

Jui prit le temps de porter sa cigarette à ses lèvres. Et alors qu'il inspirait lentement la fumée âcre il tenta d'analyser la situation : qu'est ce qu'un des favoris du Shôgun faisait dans ses appartements ? Sans que le moindre mouvement ne trahisse ses pensées, il expira avant de répondre au jeune homme.

- C'est que je me demande ce que tu peux bien venir chercher ici, Jin.

Il sentit le brun sourire contre sa peau et celui-ci laissa ses mains glisser sur sa poitrine.

- Seulement un peu de réconfort, Jui-san…

Il avait pris une voix câline et ses doigts effleuraient la peau du blond à travers le tissu fin de sa chemise. Jui se mordit la lèvre en silence. Il avait une furieuse envie de profiter de la situation sans se poser de questions. Mais risquer sa vie pour un instant de plaisir aurait été stupide. Et lorsqu'une langue vint chercher le lobe de son oreille, il remercia Kamisama de n'avoir pas en plus à supporter la vue du corps de Jin alors qu'il luttait contre la tentation.

- Le Shôgun sera très heureux de te procurer tout le réconfort que tu désires Jin.

La voix du blond n'avait pas tremblé et la caresse cessa alors que les mains quittaient son torse. Jui ne savait pas vraiment s'il devait s'en montrer déçu ou soulagé. Mais Jin se contenta de faire le tour du canapé et se planta devant le blond qui y était assis.

- C'était donc cela qui te gênait…

Un sourire fin dessinait ses lèvres et il se pencha lentement pour ôter la cigarette des doigts de Jui. Il tira une bouffée avant de l'écraser dans le cendrier qui se trouvait sur la table basse. Et alors qu'il expirait lentement la fumée, il s'installa à califourchon sur les genoux du blond.

- Alors ne te pose plus de questions.

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Il vérifia une dernière fois son reflet. Les anglaises cuivrées tombaient parfaitement et aucun faux pli ne venait troubler l'ordonnancement de sa robe. Il ajusta rapidement le col de dentelle. Un maquillage impeccable soulignait l'étrangeté de son regard bicolore. Il était fin prêt.

A peine s'était-il fait cette réflexion qu'un léger coup se fit entendre à la porte de ses appartements. Il poussa le battant pour découvrir un jeune homme brun au visage doux et calme. Avec un sourire le jeune l'homme l'invita à le suivre et l'entraîna le long des couloirs sombres jusqu'à la salle de repas.

- Dis-moi, le Shôgun a-t-il des invités particuliers ce soir ?

Le brun s'excusa avec une petite inclinaison du buste.

- Je ne suis pas autorisé à vous parler de cela Monsieur.

- Et qu'es-tu autorisé à me dire alors ?

- Je suis habilité à répondre à vos besoins et en l'occurrence il est de mon devoir de vous conduire jusqu'au Shôgun.

Rame laissa filer un instant de silence.

- Très bien, je vois que tu es fidèle.

Le jeune homme inclina légèrement la tête avec une neutralité toute consommée.

- Dans ce cas peux-tu m'indiquer dans quelle salle nous nous rendons ?

- Je ne pense pas que cela aille contre les ordres, Monsieur. Le Shôgun a organisé le repas de ce soir dans la salle de cérémonie.

- La plus grande pièce du bâtiment, j'imagine…

- Haï.

- Arigatô. Pour ton amabilité et ta diligence. Je ne manquerais pas de faire part de ta fidélité au Shôgun si tu consens à me dire ton nom.

Le serviteur leva vers lui des yeux bruns sombres, presque noirs, rencontrant enfin son regard.

- Kai dessu. Je vous en remercie Monsieur.

- Appelle moi Rame, Kai.

Un sourire aimable mais qui ne suffit pas à éclairer son regard se dessina brièvement sur les lèvres du brun.

- Je ne pense pas que le Shôgun apprécierait de telles familiarités, Monsieur,

Ils s'arrêtèrent enfin devant une porte de bois massif et Kai lui désigna un autre serviteur qui patientait non loin de là.

- Nous sommes arrivés, le maître de soirée qui se trouve ici va vous introduire. Bonne soirée Monsieur.

Rame l'arrêta d'un geste alors qu'après une énième inclinaison du buste il s'apprêtait à partir.

- Dômo. Ano, Kai… dis-moi, est-ce que j'aurais l'occasion de te revoir ?

- Il semblerait que j'ai été affecté à votre service, Monsieur.

Et sur un dernier sourire poli, il s'esquiva alors que le maître de soirée invitait d'un geste Rame à pénétrer dans la salle. Celui-ci y consentit non sans un regard pour la fine silhouette qui disparaissait au bout du couloir.

oOo

Son regard aux reflets écarlates fit le tour de la table, tous les Shôgun étaient présents ainsi que nombre de premières lames. Quelques uns étaient venus avec leur Geisha et c'était un ensemble de couleurs vives, kimonos bigarrés et éclats de rire qui s'étalait sous ses yeux. Takada avait bien fait les choses, le repas qu'il s'apprêtait à donner ce soir paraissait être à la hauteur des promesses faites. Mais il n'aimait pas l'aisance que prenait le Shôgun. Il fronça les sourcils. Lui-même avait été placé à sa droite ainsi qu'il convenait puisqu'il était l'invité d'honneur. Et il le resterait tant que sa place dans la Kazoku ne serait pas contestée. Son discours lors de la réunion avait été abondamment applaudi et jusque là personne n'avait osé remettre en cause son autorité, mais Kisaki savait qu'il ne pouvait en aucun cas baisser la garde. Or Takada venait de le décaler d'une place, laissant entre eux un siège libre. Et pourtant qui aurait pu être plus à même d'occuper cette place que le chef du Kazoku ? Il prit cependant place sans le moindre commentaire, s'agacer maintenant serait faire preuve de faiblesse et Takada, qui n'avait montré le moindre signe de rébellion, avait l'empressement d'un gamin qui prépare une surprise. Aussi Kisaki attendit-il patiemment. Quand tout le monde fut installé et que le brouhaha se fut lentement apaisé, le siège était toujours vide. A la gauche de Takada, un jeune homme aux cheveux méchés de rouges se leva avec grâce. Aussitôt les dernières discussions s'éteignirent et Jun remercia le silence qui venait d'être fait d'un sourire.

- Le Shôgun est heureux de vous voir ici tous réunis par son invitation et il souhaite remercier plus particulièrement Kisaki-san de sa présence qui lui fait le plus grand honneur. Et toute sa maison se joint à ses paroles.

Il s'inclina légèrement vers le roux.

- Vous avoir parmi nous est un plaisir toujours renouvelé Shôgun Kisaki-san. Nous souhaitions vous l'assurer et vous le redire en cette soirée un peu spéciale, puisque le Shôgun s'est entouré d'un nouveau collaborateur.

Son regard aux reflets violets prit le temps de parcourir l'assemblée, et les derniers mots qu'il posa dessinèrent un presque imperceptible sourire sur ses lèvres.

- Sous ma direction, il dirigera l'Akai Tsuki.

Un murmure frissonna autour de la table. La dernière Geisha à avoir dirigé l'établissement avait été éliminée par le Shôgun pour avoir eu des relations non autorisées. Depuis la question du successeur à la gestion de la plus grande Maison de Geisha de la Ville avait remué le milieu. Jusque là, Takada avait laissé son bras droit, Jun, s'en occuper mais visiblement il avait fini par trouver le remplaçant. Et tous les regards se tournèrent aussitôt vers les portes de la grande salle qui s'ouvrirent dans un grincement pour laisser l'entrée au tant attendu. Le maître de Soirée l'annonça d'une voix forte qui résonna sous la courbe boisée du plafond alors qu'il pénétrait dans la pièce dans un bruissement de soie.

- Rame-san, Première Geisha de l'Akai Tsuki, intime de notre craint et vénéré Shôgun du Shizoku Aka no Hana.

Et ce fut un murmure admiratif qui souleva l'assistance. Rame avait revêtu une robe de soirée noire ornée de dentelles blanches. Elle s'arrêtait au dessus des genoux dans un froufrou mousseux tandis que de fines bottes noires lacées, aux hautes semelles, gainaient ses mollets. Le reste était à l'avenant, d'une sobre distinction, et seul l'auburn de ses anglaises qui mettait en valeur le bleu de ses yeux contribuait à accorder à l'ensemble sa touche de souplesse. Et sans la moindre apparence d'hésitation, sous les regards insistants de la tablée, le jeune homme traversa la salle un sourire confiant aux lèvres et prit place entre Kisaki et le Shôgun.

oOo

Le châtain se fendit d'un sourire, les yeux plus froid que la glace alors que le Shôgun éclatait de rire à l'un de ses bons mots. Depuis le début du repas, il paraissait d'excellente humeur, enjoué par le succès de sa nouvelle recrue et l'excès d'alcool. Le visage rougi il se pencha pour s'adresser à Kisaki :

- Alors Kisaki-san, ma nouvelle Geisha vous plaît ?

- Votre choix me parait excellent Takada-san.

L'expression du roux était restée d'une neutralité parfaite, mais le Shôgun parut plus que satisfait de la réponse et un gras sourire vint se dessiner sur ses lèvres épaisses. Il posa mollement sa main sur le bras pâle de Rame.

- Tu entends Rame-chan? Kisaki-san place de grands espoirs en toi. Tu devrais te réjouir de l'estime d'un tel homme.

Rame ravala le dégoût que lui inspirait ce contact et courba poliment la tête sans réussir à jouer la joie dont il aurait du faire preuve. Et le Shôgun perçut clairement son manque d'enthousiasme. Son visage se crispa d'un furtif éclair de colère. Voir en présence du chef du Kazoku une simple poupée se comporter aussi insolemment flirtait le déshonneur. Rame réalisa aussitôt le changement d'humeur du Shôgun et il se fustigea intérieurement pour son manque de diplomatie. Mais la nausée qui lui tordait le ventre et broyait son crâne d'une lancinante douleur depuis le début du repas lui avait fait perdre le sens des réalités. Et il n'arrivait pas à contenir la haine et le dégoût plus que physique que lui inspirait la présence de Kisaki à quelques centimètres de lui. Cependant il se força à reprendre le dessus et inclina joliment la tête, plein d'une fausse timidité.

- Veuillez m'excuser, Shôgun, mais je ne m'attendais pas à la présence d'une telle personnalité ce soir et m'en voilà déstabilisé au point que j'en perdrais le sens des convenances. Je ne sais comment exprimer tout l'émotion qui naît de l'estime que me porte un tel homme.

Sa voix douce et un peu nasillarde tremblait d'une émotion qui parut convaincre le Shôgun de sa sincérité. Son sourire satisfait revint se dessiner sur ses lèvres et il demanda à ce qu'on apporte la suite du repas. Devant l'abondance de nourriture, Rame sentait son estomac se soulever, mais entouré de Kiasaki et Takada, il se composa un visage ouvert et enjoué. Il n'en restait pas moins que le repas se déroulait en une douloureuse lenteur sans que le malaise qui le travaillait ne semble vouloir lui laisser le moindre répit. Aussi lorsque l'alcool eu suffisamment échauffé les esprits pour que l'attention soit raisonnablement détournée de sa personne, Rame se pencha vers son Shôgun.

- Puis-je me retirer, onegaï ? La journée a été épuisante et je souhaite être au meilleur de mes capacités pour intégrer mes fonctions demain.

Après une brève hésitation, le Shôgun acquiesça et Rame se leva s'inclinant devant lui pour le remercier. Mais alors qu'il allait s'en aller, une main l'attrapa brutalement par le bras et le Shôgun lui désigna Kisaki d'un signe de tête. Rame compris aussitôt. Bien sûr, il se devait de saluer comme il se fallait le chef du Kazoku. Il adressa un sourire entendu à Takada et se courbant il prit la main que le roux lui tendait, il y posa ses lèvres. S'abaisser ainsi devant cet homme le déchirait de rage et il sentait chaque parcelle de son corps irradier de douleur.

oOo

Le souffle court, Jui se dégagea doucement des bras du brun et s'assit sur le canapé ramenant machinalement ses cheveux humides de sueur en arrière. Dans son dos, Jin se redressa et passa ses bras autour de sa taille, mais le blond défit l'étreinte en se tournant vers lui. Les yeux clairs le regardaient avec inquiétude.

- Ça ne t'as pas plu ?

Un sourire triste éclaira les lèvres de Jui. Du bout des doigts il effleura les joues rondes du brun, décollant doucement les mèches qui s'y égaraient, son pouce vint dessiner la courbes des lèvres entrouvertes. Il ne résista pas à l'envie d'embrasser doucement Jin, comme pour le rassurer. Quand il se séparèrent, il se releva vivement.

- Si ça m'a plu, Jin-kun. Et peut-être un peu trop… Je suis désolé, j'ai pas mal de travail en ce moment alors je vais devoir y aller…

Devant le soudain embarra de Jui, un sourire se dessina sur le visage de Jin qui se leva à son tour.

- Ne t'inquiète pas Jui, je vais m'en aller, ça ne me dérange pas.

Il colla son corps encore nu à celui du blond.

- Mon rôle c'est de réconforter ceux qui en ont besoin, pas de faire des histoires. Tu ne me dois rien.

Jui l'enlaça pour l'embrasser une dernière fois. Mais déjà son esprit était occupé par d'autres pensées, dont même la peau douce du brun contre la sienne ne put l'en faire sortir. Jin récupéra ses quelques vêtements épars sur le sol et il s'habilla rapidement avant de quitter la pièce. Jui lui était reconnaissant de sa simplicité mais tout avait déjà été dit entre eux et le brun quitta la pièce sans un mot, sur un dernier sourire.

Quelques instants plus tard, Jui se trouvait à son tour dans les couloirs des appartements des Ningyô. Il n'avait pas pris le temps de prendre de douche, n'en avait pas eu le courage. Malgré l'intervention de Jin, il n'avait pas oublié Tero. Immobile devant la porte de la chambre, il hésitait. Pas un bruit ne lui parvenait de l'intérieur de la petite pièce. L'inquiétude pour le rouge s'ajoutait à la fatigue physique. Ça faisait plus d'une journée entière qu'il n'avait pas dormi et des cernes bleutées soulignaient ses yeux clairs, mangeant son visage. Il s'adossa au mur sans oser pénétrer dans la pièce. Il préférait poser à Giru les questions qui lui brûlaient la gorge et les paupières lorsqu'il en sortirait. Les minutes filèrent lentement et Jui laissa par habitude son esprit s'ouvrir, s'attardant sur les moindres sensations qui s'offraient à lui, effleurant les sentiments de ceux qui se trouvaient non loin. C'était sa manière de se reposer, se ressourçant au contact de la force vitale de ce qui l'entourait. Mais il eu à peine le temps de savourer le calme qu'une vague de tristesse le percuta vivement. Il fut surpris de constater qu'elle ne parvenait pas de la chambre attenante comme il s'y serait attendu. Aussi il la considéra avec patience. Sa netteté l'effraya, seuls leurs sentiments avaient cette clarté. Et visiblement celui qui l'émettait faisait tout pour dissimuler sa douleur. Mais elle n'avait pas échappé au blond. Oubliant pour un instant la présence de Tero dans la pièce à côté et leur situation, il se concentra sur le sentiment, cherchant à le comprendre. C'était une sorte de nostalgie triste, mêlée de culpabilité et d'impuissance… Presque une rage de ne pouvoir agir. Visiblement il se trouvait devant une situation qui le dépassait et elle faisait naître en lui cette douleur si forte qu'il n'arrivait pas à la contenir. Sans aucune violence, Jui se fondit dans le sentiment et se laissa porter. Et alors qu'il en percevait chaque nuance, les fragments de mémoire qui lui étaient attachés lui apparurent. Et alors que les brefs flashs de mémoires s'imposaient à son esprit, disparaissant aussi vite, il sentit la tristesse lui serrer la gorge et un murmure lui échappa.

- Hideto…

oOo

Le battant de bois cogna violemment contre le mur et il couru jusqu'à la salle de bain, ses talon claquants sur le parquet. Kai l'y suivit précipitamment et devant l'insuccès des coups qu'il frappa à la porte, il osa pousser le battant pour découvrir Rame penché sur le lavabo, tremblant de tous ses membres. L'estomac tordu de douleur, le jeune homme avait l'impression que celle-ci migrait dans tout son corps en longues traînées brûlantes. La bile qui avait envahit sa gorge imprégnait chacune de ses inspirations et une violente nausée remuait toutes les fibres de son corps. Sans même qu'il ne s'en rende compte des larmes silencieuses s'étaient mises à rouler sur ses joues. Et la douleur qui émanait de lui frappa Kai qui s'empressa auprès de lui, l'aidant à se redresser il le fit s'asseoir dos à la massive baignoire en marbre bleu.

- Daijobu dess' ka ? Monsieur… qu'est ce qui ne va pas ?

Sa voix était teintée d'une inquiétude sincère mais Rame ne l'entendit pas, perdu dans un monde ou la douleur le disputait à un désespoir aveugle. Il n'était même plus en état de s'interroger sur les raisons de son malaise, il n'était même pas capable de penser encore. Le souffle court, oppressé par une angoisse qu'il n'aurait pu nommer, il s'accrocha à Kai qui en grimaça de douleur. Il n'aurait jamais pensé que l'apparence si fragile de la Geisha cachait une telle force. Mais il se força à ignorer le désagrément et parla doucement à Rame dans l'espoir de le calmer. Cependant, loin de se détendre, celui-ci se crispa encore un peu plus sur lui-même, le corps parcouru de tremblements. Et bientôt une violente convulsion le secoua, suivie d'une autre, comme si une souffrance interne vrillait son corps sans relâche.

- Iie !

Un cri, presque inhumain de la douleur qu'il traduisait. Et celle-ci, plus que psychologique en devenait purement physique. Kai laissa patiemment la crise passer faisant de son mieux pour empêcher le brun de se faire du mal. Entre sanglots et hurlements, le corps Rame était traversé de spasmes alors que le jeune homme se retenait désespérément à lui. Kai ne savait pas s'il avait conscience de sa présence mais elle devait le rassurer puisqu'il ne le lâcha pas un instant. Et peu à peu la violence de la crise disparut pour laisser place à des sanglots nerveux qui s'espacèrent à leur tour. Plus une larme n'arrivait à couler sur les joues du brun. Et lorsque Rame parut réellement apaisé, Kai le souleva dans ses bras pour le ramener dans sa chambre.

oOoOo

Voilà c'est un début, mais j'avais besoin de le poster pour trouver le courage d'écrire la suite :p