Note : L'histoire se passe dans le contexte du jeu PSP d'Oméga, dans le mode histoire de Seiya. Ceci n'est pas visible dans le premier chapitre mais se voit dès le deuxième. Je ne pense pas qu'on ait besoin de connaître le jeu pour la comprendre cependant. :) (j'ai d'ailleurs très légèrement changé certains lieux ^^ ;)
Chapitre 1
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La réception célébrant le retour de Julian avait été particulière. Peu d'invités étaient venus, mécontents du choix du jeune homme. Ce dernier avait passé des années à voyager autour du monde, afin d'aider des associations d'orphelins ayant souffert des inondations. Dilapidateur de fortune, avaient simplement pensé ses anciens associés. Sorrento s'en mordait l'intérieur des lèvres. Ce n'est pas ce qui aurait dû se passer.
Julian avait été élevé pour prendre un jour la tête de la société familiale. A peine adolescent, il enchaînait déjà cours pratiques d'économie et de management tandis que son père lui montrait les ficelles de l'entreprise. Sa jeune sœur ne l'enviait pas. Elle pouvait profiter des richesses de la famille sans devoir apprendre comment conserver ce patrimoine. À l'âge des premiers baisers, Julian lui, se levait tôt et se couchait tard. Il s'en était vengé en pensant que l'univers lui était dû, mais inconscient du monde au-delà de la société Solo, il était allé proposer un mariage à une riche héritière. Il avait formulé sa demande comme on avancerait un accord commercial, bénéfique pour leurs deux sociétés, sans même chercher à connaître la jeune femme auparavant. Il avait bien sûr été rejeté. Oh très poliment, mais assez clairement pour entendre les rires et railleries derrière lui.
Une fureur l'avait envahi, colère qui avait consumé ses pensées et ses souvenirs. Il ne se souvenait plus de ce qui avait pu se passer durant quelques jours. Il s'était juste réveillé sur la plage, mouillé par la mer hivernale, les serviteurs accourant pour lui porter secours. Ca, c'était de l'ivresse longue durée ! Il avait raté le déluge du siècle, apprit-il en regardant les informations. Un signe du destin, se dit-il alors. Il était temps de grandir et de découvrir le monde en dehors de son cocon de luxe. En plus, il se sentait bizarrement responsable sans pouvoir se l'expliquer, et agir aiderait cette culpabilité indéfinie à s'estomper.
Il avait donc décidé de consacrer sa fortune à une juste cause. Il était donc parti avec pour seule compagnie Sorrento, un musicien qui lui avait proposé ses services. Un responsable avait été nommé à la hâte pour maintenir l'activité de la société Solo, tandis que Julian partait en pèlerinage.
Irresponsable, avaient pensé ses associés. Dilapidateur de fortune ! Mais Julian ne s'en souciait pas. A ses côtés, le musicien le soutenait dans ses choix, et il avait gagné peu à peu une place particulière dans son cœur. De partenaire de voyage à ami. D'ami à amant. Julian avait appris à ne rien exiger sans connaître la personne, et avait construit une relation sincère avec Sorrento.
Leur voyage avait duré des années. Le monde était vaste, et Julian aimait toujours s'amuser le soir venu. Sa sœur lui envoyait des lettres qu'il lisait négligemment, une tasse de thé à la main. Elle s'était mariée, avait même un fils Au début, les mots étaient inquiets, ou encourageaient Julian. Puis, ils se grisèrent en prières de retour. Ils demandaient au Grec de gérer les affaires familiales. Ensuite, des inquiétudes se manifestèrent, anxiété à l'idée de laisser un étranger diriger la compagnie. Enfin, les mots se changèrent en insultes voilées sur l'insouciance de Julian.
Julian survolait chaque missive, les sourcils relevés par l'agacement.
« Que se passe-t-il ? », demandait alors Sorrento.
Julian lisait la dernière lettre en date. Elle pouvait dire :
« Cher Julian,
« Il y a maintenant plus de cinq ans que tu es parti. Il paraît que nous perdons des parts de marché, car personne ne veut pas traiter avec une entreprise dont le dirigeant se comporte un idéaliste et non en réaliste. Je croyais que ce voyage était la preuve que tu avais enfin grandi. Je crois maintenant que c'est pour toi une manière de fuir tes responsabilités. J'ai une famille désormais, et je ne voudrais pas dire à mes enfants à venir que leur oncle les a ruinés. Je suis sûre que tu comprends mon désarroi.
« Rentre vite. »
Julian abrégeait la lettre, la bouche sur sa tasse, mordillant presque la porcelaine. Sorrento expirait alors :
« En même temps Julian, je peux comprendre son inquiétude, c'est humain… »
Julian maugréait, et Sorrento allait le détendre du bout de ses lèvres. En un soupir rauque, Julian se laissait bercer.
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Puis Julian s'était enfin décidé à rentrer. Se promettant de continuer à aider financièrement les associations qu'il avait visitées, il accéda aux demandes de sa famille et retourna en Grèce. L'accueil fut froid. Faisant mine de ne pas remarquer les visages fermés, Julian plaisanta avec sa sœur, qui était venue l'accueillir, joua avec son neveu encore rampant.
« Quand vas-tu aller voir comment se porte la société ?, l'interrompit sa sœur, son chignon blond piquant vers le plafond.
— Dès demain Eudore… »
Elle fronça le nez, sceptique, et reprit le petit garçon dans ses bras. Après un dernier regard en direction de son frère, elle se dirigea vers la sortie de la pièce. Appuyé contre un mur vers la porte, Sorrento regardait au lointain sans intervenir. Eudore en se rapprochant de lui l'observa du coin de l'œil :
« Et vous… Que voulez-vous ? La belle vie aux côtés de Julian, le fils prodigue, c'est fini ! Allez-vous faire entretenir ailleurs ! »
Elle quitta la pièce sans laisser à Sorrento le temps de répondre. Au centre, Julian soupira :
« Elle est de mauvaise humeur, c'est tout… Mais elle est charmante, tu verras quand elle sera rassurée. »
Il avança vers Sorrento et caressa distraitement quelques mèches épaisses.
« Certes, tu es déjà venu ici, mais tu n'as vu qu'une partie de la villa. De plus, je ne compte pas te faire dormir dans la même pièce qu'alors. »
Ses doigts descendirent sur le velours de la veste et s'entremêlèrent à ceux du musicien.
« Viens mon oiseau sauvage, dis Julian en attirant Sorrento, je vais te montrer. »
Il l'entraîna dans le couloir, et commença à lui présenter la demeure en détails, expliquant parfois les origines de certains tableaux ou statues, détaillant le rôle de chaque pièce. Sorrento l'écoutait tranquillement à ses côtés, ses yeux clairs ne clignaient pas. C'était une vieille demeure, pavée de marbre et orientée vers la mer, mais pas une seule tache n'incrustait les colonnes blanches, pas un souffle ne franchissait les baies vitrées. Parfois un valet de chambre, maintenant discrètement la netteté des lieux, les saluait. En cuisine, Julian introduisit la responsable des domestiques. Le regard professionnel, sans jugement derrière des lunettes fines, elle termina de décrire à Sorrento le fonctionnement de la villa.
« Alors, tu te sens d'attaque à superviser, en t'appuyant sur ses conseils ? », demanda soudain Julian.
Sorrento leva son regard agrandi sur le jeune homme blond.
« Julian, que voulez-vous dire ?, s'inquiéta-t-il.
— Cette demeure est bien morne après des années sans avoir été occupée, expliqua Julian. Oh certes, elle a été entretenue, mais quelques travaux sont visiblement à prévoir, des tissus à changer… Un travail ennuyeux, je le reconnais, et m'en excuse. »
Sorrento réprima un tremblement.
« Mais Julian…, protesta-t-il. Je n'ai aucune expérience en ce domaine, je ne sais pas si je…
— Tu ne sauras pas si tu n'essaies pas, l'interrompit Julian. Et puis j'ai confiance en toi. »
Il termina sa phrase d'un sourire pur. Il était doux, mais brûlait le cœur de Sorrento, ne lui laissant pas d'autre option à ce dernier que d'accepter la tâche.
Les fossettes creusées de satisfaction, Julian emmena Sorrento aux pièces encore inexplorées.
« Et voici tes appartements ! », se réjouit Julian en ouvrant une porte en chêne ouvragée.
Sorrento rentra, les lèvres entrouvertes de surprise. Un grand balcon plongeait la pièce vers la mer bleue, scintillant sous le cap Sounion. Le sol était moelleux sous ses mocassins, en coton ocre sous les meubles en bois sombre. Une table avait été poussée contre le mur, une chaise capitonnée à ses côtés.
« Ca te plaît ?, demanda la voix enjouée de Julian.
— C'est… somptueux… Julian, vous…
— Je n'ai pas fini ! », le coupa encore le Grec.
Saisissant sa main fine, il entraîna Sorrento vers la pièce voisine. Un balcon plus petit illuminait un lit large, recouvert de draps finement brodés. Le musicien se rapprocha d'une petite coiffeuse, intrigué. Saisissant le regard perplexe, Julian répondit :
« En théorie, ce sont les appartements de la maîtresse de maison, d'où la coiffeuse forcément…
— La maîtresse de maison ? Serait-ce là votre but caché, me voir en devenir une ?, plaisanta Sorrento. Gérer la villa, les appartements…
— Hum, on pourrait voir les choses comme ça…, reconnut Julian. A part que tu es un homme. Mais je suis le maître de maison ! », badina-t-il.
Sorrento ferma les yeux en riant doucement, le menton baissé. Des lèvres chaudes se posèrent sur ses cheveux, des mains assurées le pressèrent contre un corps ferme.
« Je veux juste… Je veux juste que tu te sentes bien, que tu aies ta place ici… », avoua Julian.
Sorrento releva la tête et lui sourit.
« Je sais… », chuchota-t-il en l'embrassant.
Julian emmêla les doigts dans les boucles épaisses, rapprochant la tête blonde de lui, l'enfonçant dans son baiser.
« Je ne t'ai pas encore tout montré…, murmura Julian.
— Le grenier ou la cave peut-être ?
— Ca pourrait être une idée…, savoura le Grec. Mais non... »
S'éloignant à regret du musicien, il l'emmena devant une petite porte encastrée dans le mur. Sortant une clé de sa poche, il l'ouvrit, grimaçant alors qu'elle grinçait.
« Par là, ce sont mes appartements », dit Julian.
Il donna la clé à Sorrento.
« Si tu ne voulais pas de moi, il te suffirait de fermer cette porte, je comprendrai le message.
— Mais Julian…, protesta Sorrento.
— Oui oui, tu as toujours envie de moi… Mais je préfère te donner cette clé. Tu es ainsi libre de décider. »
Une tendresse soudaine noya la poitrine de Sorrento, et il alla respirer à la bouche de Julian. Les choses ne commençaient pas si mal.
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Julian se retira dans son bureau, tandis que Sorrento posait avec douceur sa flûte sur la table. Il sourit en constatant qu'on lui avait apporté un pupitre à musique. Il craquait un peu, mais luisait sous le soleil d'hiver. Sorrento posa une partition, regardant à nouveau la clé qu'il serrait toujours. Il songea à la mettre dans la serrure, mais trouva l'idée vulgaire. Il alla alors ouvrir un tiroir de la coiffeuse, et la cacha au fond, un foulard grenat posé par-dessus. L'étoffe était en laine douce, enveloppant la clé de son cœur, la dissimulant des regards. Sorrento soupira et referma le tiroir. Regagnant la pièce voisine, il commença à jouer, laissa les notes imprégner les appartements de sa présence.
Il était chez lui.
L'après-midi passa doucement. Julian lisait les derniers éléments des affaires de la société, afin d'être prêt pour travailler dès le lendemain. Sorrento tentait lui, d'apprendre à se repérer dans l'immense demeure,. La gouvernante lui expliqua les bases de l'organisation du domaine, imperturbable derrière ses lunettes serrées.
« Bien sûr, il va falloir organiser une réception pour le retour de Monsieur », commenta-t-elle.
Sorrento feinta en opinant de la tête d'un air assuré. Il n'avait pas même pensé à la chose, mais c'était pourtant logique. Une si longue absence appelait une réception. Elle enverrait un message, disant que Julian était de retour aux affaires. Sorrento entraperçut un soupir contenu alors qu'il se renseignait poliment sur les habitudes de la maison. Avec un sourire poli, il la laissa détailler. Il devait apprendre.
Le soir, il ôta pensivement sa lavallière sur le petit balcon. La mer s'assombrissait tandis que le soleil disparaissait derrière le temple de Poséidon, sur sa gauche. Il pouvait s'y faire. Sa famille, issue de la petite bourgeoisie autrichienne, n'était pas pauvre, mais ne possédait rien de somptueux que cette villa. Tout était si nouveau… Lors de leur voyage, il n'avait pas été confronté à ces demandes. Même si l'hôtel était luxueux, cela ne demandait que des manières qu'il connaissait déjà toutes. Ici, on lui demandait autre chose.
La mélodie emplissait encore les appartements de son pouvoir, s'appropriant doucement les lieux. En un sourire léger, Sorrento abandonna sa veste avant de franchir la porte qui menait aux appartements de Julian. Des baisers doux l'accueillirent et il laissa son propre lit parfaitement fait.
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La réception de retour eut lieu une semaine plus tard. Peu d'invités étaient venus. Blanche aux côtés de son frère, Eudore avait un sourire crispé. Elle plaisantait faussement avec les convives, les doigts légèrement crispés sur le bras de Julian. Dans un coin retranché, Sorrento observait la scène, entendait les anciens associés critiquer le jeune Grec après l'avoir salué. Dilapidateur de fortune… Sorrento s'en mordait l'intérieur des lèvres. Ce n'est pas ce qui aurait dû se passer. Parfois des regards goguenards se posaient sur lui, et des remarques salaces fusaient :
« Oh c'est lui le jouet chéri ? Il est beau garçon, mais Julian ferait mieux de se marier, un héritier pourrait réussir là où il a échoué… Avant que la société ne coule…
— Pour une société maritime, ce serait un comble ! », riait une invitée.
Sorrento ne bougeait pas, ne protestait pas. Julian avait besoin de ces associés. Et ceux-là s'étaient déplacés, au moins. Alors il empruntait le même sourire qu'affichait la sœur de Julian, et les convives se déplaçaient, le visage un peu décontenancé.
La soirée était sobre, mais raffinée. Laissant sa sœur se charger des invités pour quelques minutes, Julian accompagna Sorrento sur la terrasse. Accoudé sur la barrière, ce dernier observait la mer blanchie par la lune. Ses mèches lourdes remuaient à peine sous la brise nocturne et sa peau pâle poudrait sous la lumière diaphane. Les doigts de Julian se tendirent mécaniquement vers les cheveux clairs, plongeant dans l'épaisseur blonde.
« Alors, que penses-tu de ta première soirée ?
— Il faut vraiment que vous leur prouviez que vous êtes un dirigeant, réussir une grosse opération… Ils sont venus se rassasier du spectacle d'une déchéance. »
Réalisant brusquement les propos qui venaient de lui échapper, Sorrento se ressaisit :
« Excusez-moi, ce n'est pas ce que je voulais dire…
— C'est ce que tu pensais, et tu as raison… », soupira Julian.
Ses yeux s'attardèrent sur le petit port qui baignait sous le rocher.
« Et je vais leur prouver qu'ils ont tort, ne t'inquiète pas, sourit-il tristement.
— Excusez-moi, cette soirée se devait être parfaite, j'ai sans doute dû faire des erreurs…
— L'organisation est parfaite, tu n'es pas responsable des invités, le rassura Julian.
— Je ne veux que vous… que vous être utile. Je ne pouvais pas même les aborder, étant donné l'image qu'ils ont de moi, cela aurait joué contre vous… », avoua Sorrento.
Julian saisit le visage triangulaire entre ses mains avant de l'embrasser tendrement.
« Tu m'es plus qu'utile, tu es ma raison de vivre. »
Devant la confession inhabituelle, Sorrento rougit légèrement.
« Votre sœur vous attend dans la salle de réception, vous devriez aller la voir. Elle s'occupe de tout toute seule… »
A contrecœur, Julian s'éloigna et rejoint la pièce illuminée. La brise légère portait un parfum salé qui pansa les peurs de Sorrento. Il s'était juré de protéger Julian. C'était une promesse qu'il honorerait.
Il avait une arme.
Les yeux brûlants, Sorrento remonta rapidement dans ses appartements et revint avec elle. Avec un sourire poli, il haussa la voix avec délicatesse :
« Si vous voulez bien me laisser vous distraire quelques minutes, j'aimerais vous jouer quelque chose. »
Des murmures plutôt approbateurs se firent entendre et Sorrento puisa sa force dans les yeux conquis de Julian. La mélodie s'échappa sous ses doigts, s'élança vers les convives, pénétra dans leurs pores. Elle leur chuchotait de nouvelles pensées, leur caressait l'amour de Sorrento pour Julian. Sa flûte était une arme. Il pouvait s'en servir pour tuer ou pour hypnotiser. Il pouvait protéger Julian des assassins comme des commérages. La pupille épanouie des invités lui témoignait de l'efficacité de son sort. Il l'acheva en un crescendo presque cruel.
Des applaudissements envoûtés le félicitèrent. Il salua discrètement, et retourna dans un coin éloigné de la pièce.
« Je suis sûr que Julian a profité de son voyage pour apprendre plein de nouvelles techniques pour gérer son entreprise, s'enthousiasmait un convive.
— Les associations sont un exemple parfait : peu d'argent, beaucoup d'efficacité !», renchérissait une autre.
Le trouble de Sorrento s'était apaisé. Il était armé. Son attaque discrète avait réussie.
Sorrento sourit.
