C'était le soir, en revenant d'un spectacle de danse. Loulou dansait dans la rue, elle effleurait les pavés humides de Paris de ses pas gracieux. Tout en virevoltant, elle chantonnait un air bien connu, celui que le célèbre peintre Edgar Degas jouait si souvent au piano et qui avait été le thème de ce soir.
Soudain, elle aperçut une silhouette qui la stoppa nette dans sa course folle. Elle ne distinguait pas nettement l'identité du personnage dans la pénombre. Un frisson parcourut son échine.. Et si c'étaient les hommes de main de l'homme à la canne d'argent ? Ou lui même.. Venu pour la supprimer définitivement. Elle commença à sentir la tête lui tourner. Elle voulut faire marche arrière, mais une voix l'interpella.
- Lou.. Loulou ! Elle connaissait cette voix..
- ..Charles ? Appela-t-elle, hésitante
- Oui, c'..c'est moi! Loulou souffla, soulagée, et un sourire se dessina même sur ses lèvres en reconnaissant son ami.
- Que fais-tu ici à cette heure ? Ton père ne sera-t-il pas furieux en apprenant que tu es sorti ? Lança-t-elle, moqueuse.
- Su..sûrement, et encore plus si il apprend que je suis allé voir une sa..saltimbanque, rétorqua-t-il, avec une petite moue scandalisée. Loulou éclata de rire et pris Charles dans ses bras, aux anges à ce contact.
- Oh ! Mais qu'est-ce que tu fiches avec ce fils de riche Loulou ?! Cette dernière sursauta. Zut ! Le rendez-vous avec Gaby! Elle l'avait complètement oublié !
- G..gaby ? Euuh.. Tu..
- Hmm, je vois ! Tu avais rendez vous avec l'autre aussi ! Et tu l'as préféré ! Si j'avais su je ne me serais pas déplacé pour contempler un si ridicule tableau.. En même temps, vous êtes du même monde, c'est normal ! Moi je ne suis qu'un vulgaire personnel du peuple, complètement insignifiant. Je vous laisse les aristocrates, moi j'ai à faire ! Fier de sa tirade, mais complètement brisé de savoir Loulou avec Charles, le jeune journaliste tourna les talons et déguerpit aussitôt, laissant les jeunes gens totalement abasourdis.
- Gaby.. Souffla Loulou. Je ne sais pas ce qui lui arrive en ce moment, il est complètement bouleversé, toujours sur les nefs. Peut-être que c'est le travail qui est trop pesant ?
- Sans.. Sans doute, répondit Charles, soudain captivé par l'asymétrie des pavés. Il était intérieurement ravi de la tension qui régnait entre Gaby et son amie, de qui il pouvait se rapprocher de jour en jour, doucement mais sûrement. Il attendait le moment propice pour lui faire sa déclaration, et lui offrir une bague en or de son choix. Elle partageait ses sentiments, il en était certain.
- Rentrons Charles, il commence à faire froid, dit Loulou, soudain mélancolique, et coupant court aux réflexions du garçon.
Charles raccompagna Loulou jusqu'à la grande porte du Ciel, lui fit un baisemain rendu par un signe de tête rapide de la jeune fille. La voyant dans le besoin d'être un peu seule, Charles n'insista pas et remonta dans le fiacre qui repartit aussitôt, non sans un long regard du jeune homme pour sa bien aimée.
Loulou rentra et gravit immédiatement les longs escaliers du bâtiment, sans prêter attention aux appels curieux de ses amis. Elle s'affaissa sur son lit sans même prendre le temps de se déshabiller. Elle ferma les yeux. Soudain elle se sentit vide, comme si une part d'elle était actuellement furieuse et amère dans les bureaux du Clairon. Loin d'elle.. Et pas de retour annoncé de sitôt.. Avec Charles dans les parages, elle pouvait dire adieu aux marques d'affection de son meilleur ami. Charles.. Un jeune fortuné qui se dispute sans cesse avec son père. Il pouvait la comprendre aisément, sa mère étant morte au cours de ses 6 ans. Avec lui, Loulou se sentait bien, libre. Plus de courses poursuite, plus d'assassinats imminents, de prises de tête et de mesures de sécurité. Cependant, elle se surprenait aussi pencher vers Gaby. Peut-être était-ce surtout de l'amitié que la jalousie des deux garçons rendait ambiguë.. Elle était perdue.
- Madame la duchesse, le repas est servi ! Retentit une voix forte.
Loulou soupira et tenta de laisser de côté ses pensées tourbillonnantes pour pouvoir répondre à l'appel de sa bienfaitrice. Elle savait qu'elle allait avoir droit au questionnaire complet, et elle n'en était que peu ravie.
- Eh bien, on traîne Loulou ? Lança Max, malicieux.
- C'est que la soirée a été bonne ! Renchérit Gertrude.
- Voyons ma beauté, raconte nous un peu tout ça et ne reste pas muette comme une carpe au milieu du couloir, viens t'asseoir ! Dit John, conscient du malaise de la jeune fille, mais loin de s'en soucier, pour la petite troupe c'était même plutôt comique.
- Je.. J'arrive ! Réussit à balbutier Loulou.
Elle tira sa chaise et s'assit. Gertrude commença à servir la soupe.
- Bon duchesse, le récit c'est pour aujourd'hui ou demain ? S'impatienta Toby.
- Eh bien la soirée était très bien, j'ai beaucoup aimé le spectacle..
- Hmm tu nous en vois ravis ! Et ensuite ? La pressa Gertrude
- Ensuite ? Je.. Je suis rentrée.. Hésita la jeune fille. Elle croyait trop bien deviner que ses amis étaient au courant de son entrevue avec Charles et peut-être même de sa dispute avec Gaby. Une boule se forma dans la gorge de Loulou à ce souvenir.
- J'ai vu.. Charles, Lâcha Loulou en voyant tous les yeux braqués sur elle. Il m'a raccompagnée, mais..
Elle refoula les larmes qui lui montaient aux yeux.
- Gaby, termina Toby.
Loulou poussa sa chaise.
- Désolée.. Réussi elle à articuler.
Elle s'enfuit dans sa chambre.
- Pourquoi mais pourquoi ?! Il est si tendu.. si incompréhensible ! Il n'a pas de raisons de m'en faire baver ! J'ai toujours été là pour lui ! C'est injuste.. Gémis Loulou.
- Je sais ma belle duchesse, l'amour est parfois cruel.
- Mais ce n'est pas de l'amour, Toby ! Gaby est mon meilleur ami, mon frère de toujours.. j'ai besoin de lui, surtout en ce moment !
- Sauf que pour lui ce n'est peut-être pas si simple, il est habitué à t'avoir pour lui tout seul à chaque instant.
- Non.. je ne le pense pas comme ça..
- Ah, soupira le petit baron, on ne connaît jamais quelqu'un sous toutes ses facettes.
Loulou renifla, dubitative. Son ami n'était tout de même pas si égoïste.
Soudain on entendit deux coups sur la porte.
- C'est nous ! On vient apporter un peu de soupe et de vin à notre petite écorchée !
Loulou sourit. Elle remercia ses amis et mangea un peu de soupe. Après quelques blagues des comédiens pour la détendre qui ne lui firent pourtant esquisser qu'un petit sourire contrit, la jeune fille bailla.
- Je vais dormir un peu, merci à tous.. si vous n'étiez pas là je ne sais pas ce que je ferai...
- C'est normal duchesse, vous êtes notre invitée, ponctua Toby avec un baisemain.
- Repose toi, demain ça ira mieux, bonne nuit Loulou ! Renchérirent Gertrude et John.
- Merci... bonne nuit à vous.
Ils s'éclipsèrent avec un petit signe de main et disparurent dans l'encadrement de la porte.
Loulou s'allongea et exténuée, sombra dans un profond sommeil, dans la maison du ciel habitée de tous ses anges gardiens.
«Tu v-viens Loulou?»
La jeune fille sortir brusquement de sa torpeur soudaine, et suivit Charles à l'intérieur du grand musée de Paris. Ce matin, il était venu la chercher au Ciel pour l'emmener à un repas d'inauguration du plus prestigieux musée de la capitale. Surprise, Loulou s'était sentie gênée. Elle, aller assister à une cérémonie aussi importante, avec cette apparence ? Mais Charles, conscient du malaise de son amie, lui a alors tendu un paquet en riant. Et lorsque Loulou l'ouvrir, elle découvrit avec stupeur une magnifique robe blanche assortie d'un sac de cuir et d'un chapeau à noeud. Elle avait laissé échapper une exclamation, totalement charmée. Puis elle avait sauté au coup de Charles, en riant à son tour. Une fois la tenue passée, celui-ci laissa traîner un regard plus que conquis sur la jeune duchesse qui lui faisait face. Elle tourna sur elle-même en mouvements gracieux, ravie. Charles lui tendit le bras, et ainsi ils se dirigèrent vers la diligence. Soudain, Loulou s'arrêta net et éclata de rire. Charles, dérouté, la questionna sur son hilarité. Elle lui répondit, dans un souffle : «Les chaussures !» puis repartit dans un rire communicatif, car elle fut rejointe de Charles quelques secondes après.
«J'arrive !»
Sur les talons haut, Loulou peinait à suivre la cadence de son ami, étant donné qu'elle s'arrêtait également sur chaque œuvre pour l'admirer, pensive. Peut-être que son portrait serait aussi dans une exposition, un jour ? Monsieur Degas avait beaucoup de talent et elle se plaisait à poser.
