Suite à la mort de son père, courtisan au château de Teridyo, Heechul était entré à la cour du seigneur de la région voisine, Hedyo, à l'âge de seize ans, ayant fait une excellente impression lors d'un bal célébrant la victoire du royaume contre un pays voisin. Le Royaume de l'Est était composé de quatre régions : Hedyo, la capitale, en son centre, entourée par Aridyo, Judyo et Teridyo, gouvernées chacune par un seigneur. Bien qu'il n'y ait pas véritablement de roi et que les quatre seigneurs avaient la main mise sur chacun de leur territoire, Hedyo était la perle du royaume, et son gouverneur était le plus influent par sa fortune, son pouvoir et sa force armée. C'est pourquoi quand Heechul avait attiré son attention il s'était senti très honoré et était devenu l'un des plus jeunes courtisans d'Hedyo.

Pendant six ans le jeune homme avait su former un cercle autour de lui avec les plus jeunes nobles résidents au château. Et le seigneur lui-même, du nom de Garam, le regardait fièrement de loin, presque avec envie, vantant ses mérites et son intelligence aux autres seigneurs, car Heechul ne se contentait pas de faire joli à la cour. Grand amateur de livres et d'histoire, il se passionnait également pour les contrées voisines et apprenait à les connaître en secret, car cela était interdit dans le royaume. Les barbares, ou les Chiens comme on les appelait, ne devaient être traités que d'une seule manière : par la guerre. Les invasions barbares menaçaient sans cesse le royaume, et Hedyo à elle seule avait une centaine de milliers d'hommes aux ordres de Karam, le frère du seigneur. Beaucoup d'histoires étaient racontées par les soldats sur l'ennemi. Malgré les défaites et les pertes, les barbares revenaient toujours plus nombreux, terrorisant les paysans vivant à la frontière. Ils étaient décrits comme des monstres sachant à peine parler, se montrant cruels au combat, alors le peuple était heureux de se voir protéger par un homme avec une poigne de fer comme l'était Karam l'Implacable, meurtri de diverses cicatrices suite aux combats qu'il avait menés. Son mot d'ordre était « à mort la Bête ! » et le peuple scandait ces encouragements avec hargne. Loin des préoccupations qui se déroulaient à des milliers de kilomètres d'Hedyo, Heechul menait sa petite vie au château, satisfait de briller aux yeux du seigneur Garam qui était lui-même héros de guerre des années auparavant.

Heechul venait de fêter ses vingt-deux ans, et le château était en effervescence. Pendant que son frère menait une guerre acharnée à la frontière, le seigneur Garam ordonnait les préparatifs pour fêter le printemps et le retour des beaux jours. Il demanda à Heechul de porter au bal la tunique en soie bleue qu'il lui avait offerte pour son anniversaire, une tunique lumineuse, faite pour mettre son teint en valeur. Avec son visage fin et pâle comme celui d'une poupée en porcelaine et ses longs cheveux d'ébène tombant sur ses yeux pétillants, le jeune homme ne cessait d'attirer les regards, des femmes comme des hommes, à chacune de ses apparitions à la cour. Il n'avait pas besoin de dire grand-chose pour plaire, et pourtant son caractère enjoué et étincelant rajoutait à son charme. Le fait qu'il soit curieux et dénué de toute timidité pouvait lui porter préjudice, mais au contraire, aux yeux du seigneur, il était un atout précieux à la cour. Heechul se permettait quelques familiarités, et on l'acceptait, même si les plus âgés grimaçaient à chacune de ses extravagances, il parvenait même à en convaincre certains grâce à ses charmes et à ses facultés oratoires impressionnantes de la part de quelqu'un aussi jeune.

- Allez mon bon seigneur, disait-il d'une voix douce, la tête posée sur l'épaule d'un des conseillers du seigneur. C'est le printemps, alors faites venir des fleurs dans la grande salle. De toutes les couleurs, et plein, sur les tables, les murs… égayons ce château un peu triste. Les beaux jours arrivent et nous faisons une fête, pourquoi être triste ?

Et il réglait la question avec un sourire entendu, s'éloignant avec un petit rire, à pas léger, sa tunique voletant derrière lui au rythme de ses fines jambes, laissant derrière lui le gentilhomme rougissant, réajustant le col de sa veste dans un raclement de gorge en espérant que personne ne voyait le regard qu'il portait à cette silhouette qui s'éloignait.

Le soir, la fête battait son plein dans la grande salle du château, avec, comme promis, de multiples fleurs qui décoraient le hall d'entrée et la salle de réception. Les femmes portaient des robes toutes plus vives les unes que les autres, comme si elles concouraient pour la plus belle fleur du bal, et Heechul marchaient entre elles, l'air gracile, avec sa tunique bleue azur. Le seigneur Garam le regardait intensément, installé sur son trône, écoutant à peine les remarques de ses conseillers. Quand il le vit s'installer à une table auprès d'un aristocrate d'une trentaine d'années venant de Teridyo, le seigneur ne put contenir une expression de jalousie qui passa furtivement sur son visage, et qui réapparut aussitôt qu'il le surprit en train de rire à une remarque de cet homme qui venait de sa terre natale. Il était curieux de savoir de quoi ils parlaient, et il trouvait Heechul bien trop proche de cet invité trop entreprenant. Garam tressaillit quand il aperçut l'homme de Teridyo poser sa main sur la cuisse de son protégé. Il le savait pourtant… Heechul aimait particulièrement tourner autour des hommes de la cour.

- Monseigneur, fit un de ses conseillers d'une voix forte, le sortant de sa rêverie. Un garde nous a rapporté que votre animal n'a pas cessé de hurler toute la journée, on a dû lui mettre une muselière.

- Que voulez-vous que j'y fasse ? répliqua Garam, sèchement.

- Il a besoin d'être calmé.

- Je m'en occuperai plus tard, continua le seigneur sur un même ton, passant frénétiquement sa main dans sa crinière brune.

Ses yeux se posèrent de nouveau sur Heechul et il se lécha la lèvre inférieure d'un air agacé. La nouvelle ne l'enchantait pas, il était déjà de mauvaise humeur. Depuis que son frère avait ramené cette chose au château il y avait de cela dix-huit ans, il ne pouvait pas passer deux jours sans recevoir des rapports ennuyeux à son sujet. La soirée allait se terminer quand il se leva de son trône, voyant Heechul disparaître dans une porte dérobée. Il le suivit dans un couloir, à l'écart de tout le vacarme de la grande salle.

- Heechul ! l'appela-t-il.

- Monseigneur ? s'étonna le jeune homme en se retournant.

- Tu allais quelque part ?

- Je retournais dans ma chambre, sourit-il en s'inclinant légèrement. Il se fait tard.

Le visage du seigneur se détendit et il attrapa un pan de la tunique d'Heechul entre ses doigts, caressant la texture raffinée de la soie, le regard perdu dans le vague.

- Tu es en beauté ce soir, murmura-t-il d'une voix douce. Le bleu est vraiment ta couleur.

- C'est vous qui me l'avez offert, monseigneur, répondit le courtisant.

- Parce que je savais que tu lui ferais honneur. Tu en auras une autre quand on fêtera mes quarante ans.

Il encadra le visage du jeune homme entre ses mains. Il pouvait oser désormais le toucher comme il ne l'avait jamais fait, effleurer sa peau qui lui faisait envie depuis la première fois qu'il l'avait vu, parce qu'il y avait bien une raison pour laquelle il lui avait fait quitter Teridyo. Sentant quelles étaient ses intentions, les yeux noirs d'Heechul se mirent à briller à la lueur des torches accrochées au mur, fixant silencieusement le seigneur Garam et reculant d'un pas.

- Tu me fuis ? demanda le seigneur en le coinçant contre le mur.

- C'est que…

- Tu ne veux pas me laisser te toucher comme le font les autres hommes ?

- Avez-vous trop bu monseigneur ? interrogea Heechul avec un demi-sourire.

- Non. Je t'ai observé de loin, tu as fait tes marques dans ce château, tu as eu tes propres expériences, tu as mûri.

Le sourire sur le visage du jeune homme s'effaça lentement tandis que son seigneur remettait sa frange en place sur son front.

- Je ne suis pas à ton goût ? Tu me trouves repoussant ? continua le seigneur Garam à voix basse.

- Je pense juste être libre de flirter avec qui me plait, répondit-il sans une once de peur dans sa voix. Et tous ne finissent pas dans mon lit, et si mon comportement vous fait penser le contraire, j'en suis désolé.

Le seigneur eut un rire silencieux et passa de nouveau ses doigts dans les cheveux fins d'Heechul. Il semblait hypnotisé par leur souplesse et leur noirceur.

- Je n'ai pas insulté ta vertu, mon ami.

- Je suis désolé, murmura son protégé en repoussant sa main. Mais je crois que vous feriez mieux de regagner vos appartements vous aussi.

- Tu n'as jamais su quand te taire, même avec moi. Ta langue n'épargne personne, pourtant ton père a dû t'apprendre à faire attention à la cour, soupira Garam.

- C'est vrai, ce n'est pas dans mon caractère de me laisser faire par les autres, ni même de garder mes oreilles fermées à toutes conversations.

Il avait appuyé chacun de ses mots, regardant son seigneur avec une expression de défi.

- Et je te laisse faire sans rien dire, reprit Garam de sa voix doucereuse en posant sa main sur sa joue. Ne pense pas que j'ignore ce que tu fais dans la bibliothèque, dans les couloirs, à fouiner dans ton coin.

- Qu'est-ce que votre frère et vous cachez en ces murs ? demanda Heechul précipitamment.

- Tu oses enfin me poser la question ! s'exclama le seigneur, faussement étonné. Mais cela ne te regarde pas. Ce n'est pas pour ça que tu es là.

Heechul avait peur de comprendre et il cessa de se poser des questions quand Garam se colla à lui, humant l'odeur de son cou et de ses cheveux.

- Vous auriez pu avoir ce que vous vouliez il y a six ans, murmura le jeune courtisant en frissonnant. Pourquoi avoir attendu ?

- Pour que tu fasses tes marques, pour que tu apprennes à vivre dans ce château, peut-être pour que tu m'apprécies un peu. Je n'allais pas abuser d'un enfant, nous ne sommes pas des barbares.

- Pourquoi vous continuez à vous serrer contre moi alors que je vous repousse depuis tout à l'heure ? demanda Heechul en essayant de réfléchir à une échappatoire.

- Parce que maintenant que tu es suffisamment en âge de comprendre ta position, pourquoi continuerais-tu à me repousser ? répondit le seigneur Garam en ne cachant pas la menace dans sa voix.

- Parce que je reste libre…

- Je crois que tu n'as pas compris, coupa-t-il en riant, le nez presque collé contre celui d'Heechul. Je t'ai acheté à Teridyo. De quelle liberté parles-tu ? Tu n'as été libre de tes mouvements parce que je t'ai laissé faire.

Il pressa sa jambe entre celles du jeune homme qui essayait d'assimiler ce qu'il venait d'entendre. Son seigneur venait d'insinuer que depuis tout ce temps il n'avait pas été bien différent qu'un esclave.

- Ne laisse plus jamais aucun autre homme toucher ce qui m'appartient, susurra-t-il à son oreille tandis qu'il remontait sa main le long de sa cuisse, respirant bruyamment contre lui.

Il l'embrassa dans le creux du cou Heechul se crispa et réagit vivement, giflant dans un claquement sonore le seigneur Garam. L'homme resta comme paralysé, la tête tournée vers la droite, un léger rictus faisant frémir ses lèvres. Il répliqua tout aussi violemment, frappant la joue d'Heechul du revers de la main.

- D'accord, je ne te forcerai pas, siffla-t-il en lui attrapant fermement le visage. Mais ta liberté s'arrête ici. Tu es bien trop curieux et tu n'as aucune reconnaissance. Tu ne m'es donc plus utile.

Il avait dans les yeux une ombre inquiétante qui obscurcissait son visage marqué par la guerre. Sonné, le jeune homme commençait à avoir peur. Il comprenait qu'il ne pouvait pas utiliser une de ses pirouettes pour s'en sortir, et sauf s'il acceptait ce qu'il lui demandait, il était sur le point de tout perdre, tout ce qu'il avait cru gagner en entrant à la cour d'Hedyo.

- Tu vas me rendre les cadeaux que je t'ai offerts dès que tu as posé les pieds dans mon château, à commencer par ta chambre, tes étoffes, tes bijoux… cette tunique. Je vais te donner une nouvelle demeure.

Il le prit par le col et l'emmena ailleurs d'un pas précipité. Deux gardes les rejoignirent silencieusement et ils traversèrent le château en faisant bien attention à ne croiser personne. Le cœur battant la chamade, Heechul fut contraint à le suivre, ne pouvant se défaire de son emprise. Toute la sympathie du seigneur Garam avait disparu, sa bienveillance n'avait été qu'un leurre pour cacher ses désirs lubriques.

- Tu voulais savoir ce que je cache entre mes murs ? Si les rumeurs sont fondées ? Il y a bien un chien dans ce château, dit-il avec un sourire mauvais en l'entraînant dans les sous-sols.

Ils passèrent une porte large, gardée par un homme immobile qui ne cilla pas quand il vit son seigneur entrer avec un jeune noble effaré qui n'avait pas sa place dans un tel endroit. Ils passèrent entre les cellules, et les prisonniers enfermés, eux, ne restèrent pas de marbre devant cette agitation, espérant attirer l'attention des visiteurs, car rarement ils en avaient eux-mêmes. Ils avançaient plus profondément dans le cachot et il y avait de moins en moins de lumière. Quand ils furent hors de portée du vacarme des autres détenus, ils s'arrêtèrent devant une cellule isolée. Heechul se demandait s'il comptait l'enfermer, trouvant cette descente sociale plus qu'injuste, mais trop apeuré pour en faire la remarque. Secrètement humilié, comment allait-on expliquer son absence au lever du soleil ? Le seigneur Garam le colla contre le mur violemment.

- Retirez-lui cette tunique, ordonna-t-il sèchement aux gardes.

Les deux soldats acquiescèrent d'un signe de tête et s'approchèrent d'Heechul, menaçants. Le jeune homme se sentait diminué, impuissant quand ils l'empoignèrent, le forçant à enlever l'étoffe de soie qui recouvrait ses épaules. Ils ne lui laissèrent que le pantalon de toile et le seigneur ouvrit la porte de la prison. Heechul se tenait les bras, cachant son corps mis à nu, respirant à peine à cause de la terreur, et Garam le prit par le cou, le faisant entrer d'un air jubilatoire.

- Je te présente mon animal, dit-il en le poussant. Retirez-lui cette muselière.

Dans son élan forcé, Heechul perdit l'équilibre et tomba à genoux sur les pierres poussiéreuses. Les gardes s'avancèrent dans un coin, torche en avant, et le jeune homme aperçut enfin, dans le fond de la cellule, une silhouette sombre qui se tenait accroupie. Heechul se mit à trembler, resserrant ses doigts sur ses membres. La créature s'approcha lentement, rampant presque sur le sol. C'était un être bipède, à en juger par ses longues jambes dénudées, mais il se tenait sur ses phalanges, comme s'il était plus à l'aise en avançant ainsi. Ses longs cheveux noirs n'étaient pas coiffés, en bataille sur son visage, de sorte qu'on voyait à peine ses yeux et sa peau était sale, luisante à la lumière des torches. Il était à présent à quelques centimètres du visage d'Heechul qui ne bougeait pas, la respiration coupée, espérant que ça le dissuaderait d'approcher plus. Garam retenait dans ses murs un barbare de l'ouest, un de ceux que son armée combattait à la frontière. Comme il tournait autour de lui, l'analysant sous tous les angles, Heechul l'entendait respirer son parfum comme s'il apprenait à se familiariser avec lui.

- J'avais bien dit que c'était un chien, se moqua Garam, observant le spectacle avec sadisme. Qu'est-ce qu'il y a la Bête ? Tu n'es pas content parce que c'est un mâle ? Il te satisfera amplement.

- Qu'est-ce que vous voulez dire ? demanda Heechul d'une petite voix.

- Habituellement, pour satisfaire ses besoins primitifs, nous allons chercher les prostituées des quartiers sombres. Il commençait à perdre patience, ton refus tombait bien. Tu ne veux pas de moi, alors tu serviras de compagnon de chambre au chien.

Il avait prononcé ces mots d'un ton détaché on aurait dit que cela avait été prévu depuis le début. Heechul regardait la créature les yeux grands ouverts, effrayé, et ses tremblements redoublèrent.

- Je vous en prie, murmura-t-il au bord des larmes au seigneur Garam.

- Passe une bonne nuit, répondit l'homme, froidement. Et fais attention, si tu lui refuses ce qu'il demande, il risque de se montrer violent. C'est un sauvage après tout.

Il referma la porte derrière lui, laissant celui qui fut son favori dans cette cellule. Heechul laissa échapper un gémissement apeuré et se précipita dans un coin de la pièce, se recroquevillant sur lui-même, sous le regard curieux du barbare. Même s'il semblait ne pas vouloir tenter une nouvelle approche et qu'il ne paraissait pas menaçant, le jeune homme commença à pleurer, appréhendant le moment où il allait poser la main sur lui. Au lieu de ça, son compagnon de cellule retourna dans son coin à l'opposé de lui, où était grossièrement aménagée une litière de paille tassée par endroits, signifiant que c'était là où il dormait. La fierté d'Heechul en avait pris un coup, il avait tout perdu en un claquement de doigts et il espérait qu'à son réveil, il serait dans son lit, bien au chaud, se rendant compte que tout ceci était un mauvais rêve.


Nouvelle fiction en... je ne sais combien de parties XD j'en prévois 3 mais vaut mieux pas s'avancer XD cette partie m'a paru longue à écrite, mais mettre en place le contexte est long...
Bizarre comme introduction... j'en suis moyennement satisfaite (comme toujours vous me direz).