Léo n'avait plus conscience de rien, sinon qu'il se trouvait sur un champ de bataille et que ce n'était pas le moment de s'évanouir. Mais le coup que lui avait porté cet homme... ce général masqué surgi de nulle part... La douleur qui palpitait, quelque part au creux de son abdomen, était insupportable. Il devait perdre beaucoup de sang, ce n'était pas le moment de traîner...
Et puis, deux mains saisirent son visage, et le voile d'ombre qui s'était posé sur ses yeux à cause du choc s'entrouvrit. Un flot de lumière se précipita contre sa rétine, lui arrachant un grognement, mais ce n'était rien comparé au choc que lui provoqua la vision du visage de son frère penché sur lui. Non, pas de son frère, se reprit-il immédiatement. De Yuma.
Deux petits éclats mouillés atterrirent sur ses joues. Il plissa les paupières, tâchant d'éclaircir sa vision, et comprit enfin pourquoi les yeux de Yuma brillaient autant. Il pleurait. Son f... Non, Yuma pleurait. Pour quelle raison, il l'ignorait. Mais la vision de ce visage familier baigné de larmes lui éveilla de curieux frissons de tristesse au creux du ventre, en plus de la douleur lancinante qui lui déchirait les entrailles. Par les dieux, qu'est-ce qu'il avait mal...
Les mains se déplacèrent sur son visage. L'une d'entre elles replaça une mèche de cheveux blonds hors de sa paupière, l'autre retint fermement sa joue. Léo sentit quelque chose de mouillé tracer une longue ligne sur son arcade sourcilière, suivant la main qui le caressait, mais en beaucoup plus léger qu'une larme. Qu'était-ce donc ? Et cette maudite odeur de sang, lourde et métallique, qui semblait s'être déposée sur sa langue. Le jeune prince tenta de s'humecter les lèvres, et il réalisa alors que sa bouche était remplie du liquide vital qui s'écoulait de sa plaie. Il écarquilla les yeux, l'effroi remplaçant la torpeur. Il crachait du sang !
Cette brusque montée d'adrénaline dissipa le sifflement qui lui vrillait les oreilles. Il entendit soudain les sons autour de lui, la marche lourde des soldats, le bruissement de l'herbe, les voix qui s'entrecroisaient et, surtout, celle de Yuma.
"Léo, oh par les dieux, je t'en prie, pas ça ! sanglota son aîné en effleurant une nouvelle fois sa pommette d'une caresse tremblante. Reste avec moi, Léo ! Ça va aller... ça va aller..."
Léo le fixa sans comprendre. Pourquoi pleurait-il tant ? Pourquoi semblait-il au bord du désespoir ? Il les avait abandonnés, c'était bien la preuve qu'ils ne comptaient pas tant que ça, à ses yeux ! Il n'avait eu aucun scrupule à les affronter, à retourner sa lame contre eux. Et c'était l'un de ses hommes qui venait de le transpercer de sa lance ! Alors à quoi cela lui servait-il de faire semblant de l'aimer encore ?
Yuma hoqueta, renifla sans parvenir à reprendre son souffle, et leva la tête vers les personnes qui l'entouraient.
"Sakura, fais quelque chose ! Dépêche-toi ! Soigne-le, je t'en prie !
-Quoi ? Ça ne va pas la tête ? riposta une voix masculine, vraisemblablement offusquée. C'est un prince ennemi ! On ne va quand même pas le soigner !
-Il a raison, mon frère, l'appuya une voix plus grave et plus mature. Je sais que vous avez grandis ensemble, mais nous ne pouvons pas prendre le risque de l'aider pour qu'il puisse mieux nous attaquer ensuite."
Yuma les dévisagea l'un après l'autre, bouche bée. Il en oublia même de pleurer pendant un instant.
"Mais... mais si on ne fait rien, il va mourir ! s'écria-t-il, visiblement au bord de la nausée.
-Je suis désolé, Yuma, répondit sincèrement la seconde voix, que Léo finit par identifier comme étant celle du prince Ryoma. Nous ne pouvons pas l'aider. Je sais que ça doit être difficile à entendre, mais moins nous trouverons de Nohriens sur notre route, mieux ce sera.
-Mais... vous ne pouvez pas faire ça ! balbutia Yuma, qui semblait incapable de comprendre ce qu'ils lui disaient. C'est mon petit frère !
-C'est un chef ennemi, Yuma, le reprit doucement Ryoma. Tu savais ce qu'il risquait de se passer en rejoignant cette guerre, n'est-ce-pas ? Si nous voulons stopper les exactions du roi Garon, nous devons atteindre le royaume de Nohr. Quel qu'en soit le prix à payer."
C'était donc là ce qu'ils voulaient ! Les envahir ! Il ne pouvait pas... les laisser faire...
Léo tenta de se redresser, mais la douleur le vrilla en deux et il cracha du sang, la gorge et les poumons brûlants. Sa vision s'obscurcit tandis qu'un : "Léo !" épouvanté lui parvenait aux oreilles, et il retomba en arrière. Le bras de Yuma se porta dans son dos pour le soutenir, et il sentit son autre main se poser sur sa joue. Il rouvrit les yeux. Les lèvres de Yuma tremblaient, incontrôlables. Les pleurs avaient recommencé à couler sur ses joues, et il fouillait ses yeux avec un tel désespoir que Léo comprit qu'il était sincère. Il ne comprenait pas pourquoi, mais Yuma était terrifié par l'idée de le perdre. Il leur avait pourtant tourné le dos... Il s'était retourné contre eux... Alors pourquoi ?
Il essaya de poser la question, mais de gros flots de sang se précipitèrent sur ses lèvres dès qu'il ouvrit la bouche. Une douleur soudaine remonta jusque dans son crâne et il ferma les yeux, vaincu par la douleur.
"Léo, non ! Non, réveille-toi ! Allez, Léo ! Ne me laisse pas comme ça !"
Le jeune prince rouvrit les yeux. Il sentait sa force le quitter de plus en plus vite, et déjà, le bas de son corps s'était fait glacé. Il comprit alors, avec une terreur et un désespoir comme il n'en avait jamais vécus, qu'il allait mourir.
Non... Il ne pouvait pas mourir ! Il avait encore tant de choses à faire en ce monde ! Il devait encore se battre pour son frère, ses sœurs, son père, leur pays, leur histoire... Il ne pouvait pas mourir maintenant !
Désespéré, Léo accrocha le regard de son frère. Il n'avait plus le courage de penser à lui autrement, maintenant. La respiration de Yuma était aussi fébrile et précipitée que la sienne; il semblait presque en panique.
"Léo, non..., murmura Yuma d'une voix qui se brisa lorsqu'il vit ses yeux perdre peu à peu leur éclat.
-Je suis sincèrement désolé, Yuma, répéta Ryoma en posant une main compatissante sur l'épaule de son frère."
Ce faisant, il entra dans le champ de vision de Léo, qui remarqua alors, dans un dernier éclair de lucidité, la grosse armure de général qu'il portait. C'était donc lui qui l'avait transpercé de sa lance... Tué par le frère de son frère... Quel destin ironique...
Incapable de continuer à penser à cause de la vie qui quittait son corps, Léo relâcha ses muscles et sa tête vint se poser contre le bras de Yuma. Il ferma les yeux. Mourir dans ses bras... ça aurait pu être une fin si douce, s'il n'y avait pas eu son horrible trahison, ce désespoir de n'avoir pas pu faire plus, ce désir insupportable de revoir sa famille et cette terreur de la mort...
"Non..."
Léo sentit, comme une ultime caresse, les mains de son frère se contracter contre lui à s'en briser les jointures. Et puis, il aspira une grande goulée d'air, suffoqué. Sa voix se fit plus claire, il avait redressé la tête.
"Felicia. Viens ici et soigne Léo, dépêche-toi !
-Non, Felicia ! s'opposa Ryoma, pris de court. C'est un prince ennemi !
-Heu... je suis désolée, Votre Altesse, mais je n'obéis qu'à Messire Yuma, intervint la voix de Felicia, visiblement embarrassée.
-Il se vide de son sang, vite !
-J'arrive, Messire !"
Léo ne sut pas comment la frêle domestique parvint à passer la robuste silhouette de Ryoma, mais une douce lumière bleutée s'infiltra soudain dans ses veines. La douleur perdit un peu de son emprise, elle sembla reculer légèrement.
"J'ai bien peur que ça ne suffise pas, Messire Yuma, déplora Felicia, qu'il entendait plus clairement, maintenant. Messire Léo a besoin de vrais soins médicaux s'il veut s'en sortir.
-Alors allons-y.
-Yuma..."
Ryoma paraissait hésitant et réprobateur. Ça n'empêcha pas Yuma de soulever Léo dans ses bras comme une princesse, avant de se tourner vers la tente qui abritait l'infirmerie.
"Attends, Yuma, s'opposa son frère aîné en lui barrant le passage. Es-tu sûr de vouloir faire ça ? Nous le tenons à notre merci. Je sais que c'est difficile, mais si nous le tuons maintenant, de très nombreuses vies hoshidiennes pourraient être épargnées. Je t'en prie, pense à ton peuple. Pense à nous. Que se passera-t-il si nous le laissons partir et que nous sommes ensuite amenés à le combattre, ses forces reconstituées ?
-Ryoma, lança Yuma d'une voix sèche qui stupéfia tout le monde, Léo le premier. Que ferais-tu si tu me voyais moi, Takumi ou Hinoka se vider lentement de son sang devant toi ?
-Je... Ce n'est pas le propos, je...
-Réponds-moi, Ryoma. Que ferais-tu si tu nous voyais agoniser sous tes yeux sans pouvoir rien faire, car empêché par tes propres hommes ?
-Je... Je les combattrais jusqu'au dernier pour vous venir en aide, admit l'aîné à contrecœur.
-Eh bien, c'est la même chose pour moi."
Aussi inerte qu'une poupée de chiffons entre les bras de son frère, Léo eut tout de même la force d'entrouvrir les paupières. Les yeux rouges de Yuma avaient changé d'éclat. Il y brillait bien une lueur de détermination connue du jeune prince, mais elle s'était teintée de férocité, presque de sauvagerie. D'abord, Léo ne parvint pas à comprendre pourquoi et d'où venait cette lueur. Puis il réalisa, à la façon dont son aîné l'avait ramené contre lui, et sa posture défensive, que cette étincelle, c'était celle qui brillait dans les yeux d'un grand frère voulant protéger son cadet. Léo écarquilla un peu les yeux, éberlué. Yuma était donc en train de le protéger ? De défier la famille qu'il avait choisie pour le garder en sécurité ? Lui ? Alors qu'il avait lui-même décidé de ne plus être son frère ?
A bout de force, Léo sentit ses yeux se fermer sans réussir à les en empêcher. La dernière chose qu'il entendit, ce fut la voix de son frère adoptif :
"Si tu veux poser la main sur Léo, Ryoma, tu devras d'abord t'en prendre en moi."
Cette histoire, qui sera davantage un recueil de textes drama/fluff fraternel, n'a pas vraiment de prétention à avoir une intrigue détaillée, fournie et complexe. Un jour, peut-être... Je tiens bien sûr à me consacrer totalement à Si tu savais en tant que fic longue, Par le sang ne connaîtra donc que des mises à jour irrégulières de textes courts. A moins, bien sûr, qu'elle suscite un véritable engouement, et que j'a assez avancé sur mes fics en cours. Avec les vœux de Mars de la Papote et les deux histoires que je prépare pour la Saint-Valentin, ça ne sera probablement pas pour tout de suite. Mais ces petits textes drama/fluff me tenaient à cœur, comme ceux que Nanthana14 publie sur Thor et Loki et que j'adore !
