Les Ailes de Gaïa

Scribouilleuse : Shakes Kinder Pinguy
Genre : chronique historique, plus ou moins. Mythologie et prise de tête.
Rating : PG-13
Résumé : Des origines de Gaïa à Van et Hitomi, l'histoire de la planète créée par la volonté des hommes.
Disclaimer : Les personnages reconnaissables ne sont pas à moi, les autres oui.

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I. Ante Genesem : le Paradis Perdu

Chapitre Un : Gaïa

Le vent soufflait doucement, gonflant les voiles, rafraîchissant l'air chaud. La mer était calme, et l'on sentait à peine le remous des vagues sur la coque. « Port d'attache droit devant ! » hurla le guetteur du haut de son mat. Dès qu'il entendit ces mots, Sin remonta à toutes vitesses à la poupe du voilier et fixa l'horizon. Ses yeux émeraude brillaient d'un nouvel éclat, et il sentait son cœur battre plus vite à l'idée de revoir sa terre natale. Trois ans ! Trois ans qu'il était parti voir le monde sans une seule escale en Atlantide !

– Eh, gamin ! lança un marin amusé. Ne te presse pas, on ne verra pas la terre avant une bonne heure !

– Je sais, répondit Sin sans lâcher l'horizon bleu et plat du regard.

Il voulait être le premier à voir Atlantis.

Il resta sans bouger jusqu'à ce qu'une mince bande de terre apparaisse doucement devant ses yeux, comme surgie de l'océan.

– Terre ! hurla-t-il, surexcité. Atlantis !

Il trépignait sur place comme un enfant et les marins le regardaient s'agiter en souriant. Sin avait voyagé avec eux pendant ces trois années et ils l'avaient vu grandir et changer, d'un adolescent mal dégrossi, devenir cet homme blond de vingt ans. Et pourtant, pour eux il serait toujours un gamin.

Sin ne tenait pas en place, il aurait voulu que le bateau avance plus vite. Malheureusement, le capitaine avait coupé la propulsion à énergist et le navire n'avançait plus qu'à la voile. Les fonds de l'Atlantide n'étaient pas très profonds et il valait mieux être prudent.

L'île d'Atlantis grandissait de plus en plus et enfin, elle apparut dans toute sa splendeur, avec sa végétation luxuriante, ses plages de sable fin et blanc, ses falaises droites.

Sin souriait de joie, il était enfin chez lui !

Au milieu des falaises se dévoila soudain un large estuaire dans lequel le voilier s'engagea lentement. Le jeune Atlante ferma les yeux et savoura l'instant avec délice, respirant à pleins poumons l'odeur de l'air, le parfum des fleurs et des arbres, écoutant les cris des oiseaux et des animaux, uniques à son île.

Ils naviguèrent encore une petite heure avant d'arriver au port. Sin portait déjà son sac sur l'épaule et sauta directement sur le quai sans attendre que le bateau soit amarré.

Il salua les marins de la main et courut le plus vite possible à la seule taverne du port avancé sur la côte. Il la contourna, et devant ses yeux apparurent des escaliers qui montaient sur plusieurs centaines de mètres. Il n'y avait pas de montante prête et il n'avait pas la patience d'attendre la prochaine qui l'emmènerait jusqu'à la Vallée des Illusions. Sans se décourager, Sin grimpa quatre à quatre les escaliers, courant sans s'arrêter, le cœur battant à toutes vitesses, autant à cause de l'effort que de son excitation. Il dépassa l'une des montantes en arrêt et stoppa un instant pour reprendre son souffle. Plutôt que d'en profiter pour monter dans l'espèce d'œuf mécanique qui faisait la liaison entre la capitale et la côté, il repartit très vite à pied, il en avait besoin. Il voulait respirer l'air d'Atlantis, le parfum de chez lui.

Bientôt, il arriva au sommet du volcan éteint. Il s'avança lentement, il avait tellement attendu cet instant que maintenant il se sentait obligé de ralentir, d'en profiter un maximum…

Sin se retourna juste un instant pour regarder le port, les vaisseaux, les gens qui s'agitaient. Il ferma les yeux et monta les deux dernières marches.

Doucement, il rouvrit les paupières sur la Vallée des Illusions. Le soleil inondait le cratère verdoyant, illuminant la cité atlante, les maisons blanches. Un bourdonnement agitait les rues pleines de gens et Sin faillit hurler de joie. Il était chez lui ! Il descendit les escaliers à toutes vitesses, manquant de trébucher à toutes les marches, et arriva enfin dans la première rue de la cité. Il ralentit soudain et commença à marcher au milieu des gens, regardant autour de lui. Rien, rien n'avait changé. Tout était comme avant !

Les maisons au murs blancs, l'activité dans les rues, les étalages de vendeurs et les sourires des Atlantes… Non, tout était pareil, rien n'avait changé !

A part la tour, là-bas. Elle n'y était pas lorsque Sin était parti. Cette tour… Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Il erra dans la ville longtemps avant de se décider à prendre le chemin de sa maison… Oui, la sienne, maintenant. Il y serait seul.

Sin s'arrêta un instant, un peu effrayé à l'idée de retrouver cette grande maison vide de ses parents. Il leva les yeux vers le Palais du Conseil. L'immense bâtisse bleue et blanche qui dominait la Vallée n'avait pas changé non plus… Là-haut, en haut de ces marches de marbre froid, un siège l'attendait. Le siège de son père. L'un des douze membres du Conseil qui dirigeait le destin des Atlantes…

Sin se détourna du palais et fit enfin les derniers pas qui le séparaient de chez lui. Cette grande maison blanche, comme toutes les autres à Atlantis.

Le jeune Atlante resta là, un instant, face au portail blanc, incapable de trouver le courage d'entrer.

– Sin ? Au nom du Dieu Dragon Escaflowne, Sin, c'est toi ? fit une voix incrédule.

Il se retourna pour faire face à une jeune fille aux longs cheveux blonds, dont les yeux violet vif étaient agrandis par l'émotion. Elle se jeta dans ses bras en riant et pleurant à la fois.

– Oh Sin ! C'est vraiment toi ! Ryk ! Ryk ! Viens vite !

– A… Aphaïa ? fit Sin, surpris et ému en reconnaissant son amie d'enfance.

– Sin ! s'écria une autre voix, plus grave mais aussi joyeuse.

Sans lâcher Aphaïa, Sin se tourna vers le jeune homme brun aux yeux rouge pâle.

– Ryk ! Aphaïa ! lança Sin en secouant la tête, la gorge serrée. Qu'est-ce que je suis heureux de vous revoir !

– Et nous donc ! répliqua Ryk joyeusement.

Le brun posa une main sur le bras de son ami en lui souriant.

– Tu as enfin grandi, déclara-t-il d'un air moqueur.

– Parle pour toi, répliqua Sin avec une pointe d'émotion.

– Tu es parti longtemps, dit Ryk, sa voix sonnant comme un reproche. Tu as dû en voir, des choses ! Il va falloir que tu nous racontes tout ça. Alors ? Comment est le monde ?

– Crois-moi si tu veux, répondit le jeune Atlante blond en regardant autour de lui, mais il n'y a rien de plus beau qu'Atlantis.

– Tu nous raconteras ça plus tard, dit Aphaïa doucement. Pour l'instant, tu devrais t'installer chez toi.

– Venez dîner à la maison, proposa Sin, trop heureux.

– Pas de problème ! lança Ryk. Alors à ce soir, voyageur !

Aphaïa sourit et s'éloigna à son tour, se retournant une fois pour regarder son ami d'enfance. « Comme ils ont changé », pensa Sin, le cœur serré.

– Maître Sin ! Vous êtes de retour !

Le jeune homme se retourna en souriant pour recevoir les exclamations d'accueil de ses vieux serviteurs.

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Ryk s'assit joyeusement sur la plate-forme de la Tour du Destin qui l'emmena au dernier étage. Le garde devant la porte le salua profondément et lui ouvrit la salle. Au centre, une énorme machine soutenait un globe de verre rosâtre.

Des hommes s'agitaient et discutaient avec animation. L'un d'eux, assez vieux, aperçut Ryk et l'interpella.

– Ah, Ryk ! Tu tombes bien. Les premiers essais sont concluants, les techniciens affirment que tout sera prêt dans quelques mois.

– Tant mieux ! J'ai vraiment hâte d'expérimenter la Pythie !

Puis son regard s'éclaira.

– Au fait, Sin est de retour !

Le silence s'installa soudain dans la pièce. Les membres du Conseil présents se tournèrent vers Ryk, et l'homme qui avait interpellé le jeune homme prit un air soucieux.

– Sin… Le fils de Kamal. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne nouvelle, Ryk. Kamal était contre la manipulation du Destin et j'ai cru comprendre que son fils partageait son opinion. Il n'est pas bon que nous soyons divisés, surtout au sein du Conseil.

Ryk haussa les épaules.

– Tout Atlantis nous soutient, dit-il calmement. Sin n'est pas idiot. Il se rendra à l'opinion de la majorité. Je lui parlerai. Ne vous inquiétez pas, Lantheus.

Le vieil homme prit un air sceptique. Il connaissait bien Kamal, et son fils semblait lui ressembler énormément. Sans plus faire part de ses doutes, il entraîna Ryk pour lui montrer les résultats de la machine à manipuler le destin, la toute puissante Pythie.

Ryk rejoignit Aphaïa et Sin un peu avant le dîner et demanda à son ami de lui raconter son voyage de trois ans. La soirée se déroula dans une ambiance légère et joyeuse, les trois amis étaient heureux de se retrouver réunis après cette longue séparation. Fascinés, les deux Atlantes écoutaient Sin raconter ce qu'il avait vu, parler des civilisations qu'il avait croisées.

– Les civilisations non-atlantes commencent seulement à naître ! lança-t-il avec passion. Leur technologie est inexistante, ils ont des milliers d'années de retard sur Ispano et nous !

– En sachant que c'est nous qui avons offert notre technologie à Ispano… intervint Aphaïa.

– Exact, acquiesça Sin. Quoiqu'il en soit, la majorité n'ont même pas la notion de l'écriture, d'autres commencent seulement à la découvrir… par contre ils ont un art vraiment fascinant, très différent du nôtre. En fait, ils sont principalement chasseurs et nomades.

Sin se leva et alla chercher des feuilles qu'il montra à ses deux amis.

– J'ai remarqué une chose, dit-il. De tous les endroits où je suis allé, aucune terre ne comprenait de l'énergist. J'ai découvert énormément d'autres nouveaux types de pierre, mais il semble que seule l'Atlantide est composée d'énergist ! C'est très troublant, et après plusieurs expériences, j'en ai conclu que l'énergist aurait multiplié notre capacité intellectuelle par cent. Est-ce que vous réalisez ?

– Tu veux dire que sans l'énergist, nous serions au même stade que les autres ? demanda Aphaïa d'une voix incrédule.

– Tout à fait. C'est troublant quand on pense à la légende qui dit que l'énergist est un cadeau fait à notre peuple par les Dieux Dragons Jecha, Kepa et Escaflowne...

Ryk regardait les résultats d'un air passionné, comparait les expériences.

– C'est fascinant, dit-il. Tes tests sont rigoureusement exact… Je ne pensais vraiment pas que l'énergist avait cette propriété ! Il faudra absolument que tu montres ça au Conseil demain. Ils seront sidérés !

– Moi c'est quand je pense à l'argent gâché dans la construction de cette machine de guerre que je suis sidéré, fit Sin. Comment on l'appelle ? Un guymelef, c'est ça ?

Ryk acquiesça en silence.

– Aucune des civilisations que j'ai croisées n'est capable de nous battre, ni même de nous blesser seulement, ce ne sont que des enfants, continua Sin. Et ça fait maintenant cent ans que ces voleurs d'Ispano créent cette machine inutile. Par Jecha ! C'est un sacrilège, cet outil de guerre à l'image du Dieu Dragon Escaflowne !

– Tes récriminations m'ont manquées, Sin ! lança Ryk, amusé. Les yeux émeraude du jeune homme se détendirent et il regarda par la fenêtre.

– Parlez-moi un peu d'Atlantis, demanda-t-il. Que s'est-il passé pendant mon absence ? Qu'est-ce que c'est que cette tour, là-bas ?

– La Tour du Destin, répondit Ryk assez vite.

– La Tour du Destin ? répéta Sin en fronçant les sourcils. Qu'est-ce que c'est encore ?

Il y eut un silence et Ryk se leva, le regard ailleurs. « Je t'en parlerai demain avant le Conseil, tu as pas mal de choses à rattraper, et il est tard. Pour l'instant tu devrais te reposer. Bonne nuit, voyageur ! »

Ryk salua Aphaïa d'un sourire et sortit sans un mot de plus. Il y eut un silence qui dura quelques minutes sans que Sin ou Aphaïa le brise. Puis la jeune fille se leva de son siège et marcha jusqu'à la fenêtre, regardant la Tour du Destin illuminée dans la nuit. Sin suivit sa silhouette fine des yeux. Sans qu'il ne demande rien, elle commença à parler.

–Dès la mort de ton père, et dès ton départ, ils ont accéléré les recherches. Tu penses, ils n'avaient plus d'opposition ! Ils ont extrait des quantités affolantes d'énergist du sol, et construit cette tour. Je sais par Ryk qu'ils ont presque atteint leur but.

– Comment est-ce possible, Aphaïa ? Je croyais… que ce n'était pas possible… qu'il n'y avait pas de déclencheur… ?

Aphaïa se tourna vers lui et le regarda dans les yeux.

– Ils ont trouvé. Ils ont compris le principal pouvoir de l'énergist. Elle stimule l'esprit… Tes conclusions ne font que leur assurer qu'ils ont raison.

– Aphaïa…

– Ils utilisent l'âme, Sin. Le Pouvoir de l'Esprit pour matérialiser les rêves et changer le Destin des Hommes.

Sin ferma les yeux un instant et serra les poings. « Par Kepa ! Ils sont fous, ragea-t-il. Pour qui se prennent-ils ? Qu'est-ce qu'ils croient ? Je ne peux pas laisser faire ça ! » Aphaïa s'approcha de son ami d'enfance et posa une main apaisante sur son épaule. – Je sais, Sin. Je sais ce que tu penses de tout ça, et tu sais que je suis d'accord avec toi. Mais tous ici à Atlantis sont pour ces expériences sur le Destin. Ils croient sincèrement que ce sera bénéfique pour nous. Et tu ne peux rien faire seul. – Et Ryk ? demanda Sin d'une voix crispée. Qu'est-ce qu'il a à voir avec tout ça ? – Il est l'un des créateurs de la Tour. Sin baissa la tête, accablé à l'idée que son meilleur ami participe à cette folie. Aphaïa eut un sourire triste et déposa sans prévenir un baiser sur la joue du jeune homme blond. « Tu m'as manqué, Sin. » Aphaïa sortit, laissant l'Atlante seul. Sin se prit la tête dans les mains. Sa joie d'être de retour était gâchée. Il se leva et alla à la fenêtre. Il suivit du regard la silhouette d'Aphaïa qui s'éloignait dans la nuit, puis ses yeux se fixèrent sur la Tour du Destin. Il se durcit. Non, il ne laisserait pas ces fous du Conseil jouer avec le feu sans combattre. Sin sentait au fond de lui, comme une vérité profonde, que tout ça n'apporterait rien de bon. Il eut un instant devant les yeux l'image d'un monde en ruine, recouvert de végétation, abandonné. Il secoua la tête et revint à la réalité. Avec un soupir, il s'éloigna de la fenêtre et monta se coucher.

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Ryk s'assit sur les marches du Palais. Le ciel était beau, le soleil brillait. Mais les marches de marbre étaient froides. Il avait eu du mal à s'endormir la veille, au retour du dîner. Aujourd'hui, il devrait s'expliquer avec Sin, et Ryk avait la désagréable sensation que ça ne se passerait pas aussi bien qu'il l'avait prétendu à Lantheus. Il sentit la présence de son ami et leva les yeux, croisant le regard vert froid de Sin. Ryk se leva.

– Je savais qu'Aphaïa te parlerait, dit-il.

– J'aurais préféré l'entendre de ta bouche.

Ils gardèrent le silence un instant.

– Tu seras seul dans cette histoire, fit soudain Ryk.

– Peu importe. Je me battrai seul, mais je ne vous laisserai pas détruire ce pays, répliqua Sin d'une voix dure en embrasant la Vallée des Illusions du regard.

Ryk sentit une vague de rage l'envahir. « Détruire, vraiment ! » lança-t-il.

Il attrapa Sin par le bras et l'entraîna à travers les rues d'Atlantis, sans que le jeune homme, trop surpris, ne se rebelle.

Ils arrivèrent bientôt à l'autre extrémité de la ville, et Sin découvrit avec horreur le spectacle face à lui. Les trois temples sacrés s'étaient écroulés, dévoilant une carrière d'énergist grise.

– Qu'est-ce qu'il s'est passé, ici ? demanda-t-il à voix basse en s'approchant avec prudence de ce qu'il restait du temple du Dieu Dragon de la Terre, Kepa.

– Prélude à la tempête, répondit Ryk. Il y a d'abord eu un raz-de-marée.

– Un raz-de-marée ? Si loin de la mer ?

– Oui. Le temple de Jecha a été détruit. Et uniquement celui-ci, et tous ses prêtres noyés. Puis un tremblement de terre qui a fait s'effondrer le temple de Kepa, enterrant ses prêtres. Et enfin une tempête monumentale, un vent d'une force incroyable a détruit le temple d'Escaflowne. Encore une fois, aucun prêtre n'a survécu.

– L'avertissement des Dieux Dragons, murmura Sin. Prélude à la Tempête, la destruction d'Atlantis…

– Voilà pourquoi nous avons construit cette tour et la Pythie, dit Ryk. Pour sauver Atlantis. Les énergists sont un cadeau des Dieux Dragons pour que nous changions notre destin.

Sin eut un sourire narquois.

– C'est ce que tu crois ? Mon père se battait contre cette idée bien avant cet avertissement. Et des gens ont travaillé sur ta Pythie bien avant toi. Pour moi, cet avertissement concerne vos jeux d'apprentis sorciers.

– Sin…

– Je comprends ton point de vue, je le respecte, et je trouve ton combat plein d'honneur. Mais je me battrai contre toi. En détournant le destin d'Atlantis, vous provoquez sa destruction.

Il y eut un silence.

– Je suppose qu'il n'y a pas à discuter, fit Ryk d'une voix triste.

– Non.

– Alors tant pis. Allons-y, nous allons être en retard.

Les deux jeunes Atlantes marchèrent en silence à travers la ville. Ils gravirent ensemble les marches de marbre, traversèrent ensemble les couloirs froids du palais et entrèrent dans la salle du Conseil. Les dix autres membres y étaient déjà installés.

A la porte, Sin et Ryk se séparèrent et s'assirent chacun sur leur siège, à l'opposé l'un des l'autre. Lantheus, au centre du demi-cercle, comprit au regard des deux jeunes Atlantes que Sin ne serait pas de leur côté.

Belphora, la Conseillère assise à la droite du vieil homme, se leva.

– Chers Conseillers, cette séance sera consacré à Sin, fils de Kamal, revenu prendre sa place parmi nous. Que les Dieux Dragons soient avec toi, Sin.

Les autres Conseillers répétèrent la formule d'accueil, puis le jeune homme se leva. A côté de ces hommes et de ces femmes âgés de trente ans et plus, Sin et Ryk faisaient vraiment jeunes.

– Que les Dieux Dragons soient avec vous, Conseillers, répondit Sin. Avant tout, je tiens à vous faire savoir ce que vous devinez déjà. Je suis contre la Manipulation du Destin et je n'y participerai pas. Si c'est dans mes possibilités, je combattrai même votre projet.

Il y eut un grand silence et Lantheus se leva.

– Tu sais que tu seras seul dans ce combat, Sin.

– Je le sais, répondit le jeune homme simplement. J'en prends la responsabilité et le risque. Vers l'Est du Continent Nord, j'ai croisé le chemin d'une tribu de nomades. L'une de leur légende raconte qu'à la création du monde, leur Dieu conduit à la vie un homme et une femme et leur permit d'habiter Eden, un Paradis Terrestre, à la condition qu'ils ne touchent pas aux fruits d'un arbre. Ils désobéirent pour devenir l'égal de leur Créateur et furent chassés d'Eden. Depuis, leurs descendants errent indéfiniment à la surface de la Terre à la recherche d'une nouvelle terre où ils pourront vivre en paix.

Sin se tût, et les Conseillers le regardèrent en silence. Ryk eut un sourire désabusé. Il savait où Sin voulait en venir.

– Je crains qu'en voulant jouer avec le destin, les dieux nous punissent, continua Sin. Je ne toucherai pas au fruit défendu. C'est tout ce que j'ai à dire sur le sujet. Maintenant, je vais vous présenter les résultats de mon voyage à travers le monde.

Sans plus parler de la Tour du Destin, Sin se lança dans le récit de son périple, distribuant des dossiers à chacun des Conseillers.

Sin ne parla plus jamais de son choix malgré les jours qui passaient. Lorsque les autres Conseillers discutaient de l'avancée des recherches, il se taisait mais écoutait avec attention, et se renseigna un maximum pour comprendre comment la Pythie marchait.

Ryk et lui ne se parlaient pas beaucoup, mais ne s'opposaient pas ouvertement non plus.

Les mois passaient, sans événement particulier, lorsqu'un matin Ryk débarqua dans la salle du Conseil dans un état d'excitation euphorique. « C'est prêt ! hurlait-il. Prêt ! »

Lantheus se redressa ; intrigué, Sin leva les yeux de son rapport.

– La Pythie est terminée, expliqua Ryk. On peut… les ailes… tout de suite… Venez !

Le Conseil entier se déplaça à travers les rues jusqu'à la Tour du Destin. Ils montèrent jusqu'au dernier étage, guidés par Ryk.

La Pythie, énorme globe rosâtre, avait été déplacée sur le toit. Les techniciens s'affairaient autour, se lançant des termes spécifiques.

Ryk se tourna vers le Conseil, ses yeux couleur de rubis lumineux brillaient d'excitation.

– Tout est prêt, dit-il. Nous pouvons lancer l'opération pour la création des ailes !

Sin regarda intensément la machine couleur énergist.

Les Conseillers parlaient maintenant avec animation en rentrant au Palais, seul Sin restait silencieux. Belphora envoya des messagers dans toute la Vallée des Illusions pour prévenir la population de se réunir en début de soirée sous la Tour du Destin.

Les Conseillers revinrent enfin s'asseoir et Sin demanda la parole. Ryk le regarda. « Tu ne peux rien faire, Sin, rien ! » pensa-t-il.

– Je demande l'autorisation de ne pas participer à la cérémonie de ce soir, dit-il.

– Quoi ! s'exclama Ryk en se levant. Tu es fou ! Tu…

– Tais-toi, Ryk, ordonna Lantheus avant de se tourner vers l'autre jeune homme. Sin, nous ne pouvons pas t'y obliger mais as-tu bien considéré toutes les conséquences de cet acte ?

– Oui. J'ai dit que j'assumerai mes choix, et c'est ce que je fais.

Sur ce, le jeune homme s'inclina pour saluer les Conseillers et sortit sans un mot de plus, suivis par des regards consternés.

Sin marchait rapidement à travers les couloirs et atteignait la sortie quand un appel le fit se retourner : « Sin ! Attends-moi, imbécile ! ».

Ryk courait dans sa direction, bouillant de rage.

– Est-ce que tu réalises ce que tu fais ! s'exclama-t-il. Au nom de Jecha, Sin, tu vas être marginalisé ! Différent des autres ! Un paria ! Arrête ça ! Est-ce que tu ne vas pas abandonner ton comportement de gamin au moins pour une fois ? Tu es fou !

– J'ai dit que je n'y participerai pas, et je tiendrai parole ! C'est vous les fous. Utiliser les rêves ! La puissance des rêves ! Vous nous menez droit à la catastrophe !

– Le rêve des Atlantes est de sauver Atlantis, fit Ryk. C'est le tien aussi , non ? Tous les rêves se complètent !

– Pour combien de temps ? cingla l'Atlante aux yeux émeraude. Tu peux me dire pour combien de temps votre jolie harmonie régnera ? Escaflowne tout puissant ! Ouvre les yeux, Ryk ! L'énergie des rêves est bien trop instable ! Tu crois vraiment que chaque rêve de chaque Atlante est désintéressé, pur ? La Puissance de l'Esprit, tu parles ! Le Rêve Commun, tu parles ! Un jour ou l'autre, deux personnes s'opposeront et là commencera la destruction d'Atlantis !

– Tu es parano, fit Ryk.

–Et toi d'une naïveté destructrice.

Ils se défièrent du regard quelques instants, puis Sin haussa les épaules, soudain fatigué. « Que les Dieux Dragons te protègent, Ryk, murmura-t-il en se détournant. Que les Dieux Dragons te protègent. »

Il s'éloigna sans que Ryk le rappelle. L'Atlante aux yeux rouge pâle suivit son ami du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse et fixa ses iris de sang sur la Tour du Destin. Pourquoi ce frisson ? Ryk eut soudain la vision terrifiante d'un monde pris par les flammes, il crut entendre des cris de terreur et d'agonie… Il secoua la tête pour chasser ces pensées et rentra au palais.

Sin entra dans le salon et s'approcha de la fenêtre. Le soleil rougeoyant éclairait la ville d'une lueur brûlante, comme si elle était la proie des flammes. Au fond, la Tour du Destin sur laquelle trônait la Pythie.

Sin ferma les rideaux et s'assit dans un fauteuil, avec sur le visage un air fatigué et désespéré. A cet instant, il faisait deux fois son âge. Il était seul, complètement seul. Tous les habitants de la Vallée des Illusions, tous les Atlantes étaient là-bas, sous la Tour du Destin, excités et heureux… courant à leur propre perte.

« Comment peuvent-ils être si aveugles ? »

Le porte du salon s'ouvrit et il se redressa avec surprise, face aux yeux améthyste d'Aphaïa.

– Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-il. Tu devrais être là-bas, ça va bientôt commencer !

Aphaïa eut un rire léger.

– Je n'ai pas l'intention d'y aller, Sin.

Le jeune homme se leva.

– Pourquoi ? Je ne te demande pas de me soutenir ni quoique ce soit. Va là-bas, Aphaïa. Je ne veux pas que tu gâches ta vie à cause de moi.

– Je fais ce que je veux, répliqua-t-elle doucement en allant ouvrir les rideaux sur le coucher de soleil. Et ça n'a rien à voir avec toi. Je n'ai jamais été d'accord avec leur projet.

– Aphaïa…

– Tais-toi.

La jeune fille resta face à la fenêtre. Ils attendirent ensemble, en silence. Et puis soudain, une lueur verte illumina le ciel, inonda la ville, et disparut.
L'instant d'après, des êtres aux ailes blanches et lumineuses s'élevaient dans le ciel. « Les fous… murmura Sin. Comme je les envie. »

Aphaïa ne répondit pas.

Le lendemain, lorsque Sin sortit de chez lui, le soleil brillait comme chaque jour depuis la création de la Pythie. Il y avait des Atlantes partout, dans le ciel… on entendait des rires de joie, comme un cri d'espoir. Sin déambula dans les rues, perdu, seul Atlante à marcher. Il les regardait voler, ces oiseaux de rêves aux grandes ailes blanches.

Il pensa à Aphaïa qui dormait encore dans la chambre d'ami. Comme elle aurait été belle, à voler dans le ciel.

« Est-ce que j'ai eu tord ? se demanda-t-il. Est-ce que la Pythie apportera effectivement le bonheur aux Atlantes ? »

Un cri de frayeur le sortit de ses pensées et il vit un enfant, encore maladroit avec ses ailes, tomber de quelques mètres. Il le rattrapa de justesse.

– Allons, dit-il gentiment à l'enfant en pleurs, ne t'inquiète pas. Tout va bien.

Le garçonnet hocha la tête et s'envola de nouveau en hésitant avant de disparaître dans le ciel. Sin le regarda partir avec un pincement au cœur. « Le bonheur est si fragile », pensa-t-il.

Il arriva devant le Palais. Ryk était assis sur les marches de marbre, au soleil, ses ailes de lumière grandes ouvertes. Sin s'assit près de lui et ils gardèrent le silence un instant.

– Je n'ai pas vu Aphaïa hier soir, dit Ryk.

– Elle était avec moi.

– Elle est toujours avec toi. Elle a toujours été avec toi… dans tous nos différents elle prenait parti pour toi. Et cette fois… elle a orienté sa vie par rapport à la tienne…

– Il ne s'agissait pas de moi. Elle a fait son choix.

Ryk eut un sourire sceptique.

– Quel est le prochain projet de votre merveilleuse machine ? demanda Sin.

– La création d'un monde.

Sin faillit éclater de rire mais se retint. « J'ai hâte de voir ça », dit-il paisiblement.

Les deux amis se levèrent et entrèrent dans la salle du Conseil.

Lantheus se leva et les autres Conseillers se turent. Le vieil homme regarda Sin qui semblait perdu dans ses pensées et secoua tristement la tête.

– Mes amis, dit-il, mes très chers Conseillers… La Cérémonie des Ailes a été un succès, comme vous le savez tous. Le Rêve Commun est devenu réalité.

Il laissa passer un temps.

– Il est l'heure maintenant de vous faire part d'un projet plus important, en préparation depuis déjà un an. Je vais laisser le jeune Ryk vous en parler.

Lantheus se rassit, et Ryk se redressa, un peu nerveux. Il sentait peser sur lui le regard de Sin.

– La Cérémonie des Ailes n'était qu'un essai, dit-il. Un essai pour s'assurer de la capacité de la Pythie. Nous envisageons un projet bien plus ambitieux. Créer un nouveau monde.

Sin secoua la tête d'un air désespéré, mais Ryk continua sans se troubler.

– En concentrant les rêves des Atlantes, nous pourrions arriver à multiplier la puissance du Pouvoir de l'Esprit, et par cela créer une nouvelle planète dans le ciel, uniquement visible par ceux qui savent qu'elle y est.

Il y eut un brouhaha, Ryk attendit patiemment qu'il s'apaise.

– Est-ce vraiment faisable ? demanda Karenos.

– Bien sûr, acquiesça tranquillement Ryk. Pas tout de suite, évidemment, nous aurons besoin de temps pour donner à notre planète un aspect vivable. Faune, flore, et bien sûr, êtres humains.

Il y eut un silence plein d'excitation.

– En somme, intervint le plus calmement possible Sin, tu te proposes de créer la vie.

– Parfaitement, affirma-t-il. La Vie : un monde de paix et d'harmonie.

Sin se leva brusquement. « Vous êtes tous fous, dit-il très paisiblement, et pourtant il bouillait de rage. Vous êtes tous fous. Maintenant, pardonnez un simple être humain sans grande ambition de fuir cette table de dieux. »

Sin se dirigea d'un pas rapide vers la porte, mais fut stoppé par la voix de Lantheus.

– Pas si vite, Sin, fils de Kamal. Attends et écoute ce que nous avons à te dire. Faire naître cette planète sera un travail dur, et pour la créer, il faut quelqu'un qui connaisse bien la vie. Nous t'avons choisi, Sin le Voyageur. Toi qui connais le monde, toi qui aime ton pays, toi qui veux par dessus tout protéger la vie. Tu es le plus qualifié pour ce travail. Faire de cette planète, ce nouveau monde de paix et d'harmonie une réalité.

Sin, fou de rage, se tourna vers eux et s'apprêtait à exploser lorsqu'il croisa le regard de Ryk. Et il souriait. Sin comprit soudain. Sa colère disparut en une seconde, remplacée par une immense lassitude.

« Ils m'ont piégé, pensa-t-il. Ils savent que je ne peux pas refuser. Si je les envoie se faire voir, ils la créeront quand même, leur planète. Et ils savent que je ne les laisserai pas faire… que j'y participerai juste pour éviter un nouveau désastre, et que je me battrai pour qu'elle soit parfaite, leur planète de Vie… Quelle bande de manipulateurs… »

Sin ferma les yeux, désabusé. Non, ils ne pouvaient pas les laisser faire. S'ils y arrivaient vraiment, les Dieux Dragons seuls savaient quel monde en ruine ils créeraient… Sin connaissait les défauts de la Terre, il savait les légendes des peuples, et il aimait la Vie. Oui, s'il ne pouvait pas empêcher cette planète de naître, il pouvait au moins empêcher qu'elle soit un enfer pour ses habitants.

« Créer Eden… », pensa-t-il avec un sourire cynique.

Il rouvrit les yeux et fixa les Conseillers un par un, s'arrêtant un peu plus longtemps dans le regard victorieux de Ryk qui connaissait déjà sa réponse.

– C'est bon, abdiqua Sin. J'accepte…

– Je savais que tu ne pouvais pas refuser, lança Ryk.

– … A une condition.

– Laquelle ? demanda Lantheus.

– Laissez-moi la nommer.

Lantheus et Ryk se regardèrent.

– D'accord, acquiesça le jeune Atlante. Quel nom veux-tu lui donner ?

Sin tourna ses yeux émeraude vers la fenêtre, fixant le ciel bleu.

– Gaïa, dit-il. Elle s'appellera Gaïa.

Il y eut un silence.

– Gaïa… murmura Ryk. Pourquoi Gaïa ?

– Parce que ça veut dire Terre, tout simplement, répondit Sin avant de sortir.

Ryk resta un instant immobile puis sortit à son tour et rattrapa l'Atlante blond. « Sin… j'ai réfléchi à ton histoire d'Eden et de peuple errant. C'est une des raisons de la création de Gaïa. Si un jour, Atlantis est détruit, notre peuple aura un endroit où aller. »

Sin ne répondit pas et continua à avancer. « Parce que toi, pensa-t-il tristement, toi tu crées la cause de la destruction d'Atlantis pour en sauver le peuple ? Excuse-moi de trouver ça illogique… »

Le lendemain, Lantheus annonça au peuple d'Atlantis le projet de la création de Gaïa. La réaction fut enthousiaste, unanime. Mais le choix de Sin, l'Atlante sans aile, pour inventer la planète de la Vie en dérouta plus d'un.

La plus surprise de tous fut Aphaïa qui se précipita chez Sin dès qu'elle apprit la nouvelle.

– Toi ! s'écria-t-elle, déçue. C'est toi qui va cautionner cette folie ? En faire une réalité et précipiter la chute d'Atlantis ?

– Attends, Aphaïa, écoute-moi… Ils m'ont piégé…

Sin raconta ce qu'il s'était passé, et la jeune fille secoua la tête, dépassée.

– C'est un coup de Ryk, ça… Comment a-t-il pu ? Te faire ça, toi !

– C'est bon, Aphaïa, ne t'inquiète pas… je veillerai à ce que tout se passe bien. Par contre, je vais avoir besoin de toi.

La jeune fille lui lança un regard interrogateur.

– Inventer Gaïa va me prendre énormément de temps, expliqua Sin. En fait j'ai l'impression que je vais y passer ma vie… Est-ce que tu veux bien t'installer à la maison et t'en occuper le temps que je serais sur ce projet ?

– Bien sûr, répondit Aphaïa avec un sourire.

– Ça ne gênera pas ta sœur ?

– Tu parles, répondit la jeune fille avec un sourire un peu amer. Ça ne changera rien… C'est comme si je n'étais jamais là, de toute façon.

– Merci, Aphaïa. Je ne sais pas ce que je ferai sans toi !

La jeune fille haussa les épaules.

Le travail de Sin commença dès le lendemain. Ryk l'emmena au sous-sol de la Tour du Destin, dans une salle isolée.

– Ici, tu seras tranquille, dit-il. Tu peux demander tout ce que tu veux, tous les renseignements possibles.

– J'ai juste besoin que tu m'apprennes l'avancée de la concentration d'énergie. Si je ne sais pas quel pouvoir on a, je ne peux pas être complètement libre de créer.

Ryk acquiesça et sortit. Sin regarda autour de lui l'atelier éclairé à l'énergist, la table sur laquelle était posé le dossier qu'il avait fait à propos des autres civilisations.

Sin s'assit face à la table et prit une feuille. Le crayon à la main, il fixa la page blanche. « Créer un monde… bande de fous… Comment voulez-vous que je crée un monde ? »

Il ferma les yeux et essaya d'imaginer… à quoi peut ressembler la Terre vue du ciel… océan… bleu… une planète bleue… des continents… Gaïa… l'autre Terre…

Sin traça un cercle sur la feuille. Un cercle.

De l'eau, beaucoup d'eau… pour que les Humains ne prennent pas trop de place. S'ils sont trop nombreux ils se battent.

Un océan immense sur lequel, posé comme des îles, deux continents.

Climat. Le premier continent, aux trois quarts recouvert par les glaces. Un endroit qui restera sauvage… froid. Plus au sud, moins de glace. Habitable, peut-être.

Le second continent. Climat variable. Chaud en été, neige en hiver. Pas toujours. Habitable. Je veux un monde agréable…

Pendant des heures, Sin dessina la surface de Gaïa. Tard dans la nuit, un homme vint le chercher. Sin n'avait pas fini. Frustré, il abandonna son travail à regret et se laissa reconduire chez lui. Il y avait encore de la lumière, et lorsqu'il entra dans le salon, un repas froid l'attendait. « Aphaïa », pensa-t-il.
Elle devait déjà dormir.

Sin s'assit à la table et commença à manger. Il n'avait pas vraiment faim, en fait. Gaïa… il sentait que cette idée l'obséderait longtemps. Il savait, il sentait au fond de lui qu'Atlantis était condamnée. L'avertissement des Dieux Dragons était clair. Alors peut-être que Ryk avait raison. Gaïa sauverait-elle les Atlantes après les avoir détruits ? Quel paradoxe…

Sin termina de dîner et monta au premier étage. En passant dans le couloir, il ouvrit silencieusement la porte de la chambre d'Aphaïa. Elle dormait paisiblement. Sans faire plus de bruit, il referma la porte et alla se coucher.

Contrairement à ce qu'il avait pensé, la fatigue vint d'un seul coup et il s'endormit presque aussitôt.

Les jours qui suivirent furent identiques au premier. Sin travaillait sans relâche sur la surface de sa planète, mais quelque chose le gênait. Gaïa semblait prendre forme en relief, montagnes, forêts, mers et océans, rivières et lacs, mais quelque chose n'allait pas.

Frustré, Sin laissa s'écouler deux semaines sans presque toucher à ses papiers. Il cherchait désespérément ce qui ne marchait pas.

Il rentrait de plus en plus tard le soir, partait de plus en plus tôt le matin, il ne voyait plus Aphaïa mais la présence de la jeune Atlante se faisait sentir dans la maison : quand il revenait, quelle que soit l'heure, même si les serviteurs étaient partis depuis longtemps déjà, il y avait toujours un repas sur la table, et la maison semblait vivante même s'il n'y habitait presque plus. C'était sa grande peur : que la maison meure, cette maison où il avait passé son enfance. Il voulait encore l'entendre respirer en rentrant chez lui, et grâce à la présence d'Aphaïa, c'était possible. C'est en réfléchissant à ça, tard dans la nuit en rentrant chez lui, qu'il réalisa ce qui manquait.

Gaïa ne respirait pas. Gaïa ne vivait pas, contrairement à la Terre. Cette nuit-là, il ne put dormir et dès les premières lueurs de l'aube, il se précipita à la Tour du Destin, attendant avec impatience que Ryk ou Lantheus arrive.

Le vieil homme fut le premier à se présenter et Sin se précipita vers lui.

– Lantheus ! Bonjour ! Que les Dieux Dragons soient avec vous ! J'ai besoin de vous !

– Que se passe-t-il, Sin ?

Les yeux du jeune Atlante brillaient comme des émeraudes au Soleil, et Lantheus eut un sourire heureux. Sin semblait finalement se passionner pour le projet Gaïa, et le vieil homme en était soulagé. Leur planète aurait un destin bien plus beau si elle était imaginée par quelqu'un qui l'aimait.

– Il faut que je comprenne comment marche la Terre ! Comment elle vit et comment elle respire, vous voyez ? Si je ne sais comment notre monde vit, Gaïa ne pourra pas exister, elle sera impossible à créer !

– Comprendre comment marche la Terre ?

– Pas complètement, je sais que ce n'est pas possible mais… en partie au moins ! Je demande l'autorisation de puiser dans la Bibliothèque Sacrée. Il doit bien y avoir ça dedans !

La Bibliothèque Sacrée… l'endroit qui recelait toutes les connaissances atlantes, offertes par les Dieux Dragons. Des centaines de milliers de livres et de manuscrits.

– Elle est immense, Sin. Comment veux-tu trouver exactement ce que tu cherches ?

– Je ne sais pas… au hasard ! A la grâce des Dieux Dragons ! Après tout, c'est bien par hasard que le Conseiller Neomé a découvert que la Terre était ronde en fouillant parmi les cartes il y a déjà plus de deux cents ans !

Lantheus hocha la tête.

– Nous en parlerons au Conseil, dit-il. Viens.

Quelques heures plus tard, Sin avait eu son autorisation. Une équipe fouillerait avec lui la Bibliothèque, tandis qu'une autre étudierait la vie naturelle autour. Comprendre la vie… Sin avait raison : avant de créer une autre planète, il fallait déjà savoir comment la leur marchait. Ispano fut mis à contribution : le seul peuple à savoir à quoi ressemblait la Terre vue du ciel, le seul peuple à savoir voyager entre les dimensions. Une technologie qu'ils gardaient jalousement et que rien, malgré les nombreux dons atlantes, n'avait pu les convaincre de partager.

Le travail de fouille et de recherche dura des mois. Le temps passait, mais la seule à s'en rendre compte était Aphaïa. Elle continuait à vivre chez Sin.

Un jour, sa sœur aînée, Lany, avait fini par venir voir pourquoi elle ne rentrait plus jamais chez elles. Aphaïa lui avait dit la vérité, mais Lany en imaginait une autre et après tout s'en moquait. Aphaïa pouvait faire ce qu'elle voulait, c'était sa vie et elle soupçonnait sa sœur d'être un peu folle depuis qu'elle avait refusé le port des ailes. Ç'avait été toujours comme ça, Lany et Aphaïa ne s'étaient jamais comprises, et chez Sin, Aphaïa se sentait plus libre. D'un autre côté, elle ne le voyait jamais, il passait sa vie enfermé dans la Bibliothèque Sacrée ou à apprendre par cœur les comptes rendus de l'équipe qui travaillait à l'extérieur.

Ryk ne valait pas mieux : lui ne sortait pas de la salle de la Pythie, travaillant sans relâche sur sa concentration du destin, cherchant désespérément à découvrir comment canaliser la puissance de l'énergist.

Cela faisait maintenant un an que Sin était revenu à Atlantis. Aphaïa regardait par la fenêtre, la soirée venait à peine de commencer et elle savait que l'Atlante aux yeux verts ne rentrerait pas avant que la nuit soit très avancée. Elle avait donné la permission aux serviteurs de Sin de partir, elle n'avait pas vraiment besoin d'eux. Aphaïa s'écarta de la vitre et s'assit dans un fauteuil. Elle prit un livre et s'apprêtait à le commencer lorsque la porte du salon s'ouvrit et Sin entra. Aphaïa se leva avec surprise.

– Sin ? Tu as déjà fini ?

Le jeune Atlante se mit à rire doucement. Il avait l'air fatigué, mais l'expression de son visage était rayonnante et comme soulagée.

– Déjà ? répéta-t-il. Ça fait des mois que je suis dessus… j'ai fini de travailler sur la Terre. Je vais pouvoir entièrement me consacrer à Gaïa.

– C'est fantastique ! s'écria Aphaïa, heureuse pour lui.

– Je suis rentré plus tôt pour passer une soirée tranquille avec toi. A moins que tu aies d'autres projets ? demanda-t-il.

Elle secoua la tête négativement.

– Non. Par contre, ne t'attends pas à quelque chose d'extraordinaire pour le dîner, je ne pensais pas que tu rentrerais si tôt, j'ai laissé tous les serviteurs partir.

– C'est pas grave ! Comme ça au moins on sera tranquille. On a pas mal de temps à rattraper, on ne peut pas dire qu'on se soit beaucoup vus ces derniers mois. Il faut que tu me racontes ce que tu as fait pendant que j'étais enfermé là dedans… et on ira faire un tour dehors, je t'assure que je deviens claustrophobe !

Aphaïa sourit et ils allèrent ensemble préparer un dîner simple pour eux deux en plaisantant et en jouant comme des gamins.

Ils mangèrent vite, pendant qu'Aphaïa lui racontait rapidement le peu qu'il y avait à dire sur ses journées.

Ils sortirent ensuite dans la douceur de la soirée, le ciel était encore éclairé par la lueur rougeoyante du soleil.

– Est-ce que ça t'embête de me parler de tes découvertes ? demanda Aphaïa.

Sin sourit et commença à lui raconter ses recherches et leurs résultats. Le noyau terrestre, la lave, la place de la Terre dans l'univers et sous les étoiles. Combien leur planète natale était minuscule par rapport à l'espace qui l'entourait. Il lui raconta la nature, les arbres et les fleurs, l'air, l'eau.

Il lui raconta la Terre.

Ils firent le tour de la Vallée des Illusions en parlant, sans se rendre compte des heures qui passaient, de la nuit tombée depuis longtemps déjà, dans les rues éclairées à l'énergist. Ils rentrèrent doucement chez Sin.

– Au fait, Aphaïa… j'ai une nouvelle à t'annoncer… je ne pense pas que tu sois au courant : Ryk se marie.

– Pardon ? fit la jeune fille stupéfaite. Ryk se marie ?

– Oui… j'ai appris ça de sa bouche ce matin même ! Il épouse une technicienne qui travaille aussi sur la Pythie. Elle s'appelle Maya. Ils se marient le mois prochain.

Aphaïa secoua la tête, trop surprise.

– C'est dingue, dit-elle. Je n'aurais jamais imaginé Ryk marié. Ça me fait vraiment bizarre.

– Je comprends ce que tu ressens, répondit Sin.
Un silence s'installa entre eux alors qu'ils entraient dans la maison. Ils montèrent au premier étage et se séparèrent devant l'escalier.

– Bonne nuit, Aphaïa, dit doucement Sin alors que la jeune fille se dirigeait vers sa chambre.

– Toi aussi, répondit-elle.

Sin resta un instant seul dans l'obscurité du couloir et rentra à son tour dans sa chambre.

Les jours reprirent comme avant, Sin travaillait cette fois sur Gaïa même et parfois ne rentrait même pas de la nuit. Cette planète l'obsédait. Il la voulait parfaite, porteuse de ce Bonheur Absolu que Ryk cherchait tellement à atteindre pour Atlantis.

Le mariage de Ryk se déroula sous la Pythie, cette machine à bonheur sur laquelle Maya et lui avaient tellement travaillé.

Sin et Aphaïa étaient venus tous les deux à la demande de leur ami d'enfance.

La cérémonie fut courte, et n'était rien de plus qu'une formalité… tout de suite après la technicienne et le Conseiller reprirent leur travail comme si de rien n'était.

Sin avait maintenant terminé Gaïa en elle-même, mais créer des êtres humains lui semblait impossible et sacrilège. Ryk et lui s'opposèrent longtemps sur ce sujet, et l'Atlante blond finit par capituler face au désir de tous les Conseillers réunis. Mais désormais, il n'était plus du tout sûr d'arriver à faire de Gaïa un monde parfait. Créer la vie…

Le matin du jour où il allait commencer, Sin se leva plus tôt que d'habitude et se rendit aux temples des Dieux Dragons. Ils n'étaient pas tout à fait réparés, mais les travaux avançaient. Sin hésita, et se rendit d'abord au Temple de Jecha. S'agenouillant face à la statue du Dieu Dragon des Océans, il commença à prier.

Puissant Jecha, Dieu des Océans où commence la Vie…Donne-moi la force de créer… donne-moi l'autorisation de faire de Gaïa un monde habité.

Sin n'attendait pas vraiment de réponse de la part du dieu. Mais il avait besoin de se rassurer, de se dire qu'il aurait quand même essayé.

Il leva les yeux vers la statue d'énergist, et un instant, crut voir les yeux de saphir s'illuminer. Tout de suite après, les prêtres de Jecha virent Sin le Voyageur s'écrouler sans un mot.

Lorsqu'ils s'approchèrent de lui, ils réalisèrent qu'il avait perdu conscience.

¤¤¤

Sin ouvrit les yeux dans un monde étrange, éthéré, comme s'il était fait de brume. Il ne sentait rien. Il regarda autour de lui et se frotta les yeux, mais l'espèce de brouillard qui entourait le paysage ne s'éclaircit pas. Il avait une sensation curieuse, comme s'il s'était réveillé à l'intérieur d'un rêve.

Des silhouettes confuses passaient autour de lui sans le voir. Il tendit la main pour les toucher mais elles le traversèrent, lui laissant l'impression étrange d'avoir essayé de capturer un nuage. Perdu, il essaya d'avancer ; en réalité ce n'était pas lui qui bougeait mais le monde sous ses pieds.

Soudain, tout devint d'une clarté lumineuse, et le paysage qui s'offrait à ses yeux émerveillés lui donnait une impression de déjà vu, et pourtant il savait qu'il ne connaissait pas cet endroit. Autour de lui, des gens s'agitaient sans le voir, vivaient leur vie comme s'il n'était pas là. Il y a avait des êtres humains, mais aussi d'autres créatures qui ressemblaient à des hybrides d'humains et d'animaux : dauphins, écureuils, chats, chiens, loups, lézards…

« Qu'est-ce que… »

Le brouillard revint, plus dense encore, et Sin ne voyait plus rien. Le plus troublant était qu'il ne sentait pas le froid de la brume sur sa peau.

Ecoute, Sin le Voyageur… fit soudain une voix grave dans sa tête.

Le jeune Atlante sursauta, terrorisé.

Ecoute, Sin le Voyageur, et exécute. Le nouveau monde doit naître. L'Equilibre du Destin doit être sauvegardé des erreurs du Peuple du Dieu Dragon. Atlantis est condamnée à disparaître mais le nouveau monde doit survivre. N'aie crainte. Ta Vie et ton Destin ne t'appartiennent pas. Bientôt apparaîtra l'Enfant-Dragon issu de l'Eau, élevé par la Terre et protégé de l'Air. Lorsqu'il viendra à toi, apprends-lui à vivre et offre lui la Puissance du Dieu de l'Air. Il sera l'Equilibre. Va, Sin le Voyageur et suis ta Destinée.

Sin sentit le sol s'effondrer sous ses pieds, et il hurla.

¤¤¤

Aphaïa sursauta lorsqu'elle vit Sin bouger. Elle s'approcha du lit en silence. Au bout de quelques instants, le jeune homme ouvrit les yeux lentement et son regard émeraude se posa sur son amie avec une pointe d'étonnement.

– Aphaïa ? Qu'est-ce que…

– Tu es enfin réveillé ! Tu es resté évanoui toute la journée.

– Toute la journée ? Evanoui ?

– Oui. Tu t'es effondré au Temple de Jecha. Tu ne te souviens pas ?

– Si… mais je ne pensais pas qu'autant de temps s'était écoulé…

Il ferma les yeux. Il avait dans la tête des images confuses, peut-être même des voix. Mais c'était comme un rêve : plus il tentait de se souvenir, plus ça devenait flou.

Il entendit Aphaïa se lever et s'éloigner.

– Aphaïa… Attends… Est-ce que j'ai dit quelque chose, pendant que j'étais inconscient ?

– Non, tu étais très calme, répondit-elle.

Changeant brusquement de sujet, elle lui demanda s'il avait faim. Il répondit par la négative et elle sortit. Sin resta longtemps plongé dans ses pensées avant d'émerger.

Machinalement, il se leva et alla à son bureau. Il s'assit, prit une feuille de papier, un crayon et il se mit à dessiner, d'un trait hésitant d'abord, puis avec plus d'assurance, comme si soudain il savait exactement quoi faire.

Sous ses doigts apparurent des silhouettes étranges d'hommes-animaux, loups, écureuils, chats, chiens, dauphins, lézards, serpents, sirènes…

Il dessina pendant des heures, la nuit était tombée depuis longtemps. Absorbé dans son travail, il ne vit pas Aphaïa monter avec un plateau de nourriture pour le dîner. La jeune fille l'observa un instant, une lueur un peu triste dans ses yeux violets. Au bout d'un moment, elle sortit comme elle était entrée, sans un bruit.

Vers minuit enfin, il posa son crayon et regarda les dizaines de feuilles autour de lui. Il avait créé un monde. Tout un monde. En quelques heures, il avait abattu le travail de plusieurs mois et le plus étrange était que jusqu'à l'instant où il avait commencé à dessiner, il n'avait aucune idée de tout ça. C'était venu sous son crayon naturellement.

Ces êtres animaux et les êtres humains peupleraient Gaïa. Sin s'étira, soudain épuisé, et se leva. Il aperçut avec surprise le plateau de nourriture. « Aphaïa », pensa-t-il avec un sourire reconnaissant. Elle pensait vraiment à tout. Elle était si compréhensive.

Sin regarda le plateau pendant quelques instants, songeur, avant de se mettre à manger. Il se coucha tout de suite après, impatient de mettre ses idées en pratique.

Les semaines qui suivirent furent consacrées à la finalisation des peuples de Gaïa. Sin avait gagné beaucoup de temps, et son travail fut terminé bien avant celui de Ryk.

Le description de Gaïa fut donnée au peuple atlante enthousiaste qui trouvait le monde de Sin beau, et la nouvelle Terre fut bientôt l'unique sujet de conversation.

Sin n'avait pas de nouvelle de Ryk. Il n'allait plus à la Tour du Destin et restait chez lui avec Aphaïa. Lorsqu'elle avait appris que Sin avait terminé, elle s'était apprêtée à rentrer chez sa sœur, mais Sin lui avait demandé de rester. Être seul dans cette grande maison ne l'enchantait pas vraiment.

Un soir, peu avant le dîner, quelqu'un se présenta à la porte. L'un des serviteurs alla ouvrir, et introduisit Ryk.

Aphaïa se leva avec un sourire, Sin se tourna d'un air interrogateur vers l'Atlante aux yeux de rubis.

– J'ai terminé, dit simplement Ryk.

Il montra une simple chaîne d'argent au bout de laquelle se trouvait un pendentif d'énergist en forme de larme.

Sin prit le bijou avec précaution, presque peur.

– Ce… ce pendentif, dit Ryk, ce pendentif contient une puissance effrayante. Je t'assure.

– Je te crois, murmura Sin en fixant le bijou.

– Tu restes pour dîner ? demanda Aphaïa.

– Non merci, répondit Ryk en secouant la tête, Maya m'attend. Bonne nuit à vous deux.

Sin lui rendit le pendentif et Ryk sortit. L'Atlante aux yeux verts se tourna vers Aphaïa. Elle regardait le ciel étoilé par la fenêtre et frissonnait.

– Quelque chose ne va pas ?

– Je ne sais pas, répondit-elle doucement sans se retourner. Rien… un mauvais pressentiment. Ce pendentif… J'ai la sensation qu'il apportera beaucoup de souffrance…

Sin eut un sourire lointain, un peu résigné. « Notre Destin ne nous appartient pas », dit-il gravement. Elle ne répondit pas, continuait à fixer le ciel.

Sin s'approcha d'elle et la prit dans ses bras pour la réconforter. Elle ne réagit pas. « Ne t'en fais pas », dit-il.

Mais s'il l'avait regardée dans les yeux à cet instant, il aurait peut-être vu l'image d'un monde en flamme s'y refléter.

L'organisation de la création de Gaïa prit quelques nouvelles semaines. Ça faisait maintenant plus de deux ans que Sin était revenu. Partout dans les rues on ne parlait que de la création de la nouvelle Terre.

Le pendentif d'énergist avait été éloigné de la Pythie. Confronter ces deux puissances risquait d'être très dangereux.

Un matin enfin, Belphora convoqua le Conseil.

– Nous sommes prêts, dit-elle. La Cérémonie de la Création aura lieu ce soir.

Lantheus se leva pour en expliquer le déroulement.

– Sin et Ryk se trouveront enfermés dans la Pythie, dit-il. C'est eux qui connaissent le mieux la future planète. Je serais sur la place et je porterai le Pendentif qui recueillera la puissance d'esprit de tout le peuple d'Atlantis. Pendant que nous créerons la force des rêves, Ryk et Sin feront de Gaïa ce que Sin en a décidé. Je vous souhaite bonne chance. La séance est levée.

Le reste de la journée se déroula dans l'excitation générale. Ryk et Sin passèrent leur temps à s'assurer que leurs pensées étaient les mêmes et ne s'opposeraient pas au cours de la cérémonie, ce qui signifierait l'échec. Tout était prêt, synchronisé.

Le soir arriva un peu trop vite au goût de Sin. Il était soudain terrorisé.

Peu avant de rejoindre Ryk à la Tour du Destin, il se tourna vers Aphaïa.

– Tu viens, n'est-ce pas ? Tu y participeras ?

– Je ne sais pas, répondit-elle en détournant les yeux.

– Viens, Aphaïa. S'il te plaît. C'est inévitable maintenant.

– Je déteste cette planète, lança soudain la jeune femme avec violence. Je la hais !

Il y eut un silence.

– Mais je viendrais quand même, dit-elle plus doucement. Je viendrais parce que j'ai beau la haïr, je veux qu'elle existe.

Sin ne chercha pas à comprendre. Il savait qu'Aphaïa ne s'expliquerait pas. « Merci », dit-il seulement avant de sortir. Aphaïa tourna les yeux vers la Tour du Destin.

Je la hais parce qu'elle va me voler tout ce que j'ai… Elle va détruire mon monde et prendre tout ton temps… Mais je veux qu'elle existe parce que je sais combien c'est important pour toi, et je sais qu'elle est la seule chose qui compte réellement à tes yeux…

Il y avait un monde fou sur la Place du Destin. Beaucoup de gens étaient venus en avance. Sin se fraya un passage jusqu'à la Tour. Ryk était déjà là, devant l'entrée, pâle.

– Prêt ? demanda-t-il à Sin.
Le jeune Atlante acquiesça et ils montèrent ensemble jusqu'à la Pythie. Lantheus les attendait, le Pendentif dans sa main. Voyant la pâleur des deux jeunes Conseillers, il leur offrit un sourire rassurant. « Tout ira bien », dit-il.

Maya était là aussi, à la technique. Ryk alla l'embrasser et resta un instant avec elle. Sin fixait la Pythie, lui parlant mentalement comme si elle pouvait l'entendre. « Je sais qu'on n'a jamais été très amis, toi et moi… mais cette fois on va laisser de côté nos sentiments et travailler ensemble… d'accord ? »

Lantheus et un technicien leur firent signe : « Il est temps », dit le vieil homme.

Ryk s'écarta de sa femme et rejoignit Sin devant la machine. On les fit monter à l'intérieur de l'énorme globe rose, et ils s'assirent au fond de la Pythie.

Ils restèrent silencieux, quelques instants, puis Sin remarqua la lueur étrange dans les yeux de Ryk. Intrigué, il se tourna vers lui :

– Tu as peur ?

– Terrifié, répondit-il.

– Pourquoi ?

– Et si ça ne marchait pas ? Et si on se trompait… Sin… et si tu avais raison ? On a peut-être tord. Si tout ça nous menait au désastre ?

– Il est trop tard pour douter, Ryk, répondit Sin, impassible. Tu dois avoir confiance. Si tu n'as pas confiance, ça ne marchera pas.

Il y eut soudain une lueur à travers la Pythie. « Ça a commencé », murmura Sin en se levant.

Dehors, sur la Place du Destin, face au peuple d'Atlantis aux ailes de lumière, Lantheus élevait le Pendentif. Les rêves de tous les Atlantes et la puissance de leur esprit se concentrèrent et créèrent une intense lueur verte qui alla frapper la Pythie.

Le ciel brillait à son tour de cette lumière, aveuglant les Atlantes. Ils fermèrent les yeux, un peu effrayés. Il y eut un roulement de tonnerre, un éclair d'émeraude, et puis soudain plus rien. Un silence profond, un calme presque inquiétant. Et lorsque les Atlantes ouvrirent les yeux, ils virent dans le ciel, non loin de la Lune, briller une nouvelle planète.

Gaïa.

Sin et Ryk se regardèrent, un peu assommés par la puissance qui les avait traversés. Un cri de joie les fit revenir à la réalité, Maya bondit à l'intérieur de la Pythie, ses yeux bleus brillant comme des saphirs.

– Venez ! s'écria-t-elle. Ça a marché ! Venez vite voir ! Gaïa… Gaïa existe !

Sin et Ryk bondirent hors de la Pythie et montèrent sur la passerelle, levant les yeux, fixant cette planète, leur planète, presque leur enfant.

– Gaïa, murmura Sin, incroyablement ému.

– Ça a marché, ça a marché, répéta Ryk, incapable d'y croire. Gaïa ! Elle existe ! Tu la vois ? Tu la vois ? Tout puissant Kepa ! Gaïa existe, Sin ! Elle existe !

Et tous les Atlantes de la Vallée des Illusions auraient voulu pouvoir s'envoler jusqu'à elle, s'approcher, la voir de plus près pour être sûrs que ce n'était pas un rêve.

Ils étaient devenus les égaux des Dieux. Ils avaient créé un monde.

Soudain épuisé, Ryk prit Maya dans ses bras sans détacher ses yeux de la nouvelle planète. « Je crois, dit-il doucement, je crois que tout notre travail en valait la peine. Regarde comme elle est belle ! »

Sin sentit à son tour la fatigue lui tomber dessus sans prévenir, en même temps que la nuit.

– Je regrette que nous soyons les seuls à pouvoir la contempler, dit-il. Tous les peuples de la Terre devrait en avoir le droit aussi.

– Mais seuls ceux qui savent qu'elle est là peuvent la voir, répondit Ryk. Et nous sommes les seuls à savoir que cette nuit, une nouvelle planète est née de la volonté des Humains.

Sin acquiesça en silence et détacha à regret ses yeux émeraude de Gaïa. Sa planète. Celle qu'il avait créée telle qu'elle était, qu'il avait portée en lui si longtemps avant qu'elle naisse. Son enfant. Il l'aimait.

Je sais qu'Atlantis mourra à cause de toi, mais je t'aime, toi, mon enfant. Et je te protègerai de tous, de l'avidité et de la folie des Hommes. Je te promets, Gaïa, que je ferai tout pour te préserver et tu dureras plus longtemps que la Terre elle-même. Puisque je n'ai pas su protéger Atlantis, et bien je me battrai pour toi.

Il s'éloigna de Ryk et Maya et descendit la Tour du Destin jusqu'à la foule atlante aux ailes déployées qui admiraient en silence la planète suspendue dans le ciel.

Sin frissonna.

Et c'est à cet instant que tout commence. Que se passe-t-il, déjà, là-haut ? Que se passera-t-il ? Gaïa. Quel est ton Destin et celui de tes habitants ?

Il marcha seul dans les rues désertes, perturbé. Sans y penser, il arriva devant les Temples des Dieux Dragons. Il entra dans le Temple d'Escaflowne, aussi désert que le reste de la ville et s'approcha de la statue du Dieu des Airs. Il s'agenouilla et fit une prière pour Gaïa, suspendue dans le ciel, sous la protection d'Escaflowne.

Il se relevait lorsqu'il entendit soudain un bruit. Il se retourna et se trouva face à trois petits nains gris, semblables à des souris, qui observaient la statue en silence et prenaient des notes.

– Vous faites partie du peuple d'Ispano ? demanda-t-il.

Les trois Ispaniens acquiescèrent en silence.

– Que faites-vous là ?

– Nous terminons le guymelef divin, répondit l'un deux, impassible.

– Il est fini ?

– Presque. D'ici une trentaine d'années.

Sin haussa les épaules, salua une dernière fois la statue du Dieu Dragon et s'apprêtait à sortir lorsque la voix d'un des trois petits hommes l'interrompit :

– Ta planète est belle, Sin le Voyageur. Elle est protégée par les Dieux.

Sin s'immobilisa et se tourna vers eux, se demandant comment ils savaient son nom. L'Ispanien qui l'avait interpellé s'approcha de lui et lui tendit un étrange objet fait d'une matière inconnue. « Si tu as besoin de nous, utilise-le et il te mènera à Ispano. »

Sur ce, les trois membres du peuple d'Ispano disparurent sans un mot de plus, laissant Sin intrigué et un peu choqué. Pourquoi aurait-il besoin d'eux ? Il rangea l'objet dans sa poche et rentra chez lui.

La lumière brillait, Aphaïa était déjà là. Il la trouva dans le salon en train de regarder Gaïa par la fenêtre. Elle ne se retourna pas en l'entendant entrer.

– Elle est belle, dit-elle seulement sans lâcher la planète des yeux.

– Je sais. Il y avait des Ispaniens au Temple d'Escaflowne. Je ne les aime pas.

Sin sortit l'objet de sa poche et le rangea au fond du tiroir d'une armoire. Il s'approcha d'Aphaïa qui n'avait toujours pas bougé et ils restèrent là, en silence, à contempler l'œuvre des Atlantes.

– Elle est à toi, n'est-ce pas ? fit la jeune femme. C'est toi qui l'a créée, en réalité. Comme tu dois être fier.

– Ce n'est pas fini, répondit Sin. Il y a encore beaucoup de choses à faire.

– Je sais. Il y aura toujours des choses à faire.

– Tu seras là ?

– Evidemment. Je resterai tant que tu auras besoin de moi.

– Aphaïa… est-ce que tu veux bien m'épouser ?

Il y eut un long silence. Non. Dis-le lui : non. Tu sais ce qui arrivera si tu acceptes. Tu sais quelle sera ta vie. Tu l'attendras toujours, tu seras toujours là, mais tu passeras toujours derrière sa passion, et tu en souffriras. Tu ne peux pas rester toute ta vie à espérer qu'il soit vraiment à toi un jour. Il ne t'appartiendra jamais. Il ne s'appartient déjà plus lui-même.

– Oui, répondit Aphaïa sans se retourner.

– Alors regarde-moi.

Sin la prit dans ses bras et l'obligea à se tourner vers lui. Elle leva ses yeux améthyste sans rien dire.

– Je t'aime, lui dit-il.

– Je sais.

Elle posa sa tête sur son épaule et ils restèrent quelques instants l'un contre l'autre sans se parler, sous la double lueur de la pleine Lune et de Gaïa. Puis Sin se pencha vers elle et l'embrassa doucement, avec beaucoup de tendresse comme s'il sentait sa peur et son angoisse. Elle lui rendit son baiser avec un curieux sentiment de désespoir. Sin avait raison. Leur Destin ne leur appartenait pas.

Cette nuit là ils restèrent ensemble.

Au matin ce fut la lueur du Soleil qui réveilla Sin. Il ouvrit les yeux péniblement et sourit en voyant le visage endormi d'Aphaïa sur l'oreiller. Il attira doucement son corps nu contre lui et la prit dans ses bras en faisant attention de ne pas la réveiller. Il n'avait pas envie de se lever. Pourtant il savait qu'il y avait un Conseil ce matin, et qu'ils iraient voir Gaïa. Mais il n'était pas pressé et il avait envie de garder Aphaïa avec lui encore quelques instants, dans cette impression que plus rien ne pouvait les atteindre, et que tout était parfait.

Le jeune femme ouvrit doucement les yeux et le regarda avec un sourire léger. Ils ne se quittèrent pas des yeux pendant quelques instants, puis Aphaïa brisa le silence :

– Tu n'as pas un Conseil ce matin ?

– Si…

– Alors tu ferais mieux d'y aller avant qu'ils viennent te chercher.

Il soupira, l'embrassa doucement et se leva pour s'habiller. « J'essaierai de ne pas rentrer trop tard », dit-il avant de sortir de la chambre.

Aphaïa ne répondit pas et ferma les yeux.

Sin était incroyablement de bonne humeur ce matin-là. Il marchait dans les rues d'Atlantis en souriant, parlait aux gens et arriva au Palais du Conseil très en retard. Il entra dans la salle de Réunion avec un sourire d'excuse, et tous le regardaient d'un air sidéré. Ils avaient tous pensé qu'il serait le premier au Conseil. Lantheus s'éclaircit la voix et jeta un coup d'œil à Sin avant de se lever pour prendre la parole.

– Bien, dit-il. Maintenant que nous sommes tous réunis, nous allons pouvoir commencer. Avant tout je voudrais faire part à Sin le Voyageur d'une décision qui a été prise durant son retard…

Sin se redressa et regarda Lantheus, vaguement inquiet.

– Maintenant que Gaïa est créée, de nombreuses personnes vont vouloir la voir, peut-être même l'utiliser, et nous avons déjà les requêtes de certains qui souhaiteraient l'exploiter.

Révolté, Sin allait violemment protester mais Lantheus lui fit signe de se calmer.

– Mais tous ici nous savons combien est précieuse cette planète, dit-il, et quel travail elle a demandé. Nous ne pouvons pas laisser n'importe qui exploiter le pouvoir des rêves pour en faire ce qu'il veut. C'est pourquoi nous avons décidé de confier le pouvoir des rêves à deux personnes différentes. Sin le Voyageur, toi qui est contre son utilisation, tu a été choisi pour porter le Pendentif et en garder la responsabilité. Ryk détiendra l'épée de puissance qui déclenche le pouvoir de la Pythie. Ainsi nous sommes sûrs qu'il n'y aura pas d'abus. Acceptes-tu ?

Sin acquiesça en regardant Ryk qui haussa les épaules. Lantheus lui donna alors le Pendentif, et Sin l'accrocha avec précaution autour de son cou.

– Le deuxième objectif de la séance est bien entendu un voyage sur Gaïa. Nous avons reçu la visite d'Ispano. Ils sont déjà allés sur Gaïa et assurent qu'elle est réelle.

Sin se leva, impatient. Il voulait aller voir par lui-même.

– Alors allons-y ! lança-t-il.

– Tu sais où nous allons ? demanda Ryk, aussi impatient que lui.

– Oui, répondit Sin.

Il ferma les yeux, se concentra et serra fort le Pendentif dans ses mains. Une colonne de lumière bleue jaillit soudain de nulle part, et ils sentirent leur corps s'élever doucement dans les airs avant qu'une étrange sensation de puissance les prenne à la gorge, et soudain ils disparurent. Hors du palais, on vit la lumière bleue quitter la Terre et disparaître dans le ciel.

La colonne de lumière déposa les douze Conseillers sur le sol. Etourdis, étonnés, ils regardaient autour d'eux.

– Regardez! s'écria Kali. Nous n'avons pas quitté la Terre, Gaïa est dans le ciel…

– Non, rétorqua Ryk surexcité. Nous sommes sur Gaïa ! Regardez bien, c'est la Terre que nous voyons dans le ciel !

Lantheus se tourna vers Sin qui s'était accroupi et avait pris un peu de terre dans sa main.

– Tu sais où nous sommes ?

– Oui, répondit le jeune Atlante, les yeux brillants. Nous sommes sur le continent inhabité.

– Celui qui est à moitié recouvert pas les glaces ? Pourquoi ne pas nous avoir emmenés sur l'autre, celui qui est habité ?

– Nous aurions risqué de faire peur aux Gaïans, répondit doucement Sin.

Ryk n'écoutait pas la conversation, il courait partout comme un enfant, les yeux brillants, et s'approcha d'eux, rayonnant :

– Arrêtez de discuter, on s'en fiche ! La seule chose importante c'est qu'on soit sur Gaïa ! Gaïa ! Vous n'avez pas l'air de vous en rendre compte ! C'est fantastique ! Incroyable ! Vous entendez ? Ecoutez !

Il y avait des oiseaux qui chantaient dans les feuillages des arbres. « Des oiseaux ! s'écria Ryk. De vrais oiseaux ! »

Ils passèrent des heures à se promener aux alentours, à constater que la plupart des choses que Sin avait imaginé pour Gaïa étaient présentes et réelles. Ryk s'était envolé pour avoir une meilleure vue du continent. Lorsqu'il revint, il était encore plus enthousiaste.

– Imagine tout ce qu'on a à découvrir ! dit-il à Sin. J'ai vraiment hâte de voir à quoi ressemblent les Gaïans.

– Il faudra envoyer des équipes de reconnaissance.

Ils finirent par retourner sur Terre, transportés par la même colonne de lumière.

« Il faudra créer une porte alternative pour la Vallée des Illusions, pensa Ryk. On ne peut pas demander à Sin d'être toujours disponible et en cas d'urgence… Oui, une porte unique qui donnerait sur le continent inhabité. On ne sait jamais. Pour le reste de Gaïa, on se servira du Pendentif et de la Pythie. »

Ce fut la première chose dont il parla à leur arrivée. Lantheus et Sin approuvèrent immédiatement, même si les autres Conseillers ne voyaient pas vraiment l'intérêt de cette Porte inter dimensionnelle. Ispano fut aussitôt contacté et après un marchandage serré, accepta de construire la Porte pour un prix raisonnable.

A la fin de la journée, les Conseillers s'étaient mis d'accord pour faire un premier voyage sur le continent habité de Gaïa le lendemain.

Ryk et Sin seraient du voyage et feraient les premières reconnaissances. Penchés sur une carte de Gaïa dessinée par Sin, Ryk et l'Atlante aux yeux verts discutaient de l'endroit où atterrir.

– Ici, décida Sin en montrant une plaine près d'une chaîne de volcans éteints.

– Il faudrait lui trouver un nom.

– On verra ça plus tard, répondit Sin. Pour l'instant le plus important est de voir à quoi ressemble le continent habité.

– Je vais modifier la Pythie, lança Ryk de but en blanc.

– Qu'est-ce que tu vas encore trafiquer ?

– Gaïa doit être protégée des malheurs que connaissent la Terre, répondit Ryk. Il faut que ce soit un monde parfait. Je veux… je suis sûr qu'on peut modifier la Pythie de manière à recueillir les rêves les plus profonds des Atlantes et créer pour Gaïa un Destin parfait.

– Tu veux contrôler le Destin de Gaïa ? demanda Sin en fronçant les sourcils.

– Pas tout à fait. Je veux juste l'obliger à être une planète heureuse.

Il y eut un silence. Sin n'était pas tout à fait pour le projet de Ryk. Il avait un mauvais pressentiment, mais ce pressentiment concernait encore Atlantis, pas Gaïa. Atlantis était de toute façon condamnée. L'important était de préserver Gaïa.

– En somme, dit-il d'une voix un peu ironique, tu veux faire de ta Pythie une sphère qui créerait un bonheur absolu ?

Ryk réfléchit, puis se tourna vers Sin en souriant.

– La Sphère du Bonheur Absolu… ça me plait.

Sin haussa les épaules et rangea la carte. « On partira demain après le déjeuner, dit-il, le temps de se préparer correctement. »

Les deux jeunes Conseillers sortirent en silence du palais et marchèrent quelques instants sans se parler.

– Je vais épouser Aphaïa, lança soudain Sin.

– Tu en auras mis du temps. J'ai toujours su que ça arriverait. Et le mariage est pour quand ?

– Je ne sais pas encore. On n'a pas eu le temps d'en discuter.

Ryk hocha la tête et rentra chez lui. Sin traîna encore un peu dans les rues d'Atlantis avant de retourner à son tour chez lui. A sa grande surprise, Aphaïa n'était pas là. L'un des serviteurs lui fit savoir qu'elle était partie aux Temples.

Sin l'attendit avec impatience et la prit dans ses bras lorsqu'elle revint.

– Pourquoi étais-tu aux Temples ? demanda-t-il.

– Ça faisait vraiment longtemps que je n'y étais pas allée. Au moins cinq ans, depuis ton départ d'Atlantis. Comment s'est passée ta journée ? Tu es allé sur Gaïa ?

Sin lui raconta leur premier voyage et le projet de Ryk. « Demain, dit-il, nous y retournons pour rencontrer les premiers habitants. Je suis curieux de savoir comment ils sont. »

Il y eut un silence, puis Aphaïa éleva doucement la voix :

– Sin… Le Pendentif…

– Ah, oui… Ils me l'ont confié pour qu'il n'y ait pas d'abus.

Il l'enleva et le posa sur la table. « Ne t'en fais pas », dit-il.

Le lendemain, Sin partit tôt rejoindre Ryk au Palais du Conseil. Ils devaient se préparer minutieusement. Ils seraient cinq, Ryk et Sin, plus trois autres Atlantes qui partiraient en reconnaissance en volant et noteraient leurs observations.

En début d'après-midi, ils se réunirent sur la Place du Destin, entourés de curieux. Sin était au centre avec le Pendentif, les quatre autres l'entouraient. « Prêts ? »

Il serra le bijou mystique dans sa main et comme la dernière fois, une colonne de lumière bleue surgit et les entoura, leur corps s'élevèrent doucement dans le ciel et disparurent aux yeux des Atlantes.

Lorsqu'ils ouvrirent les yeux sur Gaïa, un groupe d'Humains les regardaient d'un air grave et un peu étonné. Sin sentit une émotion particulière l'envahir. Il s'approcha.

– Bonjour, dit-il. Que les Dieux Dragons soient avec vous.

– Que les Dieux Dragons soient avec vous, répondit gravement l'un des hommes.

« Logique, pensa Ryk. Comme ils ont été créés par la pensée des Atlantes, ils ont les mêmes croyances. »

– D'où venez-vous ? demanda Sin.

– D'avant hier, répondit l'homme sans ciller.

– D'avant hier ?

– Oui. Avant nous n'étions nulle part. Nous sommes d'avant hier.

– Et ici, où est-ce ? demanda à son tour Ryk.

Il sentait que cet endroit était particulièrement mystique. Il y avait une puissance impressionnante dans l'air.

– Fleid, répondit Sin à la place des Humains. Nous sommes sur la terre de Fleid.

– Fleid ? interrogea Ryk. D'où tu sors ça, encore ?

– Tu voulais un nom, tu en as un. Fleid : la Terre Endormie. A cause des volcans.

Le groupe d'Humain acquiescèrent. « Alors cet endroit s'appelle Fleid. C'est un bon endroit où s'installer. Nous resterons ici et quand on nous demandera d'où nous venons, nous dirons que nous venons de Fleid. Hier nous avons essayé d'aller dans la vallée entre les falaises, mais les dragons nous ont chassés. C'est leur terre. Mais maintenant nous avons aussi notre Terre.»

Sin sursauta. Il en était certain, dans toute la faune qu'il avait créée pour Gaïa, il n'avait pas inclus de dragons. Ryk le savait et ils se regardèrent, un peu inquiets.

– Des dragons ? répéta Sin d'un ton interrogateur.

– Oui. Des dragons de terre et d'air. Il y a beaucoup de dragons de terre.

– Où sont-ils ?

– Leur Terre se situe plus au nord, indiqua le porte-parole du groupe.

Les cinq Atlantes se regardèrent.

– Allez en reconnaissance, ordonna Ryk aux trois Observateurs. Nous vous attendons ici.

Ils obéirent et s'envolèrent vers le nord.

– Je m'appelle Ryk, dit-il en se tournant vers le groupe d'Humains. Mon ami se nomme Sin. Nous sommes des Atlantes et nous arrivons d'un endroit appelé la Vallée des Illusions sur la planète bleue à côté de la Lune.

Ils le regardèrent en hochant la tête, nullement impressionnés, trouvant ça presque normal. Ryk et Sin passèrent des heures en compagnie des nouveaux Fleidiens. Les deux Atlantes étaient fascinés par leur capacité d'adaptation, ils étaient venus au monde avec une grande partie des connaissances atlantes. Sin avait pensé qu'ils seraient comme des nouveaux nés, mais ce n'était pas du tout le cas.

Celui qui leur avait parlé se nommait Balgar et semblait être le chef.

Au bout de quelques heures, les Observateurs revinrent.

– Ils ont raison, dit le premier en désignant les Fleidiens. Plus au nord, à quelques heures de vol, il y a une vallée encaissée de falaise. Elle est pleine de dragons terrestres et quelques volants. Ils ne nous ont pas laissé approcher.

– Mais ce n'est pas tout, intervint le second Observateur. Nous avons remarqué en revenant un peuple d'humanoïdes nus ni Humains ni Animaux. Ils ont la peau bleue, de longues oreilles et de grands yeux noirs. Ils avaient l'air terrifié.

– J'ai l'impression qu'il y a eu des problèmes, fit Ryk.

– Nous verrons ça plus tard, répondit Sin en fronçant les sourcils. Il est temps d'aller faire notre rapport.

Les cinq Atlantes revinrent à la Vallée des Illusions. Durant les jours qui suivirent, ils multiplièrent les reconnaissances, répertorièrent les différents peuples de Gaïa. Ces peuples acceptaient systématiquement le nom que leur choisissait Sin. Ainsi se créèrent la Terre de l'Océan, Astria, la Terre de Roche, Daedalus, et la Terre Morte, Zaïbacher.

Les Fleidiens n'avaient pas perdu de temps et commencèrent très rapidement à construire un premier village pour s'installer : Godazim ou la Première Ville.

Le peuple à la peau bleue posa longtemps un problème aux Atlantes, jusqu'au jour où ils découvrirent l'horrible vérité : ce peuple n'avait pas de véritable identité. Ils prenaient l'apparence des autres en aspirant leur vie.

Sin en fut anéanti. Il y avait sur sa planète parfaite un peuple maudit. Cet incident contribua à convaincre Ryk de la nécessité de renforcer la Pythie en une Sphère de Bonheur Absolu.

Le deuxième problème concernait les dragons. Il n'y avait pas seulement des dragons volants et terrestres, mais aussi aquatiques. Suite à des recherches approfondies, on découvrit qu'ils portaient en eux une énergist, battant à la place de leur cœur. Sin y vit la marque des Dieux Dragons et eut de nouveau cette impression étrange que quelque chose lui échappait. La vallée qui était pleine de dragons fut appelée Fanélia, la Terre des Dragons.

Sin et Aphaïa se marièrent peu de temps après le second voyage sur Gaïa. Maya tomba enceinte et mit au monde un petit garçon qu'ils appelèrent Clad.

Les années passèrent, Ryk finit par mettre au point la Sphère du Bonheur Absolu et l'expérimenta en premier lieu sur les Fleidiens.

Ça faisait maintenant cinq ans que Gaïa était née. Aphaïa avait mis au monde une petite fille aux yeux améthyste, Lynk.

La Sphère du Bonheur Absolu marchait à merveille et Ryk avait pris la décision de l'étendre à tout Gaïa.

La menace qui pesait sur Atlantis semblait s'éloigner de plus en plus, mais ni Sin, ni Aphaïa ne l'oubliait. Surtout maintenant qu'ils avaient un enfant. Sin continuait ses recherches sur les dragons et les Morphs, ainsi qu'il avait nommé le peuple à la peau bleue. Il voulait comprendre comment cela avait été possible.

Une nuit, la Sphère du Bonheur Absolu se mit à briller sans raison et à tourner sans qu'on puisse l'arrêter, comme prise de folie. Au même moment, chez Sin, le Pendentif s'éclaira lui aussi d'une lueur aveuglante et chauffa comme si la pierre était vivante. Cela ne dura que quelques heures avant que tout redevienne normal.

Il n'y eut plus d'incident et personne ne put expliquer ce qu'il s'était passé cette nuit-là.

(A suivre)