Nagrand, Halaa
Depuis des semaines, nous n'avions pas subi d'attaque de l'Alliance. Nous commencions à nous détendre lorsque, par une aube grise, ils jaillirent. Ils n'étaient qu'une vingtaine, mais dans la panique que provoqua leur charge, ils semblaient être bien plus.
Montés sur des créatures mi-aigle, mi-lion, ils piquèrent sur nous du haut des airs. Certains bondirent sur le sol alors que d'autres, armés d'arc, reprirent de l'altitude.
Je me repris enfin et pris les choses en main.
-Archers! Criai-je en pointant l'escadron d'archers nous tenant en joue. Guerriers, avec moi!
Une quinzaine de guerriers derrière moi, je chargeai, alors que le premier archer tombait, foudroyé par une flèche en plein cœur. Les combattants ennemis, une dizaine, se mirent en garde.
Quelque chose dans leur regard m'alarma.
Une concentration extrême, focalisée sur un seul objectif.
Tuer.
Un mot me vint à l'esprit. Élite. La main du destin se refermait sur nous peu à peu.
Je ralentis, tentai d'avertir mes hommes. Nous courions à notre perte.
L'impact fut terrible. Sanglant, surtout.
Je ne pouvais plus les sauver.
Je reculai tandis que mes guerriers se faisaient massacrer. Je devais fuir! Je me précipitai vers ma monture, mais je fus stoppé par une lame se posant délicatement sur ma gorge.
-Où vas-tu ainsi? Susurra une voix à mon oreille.
Je frissonnai, m'attendant à tout moment à ce que la lame me tranche la gorge. Cinq centimètre, estimai-je. Cinq centimètres suffiraient pour que je me vide de mon sang.
Des mains saisirent mes épaules et me jetèrent sur le sol, sur le ventre. Je me retournai, prêt à me battre, quand un coup dans les côtes me coupa le souffle.
Les coups plurent, pourtant je m'interdis de crier. De gémir.
Je m'interdis de supplier.
-Il suffit! Ordonna la voix.
Aussitôt, les coups cessèrent. J'ouvris les yeux. Trois humains se tenaient devant moi. Ils se frottaient les jointures, l'air mauvais. Ils s'écartèrent, laissant apparaître une femme.
Une elfe.
Belle.
Trop belle.
Elle me défia de son regard flamboyant.
-Amenez-le, commanda-t-elle aux trois humains.
Ils s'approchèrent de moi et me poussèrent sans ménagement vers les griffons posé non loin de là. Je trébuchai sur quelque chose et me retrouvai le nez dans la poussière, à quelques pouces du visage ensanglanté d'un elfe de sang. Ses yeux encore entrouverts me fixaient sans me voir.
Je gémis lorsqu'un humain m'assena un coup de pied en m'intimant de me lever. Avant que je n'aie pus m'exécuter, les trois hommes me traînèrent sur le sol. L'elfe les regarda froidement m'attacher puis me jeter sans ménagement sur le dos d'un griffon. Sans plus attendre, tous enfourchèrent leurs montures et décollèrent. Alors que nous nous élevions dans les airs, je vis les premiers charognards traverser les quatre ponts.
Ils festoieraient.
Nagrand, vers…?
Le sol défilait sous moi à une folle allure, me donnant la nausée. Mais je réprimais mon envie de vomir. J'avais déjà trébuché, gémis et, pire que tout, m'étais laissé surprendre devant ces chiens. Pas question de leur donner plus de raison de me prendre pour un faible et un lâche.
Je m'attendais à ce qu'ils s'arrêtent à Telaar, mais ils n'en firent rien. Ils survolèrent la ville sans ralentir. Un instant, je crus entendre un long hurlement de douleur, mais il fut vite emporté par le vent.
Où allaient-ils m'emmener? Shattrath? Ombrelune? Plus loin encore?
Je ne craignais rien plus qu'un destin incertain.
En ce moment, je regrettais amèrement d'avoir accepté le poste de commandant à Halaa…
Terokkar, montagnes
Enfin, cet infernal voyage prit fin lorsque l'escadron se posa sur un plateau dans les montagnes bordant la forêt de Terokkar. Tandis qu'un humain me relevait sans ménagement, je regardai autour de moi. Une maison de pierre s'élevait sur ma gauche, blottie contre l'abrupte paroi de la montagne. L'endroit semblait abandonné depuis longtemps. À droite, le vide attirait les imprudents qui s'approchaient trop près de lui. Je songeai un instant à sauter. Ce serais sans doute mieux que ce que cette elfe de nuit prévoyait me faire subir… La poigne solide de l'humain m'enleva aussitôt toute velléité d'évasion. L'homme me poussa vers l'elfe de nuit. Je la détaillai, elle fit de même. Ses longs cheveux noirs étaient attachés en une longue queue-de-cheval et ses yeux d'un bleu glacial brillaient dans la pénombre permanente propre à la forêt de Terokkar. Des dagues pendaient à sa ceinture, ainsi que des fioles. Du poison, sans doute. Une voleuse. Ses habit de cuir laissaient peu de place à l'imagination tant ils étaient moulants. Je me surpris à caresser du regard le galbe de ses jambe, la courbe de ses…
-Toi! Aboya-t-elle soudain d'une voix dure.
Je me figeai et la regardai approcher avec inquiétude. Je savais cette elfe sulfureuse. Un rien la ferait exploser, et ma vie prendrait fin à l'instant.
-Inutile de nous mentir, siffla-t-elle. Nous savons qui tu es, elfe de sang.
Je scrutai son regard. Elle ne cilla pas. Bluffait-elle? Si oui, elle cachait bien son jeu. Très bien. Mais qui lui disais que je parlais commun?
-Que dis-tu? Fis-je en thalassien.
Elle s'approcha de moi, menaçante. Je voulus reculer d'un pas, mais l'humain derrière moi m'en empêcha. Elle approcha son visage du mien et, dans un thalassien parfait aux accents chantants, souffla quelque chose que je fus sans doute le seul à entendre :
-Tu m'as très bien comprise, siffla-t-elle en appuyant la pointe de sa dague contre mon ventre.
J'avais déjà rencontré des personnages beaucoup plus imposants que cette elfe. Des barbares du Nord, des gnolls, des dragons… Mais j'étais sûr qu'aucun d'eux n'aurait su égaler cette elfe en sauvagerie. Une satisfaction malsaine s'afficha sur son visage lorsqu'elle vit la terreur qui brillait sans doute dans mes yeux.
L'elfe recula, me lança un regard glacial avant de croiser les bras, son visage redevenu neutre.
-Tu m'as très bien compris, répéta-t-elle en commun. Nous savon qui tu es.
Bluffer. Gagner du temps.
-Tout comme je sais qui tu es, fis-je.
Je ne vis pas le coup venir. Son talon me cueillit au creux de l'estomac, me coupant le souffle, et je fus projeté sur le sol, aussitôt relevé par un soldat.
-Tu es chanceux, commandant Loredan, dit-elle d'une voix plus froide que la mort. Je me sens d'humeur généreuse.
Sur un dernier coup de pied, elle se détourna de moi et enfourcha son griffon.
-On rentre, ordonna-t-elle.
Nagrand, Telaar
Je fus jeté sans ménagement dans une cellule vide et deux draeneis se postèrent devant la grille de ma prison.
-Commandant! Appela une voix masculine s'élevant de la cellule voisine que je reconnus aussitôt.
-Capitaine Thalodien! M'exclamai-je en Thalassien en agrippant les barreaux de ma cellule. Je vous croyais mort!
Je souhaiterais l'être, commandant, répondit Thalodien d'une voix atone. Ces Brisés peuvent être d'une sauvagerie…
L'un des draenei qui surveillait ma porte assena un coup d'épée sur les barreaux de la grille en me jetant un regard noir.
-Il suffit! Aboya-t-il en commun.
Il se détourna et se mit devant moi pour que je ne puisse plus voir la cellule voisine. Je restai silencieux pendant des heures. Le silence perdura, lourd, seulement troublé par les rares mots qu'échangeaient les deux draeneis dans une langue que je ne connaissais pas.
L'ennui me submergea, et bien que je me sois interdit d'y penser, je me questionnai sur mon futur. Qui savait ce que cette elfe de nuit préparait? Interrogatoires? Tortures? Ou une exécution pure et simple, pour servir d'exemple aux autres elfes capturés? Je frissonnai à cette perspective. Soudain le cri retentit, brisant l'étouffant silence.
-On nous attaque!
Nagrand, Telaar
Tandis que mes deux gardes se ruaient à l'extérieur, j'agrippai les barreaux, tentant d'apercevoir les assaillants. Je ne pus voir qu'un chiche coin de ciel et en fut réduit à spéculer. Ogres? Bêtes sauvages? Il me semblait impossible que Halaa se soit remis de l'attaque si vite.
-Libérez le commandant! Le capitaine, dans la cellule voisine, poussa un cri de joie.
-Ne vous réjouissez pas trop vite, capitaine, fis-je sombrement.
Comme je m'y attendais, des cris d'agonie et des jurons ne tardèrent pas à s'élever, sans doute poussé par plus d'elfes de sang que de draeneis. Soudain, l'elfe de nuit fit irruption dans la salle et se planta devant ma cellule.
-Toi, tu viens avec moi, dit-elle.
Elle ouvrit la porte et deux hommes m'empoignèrent. Je me débattis, mais les deux humains étaient bien plus forts que moi. Ils m'attachèrent, me jetèrent en travers de la selle d'un griffon et enfourchèrent leur monture. Nous décollâmes précipitamment, et je manquai être projeté sur le sol.
-Commandant! Appela une voix.
Je me contorsionnai et réussis à tourner suffisamment la tête pour voir une elfe de sang, brandissant une arbalète et suivie par un escadron volant, foncer vers moi. L'elfe de nuit se retourna et jura. L'imprécation semblait presque incongrue, venant d'elle.
-Barrage! Cria-t-elle aux trois humains qui la suivaient toujours. À n'importe quel prix!
Les trois hommes firent volter leurs griffons, firent face aux elfes et se jetèrent un regard entendu.
Le ciel se teinta de feu et de sang lorsqu'une colossale explosion fit trembler ciel et terre.
Il ne restait aucune trace des elfes. Ni des humains.
Sans les trois hommes, je n'aurai aucun mal à me débarrasser de la voleuse.
Marécage de Zangar
Après ce qui me parut une éternité, l'elfe de nuit se posa enfin sur le chapeau d'un immense champignon comme on en voyait dans le marécage de Zangar. Elle mit pied à terre et, avec une force surprenante, me jeta à bas du griffon, sur le champignon, qui se révéla être aussi dur que de la pierre. Je serrai les dents.
-Tu savais qu'ils viendraient, dit-elle.
Je levai la tête. Elle me tournait le dos, assise au bord du champignon géant, les pieds pendant dans le vide.
-Oui, mentis-je.
Plus elle me croirait important, plus elle me garderait en vie longtemps. Pendant qu'elle me tournai le dos, je tentai de me redresser et de briser mes liens.
-Et tu ne nous as rien dit, fit-elle.
-Pourquoi vous aurais-je avertit? Demandais-je.
La corde se desserrait peu à peu…
-Pour sauver ta peau, répondit-elle mortellement calme.
En une seconde, elle fut près de moi, plaquant un poignard sur ma gorge. Le poison suintait de la lame, perlant sur ma peau. Je n'osai plus bouger, même pas respirer.
Soudain elle bougea, si vite que je ne pus rien faire.
Sa lame entailla ma joue, traçant un trait de feu. Je reculai de quelques pas.
Elle me regarda froidement, secoua sa lame et la rengaine avant de s'approcher de moi. Presque au bord du champignon, je ne pus reculer davantage. Elle me prit par les épaules et approcha sa bouche de mon oreille.
-Déjà le poison court dans tes veines, murmura-t-elle. Ceci -elle prit une fiole à sa ceinture et l'agita devant mes yeux- est l'antidote. J'ai besoin de toi. Tues-moi, et tu mourras aussi. Une longue et douloureuse agonie. C'est clair?
Je hochai la tête. Elle semblait sérieuse. Mortellement sérieuse.
-Alors? Insista-t-elle. C'est clair? Je veux l'entendre.
-Très clair, répondis-je à contrecœur.
Un sourire féroce étira ses lèvres.
-Excellent, dit-elle.
Elle trancha mes liens et me poussa vers les griffons.
-Monte, ordonna-t-elle.
-Attends, dis-je.
Elle se figea et riva son regard dans le mien.
-Tu connais mon nom, fis-je. Dis-moi le tiens.
Un long silence précéda ma requête. Elle fronça les sourcils et sembla réfléchir. Je savais pertinemment qu'elle me faisait attendre.
-Appelle-moi Avea, murmura-t-elle finalement.
Ce n'est pas ton vrai nom, protestai-je.
-C'est vrai, mais tu ne le connaîtras jamais, répliqua-t-elle durement. Monte. Et tais-toi.
