Je déteste ses yeux

Chapitre 1

Un pas, deux pas, trois pas, dix ; enfin, j'y suis : je m'arrête, me dresse de toute ma grandeur et baisse les yeux sur la table des Gryffondors.

-Potter, je veux te parler.

La Grande Salle en entier retient son souffle. Du moins, j'en ai l'impression. Moi, je le retiens. Je n'ose plus respirer. Comment respirer alors que de tels yeux verts me fixent?

Un instant, ma détermination flanche et j'ai peine à croire que je me trouve vraiment debout devant Potter, Weasley et Granger qui me dévisagent silencieusement depuis derrière leur assiette avec un mélange d'étonnement et de mépris.

Sa stupéfaction passée, Weasley bondit sur ses jambes et lève les poings, menaçant. Il a l'air ridicule.

-Si c'est pour encore raconter que ma famille ...

Je n'ai pas envie de perdre de temps à l'humilier aujourd'hui. Je suis venu avec un but précis et je n'ai en aucun cas l'intention de m'attarder à cette table repoussante.

-J'en ai rien à faire, de ta famille. Disparais, Weasley. T'es moche.

Oh, il n'a pas aimé. Pris au dépourvu, il serre les dents et se tourne vers Potter. En fait, beaucoup d'élèves regardent Potter. Sinon, c'est moi qu'ils observent. Tout le monde est curieux, ça m'embête.

-Draco... Qu'est-ce que tu fais ici?

À mon grand déplaisir, Pansy Parkinson me rejoint et étudie les trois Gryffondors avec un dédain non dissimulé. Son regard s'attarde sur Granger. Elle va lui dire quelque chose de méchant et officiellement déclencher la guerre, j'en suis sûr. Merlin, tout est si compliqué.

Avant de poursuivre, dressons un petit portrait de l'aimable (notez le sarcasme) compagnie que nous formons.

D'abord, Potter. Je ne l'aime pas, je ne l'ai jamais aimé. Je le déteste vraiment, et avec passion. Je n'aime pas ses yeux. Ils sont verts. C'est insupportable. Et puis il me fait pitié, toujours déchiré entre un constant besoin d'attention et une peur bleue d'être jugé. Il est complètement pathétique. Rien que sa vue maintenant me dégoûte, petite victime de héro dévisagée par ses amis à cause de ma présence. Je te hais, Potter, je te hais.

Ensuite, le bouffon de service, Weasley. Il est moche, ennuyant, membre d'une famille grossière, et encore plus pathétique que Potter, parce qu'il partage le même complexe stupide, mais qu'il ne réussit à avoir de l'attention que lorsqu'il fait des bêtises. C'en est presque triste. Mais bon, tant pis pour lui, il n'avait qu'à ne pas être un Weasley pauvre et impersonnel parmi tous ces cheveux roux. En plus, il a mauvais caractère. J'ai bien hâte de le voir finir seul, abandonné et triste.

Vient Granger. C'est une sang-de-bourbe. Elle est brillante. Je la déteste. Pas parce qu'elle est une sang-de-bourbe ou qu'elle est brillante, mais parce qu'elle est une sang-de-bourbe et qu'elle est brillante. C'est une combinaison qui ne devrait pas exister, surtout pas en la personne d'une Gryffondor.

Puis Pansy. C'est une amie, mais elle m'énerve. Elle parle trop. Je l'aime bien quand même, surtout quand elle est triste. Elle est plus tranquille dans ces moments-là. Reste que sa tendance à toujours chercher le trouble en insultant les autres m'embête. Surtout aujourd'hui, d'ailleurs.

Et puis, pour finir avec le meilleur, il y a moi, Draco Malfoy, décent, absolu, droit, envié, pur... et pris avec cette obsession idiote, enchaîné par des pensées qui – j'en suis certain – ne sont pas les miennes... des pensées concernant Potter qui m'effraient un peu plus chaque jour. C'est d'ailleurs pour ça que je suis là. Pour comprendre.

Oh, j'oubliais, il y a aussi Vincent et Gregory, mais ils ne sont pas importants, ils sont trop bêtes. Ils sont toujours là quelque part, en toile de fond, mais je ne prends plus la peine de mentionner leur présence. Ils sont complètement inutiles.

-Beaux cheveux ce matin, commente Pansy en toisant Granger, hautaine. Tu t'es coiffée avec quoi? Tes orteils?

Argh, elle ne s'était effectivement approchée que pour envenimer la situation. Moi qui ne voulais que parler à Potter. Je n'avais aucune mauvaise intention, pour une fois.

Granger ne réagit pas à l'agression. C'est l'autre rouquin qui s'empourpre et crie à Pansy de se la fermer. Je vois au visage de la Serpentard qu'elle cherche une autre prétexte pour une remarque désobligeante. Et Potter n'a toujours rien dit, il se contente de me fixer des ses yeux verts. C'en est trop.

Déprimé, je leur tourne le dos et m'éloigne. Leur manque de contrôle a tout gâché. Ils pourraient s'haïr en silence, non? Je ne voulais que lui parler...

-Malfoy...

Potter m'a suivi. Je me retourne juste à temps pour le voir tendre une main vers mon épaule. Je me dégage furieusement. Non mais d'où sort-il ces familiarités? On n'est pas des amis!

Je l'examine froidement pendant un moment. Ses yeux sont vraiment, vraiment verts. Merlin, je le hais. D'un coup d'oeil je constate que Weasley et Pansy ont cessé de se chamailler et nous observent d'une drôle de façon.

Oh, s'ils pouvaient cesser d'exister.

Je porte à nouveau mon attention sur Potter.

-Quoi? lui lancé-je sèchement.

Il a l'air déconcerté.

-Tu as dit que tu voulais me parler...

Ouais, et bien je n'en ai plus envie, à cause de ton stupide ami roux et de Pansy! Va-t-en, maintenant, et laisse-moi tranquille! Tu me frustres! Espèce de balafré.

Je lui marmonne un « peu importe » et fais mine de m'en aller, mais encore une fois, sa main s'approche dangereusement de mon épaule pour me retenir et je dois bondir pour l'éviter.

Qu'est-ce qui lui prend!

-Quoi? répété-je, criant presque. Tu tiens vraiment à ce que je t'insulte comme j'avais prévu de le faire? Tu aimes qu'on te rappelle combien ta vie – ta tête – ta personne sont minables?

Ses yeux semblent me sonder. Ils sont tellement verts. Je n'ai plus du tout l'intention de lui parler de quoi que ce soit.

-J'ai cru que tu voulais me demander quelque chose, fait-il d'une petite voix qui me donne envie de le frapper.

Pourquoi est-ce qu'il me parle gentiment comme ça! Et qu'est-ce qu'il en sait? J'aurais très bien pu m'être pointé pour l'injurier! Il n'en sait rien, il raconte n'importe quoi, c'est injustifié! Je n'avais strictement rien à lui demander!

Depuis la table que nous venons de quitter, un bruit sec retentit. Weasley et Pansy sont debout, face-à-face, baguettes brandies. Potter se retourne pour voir de quoi il s'agit; sans attendre, je profite de la distraction pour m'éclipser.

Quelle humiliation! C'était une idée idiote de vouloir lui parler. Et en pleine heure de déjeuner en plus! Potter, je te hais.