"ANOTHER TWILIGHT" (VOL. 5-6-7) : WHITE NIGHTS/ REDEMPTION (VOL. 1-2-3)
White Nights/ Rédemption, Volume II (L'enfer et le paradis) : Starlight/ Renonciation
Chapitre 1 : Histoire de Johnny/ Johnny's story
Les quelques jours qui suivirent furent particulièrement étranges. La fatigue s'abattit sur moi et je dormis. Beaucoup. Il me semblait être vraiment déconnectée de la réalité. J'avais la sensation de ne plus rien ressentir, que tout s'éloignait de moi, perdait de sa consistance. Carlisle m'expliqua que c'était une réaction normale aux différents chocs que j'avais subits. Une sorte de protection que mon esprit et mon corps avaient mise en place, spontanément, afin de se préserver. Il m'assura que c'était une bonne chose, et que, peu à peu, avec le temps, la douleur s'apaisant, la sensation d'anesthésie disparaîtrait. J'écoutai ses bonnes paroles, mais j'avais du mal à le croire.
L'état d'Alice restait préoccupant. Carlisle s'inquiétait de son inconscience prolongée car ce coma, qui ne lui permettait plus de se nourrir, l'affaiblissait progressivement. Il avait finalement décidé d'apporter de l'hôpital du matériel permettant de faire régulièrement à Alice des transfusions sanguines afin qu'elle ne perde pas totalement ses forces. Je vins plusieurs fois passer un moment dans la chambre où elle se trouvait, mais fis attention de ne pas trop gêner Jasper par ma présence. Comme j'étais assise près d'elle, un après-midi, je m'aperçus que ce dispositif médical m'évoquait celui que j'avais pu voir le docteur Cullen mettre en place pour moi, dans mon premier rêve, lorsque mon propre sang s'était mis à me manquer, absorbé de l'intérieur par mon enfant-vampire. Le pied de métal auquel était suspendue la poche de sang, le petit tuyau transparent qui la reliait à son corps… tout cela m'évoquait des sensations trop réellement ressenties et qui me mettaient mal à l'aise. Le point positif, selon Carlisle, était que le corps d'Alice avait déjà absorbé de lui-même plusieurs poches d'affilée, lorsque la perfusion avait été installée. Il s'était calmé depuis, comme rassasié. Rosalie et Emmett ne la quittaient pas.
Je tenais sa main, Edward à mes côtés, quand j'entendis retentir la sonnette de la porte d'entrée. Edward fronça les sourcils une seconde.
« Ce sont Leah et Johnny, déclara-t-il. Tu devrais aller les accueillir, Bella. Ta présence les mettra davantage en confiance. »
Je hochai la tête.
« Viens avec moi, Edward. Tu n'as pas eu l'occasion de rencontrer Johnny… pas vraiment. Il est très…
_ Ce n'est pas tant Johnny…, sourit-il, que Leah… Je préfèrerais lui épargner ma présence.
_ Elle vient chez toi, Edward, répondis-je. Elle doit bien s'attendre à t'y trouver, non ? Et puis tu n'as rien à te reprocher que je sache. »
Edward tourna vers moi un regard peu convaincu, mais je pris sa main et l'entraînai à ma suite.
Carlisle et Esmé avaient fait asseoir leurs invités dans le grand canapé du salon. Ces derniers semblaient tendus mais s'efforçaient de paraître naturels. En fait, ils avaient surtout l'air inquiets. Johnny me salua d'un petit sourire et d'un signe du menton. Leah posa sur nous son beau regard noir. J'y lus une détresse certaine.
« Vous connaissez mon fils, je crois ?, intervint le docteur Cullen.
_ Nous nous sommes croisés, oui, confirma Johnny qui se leva et tendit la main en direction d'Edward.
_ Je suis ravi que vous ayez accepté de nous rencontrer, poursuivit Carlisle. Vous nous avez tous… vraiment impressionnés. Nous vous devons beaucoup aussi… à tous les deux. »
Johnny parut décontenancé par les propos du vampire. Leah soupira.
« Il ne se rappelle rien, docteur, souffla-t-elle. Il n'a aucun souvenir… rien du tout. »
Carlisle plissa les yeux.
« Je n'avais jamais eu l'occasion… personne parmi nous n'a jamais rencontré d'Enfant de la Lune. Ils sont presque devenus une sorte de mythe. Mais je sais un certain nombre de choses à leur sujet et peut-être, vous-même, pourrez-vous m'en apprendre davantage.
_ Je ne sais rien du tout, reprit Johnny. C'est en partie pour cette raison que je voulais vous rencontrer. Personne ne sait, je ne trouve aucune aide… et c'est vraiment quelque chose d'affreux, docteur Cullen. »
Sa souffrance était perceptible.
« Vous parlez d'Enfant de la Lune…, reprit-il, je croyais qu'on disait loup-garou, tout simplement ?
_ Oui, bien sûr, acquiesça Carlisle, mais ici, avec la présence des Quileutes (d'une main ouverte, il avait désigné Leah) et leurs dons très particuliers, la distinction s'impose.
_ Pendant un moment, souffla Johnny, j'ai cru tellement de choses… Mon père m'avait parlé des croyances de son peuple quand j'étais enfant, et j'ai pensé à tout : folie, possession, Wendigo, Sasquatch... avant de me rendre à l'évidence et d'essayer de réagir. J'étais… je suis quelqu'un de plutôt rationnel. Je me suis tourné vers la médecine avant de commencer à accorder du crédit aux légendes. Il m'a fallu du temps, d'ailleurs.
_ Depuis quand vous transformez-vous ?, demanda le vampire avec douceur.
_ Un peu plus d'un an. J'ai été… »
Johnny hésita. Le souvenir semblait particulièrement pénible à évoquer.
« … mordu, l'été dernier. Au mois d'août, plus précisément. »
D'un regard, Carlisle l'engagea à poursuivre.
« Nous étions partis quelques jours, avec deux amis, camper, à environ deux heures de New York. Je n'avais pas pris de vacances depuis tellement longtemps… et ma vie personnelle n'allait pas très fort. Ils ont insisté. J'ai fini par accepter. Nous avions décidé de nous rendre, sur la route d'Albany, dans les montagnes Catskill avec l'intention de randonner et de voir le mont Slide qui se trouve être le plus haut sommet du comté d'Ulster. Nous nous étions réjouis, toute la première soirée, de cette pleine lune qui nous permettait d'y voir aussi clair qu'en plein jour, et de nous éloigner un peu de l'endroit où nous avions installé nos tentes sans avoir à utiliser nos lampes torches.
Nous avions bu pas mal de bières et nous étions bien… fatigués, je dirais. Notre veillée touchait à sa fin. Nous allions nous coucher, mes amis avaient déjà rejoint leurs sacs de couchage. J'ai fait quelques pas dans les bois. La végétation n'était pas très dense et j'y voyais parfaitement. Aussi bien qu'il m'était possible d'y voir, vu mon état. Au bout de quelques minutes, j'ai aperçu, un peu plus loin, une forme noire, allongée entre les arbres. Vraiment énorme. Rien ne bougeait. Il m'a semblé que ce devait être un ours. Un ours mort, apparemment. Alors je me suis approché. J'ai d'abord constaté que l'animal était gravement blessé, il lui manquait un membre et une grande partie de son corps était déchiquetée. Cela donnait à première vue l'impression d'un combat qui aurait dégénéré. Mais il me semblait que les ours font rarement de pareils dégâts sur leurs congénères. Quand j'ai mieux vu la bête, quand j'ai compris qu'elle n'avait rien de commun avec tout ce qui devait exister sur cette terre, mon sang s'est littéralement glacé dans mes veines. »
Johnny se tut. Je tournai mon visage vers Edward. Ses sourcils étaient froncés, son regard lointain. Voyait-il le monstre dans les pensées de l'Indien ?
« J'ai été stupide, articula ce dernier. J'ai cru… que j'avais une hallucination. J'ai voulu le toucher pour me rendre bien compte, avant d'aller prévenir les autres. Un œil s'est ouvert, un œil pourtant vitreux. Je n'ai pas eu le temps de réagir. Sa patte s'est soulevée et m'a agrippé, m'a attiré à lui. J'ai vu sa gueule s'ouvrir, ses dents monstrueuses. J'ai vraiment eu le sentiment de voir la mort en face à ce moment-là, une mort atroce. Il n'y a rien de pire que de savoir que l'on va finir… mangé. »
Johnny était particulièrement bouleversé. Il ne s'était pas rendu compte de ce qu'il venait de dire. Il n'avait pas l'habitude des vampires, et ceux qu'il venait de rencontrer à Forks avaient fait le choix de se montrer particulièrement humains. Je savais que les Cullen avaient compris ce qui motivait sa remarque, et ils ne lui en voudraient pas de son indélicatesse.
« Alors qu'il me traînait sur le sol, mes doigts ont rencontré des bouts de bois et des cailloux. Il y en avait un, plus gros, que j'ai pu saisir. Les crocs se sont refermés autour de ma cuisse avec une telle puissance que j'ai d'abord cru que ma jambe était coupée en deux. Mais il n'avait pas serré si fort que ça, sans doute. J'ai donné tous les coups que j'ai eu la force de donner. Quand sa gueule s'est rouverte, j'ai pu me dégager. Il n'a pas cherché à me retenir, il ne pouvait plus. Il est retombé, inerte. J'ai rampé, sans regarder derrière moi. Je ne savais pas si ma jambe était toujours attachée à mon corps. Mes hurlements ont réveillé mes amis. Enfin, c'est ce qu'ils m'ont raconté, parce qu'à partir de là mes souvenirs sont assez flous. J'avais l'impression de délirer. Je leur ai parlé d'une bête qui m'avait attaqué. Ils m'ont ramené, je ne sais pas comment. Cela a pris des heures. Appeler des secours et attendre leur venue aurait été tout aussi long, si ce n'était plus. Ma blessure saignait beaucoup, il leur a semblé que le temps pressait. Ils m'ont… sauvé la vie. Ils n'auraient pas dû, sans doute. »
Leah tourna vers lui son visage aux pommettes brunes. Ses yeux s'étirèrent en une expression tendre et triste. Elle lui prit la main.
« Après…, continua Johnny dans un soupir, ma blessure a guéri miraculeusement, en quelques jours. Je me suis beaucoup interrogé à propos de ce que j'avais vu. J'ai repensé aux hommes-loups dont me parlait mon père. Je me suis demandé si le monstre que j'avais vu pouvait en être un. Le temps passant, j'ai essayé de me convaincre moi-même que mon esprit avait inventé ces images et que j'avais bien été mordu par un baribal, comme on me l'avait expliqué à l'hôpital. Mais dès le mois suivant… »
Je vis les doigts de Leah se serrer plus fermement autour de la main de celui qu'elle aimait. Mes yeux se posèrent sur Edward. Il regardait fixement Johnny à présent. Il avait l'air grave. Le visage d'Esmé se tourna également vers son fils comme si elle y cherchait des réponses.
« Il va l'expliquer lui-même, nous assura Edward. Il est là pour ça. »
Johnny leva son regard vers lui. Son visage exprimait l'incompréhension. Carlisle intervint aussitôt.
« Mon fils peut lire les pensées. Ne soyez pas inquiet ou mal à l'aise. Nous pouvons entendre beaucoup de choses. »
Pour toute réponse, l'homme se prit le front. Puis sa main descendit sur ses yeux qu'il massa quelques secondes. Quand il reprit la parole, sa voix était plus étouffée.
« Le mois suivant, je suis parti une semaine avec… ma femme… Stephany… au Mexique. A Cancun. Nous… j'essayais de sauver notre couple, qui n'allait pas franchement bien depuis un bon moment. Mon aventure avec l'ours n'avait fait que précipiter les choses. J'avais donc pensé que passer un peu de temps, ensemble… Enfin. Ses parents, qui habitent New York, gardaient nos enfants. Stephany et moi avons eu deux garçons, Sean et Aaron, qui ont 7 et 5 ans à présent. Encore aujourd'hui, je tremble à l'idée… Que se serait-il passé s'ils avaient été avec nous ? Mon dernier souvenir, c'est d'avoir aperçu la lune qui se levait, alors que nous marchions, tous les deux, sur la plage, et d'avoir soudain eu la sensation d'être ailleurs. Je me suis réveillé, trois jours plus tard, dans la forêt, à plus de deux cents kilomètres du lieu où nous séjournions. Heureusement, les Mexicains sont des gens vraiment très gentils, qui ne posent pas de questions. Pas aux Américains en tout cas. L'un d'entre eux m'a prêté des vêtements et m'a ramené. Il n'y avait aucune trace de ma femme. Je l'ai cherchée partout. Je suis même allé signaler sa disparition. Finalement, j'ai dû… j'ai inventé une histoire. Même les parents de Stephany y ont cru. Parce que ce n'était pas la première fois qu'elle disparaissait sans prévenir après une dispute. Mais pas aussi longtemps sans téléphoner, cependant. Cette fois-ci, il me semblait que ce n'était pas la même chose. Je sentais bien que ce qu'il m'était arrivé n'étais pas normal. Alors j'ai commencé à douter. A douter du monde qui m'entourait. Comme s'il n'avait jamais été celui que j'avais toujours cru connaître. C'est étrange de se sentir… presque trahi par la vie.
_ Je comprends cela, souffla Edward, le regard rivé sur l'Indien. »
Johnny lui adressa un petit sourire las.
« Longtemps, mes beaux-parents ont pensé que leur fille m'avait vraiment quitté. Aujourd'hui, elle est signalée comme disparue… J'aimerais tellement… qu'elle ait eu peur, qu'elle se soit enfuie…. J'ai beaucoup réfléchi à ce qui s'était passé et j'ai fait quelques recherches. Autant dire que je n'ai pas trouvé grand chose. Mais tout ce que je rencontrais à propos d'amnésie, de réveil à une distance incroyable, de ce sentiment de dépossession de moi-même que j'avais ressenti quand j'avais vu apparaître la pleine lune, mentionnait toujours la même chose : le phénomène de lycanthropie. Cela pouvait être une pathologie, en soi. Par précaution, le mois suivant, je me suis quand même éloigné quelques jours. A nouveau, l'amnésie, et le réveil, perdu dans un lieu inconnu. Et puis l'angoisse… qu'avais-je fait pendant tout ce temps ? L'image de la bête que j'avais vue ne quittait plus mon esprit. Pouvais-je moi aussi être devenu comme… ce monstre ?
Je suis… je suis sans doute un assassin, docteur Cullen. »
Encore une fois, Carlisle ne fit pas remarquer l'évidence, et à quel point les Cullen pouvaient comprendre et partager la torture de Johnny. Leah ne l'avait pas quitté des yeux et je voyais parfaitement la nature de son amour, un amour intense, immense, de Transformatrice imprégnée, qui acceptait -qui accepterait- n'importe quoi, même le pire, s'il devait encore se produire. Au-delà de la raison, au-delà de tout.
« Comment avez-vous fait depuis ?, demanda Carlisle.
_ J'ai dû réfléchir rapidement à un autre moyen de gérer la situation. Je ne pouvais pas toujours m'évanouir dans la nature et réapparaître, nu, n'importe où. J'avais déjà eu assez de chance avec cela jusqu'à présent. J'ai acheté une cave, dans un quartier malfamé où personne ne viendrait s'occuper de ce que je faisais. J'y ai aménagé une cellule. J'ai espéré qu'elle serait assez solide. Elle l'a été, quelques mois. Ensuite, j'ai dû faire installer une porte blindée, prétendre que je voulais me faire une sorte de bunker. Je me disais qu'on a le droit d'être fantaisiste tant qu'on paye. En fait, j'ai été surpris d'apprendre que ce n'est pas si extraordinaire comme idée, apparemment… Je pensais avoir limité les dégâts. Je l'ai fait, sans doute. »
Carlisle acquiesça.
« Mais je ne pouvais pas me résoudre… à accepter. Est-ce une fatalité ? Devrai-je subir cela jusqu'à la fin de mes jours ? Je ne supporte pas de ne pas comprendre ! La situation a créé quelques petites difficultés dans mon travail, également. Trois jours par mois… ce n'est pas grand chose mais… comment expliquer qu'on dépend de la lune ? J'avais l'avantage de pouvoir travailler les week-ends pour compenser et, comme j'étais le plus qualifié, on ne m'a pas trop ennuyé à ce sujet. J'avais de la chance, cela aurait pu continuer ainsi, j'imagine… Pour moi, cela ne pouvait pas durer, cependant. Alors j'ai décidé de me rapprocher du peuple dont mon père était issu. Je me disais que, peut-être, au milieu des légendes, se cachait un peu de vérité qui m'aiderait à comprendre… à trouver une solution. Et… j'ai trouvé Leah. C'est déjà beaucoup. »
