Disclaimer : Les personnages que vous reconnaissez appartiennent à madame J.K. Rowling, je ne fais que les emprunter temporairement.
Note de l'Auteur : Bonjour à tous et à toutes ! Et surtout aux lecteurs et aux lectrices des Rowanes, fanfic que j'ai honteusement (mais temporairement) abandonnée parce que cette histoire a fait pop dans ma tête. Honnêtement, je pensais que ce serait ce qu'on appelle un « plot bunny » et que ça ne me prendrait pas longtemps à écrire… Bon, en réalité, c'était un « plot baleine »… J'espère que ça vous plaira, c'est un peu plus noir que mes écrits précédents, et maintenant que c'est hors de ma tête, je vais pouvoir me remettre sérieusement aux Rowanes… Bonne lecture !
PS : vous remarquerez que, pour cette fois, j'ai tout écrit dans la foulée, et je publie tout aussi dans la foulée, donc il n'y aura pas de réponses aux reviews en fins de chapitres…
CHAPITRE UN
- « … Draco… Draco… Draco… Draco… »
Draco ouvrit les yeux, ne voyant strictement rien, comme d'habitude, perdu dans le noir de sa cellule à Azkaban. La longue litanie perpétuelle, un murmure dans l'obscurité, une voix plaintive, malheureuse, pitoyable, lui donna la force de se redresser et de se coller contre le mur de pierres froides et humides.
- « Je suis là, Théo… Je suis là… »
Il s'assit, prenant le temps et l'énergie de rassembler sous sa tunique tachée, déchirée et crasseuse, le peu de paille que les gardiens d'Azkaban changeaient régulièrement – au moins une fois par trimestre : le luxe. La paille, elle aussi, était froide et humide, mais moins que la pierre dure sous ses cuisses et ses mollets. Une fois installé, il passa une main à travers la grille, tâtonna un instant, et trouva, au bout d'un moment, celle, molle et froide, de Théodore.
- « Je suis là, » répéta-t-il en la serrant.
- «… Draco… »
Il y avait une maigre source de lumière, provenant de là-bas, du couloir, celui qui menait vers la sortie, et qu'empruntaient parfois des gardiens sorciers. Mais la plupart du temps, c'étaient les Détraqueurs qui l'arpentaient, et aspiraient la lumière et les rêves, les souvenirs heureux, faisant de leur enfermement un cauchemar sans fin. En voilà un qui arrivait d'ailleurs. Draco ferma les yeux, se préparant mentalement à l'assaut de souvenirs horribles qui accompagnait toujours leur passage, craignant l'impact de cette torture mentale sur son pauvre Théodore déjà bien détruit. Inutile de lutter contre ces créatures, le Détraqueur passa, lentement comme d'habitude, suscitant des cris, des plaintes, des gémissements, des pleurs incontrôlables…
Draco se redressa, tandis que la monstrueuse créature disparaissait au fond du couloir, il s'aperçut qu'il avait pleuré, sans s'en rendre compte. Il tenait toujours la main de Théo. Une main inerte pour le moment.
- « Théo ? Théo ? » appela doucement le blond, caressant du pouce le dos de la main, tache blafarde dans la noirceur du couloir.
Théo ne répondit rien, ne bougea pas. Draco imagina ce que le brun aux yeux bleus avait pu revivre : les tortures de son père, les coups de fouet, la douleur, les ordres impossibles, les actes horribles qu'il avait été contraint d'exécuter… La main tressauta, Draco la serra un peu plus fort.
- « Je suis là, Théo, je suis là… Je… »
Draco se tut. Comment rassurer son pauvre ami ? Il n'y avait rien à dire, rien à faire. Ils étaient condamnés à vie.
- « Je… Je te promets… que je ferai tout pour nous sortir de cet enfer… »
Il sentit plus qu'il ne vit Théodore se crisper tout entier. Il ne pouvait le blâmer : lui-même ne croyait pas à son mensonge cousu de fil blanc. Ils étaient là pour y rester.
oOo
- « Etes-vous tous devenus fous ?! »
- « Monsieur Potter, un peu de retenue, je vous prie ! »
Harry Potter, Auror à Statut Spécial – ou Auror Spécial en abrégé – comme on aimait à le lui rappeler sans cesse, s'était dressé sur sa chaise. Dans la salle de réunion officielle du Directeur du Bureau des Aurors Kensington, les quelques intervenants se tournaient tous vers lui d'un air réprobateur. Harry se força au calme, mais son éclat – et son apparence – jouaient manifestement contre lui, n'attirant aucune sympathie. Le teint blême, les cheveux sales et désordonnés, une barbe de trois jours mal taillée, sa tenue rouge d'Auror en piteux état – on l'avait cueilli au sortir d'une longue mission, pour une réunion De La Plus Haute Importance, et dans ce bureau impeccable, au milieu de gens parfaitement habillés, manucurés, coiffés, il faisait tache.
Si on ajoutait à cela ses yeux fiévreux, le pli amer que sa bouche avait pris depuis ce qui était arrivé à sa meilleure amie Hermione Granger – un évènement qu'il n'avait toujours pas digéré – on le voyait comme un paranoïaque sans reconnaître que celle-ci était justifiée, et on estimait que sa présence à ce genre de réunion n'était due qu'à ses exploits passés, son nom, et l'influence encore considérable qu'il avait sur l'opinion publique. Harry lança un regard circulaire à la tablée, une douzaine de personnes grasses et bien entretenues, qui lui jetaient des regards condescendants. Il se tourna vers l'extrémité de la table ovale jonchée de papiers et de verres d'eau, là où se tenaient le Ministre de la Magie Townsberry ainsi que son supérieur hiérarchique, et inspira profondément.
- « Monsieur le Ministre, monsieur le Directeur, je ne crois pas que permettre la sortie de prisonniers d'Azkaban soit une bonne idée dans les circonstances actuelles… »
- « Nous savons tous, Monsieur Potter, ce que vous pensez des Mangemorts, nous savons aussi ce que nous vous devons pour avoir mis fin à la Deuxième Guerre contre Vol… Vous-Savez-Qui. Mais vous ne pouvez ignorer qu'à l'époque, la plupart des procès ont été faits à la va-vite, sans se soucier de définir clairement les responsabilités de chacun… Tous les suspects portant la Marque Noire ont été condamnés à la prison à vie, or certains ne méritaient pas une telle peine. Ils sont enfermés depuis près de dix ans, les faits sont assez lointains désormais pour permettre une certaine clémence, et si la réouverture des procès est impossible, il nous apparaît primordial de redresser les torts judiciaires par une mesure que tout le monde approuvera… »
Harry secouait la tête de droite à gauche pendant tout le discours lénifiant du Ministre, mais à la dernière phrase, il laissa éclater son indignation.
- « Que tout le monde approuvera ?! L'esclavage ? Vous plaisantez, je suppose ? Et que faites-vous des Néo-Mangemorts ? » Harry se leva de son fauteuil, excédé et incapable de rester en place plus longtemps. « Ils vénèrent littéralement les Mangemorts d'origine, jusqu'à imiter – bien piètrement, si je puis me permettre – leurs méthodes et celles de Midnight, le Chien de Voldemort, son assassin le plus célèbre ! Les prisonniers d'Azkaban sont tous des criminels à des degrés divers, en les libérant, vous allez donner aux Néo-Mangemorts des recrues potentielles autrement plus aguerries et organisées qu'eux ne le sont ! C'est ça que vous voulez ?! »
Le Ministre leva une main apaisante, mais il fut précédé par le Secrétaire Folley.
- « Monsieur Potter, » fit l'homme grisonnant, « je vous confirme que l'esclavage selon les normes sorcières est tout à fait accepté et acceptable dans notre Communauté. Quant aux Néo-Mangemorts et leur vénération des Mangemorts d'origine, ce n'est que supposition de votre part… »
- « Des suppositions étayées, croyez-le bien ! Dois-je vous rappeler ce qui est arrivé à Hermione Granger ? »
- « Ce qui est arrivé à Hermione Granger est regrettable… »
- « Regrettable ! »
- « … Mais il n'a pas été prouvé qu'il y avait un lien direct avec les Néo-Mangemorts… »
Harry se rua sur le Secrétaire.
- « Ça a été prouvé ! Sauf que, comme par hasard, les preuves ont disparu ! »
- « Il a été démontré que cette perte des preuves était accidentelle… »
- « Un accident qui s'est reproduit six fois de suite ! Et la responsable de ces pertes est toujours en poste ! »
- « L'erreur humaine existe, monsieur Potter, vous devriez… »
- « Une erreur humaine qui a surtout servi les intérêts de votre fils, Secrétaire Folley ! »
- « Monsieur Potter ! Veuillez rester à votre place ! » l'apostropha le Ministre.
Harry resta penché sur l'homme grisonnant, ses yeux verts sauvages débordant de haine rivés à ceux de son interlocuteur. Dans un effort monumental, il se redressa, ses lunettes lançant des éclairs blancs, et regagna son siège, son regard ne quittant jamais celui, goguenard, du Secrétaire. Le Directeur des Aurors se passa une main sur le visage.
- « Auror Potter, malgré toute la sympathie que nous éprouvons tous pour vos épreuves et vos états de service, nous ne pourrons pas éternellement couvrir votre manque de professionnalisme… »
- « Vous arrivez bien à couvrir celui de certains autres, » lança Harry dédaigneusement à son supérieur.
Le Directeur Dorian Kensington se rencogna sur son siège, tandis que le Ministre Michael Townsberry soupirait bruyamment.
- « Force reste à la Loi, monsieur Potter. Cette affaire a été jugée, l'absence de preuves a conduit à un non-lieu et à la relaxe de l'ensemble des prévenus que vous aviez arrêtés. Souhaitez-vous aussi remettre en cause notre système judiciaire ? »
- « Oui, bien sûr ! C'est ce même système judiciaire qui a commis les erreurs de jugement que vous prétendez rectifier en soumettant les prisonniers à l'esclavage. Vous trouvez que ce n'est pas contestable ? »
Un moment de silence régna dans le bureau, la tension presque palpable. Enfin, le Ministre Townsberry se redressa.
- « Bien. Il est clair, monsieur Potter, que vous n'êtes guère familiarisé avec la diplomatie… »
- « … la corruption… » murmura Harry.
- « Je ne vous ai pas entendu, monsieur Potter. Voulez-vous répéter ? »
- « … Non, » grinça-t-il.
- « Bien. Je crois sérieusement que vous devriez reprendre vos séances de psychomagie, votre paranoïa injustifiable commence à porter préjudice à votre service, à vos collègues et à vous-même. Messieurs, je propose que nous revenions à l'affaire qui nous concerne, mettons donc la proposition du Secrétaire Folley au vote. Ceux qui souhaitent qu'il soit donné aux prisonniers une chance d'aménager leur peine de perpétuité en un statut d'esclave dans le respect de la Tradition Sorcière, veuillez lever la main. »
Tous levèrent la main sauf trois personnes : Harry Potter, le Directeur des Aurors Dorian Kensington et le Ministre Michael Townsberry. Harry se leva, faisant racler sa chaise sur le parquet ciré.
- « Bien. Je vois. Messieurs, permettez-moi de vous abandonner, j'ai du travail. » Il ouvrit la porte à la volée, se tournant une dernière fois vers l'assemblée. « Et je risque d'en avoir encore plus à cause de vous ! Je suis sûr que les Néo-Mangemorts vous remercieront chaleureusement ! »
Il claqua la porte derrière lui tandis qu'un brouhaha et des cris indignés s'élevaient dans la pièce, le Directeur des Aurors et le Ministre tentant vainement d'apaiser les susceptibilités froissées de ces honorables messieurs.
oOo
- « Et ils ont décidé de les relâcher, Ron ! Je… Je ne sais pas quoi faire ! Je n'ai jamais été aussi furieux de toute ma vie ! Ce connard de Folley est même passé à mon bureau avant de quitter le Ministère en me demandant de transmettre le bonjour à Hermione ! J'ai failli le tuer, je te jure que s'il n'y avait pas eu Davis et Trevon, je l'aurais massacré ! »
Ron ne répondit rien, son visage constellé de taches de rousseur inquiet et embarrassé dans la lueur verte de la minuscule cheminée du minuscule appartement qu'occupait Harry. De son point de vue au ras du sol, il pouvait voir la pièce unique dans son intégralité : le lit simple dans un coin, défait, la porte ouvrant sur la salle d'eau – une douche avec un rideau de plastique à motifs horribles, et un de ces WC que les Moldus appelaient Antibroyeur ou quelque chose comme ça – le petit meuble de cuisine avec la vaisselle accumulée dans l'évier, l'armoire aux portes ouvertes où Harry entassait les vêtements sales – les seules tenues qu'il nettoyait régulièrement étaient ses uniformes d'Auror. Le reste pouvait attendre – d'ailleurs, selon Harry, tout pouvait attendre…
- « Hem, Harry, mon vieux, il faut te calmer… »
- « Me calmer ! Comment le pourrais-je, à vivre dans ce nid de vipères, à côtoyer des traîtres et des bourreaux ! Je ne peux pas, Ron, je… »
Harry s'interrompit brusquement, et resta silencieux un moment.
- « Excuse-moi, Ron, » fit-il piteusement, se rasseyant enfin devant l'âtre. « Ces gens me rendent fou. Je t'envie d'avoir quitté le service. Comment vas-tu ? Et George ? Et Lavande ? Et tes enfants ? »
Ron baissa les yeux, légèrement embarrassé, avant de se reprendre avec un sourire d'excuse.
- « Tout va bien. Tout le monde va bien. Je… Je suis allé voir Hermione samedi dernier… »
Aucun ne dit rien après cela. Tous avaient pensé que Ron et Hermione se marieraient, mais Lavande Brown avait finalement annoncé qu'elle attendait un enfant après ses rares ébats avec Ron. Le rouquin avait donc épousé la jeune blonde à l'époque pour « se mettre en règle », comme il disait. Hermione s'était retrouvée seule.
- « Et Ginny, comment va-t-elle ? » demanda finalement Harry.
Elle et lui étaient restés un an et demi ensemble, puis les obligations de Ginny en tant qu'Attrapeuse de l'équipe des Harpies d'une part, et les missions périlleuses d'Harry en tant qu'Auror d'autre part, les avaient séparés. Harry avait encore en mémoire les derniers mots de Ginny lors de leur rupture : aucune femme sensée ne pourrait envisager de fonder une famille avec quelqu'un comme toi.
Elle avait raison. Etre Harry Potter et Auror, c'était être la cible privilégiée de tous les psychopathes que comptait la Communauté Sorcière. Ginny était partie, et s'était mariée avec Neville Longbottom. Harry avait accepté d'être leur témoin – et avait pris soin de cacher son amertume…
- « Ginny va bien. Sa grossesse se passe bien aussi, le garçon devrait naître dans moins d'un mois… »
Harry déglutit péniblement, puis s'éclaira.
- « Bien. C'est bien. Je suis content pour elle – et pour Neville. Bien sûr. »
Après cela, ils échangèrent quelques banalités, puis Ron ferma la communication par cheminée : sa femme l'appelait pour le dîner. Harry resta assis par terre, en tailleur, pendant de longues heures, rongé par la colère et l'amertume. Ron ne pouvait plus l'aider, il vivait sa vie, une autre vie, protégé de ces tambouilles politiciennes et de cette corruption qui gangrénait l'ensemble de la classe politique. Hermione était à Sainte Mangouste – et y resterait probablement jusqu'à la fin de ses jours. Harry était seul. Seul à lutter contre cette vague d'attentats perpétrés par les Néo-Mangemorts, il suspectait tout le monde, Aurors, hommes politiques, et jusqu'au Ministre, d'avoir des connivences avec ce groupe de bourreaux et d'assassins. Et bientôt allaient s'ajouter les vrais Mangemorts, ceux qui avaient été entraînés, formés et disciplinés par l'un des pires Seigneurs des Ténèbres qu'ils aient connus…
A moins que…
Une idée venait de poindre dans l'esprit d'Harry, tandis qu'il restait là, assis dans la chambre de bonne qu'il louait depuis plus de cinq ans au cœur de Londres, hypnotisé par les flammes jaunes et oranges dansant dans le foyer. Il joua un long moment avec son idée, l'examina sous toutes les coutures, chercha ses défauts comme ses qualités, sachant que la mettre en œuvre changerait sa vie à jamais…
Peu à peu, son regard égaré et fiévreux se focalisa, et le pli amer de sa bouche se mua en un pli déterminé. Il jeta à nouveau de la poudre de cheminette et quelques minutes plus tard, le visage de Ron apparut à nouveau.
- « Ron, j'aurais un service à te demander… »
oOo
- « Draco ! Draco ! Draco, où es-tu ? Ne me laisse pas, par pitié, ne me laisse pas tout seul avec eux ! »
- « Je suis là, Théo ! Je suis là ! Ils nous emmènent, je ne sais pas où, mais ils nous emmènent tous les deux ! »
Avec deux Détraqueurs pour escorte, la noirceur et les souvenirs ignobles obscurcissaient sa vue avec plus d'efficacité que l'absence de toute lumière. De temps en temps, Draco émergeait de sa torpeur horrifiée et entrapercevait, par intermittence, son pauvre Théodore en proie à une terreur sans nom, menotté aux pieds et aux mains, comme lui, entraîné dans le couloir sombre, vers…
- « La sortie ! Théo, ils nous font sortir ! Tu m'entends ? Théo ! »
Un dernier coup d'œil, pour voir que Théo s'était évanoui entre ses geôliers. Quel soulagement alors de voir les Détraqueurs s'éloigner de lui, et des gardiens sorciers, humains, prendre leur place à ses côtés. Draco tituba, harcelé par son escorte personnelle, mais fier de tenir sur ses jambes pour aller… là où on les emmenait.
Dès que les Détraqueurs cessaient de ponctionner ses souvenirs, Draco émergeait de son voile noir d'horreur et de cauchemar, et tentait de comprendre où il était, ce qu'on attendait de lui. Théo et lui n'étaient pas les seuls prisonniers à sortir. Il y en avait d'autres, tous encadrés par des Détraqueurs, tous livides, tous au bord de l'évanouissement.
Le voile noir, à nouveau.
Lorsqu'il émergea, il sentit qu'il n'était plus à Azkaban. L'air y était différent, moins froid, moins humide, l'ambiance moins marquée par la présence continue des Détraqueurs. Dans une lumière bleue et froide qui venait de nulle part, il chercha Théo, frénétiquement, se calma lorsqu'il avisa le brun couché sur un banc, non loin. Plusieurs prisonniers en piteux état les séparaient. Il n'y avait plus trace de leurs gardiens. Draco se leva, fit quelques pas, et s'assit sur le banc, prenant délicatement la tête brune entre ses mains, et la déposant tout aussi délicatement sur ses genoux blancs. Il caressa les cheveux longs, emmêlés et sales. Des traces noires maculaient son front et ses joues.
Théo se réveilla, faisant frissonner le blond. Comme d'habitude, dès qu'il ouvrait les yeux, Théo était toujours en alerte, toujours sur le qui-vive. Son regard bleu faisait immédiatement le tour de la pièce, repérait les entrées, portes, fenêtres, aérations, à la recherche d'une échappatoire, et évaluant instantanément les dangers… Il n'y en avait pas dans l'immédiat, le regard se voila alors, se faisant doux et fatigué. La pièce dans laquelle ils se trouvaient tous n'avait qu'une porte, blindée, cadenassée et bardée de protections magiques. De l'autre côté leur provenait un brouhaha indistinct.
- « Nous ne sommes plus à Azkaban, » remarqua un autre prisonnier.
- « Oui. L'air est différent… »
- « Et les Détraqueurs ? Vont-ils revenir ? »
Draco les écouta distraitement, aidant Théo à se redresser sur le banc sommaire. Soudain, des bruits se firent entendre du côté de la porte, et Théo gémit sur son épaule. Des Détraqueurs, quatre, entrèrent en flottant sinistrement. Tous les prisonniers reculèrent et se recroquevillèrent. Derrière les quatre formes noires, deux Aurors, baguettes à la main, entrèrent, et aboyèrent un nom.
- « Avery, Jonas ! »
Un homme – Avery, oui, même si Draco ne l'aurait jamais reconnu après ces dix années passées à Azkaban – se leva, courbé en deux, et suivit péniblement les deux Aurors. Ses cheveux gris filasse furent la dernière chose que Draco aperçut de lui. Près d'un quart d'heure plus tard, les Détraqueurs et les Aurors revinrent.
- « Carrow, Alecto ! » appela l'un des Aurors.
La Mangemort semblait avoir vieilli de vingt ans. Affaissée, elle se leva machinalement, son frère Amycus la regarda s'éloigner sans expression. Là aussi, elle ne reparut pas, et une demi-heure plus tard, la porte s'ouvrit à nouveau.
Amycus Carrow, Terence Crabbe, Antonin Dolohov, Ralph Goyle, puis son fils Gregory Goyle – que Draco observa longuement tandis qu'il passait la porte – furent ensuite appelés. Vinrent le tour des frères Rabastan et Rodolphus Lestrange, puis de Walden Macnair. Draco fit du regard le tour des prisonniers restants : Stan Rocade – Merlin que les juges étaient stupides de ne pas avoir compris qu'il avait été soumis à l'Impérium, songea Draco. Le pauvre homme était purement et simplement hagard… A côté de lui, Augustus Rookwood, à qui son passé de Langue-de-Plomb semblait avoir donné quelque avantage, paraissait moins affecté que d'autres par les Détraqueurs… Robert Selwyn était littéralement décomposé, les cheveux blanchis, David Travers semblait regretter ses accointances avec les Mangemorts, Stephen Yaxley, au contraire, reprenait déjà du poil de la bête et retrouvait sa morgue et son arrogance toutes politiciennes.
Et bien sûr, il y avait lui et Théodore Nott. Si, comme il le suspectait, les Aurors les appelaient par ordre alphabétique, Draco serait le prochain appelé, et Théo viendrait juste après… La porte s'ouvrit.
- « Draco Malfoy ! »
Draco se leva et suivit l'Auror, passant entre les Détraqueurs, se forçant à ignorer leur pression mentale. Dans la salle voisine, on le fit s'arrêter.
- « Déshabille-toi, Mangemort. »
Draco hésita, surpris par l'ordre, et fronçant les sourcils en imaginant ce qu'il pouvait impliquer.
- « Exécution ! » fit le deuxième Auror, peu amène.
Draco montra ses menottes pour signifier son incapacité à obéir, les Aurors s'impatientèrent et de quelques coups de baguette, le débarrassèrent de ses entraves ainsi que de la tunique immonde qu'il portait depuis dix ans. Puis, sans ménagement, ils lui lancèrent d'autres sortilèges de nettoyage et d'hygiène, qui le rendirent un tantinet présentable.
- « Et maintenant, avance ! »
- « Quoi ?! Dans cette tenue ? »
- « Oui, Mangemort, dans cette tenue… Il y a un problème ? »
Draco fusilla du regard les deux Aurors, et s'avança finalement vers la porte opposée, qu'il passa en redressant fièrement la tête.
oOo
Harry observa la salle d'un air dédaigneux, la colère montant en lui inexorablement, mais il ne comptait pas commettre d'erreur, aussi se maîtrisa-t-il. Les acheteurs étaient anonymes, évidemment… Le Ministère avait mis au point un système fiable pour assurer l'impunité de chacun : les acquéreurs qui souhaitaient participer aux enchères devaient en avertir la banque Gringotts. La banque affecterait un numéro au hasard ainsi qu'un Gobelin à chacun, pour garantir la solvabilité de l'acquéreur et valider l'achat discrètement. Seule une liste des numéros et du nom de leurs acquisitions serait remise au Ministère, les Gobelins conservant seuls la correspondance entre le numéro de l'acquéreur et son identité. Gringotts étant tenue au secret professionnel, la transaction resterait anonyme tant que l'acquéreur ne manifestait pas l'envie de se vanter de son ou ses esclaves humains…
Harry avait suivi la procédure, un Gobelin lui avait été affecté, on lui avait donné un masque digne d'un Mangemort, une cape avec capuche, et même des gants pour cacher d'éventuels bijoux… Et un numéro, en noir sur un petit panneau blanc : le 89, voilà ce qu'il était maintenant, assis sur les gradins, son Gobelin assis à ses côtés.
Mais ce qui dégoûtait le plus Harry, c'est que cette vente d'esclaves se déroulait en plein cœur du Ministère, dans la salle même qui avait servi à juger ces prisonniers. C'était, pour Harry, la preuve ultime de la décadence et de la corruption du Ministère, la preuve que, désormais, la Justice avait déserté l'Etat de droit.
Des Aurors parcouraient les gradins et les allées pour maintenir le calme et la sécurité – il y avait peu de risques de débordements, mais apparemment, les Mangemorts faisaient toujours peur… Harry eut un sourire mesquin. L'un de ces Aurors était lui-même d'ailleurs – Ron avait accepté de lui rendre service, finalement. Sous Polynectar, il arpentait les escaliers, circulait dans les travées… Et il faisait un job remarquable, songea Harry : son visage exprimait un profond mépris, exactement ce qu'Harry aurait ressenti s'il avait été contraint de garder la salle comme le lui avait demandé le Directeur Kensington…
Il n'avait dit à Ron que le strict nécessaire : que ça le dégoûtait de voir ce marché aux esclaves, et qu'il lui offrirait des places de choix à la prochaine Coupe du Monde de Quidditch, à laquelle Ginny participerait… Curieusement, ce qui avait décidé Ron à accepter, c'est lorsqu'Harry prétendit qu'il profiterait de cette journée de vente pour se reposer, et partir en week-end. Harry baissa un instant les yeux, puis les reporta sur le centre de la pièce, dégagé et circulaire, où on amenait présentement le premier prisonnier, Jonas Avery.
Le Mangemort était nu, dans un état physique et psychologique effroyable. Ses cheveux avaient été peignés et attachés, son corps lavé – ou nettoyé par magie, Harry le suspectait fortement – mais malgré ce ravalement de façade, l'homme titubait, ses épaules affaissées, le visage baissé, le regard vide. Il ne portait que quelques cicatrices mais ses côtes saillantes, ses bras et ses jambes amaigris et ses yeux caverneux révélaient un mauvais état général qui incita le Commissaire à fixer son prix initial à deux cent Gallions… La vie d'un homme ne vaut pas cher, songea Harry, puis il se durcit : enfin, bon, c'est un Mangemort, je ne vais certainement pas le plaindre !
Harry se concentra sur les acquéreurs disséminés dans les gradins. Deux douzaines de panneaux blancs se levèrent, presque simultanément parfois, ou successivement. Les enchères commencèrent à monter, et il resta peu de personnes à participer lorsque le prix dépassa 1500 Gallions. Harry nota les quelques numéros encore dans la course, enregistra le faciès des Gobelins – même si cette information risquait d'être inutile – et tous les éléments qui n'étaient pas cachés par la cape, le masque et les gants… Et ces esclavagistes en herbe ne se doutaient pas de la quantité d'informations qu'ils exhibaient malgré leurs précautions.
La taille. La silhouette. Les chaussures. La façon de bouger, simplement en levant le bras. La façon de draper la cape autour de soi… Harry était un Auror Spécial, certes, mais on oubliait facilement qu'il était avant tout un bon Auror – un très bon, même, qualité qui était aussi la cause de son Statut Spécial… Dans cette foule soi-disant anonyme, il avait déjà repéré le Secrétaire Folley – numéro 43, proche des Néo-Mangemorts par le biais de son fils, si ce n'est Néo-Mangemort lui-même. Un peu plus loin, le Député Innsbruck, numéro 19, accusé de pédophilie, mais, oh, surprise, le chef d'accusation avait été ramené à attouchements, avant que l'affaire ne soit classée suite à un accord financier avec la famille de la victime… Là-bas, c'était Lady Barmy, un nom de scène qui cachait en fait la timide et effacée mademoiselle Judith Smith, numéro 32…
Il avait déjà identifié la moitié des enchérisseurs d'Avery lorsque l'homme fut adjugé et vendu au numéro 11 – le Conseiller Gravestone, rival de Folley, ou plutôt son contradicteur officiel : Harry savait pertinemment que les deux hommes s'entendaient comme larrons en foire…
Alors qu'on l'emmenait, Avery sembla sortir de sa stupeur, et s'adressa au Commissaire des ventes.
- « Vous… Vous m'avez… Vendu ?! Comme esclave ?! Mais vous n'avez pas le droit, vous ne pouvez pas, vous ne… »
- « Jonas Avery ! » l'interrompit le Commissaire, « Vous préférez retourner à Azkaban ? Pour y effectuer le restant de votre peine, qui est, dois-je vous le rappeler, la perpétuité ? »
Avery resta bouche bée quelques secondes, puis baissa la tête qu'il secoua finalement. Les Aurors l'emmenèrent vers un box fermé au pied des gradins, et le Mangemort s'assit lourdement, son regard vide parcourant la salle, ne tentant même pas de cacher sa nudité.
Ils ne les ont même pas prévenus, songea Harry avec fureur et une pointe de compassion, tandis que les Aurors allaient chercher le prisonnier suivant.
