1
Cloud a du mal à en croire ses yeux. Près de lui, Tifa semble tout aussi chamboulée et a porté une main à sa bouche, comme pour étouffer un cri.
À l'extérieur, la pluie tombe en rafales; une véritable averse qui fait ruisseler Edge, envahit ses rues de flaques boueuses et fait déborder ses gouttières. Il ne doit pas être plus de trois heures du matin et dans leur quartier, le calme règne. Derrière les volets des habitations voisines, pas une lumière et, le long de l'artère, un éclaire public réduit au maximum, qui rend à la nuit toute sa noirceur en maints endroits.
Néanmoins, difficile pour eux de ne pas reconnaître les silhouettes grelottantes venues frapper à leur porte, les tirant d'un sommeil déjà bien trop court d'ordinaire.
D'instinct, Cloud fait passer Tifa derrière lui. Son regard bleu braqué sur leurs visiteurs et déjà prêt à réagir au moindre signe d'hostilité de leur part. Mais les trois autres, qui le fixent de leurs yeux verts, semblent à peine capables de tenir debout. Aucune agressivité dans leurs expressions. L'air las, sinon absent, leurs cheveux gris dégoulinent de pluie et leur colle au visage.
Survient un moment de flottement, pendant lequel le couple se retrouve incapable de décider de la bonne attitude à adopter. Puis Kadaj fait un pas dans leur direction. Le regard presque masqué par ses cheveux, la voix qui s'échappe de ses lèvres est faible, se résume à un murmure.
— Grand…
Le reste meurt dans sa gorge alors qu'il perd connaissance, laissant tout juste à Cloud le temps de le rattraper.
2
Après avoir fait entrer les trois jeunes hommes, ils avaient permis à Loz et Yazoo de rassembler plusieurs chaises afin d'y étendre Kadaj. Tout en les gardant à l'œil, Cloud était allé chercher le vieux poêle électrique situé derrière le bar et l'avait ramené dans la salle, pour le brancher à proximité de leurs visiteurs frigorifiés.
À l'étage, il peut à présent percevoir le pas de Tifa, qui rassemble serviettes et couvertures à l'intention de ces derniers. Les Incarnés installés face à lui, il les observe, l'expression encore méfiante.
Loz s'est accoudé à la table et soutient sa tête d'une main. Yazoo, lui, paraît à peine conscient. Ses longs cheveux lui tombent devant le visage et il n'a pas esquissé le moindre geste depuis qu'il s'est laissé tomber sur sa chaise. Comme le silence menace de s'éterniser, Cloud se masse la nuque avant d'attaquer :
— Et donc… qu'est-ce que vous faites ici ?
Il sait, pour avoir assisté à leur trépas, qu'aucun d'eux ne devrait se trouver à Edge. Il revoit Kadaj couché dans ses bras qui, après avoir agrippé une main qu'il était le seul à voir, s'était volatilisé en une myriade de particules verdâtres. Puis ses frères étaient arrivés, à l'agonie eux aussi. Ils l'avaient attaqué dans le dos, alors qu'il pensait ses épreuves terminées, qu'il savourait la fin des affrontements. Ses géostigmates disparus, un avenir se dessinait de nouveau devant lui… jusqu'à ce que la mort le frappe.
Un suicide… ces deux-là avaient ni plus ni moins commis un suicide, en espérant l'emporter avec eux. Cloud, heureusement, avait pu être sauvé… et maintenant, il se retrouve chez lui en compagnie de ces trois hommes qui sont techniquement ses ennemis.
— Il y a eu un problème…, commence Loz, d'une voix basse, grave, trop grave.
Comme pour quémander la suite, Cloud hausse les sourcils. C'est toutefois Yazoo qui poursuit :
— Nous n'avons pas été acceptés.
Ce dernier se trouve toujours dans la même position, la nuque ployant en avant et les cheveux ruisselant en direction de ses cuisses. Un peu comme s'il n'avait plus ni la force de les rejeter en arrière, ni de se tenir droit.
— Acceptés ? répète Cloud.
Au même instant, Tifa les rejoint. Les bras chargés, elle tend une serviette, ainsi qu'un drap, à Loz, puis à Yazoo, avant de déplier une couverture et de l'étendre sur Kadaj. Tout en faisant cela, elle l'observe plus attentivement, constate à quel point il est pâle et ne peut s'empêcher de s'en inquiéter. En cet instant, il semble si fragile, juste un adolescent dont on peinerait à croire en la dangerosité.
Son estomac se contracte, tandis qu'elle se remémore les événements survenus quelques mois plus tôt. Est-ce que ça va recommencer ? Ce cauchemar n'en finira-t-il donc jamais ?
Quand elle se détourne finalement, Yazoo a trouvé la force de se redresser pour s'essuyer les cheveux. Loz, lui, après avoir vaguement frotté les siens, s'est enveloppé dans son drap et paraît plus épuisé que jamais.
— Que voulez-vous dire par : vous n'avez pas été acceptés ? insiste Cloud, sans rendre à la jeune femme le regard que celle-ci rive à présent dans sa direction.
— Nous…, commence Loz.
— Ça signifie que la Rivière de la Vie n'a pas voulu de nous.
Tifa sursaute. Derrière elle, Kadaj se redresse tant bien que mal sur sa couche de fortune. L'expression sombre, les sourcils froncés, il se maintient d'une main au dossier le plus proche et rive son regard dans celui du blond. S'il n'était pas aussi blafard, aussi fébrile, on aurait pu craindre qu'il ne se jette dans sa direction pour l'attaquer. Mais ce qui déforme en cet instant son visage n'est pas tant l'hostilité qu'il éprouve à l'égard de son vis-à-vis, que le produit de l'inconfort qui le malmène.
— Elle nous a fermé ses portes et nous a renvoyé ici !
Cette fois, Cloud vient rencontre le regard perdu de Tifa. Ça n'a pas de sens… ça n'a aucun sens ! Pourquoi la Rivière de la Vie prendrait-elle le risque de laisser ces trois-là fouler davantage Gaïa ? Eux qui sont également ses ennemis, qui ont cherché à faire revenir Sephiroth afin que cette planète tombe pour de bon entre ses mains.
Et puis Kadaj a absorbé les cellules de Jenova…
C'est d'ailleurs ce qui l'inquiète le plus en cet instant. Kadaj a accompli sa Réunion et a permis à Sephiroth de s'incarner de nouveau en ce monde. Sera-t-il en mesure de recommencer, une fois qu'il aura pu récupérer ? Faut-il craindre une nouvelle crise aux conséquences aussi terribles que la précédente ?
Comme s'il lisait dans ses pensées, le concerné lâche :
— Maman n'est plus avec moi. On me l'a arrachée !
Et sa voix, en cet instant, vibre de colère… non, de haine. Une haine terrible qui fait briller son regard et trembler davantage son corps. Yazoo, qui en a terminé avec ses cheveux, abandonne finalement la serviette sur la table et s'emmitoufle dans son drap. Le bas du visage disparaissant derrière, il marmonne :
— On nous l'a arrachée…
Un gémissement du côté de Loz, dont les traits déformés laissent à penser qu'il va éclater en sanglots. Cloud se gratte le crâne. Bon, on ne peut pas dire qu'il soit plus avancé, mais au moins, il est rassuré d'apprendre que Kadaj ne pourra pas redonner naissance à leur ennemi… en tout cas, pas prochainement.
— Mais pourquoi êtes-vous venus ici ? s'enquiert Tifa.
C'est bien là ce qu'elle ne s'explique pas. Pourquoi être venus frapper à leur porte, surtout dans cet état de faiblesse ? Ils auraient, au contraire, dû se tenir loin de tout, loin de la civilisation, cachés quelque part, le temps pour eux de se remettre d'aplomb. Car il ne fait aucun doute qu'en cet instant, elle et Cloud n'auraient aucun mal à se débarrasser de leurs visiteurs. Seulement, elle ne se voit pas s'en prendre à eux, pas alors qu'ils tiennent à peine debout, et n'ignore pas que son compagnon partage son sentiment.
Mais ça, les Incarnés ne sont pas censés le savoir…
Pour toute réponse, Yazoo secoue doucement la tête. Loz, lui, a fermé les yeux, le visage déformé par la douleur, mais beaucoup trop épuisé pour réussir à pleurer. C'est donc Kadaj qui, de nouveau, les éclaire :
— Parce que nous n'avions nulle part d'autre où aller !
3
— Ton sentiment ?
Après avoir proposé au trio de rester dans la salle du Septième Ciel, afin qu'ils s'y reposent un peu, Cloud et Tifa sont remontés à l'étage, aussi troublés l'un que l'autre.
Sans un mot, Cloud ouvre la porte de son bureau et y pénètre, la jeune femme sur les talons. Au deuxième, Marlène et Denzel dorment à poings fermés, se sont tout juste réveillés quand la jeune femme est montée chercher du linge un peu plus tôt. D'une voix pâteuse, Denzel avait cherché à savoir ce qu'il se passait et, à son grand soulagement, quelques mots avaient suffi à le rassurer. L'instant d'après, lui et la petite fille retombaient au pays des songes.
Mais maintenant qu'elle se retrouve seule avec Cloud, l'idée que leurs visiteurs puissent représenter un danger pour les enfants l'angoisse terriblement.
Tout en allumant la lumière, le blond incline la tête sur le côté.
— Eh bien…, commence-t-il, pas très sûr.
— J'ai peur.
Disant cela, elle a recroquevillé ses bras autour de son corps, son regard nerveux braqué en direction de la porte.
— J'ai eu pitié d'eux, quand j'ai vu l'état dans lequel ils étaient, mais maintenant, je me demande si nous avons bien fait de les laisser entrer.
Car n'est-ce pas, au fond, comme permettre au loup de pénétrer dans la bergerie ?
Cloud ne répond pas tout de suite. Apprendre que Kadaj ne possède plus les cellules de Jenova l'a grandement rassuré et, à présent, il lui semble que les Incarnés ne seront pas un problème insurmontable à gérer s'ils devaient se montrer hostiles. Il comprend néanmoins les craintes de sa compagne, de même qu'il ne peut prétendre avoir l'esprit parfaitement tranquille.
— Je les interrogerai sur leurs intentions dans la journée, la rassure-t-il. Mais pour l'instant, je crois que nous ne risquons rien à les laisser dormir un peu.
De toute façon, il est évident qu'il aura du mal à obtenir quoi que ce soit d'eux tant qu'ils n'auront pas regagné un peu de force…
4
Quand ils émergent de nouveau, le soleil s'est levé. À l'extérieur, Edge a repris vie et on peut entendre le moteur de véhicules qui passent dans la rue.
À cause des événements de la nuit, et une fois n'est pas coutume, ils se sont tous deux réveillés en retard. Au rez-de-chaussée, les Incarnés dorment toujours, tous trois étendus sur des chaises qu'ils ont alignées pour former des couches sommaires. Après les avoir tirés de leur sommeil, et constatant qu'ils ne paraissent pas en meilleure forme que quelques heures plus tôt, Cloud leur indique son bureau, à l'étage. Ils pourront continuer de s'y reposer, leur dit-il, et il y a même un lit. Il n'est pas très grand, mais s'ils se serrent un peu, ils pourront s'y étendre à deux.
C'est donc en grommelant et en bâillant que le trio gagne l'étage et pénètre dans le bureau. Situé dans le fond de la pièce, le lit de Cloud est défait et, près de lui, un bureau sur lequel repose de la paperasse, un téléphone, mais aussi un cadre photo montrant les habitants des lieux, tous quatre réunis sur un même cliché. Sa couverture toujours sur les épaules, Kadaj s'en saisit et l'observe d'un œil endormi. Yazoo, lui, s'est déjà traîné en direction du lit et s'y laisse tomber sans plus de cérémonie. Refermant derrière eux, Loz dit :
— Vas-y toi aussi. Moi, je prendrai trop de place.
Kadaj cligne des paupières et repose le cadre. Puis il tend sa couverture à son frère, afin qu'il s'en serve comme matelas. Dans le lit, Yazoo est enroulé dans son drap, couché sur ceux de l'occupant des lieux. Il tire dessus pour l'en destituer, récoltant au passage quelques grognements indignés.
— Allez, donne ça à Loz !
Non sans difficulté, il parvient enfin à lui arracher son drap, qu'il jette en direction de Loz. Celui-ci a déjà étalé au sol la couverture et attrape le linge d'une main. Il l'étend sur ce qui lui tiendra lieu de matelas, avant de se coucher dessus et de ramener son propre drap sur son corps musculeux. La seconde d'après, sa combinaison en cuir a disparu, le laissant nu comme un ver là-dessous.
Après avoir forcé Yazoo à se serrer un peu contre le mur, Kadaj s'est couché à ses côtés. Le dos de son frère collé au sien, il recouvre leurs corps des couvertures froissées de Cloud, avant d'attraper l'unique oreiller et de le jeter également à Loz. Celui-ci le remercie d'un grognement et le place sous sa tête, avant de croiser les mains derrière sa nuque, le regard fixé en direction du plafond.
Le sommeil alourdit déjà ses paupières quand il marmonne :
— Tu crois qu'on va être séparés… ?
Les yeux mi-clos, Kadaj redresse la nuque. Dans son dos, Yazoo a déjà plongé dans l'oubli.
— Ça n'arrivera pas ! répond-il – et dans sa voix vibre une détermination dangereuse.
— J'ai peur, Kadaj. Moi, je ne veux pas qu'on se quitte. Je veux rester avec vous pour toujours.
Le ton de son frère a pris des intonations plaintives, signe qu'il est à deux doigts de se mettre à pleurer. Kadaj soupire. Il n'a vraiment pas l'énergie de s'occuper de lui maintenant.
— Dors, Loz, ordonne-t-il. Je te dis que tout ira bien !
Lui répond un reniflement, qu'il préfère ignorer. Reposant sa tête contre le matelas, sa combinaison ne tarde pas à se volatiliser dans des volutes de fumée noire. Contre sa peau, il peut sentir celle de Yazoo qui, sans doute trop épuisé, n'a même pas songé qu'il devrait s'en débarrasser pour dormir.
L'engourdissement ne tarde pas à le visiter et il plonge dans le sommeil, l'odorat gorgé d'un parfum qui n'est ni le sien, ni celui de ses frères…
Je peux enfin commencer à poster ce projet qui me tient à cœur. Que d'émotions !
Il s'agit donc d'une fic qui tournera pas mal autour du sujet de la famille, parce que ces petits-là, les Incarnés, se prêtent parfaitement à ce genre de thème. Prévue pour durer 4 saisons (La ligne d'arrivée me semble tellement loiiiin, là, d'où je me tiens), je vais essayer dans un premier temps d'en proposer une nouvelle partie par semaine (Avec une pause de 2 semaines entre chaque épisode, pour me permettre d'en terminer avec mes corrections.) et... à moins de gros problèmes de dernière minute, je devrais pouvoir tenir le rythme pendant un petit moment. (Parce que j'ai pris de l'avance, pour éviter de me retrouver avec des délais pas possible entre chaque update.)
En ce qui concerne cette première saison, pas de mise en garde particulière. Elle abordera le thème de la dépression, et peut-être également du suicide, mais pas de mort de personnage, ni quoi que ce soit de très violent. (Et si vous voyez des choses qu'il vous semble utile de signaler, faites-moi signe, je les rajouterai ici.)
Sur ce, je vous dis à la semaine prochaine !
