Encore True Blood, toujours Sookie et Eric! Voici une fic un peu plus longue que les précédentes que j'ai faites sur True Blood (cinq chapitres), mais qui peut-être (et je dis bien peut-être) aura une suite... Évidemment, les commentaires sont la bienvenue!
En espérant que vous apprécierez!
Lexa Nedra
La rançon
Chapitre 1
J'avais beau me répéter qu'Eric et Pam étaient de grandes personnes – et, accessoirement, de puissants vampires –, mais je ne pouvais pas m'empêcher de m'inquiéter pour leur sécurité depuis la visite de ces intrus chez Merlotte. J'ignorais à quoi ces visiteurs ressemblaient tout comme ce qu'ils pouvaient bien me vouloir, mais Sam avait jugé bon de me camoufler dans l'aire du personnel pendant les vingt minutes qu'ils ont pris pour boire leur consommation. Ça, juste après qu'ils aient demandé à parler à « la serveuse blonde télépathe aux gros nibards qui s'appelle Sookie Stackhouse ».
Naturellement, suite au qualificatif on ne peut plus péjoratif – quoique très précis – utilisé pour désigner ma charmante personne, mon boss avait flairé l'anomalie et leur avait posément annoncé que personne ne répondait ni à la description émise ni au nom mentionné dans son établissement. Selon Sam – qui était même allé jusqu'à me dissimuler dans son bureau pour me soustraire à la tentation de jeter un œil discret aux étrangers et ainsi risquer de me faire apercevoir –, les malotrus s'étaient contenté de se jeter un regard entre eux, visiblement contrariés, pour ensuite s'attabler et commander quatre breuvages. Arlène avait bien failli saccager tous les efforts de Sam pour faire de cette Sookie Stackhouse une pure inconnue lorsque les clients de ma section s'étaient mis à se plaindre du ralentissement du service, mais mon boss avait fait en sorte qu'elle ne trahisse pas ma présence.
Claquemurée dans l'office de Sam, je m'étais concentrée sur les pensées des intrus dans l'espoir de découvrir leurs intentions, mais comme je m'y étais attendue, je n'avais détecté que quatre trous bien distincts : des vampires. Tout à coup, l'obstination de Sam à vouloir me cacher, que j'avais d'abord jugé excessive – après tout, ce n'était pas la première fois qu'on me traitait avec si peu d'égard –, s'est révélée être de circonstance. Qu'est-ce que quatre déterrés sans convenances et qui ne connaissaient manifestement pas la femme qu'ils cherchaient pouvaient bien avoir à me dire? Le fait qu'ils soient au courant de ma particularité a achevé de me convaincre que ces hommes ne me voulaient aucun bien. De toute façon, il suffisait de se faire surnommer comme tel pour comprendre qu'on ne vous tenait pas en estime.
Lorsque mes quatre copains avaient quitté le bar, Sam était venu échanger quelques mots avec moi. J'avais ainsi appris que la prochaine destination des intrus était le Fangtasia. Faisaient-ils simplement la tournée des bars dans l'espoir de me mettre le grappin dessus ou étaient-ils au courant de ma relation avec Eric et comptaient sur sa coopération pour qu'il leur indique où ils pouvaient me trouver? Sam, qui avait tenté de jouer les épieurs sans éveiller leurs soupçons, m'avait également rapporté les quelques bribes de conversation qu'il était parvenu à attraper au passage. Apparemment, ils avaient parlé de « ravager la place »… Tout ça ne me disait rien de bon.
Je n'ai donc pas pris de chance et ai directement foncé à Shreveport en sortant du boulot. Il était deux heures du matin et la chaussée était déserte. Les ténèbres, en revanche, étaient omniprésentes ; j'avais l'impression qu'elles allaient m'engloutir. Après avoir jeté un coup d'œil inutile dans mon rétroviseur, mon pied a écrasé la pédale à gaz avec un tantinet plus de témérité et j'ai filé comme une flèche.
J'étais inquiète. Et si les quatre intrus avaient vraiment eu en tête de ravager le Fangtasia? Je ne me le pardonnerais jamais. Après tout, j'avais eu deux heures pour prévenir Eric d'un simple coup de fil et je n'en avais rien fait. J'imagine que sur le coup, l'idée qu'on puisse mettre sans dessus dessous un endroit dans lequel Eric et Pam se trouvaient et investissaient tout leur temps m'avait été inconcevable.
Mais suite à mes cogitations, une inquiétante conclusion m'avait poussée à faire un saut au Fangtasia : cette nuit était la seule nuit de la semaine durant laquelle le célèbre vamp'bar n'était pas ouvert à ses clients donc réduisait le staff à son strict minimum – en d'autres mots : à Eric et Pam –, ce qui les défavorisait en nombre.
Une voiture a brûlé le pavé à une telle vitesse en sens inverse que la mienne a tangué. J'ai instantanément allégé la pression de mon pied, le cœur battant à tout rompre. Bon sang! J'étais si anxieuse que je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais pratiquement atteint les 120 km/h! J'ai agité mes doigts moites sur le volant et me suis obligée à me détendre. Je devais me répéter, encore et encore, qu'Eric et Pam étaient de grandes personnes et – oui, vous l'aurez deviné – de puissants vampires. Ces deux-là étaient certainement plus âgés que les quatre étrangers réunis ; il ne leur suffirait sûrement qu'une chiquenaude pour les mettre K.O. Sauf s'ils les avaient pris par surprise…
Argh! Pourquoi n'avais-je pas eu la brillante idée de téléphoner au Fangtasia ou à Eric avant de prendre la route? Voilà que je me faisais un sang d'encre pour deux vampires aussi vieux que le monde!
J'ai battu mon record de vitesse sur Industrial Drive. Heureusement que je n'ai croisé aucune voiture de patrouille sur ma route car l'amende que je me serais coltinée aurait été sacrément lourde. Je ne me suis autorisée à ralentir que lorsque j'ai aperçu l'enseigne lumineux du vamp'bar entre les branches touffues des arbres.
En pénétrant dans le parking, je me suis avancée sur mon siège et ai resserré la poigne de mes mains sur mon volant, prête à réagir au moindre mouvement. J'avançais à une lenteur époustouflante, à l'affût, mais rien ne semblait sortir de l'ordinaire. Les deux seules voitures stationnées étaient celle d'Eric et de Pam. Aucune trace de lutte dans les environs. J'ai plissé les yeux en détaillant la porte d'entrée et ai constaté qu'il n'y avait aucune trace d'effraction non plus.
J'ai poussé un gros et long soupir pour évacuer la tension qui m'avait procuré de très désagréables nœuds au niveau du cou et me suis garée à côté de la bagnole de Pam. Je me suis promis de consulter l'annuaire téléphonique aussitôt que je rentrerais chez moi pour me fixer un rendez-vous chez le meilleur ostéopathe de la Louisiane ; il allait falloir des pinces pour détendre ce qui me servait de rhomboïdes.
J'aurais été idiote de prendre la sécurité générale des lieux pour acquis ; après tout, ce n'était pas parce que le gravier n'était pas inondé de sang qu'il n'y avait pas eu assaut à l'intérieur du bâtiment. L'habit ne fait pas le moine. (Oh! Qui parle de « mot du jour »? Dorénavant, ce sera « expression du jour ».) Un rapide coup d'œil dans la salle du bar, après avoir franchi les portes de service, m'a néanmoins rassuré il n'y avait eu aucun ravage ici. En fait, tout était impeccablement rangé. Sunglasses At Night de Corey Hart jouait en sourdine. J'ai souri, amusée par le choix musical, puis me suis dirigée vers le couloir réservé au personnel, au fond de la place, persuadée que je trouverais Eric confortablement installé à son bureau à s'occuper de la paperasse. Je l'entendais déjà se moquer de la raison qui m'avait amenée ici. Bon. Que j'en voie un ou une m'accuser de ne pas être prévoyante.
Mais évidemment, je me suis mise le doigt dans l'œil jusqu'au coude. En débouchant dans le corridor, j'ai senti mes nerfs se bander comme la corde d'un arc : la porte de l'office d'Eric était vilainement fracturée. En réalité, il ne restait plus que quelques bouts de bois extrêmement effilés fixés aux gonds, armes létales qui expliquaient clairement ce que la gélatine cramoisie et grumeleuse venait faire à quelques mètres de là, sur le plancher de béton. Selon la quantité de débris qui jonchaient le sol en plein couloir, j'ai pu déterminer qu'on l'avait défoncée depuis l'intérieur du bureau du shérif.
Puis soudainement, ce détail m'a paru complètement insignifiant, car j'ai réalisé que je faisais une cible parfaite, immobile et désarmée, pour l'assassin qui pouvait encore se trouver sur place. J'ai aussitôt pivoté sur moi-même afin de vérifier qu'on ne m'avait pas tendu de piège et me suis précipitée dans le bureau d'Eric afin de me procurer un minimum de sécurité – enfin, afin d'éviter qu'on m'attaque par derrière, du moins.
Les trois bonds exécutés m'ont essoufflé comme si j'avais couru un marathon. Aussi me suis-je accroché au secrétaire du Viking pour empêcher mes jambes de céder. J'ai mis le pied sur quelque chose de glissant et j'ai réagi comme si on tentait de m'attaquer. Seulement à cet instant j'ai jeté un œil autour de moi.
La pièce était dans un triste état : factures, documents et magasines tapissaient le sol – d'ailleurs, l'OGNI (l'Objet Glissant Non Identifié) était le Vampire International Press (communément appelé le V.I.P.) – ; le meuble sur lequel je prenais appui avait été déplacé dans un angle incommode ; la lampe de bureau, jetée par terre, illuminait tristement la pièce en émettant un faible grésillement ; et, par-dessus le marché, le mur situé à ma droite était défoncé à plusieurs endroits, ce qui témoignait d'un féroce corps à corps.
La lumière s'est alors faite dans mon esprit : ce répugnant tas informe, qui avait jusqu'à tout récemment été un vampire, pouvait aussi bien être un de mes quatre pourchasseurs qu'Eric ou Pam. Ma gorge s'est nouée et j'ai porté ma main jusqu'à mes lèvres tremblantes lorsque j'ai senti mon dîner remonter dans ma gorge.
- Oh, non… ai-je pitoyablement gémis.
Je me suis jetée par terre près des restants du vampire et j'ai tendu les bras sans trop savoir ce que j'avais l'intention de faire. Puisque mes doigts ne se contentaient que de pianoter dans le vide, je les ai enfouis dans ma crinière blonde.
- Eric…
J'ignorais si je m'attendais à trouver son visage dans cette gibelotte poisseuse ou si j'espérais que ladite gibelotte me réponde, mais dans un cas ou dans un autre, j'allais en bout de ligne être déçue car ce truc était aussi peu identifiable que loquace.
Alors, je n'ai plus hésité : j'ai bondi sur mes pieds et me suis élancée en direction du secrétaire dégarni en quête d'un téléphone. Pas là, évidemment. Et moi qui persistais à ne pas me procurer de portable…! J'ai pesté après avoir évalué le temps que ça me prendrait pour mettre la main dessus. Il y avait tant de débris que j'allais indubitablement devoir tout retourner. Je me suis donc mise au boulot.
Après avoir écarté une pile de filières inintéressantes dans un coin reculé, j'ai poussé un cri de victoire : j'avais trouvé le combiné! Mais je n'étais pas au bout de mes peines car la base n'avait pas suivi la même trajectoire lorsqu'on avait fait voler l'appareil en travers de la pièce.
Ce n'est que trois éternelles minutes plus tard que j'ai enfin pu composer le numéro du portable d'Eric d'un doigt tremblotant. Mon sang n'a fait qu'un tour lorsque la mélodie thématique de Mario Bros, style sonnerie de cellulaire, a dérangé Beds Are Burning de Midnight Oil qui jouait maintenant dans les hautparleurs du Fangtasia. Puisqu'elle provenait de derrière moi, j'ai tourné sur moi-même en éloignant le combiné de mon oreille.
- Eric? me suis-je exclamée d'une voix empreinte d'espoir et de soulagement.
Mais Eric n'était nulle part. Le sourire que j'avais réussi à étirer s'est évanoui illico tandis que j'observais l'afflux de gélatine carmin vibrer comme si elle revenait à la vie. Mon cœur s'est douloureusement tordu : le portable d'Eric se trouvait là, par terre, couvert d'hémoglobine et de charpie d'organes, très exactement là où il avait été assassiné.
Le combiné m'a glissé des mains et s'est fracassé en plusieurs morceaux sur le sol. Aussitôt, la mélodie du jeu vidéo qui jurait tant avec les circonstances s'est tue et les restes d'Eric se sont immobilisés. La seconde suivante, sentant que mes jambes ne pourraient plus supporter mon poids encore bien longtemps, je me suis accroupie, le dos contre le secrétaire, pour me laisser la chance de prendre conscience de l'ampleur de ce qui me tombait dessus.
Il va sans dire que je refusais de croire qu'Eric Northman avait été tué, et ce, par ma faute. Car au risque de me répéter, j'avais détenu de deux heures pour passer un coup de fil de deux secondes que je n'avais pas pris le temps de le faire pour des raisons qui encore m'échappaient. Eric Northman était un Viking, un guerrier, une brute, un vampire âgé de plus de mille ans ; il ne pouvait pas mourir aussi bêtement, à deux pas de son office dans un vulgaire vamp'bar de Shreveport alors qu'il faisait de la paperasse.
Puis j'ai pensé à la raison qui avait amené les quatre vampires étrangers jusqu'ici : moi. Était-ce le refus d'Eric de dévoiler des renseignements à mon sujet qui lui avait coûté sa seconde vie ou avait-il simplement été supprimé sans préambule? Non, les traces de lutte étaient sans équivoque. Pam n'avait-elle pas été présente au moment de leur passage? Avait-elle également été abattue ou n'était-elle même pas au courant que son maître n'était plus qu'un souvenir grumeleux? La première option s'est révélée être la plus plausible, car dans le cas contraire, elle aurait immanquablement volé au secours d'Eric.
Sans crier gare, la scène de mon voyage jusqu'ici m'a traversé l'esprit et j'ai su, comme je sais que un et un font deux, que l'unique voiture que j'avais croisée sur ma route était celle des meurtriers.
J'ai imaginé le beau Viking en tant qu'hôte exemplaire recevoir ses charmants visiteurs dans son office avant de refermer la porte derrière lui. Tel que je connaissais Eric, il devait certainement avoir senti le danger aussitôt qu'il avait vu quatre vampires inconnus entrer dans son bar lors d'une nuit d'inactivité. Il devait avoir été très confiant ou singulièrement imprudent lorsqu'il les avait invités à se regrouper dans une aussi petite pièce que celle-ci. À moins qu'il se soit montré courtois précisément car il ne croyait pas pouvoir les vaincre à lui seul s'il leur refusait un entretien? Jamais je ne le saurais.
Et ensuite? Avaient-ils, comme à Sam, demandé à parler à « la serveuse blonde télépathe aux gros nibards qui s'appelle Sookie Stackhouse »? Je ne connaissais pas Eric comme le fond de ma poche – à vrai dire, cet homme avait toujours été un mystère pour moi –, mais j'étais néanmoins persuadée que ces qualificatifs ne correspondaient pas aux convenances du Viking et que, conséquemment, il n'avait pas dû les accueillir avec chaleur. Était-ce suite à ça que les hostilités avaient été déclenchées? Eric leur avait-il sommé de quitter les lieux avant d'être attaqué? Un nuage gris pleuvait ses questions sur ma tête, questions auxquelles je ne trouverais sans doute jamais de réponse. Mais quoiqu'il en soit, je refusais de croire que la dernière chose qu'Eric Northman avait fait avant de mourir était de me protéger de dangereux prédateurs alors que je n'avais pas su lui rendre la pareille.
C'est bien pour cette dernière raison que je n'arrivais pas à pleurer. Écrasée contre le sol, j'observais fixement les restants d'Eric mais niait tout. En jetant un œil critique sur ce que cet homme m'avait fait subir depuis notre première rencontre, j'estimais l'avoir détesté plus longtemps que je l'avais apprécié, mais face à son meurtre, je ne revoyais que le bien qu'il m'avait fait. Nous avions déjà été très intimes, lui et moi, et nombre de nos face à face – avant et après cette période d'intimité – ne s'était pas déroulé sans sa petite touche suggestive qui confirmait son intérêt envers ma personne. Et, ne nous le cachons pas, j'étais aussi indifférente à Eric que les vampires l'étaient aux fées. Alors pourquoi n'avais-je pas saisi ce satané téléphone, chez Merlotte, et partagé avec lui ce que Sam avait entendu de la bouche des intrus? Maintenant, il était trop tard! Maintenant, Eric était… était…
La réalité a eu raison de moi et j'ai poussé un sanglot, bref mais puissant, que j'ai interrompu en plaquant une main contre ma bouche. Ça a été le premier et le dernier ; je ne pouvais tout bonnement pas me rendre à l'évidence. L'information refusait de s'enregistrer dans mon cerveau ramolli. Ce dont j'étais toutefois certaine, c'est que je ne pourrais supporter d'être seule encore plus longtemps. J'avais besoin de renfort, mais surtout de gens qui sauraient m'aider à éclaircir le mystère qui planait sur Bon Temps : qui me voulait au point d'éliminer le shérif de la zone qu'ils avaient pénétrée sans invitation?
Je me suis aidée du secrétaire d'Eric pour me redresser. Alors que j'allais m'emparer du téléphone dans l'intention d'appeler Bill pour qu'il vienne me rejoindre au Fangtasia, j'ai dévisagé les fragments du combiné qui avait échappé à ma prise plus tôt. J'en apercevais trois. Merde. Je l'avais brisé et je n'avais rien d'une bricoleuse. Je me suis donc dirigée vers les restes d'Eric – que j'ai dépersonnalisé pour gommer ma culpabilité – et ai saisi son portable tout poisseux de sang. Je l'ai nettoyé en me servant de mon chandail blanc – je portais encore mon uniforme de serveuse – et l'ai ouvert. Une alerte indiquait : « Un appel manqué – FANGTASIA ». Je l'ai ignorée.
Comme je composais les trois premiers chiffres du numéro personnel de Bill, je me suis figée.
À côté d'où s'était trouvé le portable d'Eric gisait un second. Je l'ai instantanément reconnu : rose et serti de zircons, c'était celui de Pam. Je m'interrogeais sérieusement sur ce que la présence de son portable aux côtés de celui d'Eric pouvait bien signifier lorsque j'ai entendu un gémissement étouffé mais impétueux en provenance du sous-sol. Mon sang s'est glacé. J'aurais reconnu cette voix parmi mille – même si ça n'avait été qu'un gémissement.
J'ai laissé tomber le portable d'Eric par terre et ai enjambée le magma d'organes comme j'aurais évité des excréments de chien. C'est sur l'air de Cooler Than Me, de Mike Posner, que j'ai failli dévaler l'escalier qui menait au donjon. Parvenue à destination, j'ai retenu mon souffle : Eric s'y trouvait, très, très mal en point, rampant en direction d'un mur couvert d'immondices, baignant dans son propre sang. J'étais si soulagée de le voir en vie que j'ai failli me jeter à son cou mais je me suis retenue pour deux brillantes raisons : de un, j'allais sûrement l'achever si je l'écrasais de mon poids et de deux, je doutais qu'il crache sur un repas bien chaud après avoir perdu autant de sang.
- Oh mon Dieu, Eric! me suis écriée en m'élançant sur lui.
Il s'est subitement retourné comme s'il était au meilleur de sa forme, mais l'état de son visage en disait très long sur sa capacité à se défendre. Il n'en a pas moins écarquillé les yeux en m'apercevant.
- S-Sookie…? a-t-il geint d'une voix éraillée.
Je me suis agenouillée à ses côtés, le visage tordu par l'angoisse, puis ai approché mes mains de son corps dans le but de l'aider à s'asseoir contre le mur.
- Ne me touche pas! m'a-t-il furieusement ordonné. (Je me suis aussitôt écartée de lui, sur le qui-vive.) Ne me touche pas, Sookie, je suis affamé, a-t-il ajouté pour justifier son rejet. Va me chercher un TruBlood si tu ne veux pas que je te saigne à blanc.
- Ou-oui… Très bien.
J'allais me relever pour exécuter son ordre mais il m'a saisi l'avant-bras pour me retenir. Je l'ai regardé par-dessus mon épaule, prête à l'assommer s'il daignait montrer les crocs. Il m'a longuement observée, ce qui m'a permis de remarquer chaque petit détail qui charcutait son visage habituellement si magnifique. On n'avait pas été tendre avec lui.
- Tu es vivante… a-t-il simplement constaté en un souffle.
J'ai soutenu son regard quelques secondes supplémentaires et j'ai fini par hocher la tête, ne sachant pas trop quoi faire d'autre pour qu'il me lâche enfin, puis ai été chercher pas une mais trois bouteilles de sang synthétique dans le réfrigérateur de service au rez-de-chaussée.
Lorsque je suis revenue, Eric était adossé au mur. Le boucan que j'ai fait en dégringolant l'escalier a attiré son regard sur moi tandis que j'accourais vers lui.
- Tu es blessée, m'a-t-il fait remarquer. Ils t'ont eue?
J'ai frémis en entrapercevant ses canines exhibées. Mieux valait ne pas trop m'approcher de lui si je voulais avoir le temps me faire pardonner pour mon insouciance.
J'ai jeté un œil à mon chandail maculé de sang et ai secoué la tête pour le rassurer.
- Ce n'est pas mon sang, ai-je précisé. Je vais très bien. Allez, bois…
Il m'a arraché la première bouteille de TruBlood des mains et l'a vidée d'une traite. Lorsque j'ai vu son teint rosir paresseusement – aux rares endroits où sa peau n'était pas couverte de sang –, je me suis autorisée à m'installer près de lui et ai attendu qu'il lampe la seconde. Ce n'est qu'à son terme qu'il s'est accordé une pause. Il a fait rouler le contenant vide à l'autre bout de la sinistre pièce et a fermé les yeux. Si son corps ne semblait pas guérir de lui-même, les traits de son visage s'étaient considérablement détendus.
- Te sens-tu mieux? lui ai-je demandé d'une voix étonnamment douce.
Eric a ouvert les yeux et les a rivés à mon visage. Sa tête reposait contre le mur. Il était beau à en mourir.
- Mes blessures sont trop graves pour qu'elles guérissent d'elles-mêmes dans les prochaines heures, m'a-t-il dévoilé d'une voix faible mais égale. Elles prendront deux ou trois nuits pour se refermer entièrement. À moins que je n'aie droit à des soins supplémentaires.
- Tu penses au Dr. Ludwig?
Il a mollement secoué la tête.
- Non. Je désire que tu me soignes, Sookie.
- Des remèdes aussi banals que ceux des humains sauront venir à bout de… tout ça? lui ai-je demandé en désignant son corps d'un geste de la main.
- Ça m'est égal, a-t-il avoué en enfouissant une main sous mes cheveux, près de mon oreille. Soigne-moi. (Il a fait une pause, les lèvres pincées.) J'ai cru qu'ils te tueraient. Comment leur as-tu échappé?
- Je ne les ai pas croisés une seule fois, ai-je expliqué, la culpabilité grimpant sournoisement en moi comme de la mauvaise herbe. Ils sont venus chez Merlotte plus tôt mais Sam a flairé le danger et m'a cachée dans son bureau. Oh, Eric… Pardonne-moi… Tout ça est de ma faute! Sam les avait entendu parler de ravager le Fangtasia, mais les informations étaient si nébuleuses que je ne les ai pas considérées sérieusement…! J'aurais pu éviter tout ça, j'aurais pu appeler ici pour te prévenir…
Eric a glissé ses doigts jusqu'à ma bouche et les a pressés contre mes lèvres pour taire mes lamentations.
- Tais-toi, m'a-t-il sommé. Te plaindre ne changera rien.
- Qui sont ces gens? ai-je demandé à brûle-pourpoint en écartant sa main de mon visage – j'ai entrecroisé mes doigts aux siens contre mes cuisses. T'ont-ils parlé? T'ont-ils dit pourquoi ils me cherchaient?
- Ils sont à la solde de vampires étrangers, mais j'ignore de quel État. J'ai reconnu leur accent : celui du nord. Tu ne te doutes pas une seule seconde de la raison pour laquelle ces hommes veulent te mettre le grappin dessus, vraiment?
J'ai froncé les sourcils. Il n'y avait pas trente-six mille raisons pour lesquels des vampires voudraient m'avoir à leur côté, en effet, et ce n'était certainement pas pour mes beaux yeux ou mes « gros nibards ».
- Ils sont au courant que je suis télépathe, me suis-je placidement rappelé.
Le Viking a hoché la tête.
- Le souverain de l'État duquel ces mercenaires tiennent leurs ordres a dû entendre parler de ton don par Sophie-Anne ou Russell, ou même par un de leurs sujets. Quoique soit la raison pour laquelle cette personne te veut, il ne te lâchera pas tant qu'il ne t'aura pas trouvée ; ces hommes viennent de beaucoup trop loin pour abandonner dès leur premier échec.
J'ai dégluti avec toute la difficulté du monde. Je n'étais pas du tout flattée par l'attention dont j'avais hérité depuis que j'avais trempé dans les affaires de vampires. Je m'étais visiblement trop impliquée, car voilà que mon don était reconnu jusqu'à l'autre extrémité des Etats-Unis!
- Leur as-tu dévoilé où j'habite?
- Non. Mais Pam, si.
Ça m'a sciée.
- Pam a fait quoi…? me suis-je indignée d'une voix haut perchée en me dégageant des doigts d'Eric. Et où est-elle, maintenant?
- Ils l'ont emmenée avec eux.
La nouvelle m'a refroidie en un clin d'œil.
- Ils ont débarqué ici et nous ont immobilisés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Ils nous ont fouillés. Ils ont bien sûr tenté de nous arracher des informations à ton sujet en posant simplement des questions mais ont changé leur plan lorsqu'ils ont constaté que nous n'allions pas tout déballer aussi facilement.
Il a fait une pause pour grimacer. Je l'ai imité, compatissant à sa douleur, et me suis promise de m'occuper de ses blessures aussitôt qu'il finirait son petit récit : je tenais d'abord à savoir pourquoi on m'avait trahie.
- Ils ont deviné que Pam était ma progéniture. Ils m'ont donc torturé pour la forcer à parler.
J'ai bruyamment inhalé, choquée. Tout à coup, je n'en voulais plus du tout à Pam, même si les vampires du nord étaient sans doute en train de vandaliser ma maison à l'heure qu'il était.
- Eric… ai-je couiné, horrifiée.
- Je ne veux pas de ta pitié, a-t-il sèchement déclaré.
J'ai essayé de ne pas paraître trop vexée par son ingratitude et ai opté pour un changement de sujet :
- Et qu'espèrent-ils en gardant Pam avec eux?
Pour toute réponse, Eric m'a tendu son bras droit, l'intérieur dirigé vers le plafond. J'ai cru halluciner lorsque j'ai vu, là, marquée dans sa chair, une série de chiffres.
- Mais qu'est-ce que…
J'ai délicatement saisi son poignet et ai glissé mon doigt sur les plaies de son avant-bras pour résorber le sang qui n'avait pas encore séché.
- Mais c'est un… un numéro de téléphone?
- Gravé avec une lame d'argent, oui, a-t-il acquiescé. Ils craignaient que je n'égare la note. Si je souhaite revoir Pam un jour, je dois te livrer à eux. Ils attendent mon appel.
Un poids immense, comme un rocher, m'est tombé dans l'estomac. Ma face m'a semblée lourde, tout à coup. Je ne doutais pas de la fidélité d'Eric, ça non, mais je n'étais pas née de la dernière pluie : s'il devait choisir entre Pam et moi, je pouvais aller rédiger mon testament dans la minute qui suivait. Prendre mes jambes à mon cou s'est révélée être une option séduisante.
- Mais tu sais pertinemment que je ne ferais jamais une telle chose, a-t-il stipulé.
Mon exhalation a peut-être été un brin trop bruyante pour que mon soulagement paraisse modéré. Toujours est-il qu'Eric a haussé un sourcil et incurvé la commissure de ses lèvres.
- Oh, Sookie, s'est-il lamenté en ébauchant une moue boudeuse. Croyais-tu vraiment que je pourrais t'offrir au premier passant? Tu as beaucoup trop de valeur.
J'ignorais si je devais éprouver davantage de ravissement ou d'irritabilité d'être ainsi annexée au terme « valeur », mais dans un cas ou dans un autre, j'ai choisi d'hausser les épaules. Je n'avais pas envie de me lancer dans une joute oratoire après ce qu'il venait de faire pour moi.
- Nous en reparlerons plus tard, a-t-il d'ailleurs décrété à mon grand soulagement. J'aurais besoin de tes soins, Sookie… Ça ne paraît peut-être pas, mais je souffre.
- Oh! Oui, bien sûr.
- Il y a une trousse de premiers soins au rez-de-chaussée, dans mon office. Je la garde pour mes danseurs et les touristes humains. Au cas où.
J'ai hoché la tête et me suis relevée en époussetant mes genoux dénudés. Je me suis arrêtée à mi-chemin entre le Viking et l'escalier en me souvenant d'un détail.
- Le corps… ou plutôt les restes de vampire, là-haut, dans le couloir…
- C'est l'un d'eux. Les portes de bois peuvent devenir bien dangereuses lorsqu'on y projette un vampire.
Il a souri et en a profité pour ricaner. Ça m'a laissée de marbre. J'étais trop ébranlée.
- J'ai cru que c'était toi lorsque je suis arrivée, lui ai-je confié.
Son sourire s'est doucement évanoui.
- J'ai eu vraiment très peur. Je suis… soulagée de constater que tu vas bien.
Il n'a rien dit, s'est contenté de me dévisager en silence, révérencieux. J'ai étiré un maigre sourire et ai gravi l'escalier.
Lorsque je me suis rendue dans le couloir du rez-de-chaussée réservé au personnel, plus rien n'indiquait qu'un vampire y était passé de vie à trépas. J'ai rigolé en repensant à la frayeur que j'avais ressentie en croyant qu'il s'agissait d'Eric Northman, l'invincible Viking.
