Ce chapitre a été écrit sur le thème « Prix » dans le cadre de la 109ème nuit du Forum Francophone (FoF) : un texte par heure sur un thème donné. Pour en savoir plus, vous pouvez m'envoyer un MP.

Disclaimer : j'ai pas envie que DGM finisse mal. Promis.


Un bruissement dans les blés fit se retourner Cross Marian.

Il fallut quelques secondes à Allen pour reconnaître cet homme qui n'était plus que l'ombre de lui-même. Sa bouche s'entrouvrit de stupéfaction.

« Maître.. !

- Je ne suis plus ton maître. »

Les mots cinglèrent comme un coup de fouet. Comme si les coups de fouet allaient l'arrêter. La pensée le fit sourire, en dépit du conflit qui l'habitait en cet instant. Il était profondément heureux de revoir son abruti de disciple – qui n'avait plus rien d'un disciple, ni d'un abruti. Mais l'ancien Maréchal devait mettre un terme à cette histoire sordide, et il ne savait que trop bien ce que cela impliquait.

Il avait toujours pensé que trente ans de sacrifices avaient été sa punition pour avoir pactisé avec le Quatorzième. Mais la véritable épreuve semblait avoir lieu ici et maintenant. Et il était l'instigateur de son propre châtiment.

« Pourquoi ?! »

Le jeune homme venait d'agripper le col de son manteau, pour l'obliger à lui faire franchement face. C'était précisément ce qu'il avait voulu éviter.

« Tim et moi, on était... »

L'emprise d'Allen se desserra. Sa nuque ploya comme si le poids du monde venait de s'abattre sur lui. Son corps tressaillit.

« ...fous de chagrin... »

Et comme a son habitude, il ravala ses sanglots.

« J'ai vraiment cru que vous étiez mort. » ajouta-t-il simplement, d'une voix étranglée.

Maintenant qu'il le voyait de plus près, Cross remarqua à quel point ses traits étaient tirés.

Te voilà au bout du chemin, Allen Walker.

Il posa une main sur son bras.

« Je le croyais aussi. Viens, marchons. »


« J'ai un faible pour les retrouvailles douces-amères. » susurra une voix venue du passé.

Cross lui tournait quasiment le dos. A mesure que sa cigarette s'épuisait, l'auréole de fumée autour de sa tête s'épaississait.

« Tu peux aller en enfer. » se contenta-t-il de répondre, avec un calme polaire.

L'autre souriait à s'en décrocher la mâchoire. Il n'avait pas besoin de le voir pour le savoir.

« L'enfer, c'est moi, Marian. »

Il était. Le destructeur du temps. L'engrenage défectueux. L'anomalie salvatrice dans le continuum. Le mal nécessaire, comme il l'avait si souvent entendu à la Congrégation.

« Vous les humains, reprit le Noé, vous vous entichez trop facilement les uns des autres. Même toi. » Il tendit un doigt railleur dans sa direction. « Surtout toi. »

Le rictus de Néah s'effaça brutalement quand Cross lui vrilla le poignet. L'autre n'émit aucune plainte malgré la surprise et la douleur; il se contentait de le toiser, encore. Deux billes d'or en fusion miroitaient entre les mèches de cheveux blancs. Il avait envie de lui broyer les os. Mais ce n'était pas les siens. Le parasite avait beau avoir consumé son hôte, il ne pouvait se résoudre à faire plus de mal à Allen – où qu'il fût à présent.

De sa main libre, Cross écrasa le mégot de sa cigarette contre la pierre apparente du mur, sans quitter son interlocuteur des yeux. Le manoir où avaient grandi les frères Campbell était plein de souvenirs dont l'Exorciste aurait voulu faire table rase.

« C'est marrant, hein, que tu aies tant tenu à revenir ici. »

La lumière fielleuse dans le regard du Quatorzième vacilla.

« Tu es plus humain que tu veux bien le croire. »

Il l'espérait. Il espérait que le Néah qu'il connaissait ne se fût pas changé en un magma de cynisme et de haine, prêt à tout emporter sur son passage.

Il espérait ne pas avoir à endosser la responsabilité d'un nouveau bain de sang.