Être parents
de NotEvenAProperWord

Un petit truc inspiré par le taux de mortalité assez élevé des enfants au Moyen-Âge (et une réflexion que j'ai lu dans je ne sais plus quel ficelât à propos d'Arthur, je me rappelle juste que c'était Karadoc qui se faisait la réflexion) ainsi que par mon affection pour cette façon d'aimer si particulière qu'ont Séli et Léodagan. Et probablement par la scène du Livre VI où Yvain vient dormir avec ses parents parce qu'il a peur (et moi, j'ai fondu hihi)

blabla, rien est à moi.


« Il y a quelque chose qui ne va pas ? »

Il demande ça sur un ton bourru, qui pourrait passer pour de l'affection, presque comme s'il connaissait la réponse et qu'il s'inquiétait vraiment de l'humeur de sa femme. Elle hausse les épaules, l'inquiétude se lit clairement sur son visage, mais qu'est ce que ça peut bien lui faire à lui.

« C'est la p'tite ? Elle passera la nuit, j'en suis sûr.»

En vérité, il n'est sûr de rien mais la gamine a sept ans, ils en ont déjà perdu au même âge et il s'y est quand même attaché à cette petite. Il n'est pas certain qu'elle passera la nuit mais il l'espère, les guérisseurs sont formels : si elle passe la nuit, elle aura battu la maladie.

Sa femme ne répond rien, elle se contente de fixer un point face à elle, sourcils froncés. Lui, ça l'énerve de la voir comme ça, surtout parce qu'il ne peut rien y faire. D'habitude, ils s'engueulent et tout repart. Mais là, la petite Guenièvre et son visage de poupée sont entre la vie et la mort, et ça, ça le met hors de lui – ça, il ne l'admettra jamais.

« Vous voulez pas aller la voir ?
– J'peux pas. Si elle survit pas et que je lui ai promis que si, je m'en remettrais pas.»

Séli est d'une honnêteté qui le prend parfois de court. Il pose la missive qu'il lisait sur la table de nuit et s'extirpe du lit avec difficulté.

« Qu'est-ce que vous faites ?
– J'vais la voir moi.
– Vous avez rien à faire là-bas ! Déjà, elle va mourir de trouille si elle vous voit.
– Venez avec moi alors. On va la voir, juste deux minutes, histoire de la rassurer. Ensuite, on demandera à avoir des nouvelles toutes les heures, pour être près d'elle, vous savez… juste au cas-où…»

Elle frissonne et hoche la tête, sans un mot. Puis elle le suit, comme un pantin. C'est pire que la dernière fois, et ça, ça le travaille.

La petite est en plein délire, la fièvre colle ses cheveux noirs à ses tempes et rend crayeux son visage rond et blanc, ça lui serre le cœur.

Ils retournent en silence dans leur chambre et se recouchent dans le même silence. Les torches éteintes, Léodagan ferme les yeux dans le noir. Il sait que Séli garde les siens grand ouvert. Pour la première fois depuis leur mariage, il préfèrerait l'entendre gueuler.

« Allez, venez-là.»

Un temps passe, il n'est même plus certain d'avoir prononcé ces paroles. Il trouve un de ses bras dans la nuit et l'attire à lui. Elle se laisse faire et pose sa tête contre lui.

Les heures passent, se ressemblent. Ils somnolent entre deux rapports, une de ses mains reposent sur la tête de sa femme, parce qu'il ne sait pas où la poser. Séli ne dort pas vraiment, elle se sent ridicule et étrangement rassurée par l'attitude de l'homme qui l'a enlevée et qui a fini par l'épouser.

Au matin, ils apprennent que Guenièvre a survécu à la fièvre. Le soulagement les prend par surprise, neuf mois plus tard, Yvain rejoint Guenièvre.


« Il y a quelque chose qui ne va pas ? »

Il demande ça sur un ton bourru, qui pourrait passer pour de l'affection, presque comme s'il connaissait la réponse et qu'il s'inquiétait vraiment de l'humeur de sa femme. Elle hausse les épaules, l'inquiétude se lit clairement sur son visage, mais qu'est ce que ça peut bien lui faire à lui.

« C'est la p'tite qui vous inquiète ? Elle en a vu d'autres.»

Séli soupire. Elle regrette déjà d'avoir aidé Guenièvre à s'enfuir.

« D'ailleurs, vous dormez pas avec elle cette nuit ? Ça faisait longtemps que je vous avais pas vu là.
– Elle veut essayer de dormir seule. Vous étonnez pas si on se retrouve à trois ici.»

Mentir est simple comme bonjour. Pourtant, s'il arrivait quelque chose à sa fille, elle ne se le pardonnerait pas. Ça lui fait penser à la fois où elle a failli mourir d'une mauvaise fièvre, parce que tout repose sur sa gamine et pas sur sa volonté à elle. Ça lui rappelle aussi les autres enfants qu'elle a perdus.

« Hors de question. On s'est déjà coltiné les mômes assez longtemps quand ils étaient petits.»

Elle ne répond rien et ça le travaille.

« A quoi vous pensez en vérité ? Je l'ai vu partir la p'tite. Je dis pas que je suis content que vous l'ayez aidée mais je vous en veux pas vraiment.
– Encore heureux !
– Vous réjouissez pas trop vite. S'il lui arrive un truc, je dis pas que je serais ouvert d'esprit. Parce que bon, des princesses en Carmélide, on en a pas 36.»

Séli ne ressent pas l'envie de répliquer. Les petites filles qu'ils auraient pu avoir aujourd'hui dansent dans sa mémoire. Léodagan soupire, le climat politique du Royaume de Bretagne a connu de meilleurs jours, Séli l'engueule de moins en moins et ses deux enfants ne sont plus que de pâles copies de ce qu'ils étaient du temps d'Arthur. Ça l'emmerde de l'admettre mais de le savoir mort, son gendre, ça lui fout le bourdon. Il s'était habitué à ce mollasson progressiste. En plus, ça lui rappelle les gamins qui n'ont pas survécu. Il réalise alors que Séli doit penser à la même chose.

« Quoique je vous en voudrais pas trop non plus, parce que si elle avait essayé de partir seule, elle serait encore en train de pleurer au milieu de la cour… Ou elle serait morte comme les autres.
– Déjà qu'elle s'est gourée de diligence d'après le type que j'ai mis à ses trousses.»

Il ne dit rien, mais lui aussi, il a envoyé quelqu'un pour la suivre.

« Vous savez, à chaque fois que je pense aux autres…»

Le mot ne veut pas sortir. Il le laisse coincé là où il est, en espérant qu'elle comprenne.

« Bah je me dis que vu le QI de poule des deux autres, je sais pas avec quel genre de problèmes on aurait fini.»

Elle hoche la tête, un semblant de sourire sur les lèvres.

« Ça en aurait fait combien ? Cinq ?»

Il compte silencieusement sur ses doigts. Séli détourne soudainement le regard. Il s'en souvient très bien. Cinq petits aux cheveux noirs et aux yeux foncés. Sauf la dernière, elle avait de grands yeux clairs ; ça lui avait fait bizarre…
Elle finit par acquiescer, le regard vissé à la main de son mari. S'il pouvait arrêter de compter avec, ça lui faciliterait la tâche.

« Elle s'en sortira, Guenièvre. Je ne sais pas ce qui la protège mais elle a survécu juste là. En attendant, dormez, on en saura plus demain.»

Il n'attend pas de réponse et souffle sur la flamme qui éclaire son côté de la chambre. Séli laisse passer quelques minutes avant de l'imiter. Il ferme les yeux dans le noir. Il sait qu'elle garde les siens grand ouvert. Il trouve une de ses mains sous les couvertures, il la presse maladroitement dans la sienne, longtemps. Séli se sent ridicule et étrangement rassurée.

Il n'arrive rien à Guenièvre mais le chaos déferle sur la Bretagne. Plus tard, quand Guenièvre réussit à s'endormir seule, il n'est pas rare que Séli et Léodagan, eux-mêmes, sombrent, main dans la main.