Souvenirs

Disclaimers : M. Matsumoto possède la paternité d'Harlock, de son vaisseau vert, de son équipage, et aussi de ses ennemies végétales. Eyen est à moi. Elle est aussi à Harlock. Ou alors c'est l'inverse. La question du « qui contrôle qui » reste en suspens, en fait…

Notes de l'auteur : cette fic fait suite à « Illusions », parce qu'Eyen est trop choupimimi et que je n'allais pas la laisser en plan comme ça. En revanche, je ne vais pas m'étaler sur ses origines et je conseille donc aux lecteurs qui tomberaient par hasard en premier sur cette fic de commencer par le début et d'aller plutôt lire « Illusions ».

Correspondances : et donc Sylvidres et non Mazones, mais Harlock et non Albator. Parce que je préfère Sylvidres et Harlock, et que c'est moi qui décide ici.

Pour ceux qui attendent. Ou pour être plus précise, celles.

o-o-o-o-o-o

La guerre semblait durer depuis toujours. Il avait perdu le compte des escarmouches, des traquenards, des accrochages plus ou moins violents, et même les combats contre les flottes de ligne avaient fini par perdre de leur saveur.
Le capitaine Harlock grogna, frustré. L'Arcadia était trop performant. Ses canons surclassaient de loin tout ce que les Sylvidres avaient pu lui opposer. Quand donc avait-il dû pour la dernière fois user de ses talents de stratège pour retourner à son avantage une situation tactique inextricable ? Ces derniers temps, il avait le sentiment désagréable de n'être plus qu'un pantin à la barre de son vaisseau, et l'impression que sa présence ou non en passerelle n'avait en réalité aucune importance.
Il croyait fermement à sa victoire finale, mais la reine Lafressia n'en finissait pas de perdre. Elle faiblissait, c'était évident, mais elle puisait sans cesse de nouvelles ressources dans les miettes de son empire effondré. L'affrontement initial s'était peu à peu transformé en jeu du chat et de la souris galactique, sans qu'aucun des deux partis ne se risque à un face à face direct. Quelques espionnes, des sabotages, la destruction d'astéroïdes de stockage pour elle, l'interception de convois de ravitaillement, le bombardement de bases militaires isolées et la neutralisation d'agents dormants pour lui. Encore et encore.
Et il ne pouvait pas non plus être partout.

Il soupira. Un jour ou l'autre, il allait bien falloir qu'il se décide à affronter la flotte de la reine en face. Au moins était-il sûr d'y trouver là-bas une situation tactique à la hauteur de ses attentes.
Il savait que Lafressia se rapprochait inexorablement de la Terre. Il savait qu'en détruisant systématiquement ce qui restait de son empire à chaque fois que l'occasion se présentait, il l'avait poussée dans ses derniers retranchements. Il savait qu'elle était consciente d'être acculée mais que, trop fière pour accepter la défaite, elle se cramponnait désormais avec l'énergie du désespoir à son objectif – simplement parce que c'était tout ce qui lui restait.
Il savait enfin qu'il n'était plus tellement sûr d'avoir envie de l'arrêter.

Il avait beaucoup appris sur les Sylvidres au cours de cette guerre interminable : il en avait côtoyé trop pour nier le fait qu'elles étaient autre chose que des sorcières froides et manipulatrices, et qu'elles pouvaient elles aussi éprouver des sentiments complexes.
Il avait beaucoup appris sur Lafressia, aussi.
Comme elle, il était trop têtu pour changer de ligne de conduite maintenant – et surtout pour reconnaître qu'il avait eu tort à un moment ou à un autre – mais il admettait à présent que la reine sylvidre avait des objectifs beaucoup plus nobles que ce qu'il avait cru au premier abord.

Mayu était désormais sa seule motivation pour continuer. Mayu, et la promesse qu'il avait faite à Tochiro – celle où il s'était engagé à ce que la petite fille soit élevée sur Terre, malgré la déchéance de la planète. Malgré ses habitants.
Cette promesse était stupide, et il la trouvait de plus en plus stupide au fil des ans, mais il mettait un point d'honneur à respecter sa parole. Si ce n'était pas le cas, alors que lui resterait-il ? Il ne serait pas différent de ces hors-la-loi sans morale qui pullulaient sur les planètes de la Bordure – ceux auxquels il s'était toujours refusé à être assimilé.

L'alarme anti-collision du radar de son spacewolf le fit revenir à l'instant présent. Il cligna des yeux, surpris, et fit un brusque écart pour éviter la cime d'un arbre un peu plus haut que les autres. Le biréacteur eut un soubresaut.

— Harlock ! Tout va bien ? interrogea aussitôt une voix féminine inquiète par radio.
— C'est bon, Kei, répondit-il. J'ai seulement chatouillé les branches d'un sapin.
— Vous volez trop bas, capitaine, le sermonna la jeune femme. C'est d'autant plus inutile que nos senseurs n'ont pas détecté de dispositifs de surveillance capable de contrer notre brouillage.
— Hmpf. Je sais ce que je fais, grommela-t-il. Harlock, terminé.

Kei s'était octroyé une part de responsabilités croissante au cours de la guerre. D'opératrice radar, elle s'était hissée au poste d'officier tactique grâce à l'expérience que lui conféraient les nombreuses batailles menées, elle avait pris en main la section « opérations » de l'Arcadia à force de travail et de persévérance, et elle lorgnait désormais de façon ostensible sur le poste de Yattaran, l'officier en second. La jeune femme blonde avait gagné en maturité, en dureté même, et si le capitaine regrettait parfois l'adolescente naïve et éperdue d'admiration qu'il avait autorisé à embarquer jadis, il appréciait davantage l'officier de valeur qu'elle était devenue – grâce à lui ou à cause de lui, peu importait, mais il avait toujours préféré les femmes de caractère, de toute façon.
Bon, évidemment, le fait qu'elle ait appris à lui tenir tête avait aussi ses désavantages au quotidien… En particulier, elle avait de plus en plus tendance à le traiter comme une petite chose fragile, ce qui était horripilant à la longue. Mais il devait admettre qu'elle avait raison : il volait effectivement trop bas, et il n'était pas du tout concentré sur sa mission actuelle.

Il secoua la tête. Ce n'était pas le moment de rêvasser.

D'un coup d'œil circulaire, le capitaine de l'Arcadia s'assura de la position des autres chasseurs. Dix, onze… Douze spacewolfs, en l'incluant lui. La totalité des appareils disponibles de l'escadrille. Une puissance de feu dérisoire par rapport à celle que pouvait développer le grand vaisseau vert, mais largement suffisante pour la mission qu'il leur avait donnée.
Et puis, en plus d'éviter la vitrification d'un continent, les frappes chirurgicales des biréacteurs étaient tout de même plus élégantes qu'un bombardement orbital.

Harlock vérifia ses coordonnées et celles de leur destination, puis enclencha le canal de communication générale.

— À tous les pilotes, objectif en portée dans une minute. Prenez les dispositions de combat.

Joignant le geste à la parole, il arma ses deux missiles et programma leurs cibles : deux bunkers de défense sol-air, dont la portée était au moins une fois et demie inférieure à celle du spacewolf, mais dont il fallait se débarrasser avant de s'approcher davantage.
Ses hommes se chargeraient ensuite des bâtiments.

La fenêtre de tir de son écran tactique passa au vert. Les missiles, en portée, étaient verrouillés.

— Ouvrez le feu.

Les spacewolfs quittèrent leur formation de vol pour se disperser et frapper les objectifs assignés à chacun. Les deux missiles largués par Harlock explosèrent quasi simultanément. Les bunkers ne furent bientôt plus qu'un enfer de flammes.
Le capitaine prit de l'altitude et vérifia le bon déroulement de l'opération. La petite base militaire sylvidre brûlait. Des tirs de défense sporadiques émanaient encore d'un bâtiment – peut-être le centre de commandement – mais les tireurs ne faisaient pas le poids face aux canons des spacewolfs. Tout était déjà terminé avant même qu'il n'ait eu l'impression de commencer.

Harlock fut soudain saisi de l'envie impérieuse de prendre l'air.

— Je me pose, annonça-t-il.

Le capitaine amorça sa descente sans attendre de réponse. À coup sûr, ça ne plairait pas à Kei qui ne manquerait pas de lui reprocher son manque de prudence. Il pinça les lèvres, agacé. Ah, zut. Il ne devait plus rester grand monde, en bas.
Il atterrit entre la lisière de la forêt et les premiers bâtiments, au moment où quatre ou cinq silhouettes se fondaient entre les arbres. Il se figea, incertain sur la conduite à tenir. Il fut un temps où il n'aurait pas hésité à les poursuivre.

Bah, qu'elles aillent au diable. Les scans successifs de l'Arcadia l'avaient confirmé, le seul soutien logistique sylvidre de cette planète se trouvait ici. Et, même si des chasseurs avaient été camouflés dans la jungle en prévision d'une éventuelle contre-attaque, une poignée de guerrières ne représentait pas de réelle menace.
Par acquis de conscience (et aussi pour s'éviter des reproches supplémentaires lorsqu'il regagnerait son vaisseau), il informa tout de même Kei que quelques Sylvidres avaient probablement eu le temps de s'abriter avant l'attaque, puis il commença à inspecter successivement les bâtiments éventrés par les tirs des spacewolfs. Des entrepôts de stockage pour la plupart, mais aussi des habitations, et une longue bâtisse dont l'utilité lui échappait – vide.

Enfin presque.
Ce n'avait été qu'un craquement furtif, mais aussitôt il se figea, les sens en alerte.

— Qui est là ? Montrez-vous ! cria-t-il en dégainant son cosmodragon.

Pas de réponse.
Il avança prudemment, à l'affut du moindre bruit, mais seul le vent qui s'engouffrait en sifflant par un trou béant dans le toit troublait le silence. Il n'entendait même plus les réacteurs des spacewolfs qui devaient s'être éloignés, leur mission accomplie – à moins que Kei n'en ait détaché un ou deux pour atterrir et venir le chercher.
Il se retourna brusquement.
Personne. Il aurait pourtant juré…

Il tiqua.
Il percevait une présence. Pas un bruit, ni même un mouvement. Non. Une présence. Ce n'était pas tangible, et aucun élément extérieur ne permettait de corréler ce qu'il ressentait, mais il n'avait aucun doute à ce sujet.
Harlock se mordit la lèvre inférieure, pensif. Bon, inutile de s'emballer. Ça pouvait simplement être le fruit de son imagination. Il respira à fond, se concentra, et tenta de faire le vide dans son esprit. La présence ne s'atténua pas, au contraire. Elle avait même plutôt tendance à se renforcer jusqu'à devenir parfaitement nette et à s'imposer sur toutes ses autres pensées – et jusqu'à ce qu'il soit tout à fait sûr que ça ne venait pas de son imagination.
Et ça, c'était une chose à laquelle il n'avait pas été confronté depuis longtemps.

Il réfléchit une fraction de seconde, puis se dirigea résolument vers le fond du bâtiment. La porte se trouvait à l'endroit exact où il s'était attendu qu'elle soit, à demi camouflée par une pile de caisses métalliques. Probablement devait-elle conduire à un local technique.
Elle était fermée à clé de l'intérieur.

Harlock fronça les sourcils. Ce qui se tenait derrière cette porte réveillait en lui des souvenirs qu'il croyait profondément enfouis.
Il cligna des yeux. Ouvrir serait douloureux, songea-t-il alors qu'il testait les performances du verrou d'une poussée sur la poignée. Partir… Partir était impossible, s'aperçut-il après avoir reculé de quelques pas. Pas tant qu'il ne serait pas certain de ce qu'il y avait là-dedans.
De qui, corrigea-t-il.
Le verrou ne résista pas au cosmodragon.

— S'il vous plaît, ne tirez pas ! supplia une voix féminine lorsqu'il entra dans la petite pièce sombre.

Le capitaine jaugea la situation d'un œil impassible.
Blotties les unes contre les autres, et surtout beaucoup trop jeunes pour des guerrières, une dizaine de Sylvidres se tassaient dans le local exigu. La plus grande d'entre elles ne devait pas lui arriver à hauteur de poitrine. Elle le toisait malgré tout, sans pour autant réussir à camoufler sa peur, tandis qu'elle tentait de protéger ses compagnes de ses bras écartés – bouclier dérisoire contre le cosmodragon qu'il braquait sur elle.

Il grimaça. Il fut un temps où il n'aurait pas hésité à presser la détente.
Et merde.

— Sortez toutes, et vite ! ordonna-t-il froidement.

La Sylvidre la plus âgée le considéra d'un air dubitatif.

— Allez ! cria-t-il en avançant d'un pas, le canon de son arme pointé sur le front de la Sylvidre.

Elle retint sa respiration et sembla un temps ne rien faire d'autre qu'attendre la mort, mais soudain, comme si ses compagnes et elle obéissaient à un signal qu'elles seules étaient capables d'entendre, elles s'égaillèrent telle une volée de moineaux.
Finalement, il n'en resta qu'une.
Elle semblait plus chétive que les autres, et il supposa tout d'abord que si elle n'avait pas fui elle aussi, c'était parce qu'elle était plus faible, plus effrayée, ou peut-être même blessée. Il comprit qu'il avait tort lorsqu'elle s'avança en pleine lumière. Il aurait dû être surpris, mais il s'aperçut qu'il n'en était rien – comme s'il s'était toujours attendu à ce jour.

Elle n'avait en définitive pas tellement changé. Ses cheveux bruns, d'une couleur qu'il n'avait jamais retrouvée sur aucune autre Sylvidre, lui descendaient presque jusqu'aux genoux. Ses yeux, sombres mais pas tout à fait noirs, reflétaient de la curiosité plus que de la peur, même s'il y subsistait néanmoins une pointe d'inquiétude. Et sa peau pâle avait une carnation différente de celle des Sylvidres qui venaient de s'échapper, ce qui avait tendance à lui donner un teint maladif hésitant entre le verdâtre et le rosé.
Elle avait l'air d'avoir une dizaine d'années. Elle était, il le savait, beaucoup plus jeune en réalité.

— Eyen, murmura-t-il.

Combien de temps s'était-il écoulé depuis qu'il l'avait déposée sur cette planète à l'écart de tout ? se demanda-t-il. À peine deux ans, s'il en croyait les dates de son journal de bord, mais il avait l'impression que cela faisait une éternité. Et que faisait-elle ici maintenant ?
La petite Sylvidre n'osait pas bouger, mais de toute évidence elle l'avait reconnu aussi. Son regard pétilla de joie.

— Tu es venu pour moi ? demanda-t-elle.
— Pas vraiment, non… avoua-t-il.

C'était la vérité. Sans compter que si qui que ce soit à bord de l'Arcadia avait su qu'ils étaient susceptibles de trouver Eyen ici, jamais cette mission n'aurait eu lieu.

— Mais tu vas me prendre avec toi ? insista la fillette avec candeur.
— Je…

Il devait répondre « non ». Parce qu'elle était une Sylvidre et que sa présence à bord de l'Arcadia avait causé suffisamment de problèmes, la dernière fois.
Il crispa la main sur la crosse de son cosmodragon. Eyen tressaillit et recula à nouveau dans l'ombre. Il eut un sourire gêné et rangea son arme avant de se rendre compte que sa main avait été plus vite que sa pensée.

De quoi devait-il absolument rester conscient ? Ah, oui : elle pouvait très bien l'influencer. Ou plutôt, s'il était totalement honnête envers lui-même, elle l'influençait très bien.

— Bien sûr, assura-t-il.

Elle était d'ailleurs plus que douée. Il ne ressentait pas d'intrusion télépathique ni n'avait l'impression d'être contraint dans ses décisions, et ce, bien que le fait d'avoir répondu par l'affirmative à sa question fût une preuve suffisante de la capacité de persuasion de la petite Sylvidre.

— Et arrête ça, ajouta-t-il.

La gamine pencha la tête en une mimique interrogative. Le capitaine eut un geste impatient de la main.

— Je vais t'emmener, okay ? Alors tu arrêtes tout de suite de contrôler mon esprit !
— J'te contrôle pas ! protesta-t-elle.

Harlock haussa un sourcil sceptique. Eyen eut le bon sens de baisser les yeux en prenant une mine contrite. Bon, au moins était-il fixé, mais il aurait préféré ne pas avoir raison.
« Petite peste, tu aurais pu te défendre avec plus de véhémence et me laisser l'illusion d'être encore libre de mes choix », pensa-t-il, ce à quoi il s'entendit répondre « pff, j'vois pas pourquoi ». Le capitaine se crispa. Le pic de douleur qui venait de vriller son crâne était typique d'un contact télépathique direct, processus pour lequel le cerveau humain n'était pas conçu.

Il saisit rudement le bras d'Eyen.

— Et ça, ça me fait mal ! Je suis humain, donc je n'aime pas la télépathie. Donc, tu arrêtes. Est-ce que c'est clair ?

Elle détourna la tête.

— C'est clair, répéta-t-elle, visiblement à contrecœur.

Il la fixa jusqu'à ce que son regard croise à nouveau le sien. L'adulte et l'enfant se défièrent silencieusement pendant une ou deux respirations. Le visage de la petite Sylvidre affichait une expression butée.
Harlock eut un léger sourire. Elle était peut-être têtue, mais lui aussi.
Il agita la main d'un geste désinvolte pour clore l'échange.

— Allez. Amène-toi, lâcha-t-il avant de faire demi-tour et de se diriger vers la sortie sans plus se préoccuper d'elle.

Son sourire s'élargit lorsqu'il sentit qu'elle le rejoignait. Elle se déplaçait sans bruit, mais il n'avait pas besoin de l'entendre pour savoir qu'elle le suivait. Instinct ou télépathie rudimentaire, il aurait pu affirmer précisément où elle se trouvait en cet instant. Il ne prit pas la peine de vérifier, en revanche, mais lorsqu'il sortit du bâtiment et stoppa sur le seuil, elle vint se coller à ses jambes et s'accrocha à sa ceinture.

— Reste là, lui intima-t-il en se dégageant.

Il perçut son étonnement – et son impatience, aussi. Elle obtempéra cependant sans discuter tandis qu'il examinait le terrain et la probabilité que quelqu'un, à bord d'un spacewolf ou de l'Arcadia, puisse voir qu'il était accompagné.

— Il n'y a personne, déclara-t-elle au bout d'une poignée de secondes.
— Et qu'est-ce que tu fais des radars de mon vaisseau ? objecta-t-il.

Eyen haussa les épaules.

— On s'en fiche ! dit-elle avec un enthousiasme enfantin.

Elle lui prit la main et tira pour qu'il descende les quelques marches du perron. Il résista.

— Non, répondit-il fermement.

Ah. Là, elle essayait de le forcer. Il inspira à fond, fixa les cimes des arbres au loin et se remémora le plus calmement possible les leçons de Mimee, à l'époque où la Jurassienne espérait encore développer son psychisme un minimum. Il avait été un très mauvais élève (d'autant qu'il n'avait pas non plus été très coopératif), mais à présent il devait reconnaître que l'acharnement de Mimee avait tout de même des avantages.
Eyen fit la moue lorsqu'elle vit qu'elle n'obtenait pas de résultats.

— Je pourrais te faire mal, lâcha-t-elle.
— Fais-toi plaisir. Mais je ne pense pas que ce soit la bonne méthode.

Il ne baissa pas les yeux vers elle et s'efforça de rester concentré sur le paysage au loin. Malgré l'éloignement, malgré les mois écoulés, le lien télépathique qui s'était créé entre Eyen et lui persistait toujours, et il savait que l'enfant était tout à fait capable de lui infliger des dommages psychiques irréversibles si elle le voulait.
Harlock se raidit dans l'attente d'une attaque mentale – bien qu'il sentît que la petite Sylvidre hésitait. Elle finit par s'écarter au bout d'une dizaine de secondes tendues et s'assit à même le sol, les genoux repliés contre sa poitrine.

— Je veux juste que tu ne me laisses pas, souffla-t-elle.

Elle n'ajouta pas « encore ». C'était inutile, et le capitaine accusa le reproche intrinsèque sans mot dire. Elle avait raison, en définitive. Il l'avait abandonnée alors qu'elle faisait ses premiers pas dans le monde, à un moment où elle aurait eu le plus besoin de sa protection.
La logique aurait voulu qu'il recommence, mais il savait qu'il n'en ferait rien. Pas une deuxième fois, se promit-il.

Il soupira.

— Tu vas avoir des ennuis, à bord, répondit-il.

Et moi aussi, d'ailleurs, songea-t-il pour lui-même. Il était encore temps de changer d'avis. Ne pas la regarder, repartir, et prétendre qu'il ne s'était rien passé.
Il se demanda s'il saurait affronter sa conscience, s'il agissait ainsi. Probablement pas.

— Tu es décidée ? ajouta-t-il.

Elle opina.
« Bon. Qu'il en soit ainsi », pensa-t-il. Il regagna son spacewolf avec la fillette sur les talons, utilisant la végétation et les corniches des bâtiments pour se dissimuler à d'éventuels regards qui pourraient l'observer de haut. Il atteignit le biréacteur sans encombre, et sans que personne ne l'ait contacté par radio pour s'enquérir de la situation.
Harlock s'étonna brièvement que Kei n'ait pas encore pris de nouvelles. Il consulta sa montre. Non, la jeune femme ne s'inquièterait pas avant cinq bonnes minutes – son escapade avait été plus rapide qu'il n'aurait cru. Quant aux conséquences…
Eyen interrompit le cours de ses pensées en tirant un pan de sa cape.

— Dis, il est où, ton vaisseau ? demanda-t-elle.
— En orbite.

Peut-être eût-il mieux valu qu'il suivît les conseils de prudence de Kei : pas de reconnaissance isolée, ne pas quitter l'Arcadia lorsqu'on en assurait le commandement… Enfin, c'était trop tard, à présent.
Il souleva la petite Sylvidre pour la faire monter dans le cockpit. La gamine se faufila avec agilité à l'intérieur et se recroquevilla derrière le fauteuil du pilote.

— Il y a un masque à oxygène de secours sous mon siège, l'informa Harlock. Installe-toi du mieux que tu peux, il y en a pour une petite demi-heure de vol.

Elle répondit « d'accord ». Il était à peu près sûr de ne pas l'avoir entendue, mais il ne releva pas. Après tout, tant qu'elle ne lui faisait pas mal…
Il consulta les instruments de bord : le jet était sous tension, prêt à partir, et l'Arcadia attendait toujours en orbite. Les autres chasseurs étaient apparemment déjà rentrés. Tant mieux, à vrai dire. Les pilotes auraient quitté le hangar lorsqu'il arriverait et il éviterait ainsi les questions gênantes. Il jeta un dernier coup d'œil à l'arrière : Eyen s'était calée entre l'alimentation du radar et la valise de premiers secours, le masque à oxygène trop grand plaqué sur le visage. Elle souriait.

Le spacewolf décolla et laissa derrière lui la base militaire déserte.