- Yugi !

Le professeur d'histoire, Mr Haruki Fujikuta, s'avança à grandes enjambées vers le fond de la classe où était assis le petit Yugi. Il n'était plus si petit en fait ; même s'il n'était toujours pas le plus grand, il avait bien rattrapé ses camarades de classe.

- Vous me donnerez votre carnet de correspondance. J'en ai assez de vous voir dormir en cours. Naturellement, je suppose que vous ne pouvez pas répondre à ma question.

Yugi baissa les yeux, ces cours-là lui faisait toujours repenser à son ancien compagnon : Atem. Surtout maintenant, alors qu'ils étudiaient l'Egypte Antique.

- Bien, reprenons. Je voudrais qu'un de vous vienne au tableau nous parler de la reine Hatchepsout, une des rares femmes à être montées sur le trône d'Egypte durant l'antiquité.

Plusieurs personnes levèrent la main dont Kaiba, la tête de classe. Yugi détourna son regard pour éviter d'être interrogé. Peut-être qu'Atem l'avait connue mais si c'était le cas, il ne lui en avait jamais parlé.


La cloche sonna enfin : pour la classe de Yugi c'était la fin des cours et un brouhaha assourdissant retentit dans la pièce.

- Une minute s'il vous plaît, appela le professeur d'histoire.

Le silence se fit aussitôt.

- Merci. J'ai prévu de faire un petit voyage avec votre classe cette année ; en Egypte puisque c'est au programme. Un petit groupe d'archéologues travaille sur un nouveau site depuis quelques mois et les découvertes risquent d'y être très intéressantes. Il se trouve que j'ai un ami qui en fait parti et il m'a très gentiment proposé de vous faire découvrir son métier. Maintenant, il ne tient qu'à vous de choisir ce que vous désirez...

Des cris de joie retentirent de toute part avant que Mr Fujikuta ait pu terminer puis se dispersèrent peu à peu dans les rues de Domino...


- Ca promet d'être génial ce voyage, vous ne croyez pas ? s'écria Anzu en sortant de la classe avec ses amis.

- C'est clair ! On va pouvoir faire un truc intéressant pour une fois !

- Ouais ! Vive les vacances ! hurla Honda au milieu de la rue.

- Inutile de nous faire remarquer, marmonna la jeune fille, la seule du groupe. Alors Yugi ? Qu'est-ce que tu en penses ? Ca va être super, tu ne crois pas ?

- Peut-être, répondit-il sombrement, mais en attendant le devoir supplémentaire promet des heures d'ennuies !

- Le prof t'a donné un devoir supplémentaire ? Le chien ! grinça Jono Uchi, jamais à cours d'insulte.

- Allez, ce n'est pas très grave Yugi. T'as toujours eu les meilleurs devoirs en histoire, tenta de le consoler Anzu.

- Ouais, t'inquiète ! Tu vas t'en sortir avec un beau dix-huit alors que je me tape toujours les sales notes ! Tu devrais être content ! dit Honda pour rassurer son ami.

- Le problème, répliqua Yugi encore plus sombrement, c'est que mes devoirs d'histoires c'est Yami qui me les faisait…

- Quoi ?! s'écrièrent, tous en même temps, Jono Uchi, Otogi, Honda et Anzu.

- C'est pour ça que ta moyenne est tombée ces derniers temps ! réalisa sa copine avec ébahissement. Mais... Je croyais qu'il avait perdu la mémoire avant qu'on le ramène en Egypte… Comment a-t-il pu les faire à ta place ?

- Aucune idée. En vérité, je le lui ai demandé mais il ne m'a pas répondu. De toute façon, il ne répondait jamais aux questions qu'on posait sur lui ; même après avoir retrouvé ses souvenirs.

- Il était assez mystérieux comme garçon... Tu te souviens de la première fois qu'on l'a vu, Honda ?

- Ouais ! On était mort de trouille !

- Il avait quel âge, Yugi ? demanda Jono Uchi soudainement devenu sérieux. Atem...

- Je ne sais pas exactement... Pas beaucoup plus que quinze ou seize ans, j'imagine. Il était très jeune en tout cas... Ce n'est pas un âge pour mourir...

Les amis se turent ; chacun repensait à leur dernière aventure. Voilà déjà deux ans que le jeune esprit du puzzle les avait laissés : le temps passait vite.


Chapitre 1 : Kemet.

Il se trouvait à l'abri des regards ; adossé à son morceau de rocher, une main derrière la tête tandis que l'autre s'amusait à lancer le poignard en l'air. Le jeu consistait ensuite à le rattraper avec les dents (par la lame, si possible). Cela faisait un moment qu'il les observait : il y avait ces corps –une bonne douzaine- allongés au beau milieu du désert, sommeillant paisiblement sur le sable chaud, et accoutrés de façon ridicule. Il se demandait même pourquoi il les attendait. Glissant la dague à sa ceinture avec un soupir, il se risqua à jeter un nouveau coup d'œil ; bien deux heures qu'il patientait. Vraiment pas son style.


Yugi se réveilla en sursaut. Il faisait une chaleur épouvantable et son crâne le lancinait terriblement. Même la lumière paraissait bien trop vive. S'asseyant, il fit un mouvement pour se débarrasser de sa couverture et fut soudainement saisi d'effroi en réalisant qu'il n'était plus dans sa chambre. Ses doigts avaient effleuré les cailloux brûlants qui jonchaient le sol. Il se frotta les yeux : une fois, deux fois, comme pour laver la dernière pellicule de rêve qui obstruait sa vision. Il sentit son cœur manquer un battement : le désert s'ouvrait devant lui, gigantesque. Il cligna encore des yeux, hébété. Pendant quelques secondes, il ne bougea pas, il ne dit rien, assommé par le changement soudain. Puis un gémissement près de lui le ramena à la réalité. Il se calma un peu en apercevant ses amis à ses côtés : Anzu, Honda, Otogi, Jono Uchi et Ryô qui étaient venus passer la nuit chez lui, et à quelques mètres : Séto et Mokuba Kaiba, la famille Ishtar, Maï et enfin Shizuka, la sœur de Jono.

Mais il n'eut pas la force de parler quand il vit sa copine se relever péniblement et froncer les sourcils en regardant autour d'elle. Sa gorge était sèche.

« Où sommes-nous ?! » entendit-il Anzu s'écrier, suivit presque aussitôt d'une exclamation tout aussi éberluée de Maï :

- Yugi ? Jono ? Qu'est-ce que je fais ici ?!

- Grand frère ! glapit Mokuba. Que s'est-il passé ?

- Nous sommes en Egypte, déclara anxieusement Yugi.

Il les laissa se réveiller complètement avant de leur montrer un temple, non loin de l'endroit où ils avaient atterri. Sa voix avait tremblé légèrement.

- Ca j'avais compris, marmonna Malik entre ses dents. Mais à quelle époque ?

Ses amis le regardèrent avec des yeux ronds.

- Tu voudrais dire qu'on aurait remonté le temps ? dit Otogi avec inquiétude.

- C'est absurde ! s'exclama Kaiba.

Le jeune Egyptien s'apprêtait à répliquer mais il fut interrompu par Jono :

- Hé ! Pas si vite ! J'ai loupé une étape du voyage ou je deviens dingue ?

- J'opterai plutôt pour la deuxième proposition, le chien ! ricana une voix moqueuse derrière eux. Et ce n'était pas le petit génie de l'informatique.

Un jeune homme au teint mat, portant pour seul vêtement un pagne de lin des plus vulgaires, s'approcha du groupe d'amis. De longs cheveux hirsutes couleur de neige et une cicatrice sur la joue droite finissaient de le dépeindre.

- Ne serait-ce donc pas les futuristes Yugi et compagnie ? demanda-t-il, feignant l'étonnement.

- L'esprit de l'anneau ! s'écrièrent-ils tous au même instant.

- On se souvient de moi, je vois.

Il esquissa un sourire narquois avant de poursuivre :

- Mais je ne suis plus un esprit… Je suis libre désormais…

Les amis se regardèrent, déconcertés par la tournure que prenaient les évènements.

- Alors… Nous avons vraiment remonté le temps ? se risqua enfin à demander Ryô en s'éloignant prudemment de son sosie.

Le voleur haussa les épaules :

- Si vous voulez tout savoir, nous sommes le vingt-quatrième jour du deuxième mois de Chemou durant la quinzième année de règne du roi Atem Nakhtmirê.

- Quoi !? Attends, tu veux bien répéter là ? s'exclama Jono Uchi qui n'avait rien compris. (« Comme toujours lorsque les choses deviennent un peu compliquées », pensa Anzu).

- Nous sommes le vingt-quatrième jour du deuxième mois de Chemou durant la quinzième année de règne du roi Atem Nakhtmirê, répéta Bakura encore plus vite.

- Vous avez une de ces façons de dire la date !

- Dis… Tu pourrais nous accompagner jusqu'au palais ? coupa Yugi avec espoir. Une lueur de joie était apparue dans ses yeux au moment où le pilleur de tombe avait prononcé ces derniers mots.

- Tu as l'intention d'aller rendre visite à Son Altesse ? demanda-t-il en grimaçant. Tu sais qu'il est à Memphis en ce moment ? Ce n'est pas la porte à côté…

- Ah… Yugi baissa la tête un instant puis la releva de nouveau. Quand rentre-t-il ?

Le voleur eut un signe d'exaspération et se renfrogna.

- Tu crois peut-être qu'Horus vient me faire le rapport de chacun de ses mouvements ? Je sais bien qu'il a un code très stricte à suivre mais de là à m'informer de tout ce qu'il entreprend ! Je ne suis pas son vizir moi ! Ni son scribe !

- Bon ça va, calme toi ! s'écria Ryô dans une vaine tentative pour l'apaiser. On le sait bien que tu n'es qu'un simple paysan, va !

- Un simple paysan ? Moi !? s'exclama le jeune Egyptien vexé. Et bien sache, mon cher hôte, que j'ai été attribué à des fonctions plus nobles !

- Ah ouais… Cela voudrait-il dire que tu es allé dépouiller les autels de tes dieux après avoir vidé les tombeaux des rois ? se risqua à demander Malik non sans ironie.

Cette hypothèse fut suivie d'un long silence pendant lequel Bakura et Malik s'affrontèrent du regard.

- Et toi ? lança l'ancien esprit de l'anneau en chargeant ses mots de venin. Tu es revenu ici afin de te faire honorer comme le fils de Rê ou est-ce que tu es venu seulement pour t'acquitter de tes dettes et te mettre au service du Protégé d'Ouadjet ?

Le jeune Ishtar, blanc comme un linge, s'apprêtait à répliquer mais sa sœur l'en empêcha en s'excusant pour lui.

- Tu n'étais pas censé en être fier de toute façon ? lui rappela Honda aussi surpris que les autres par le brusque emportement de Bakura sur un sujet dont il s'était souvent vanté de connaître mieux que personne.

- Voleur peut-être mais je ne suis pas un hérétique, déclara-t-il sèchement prenant ses auditeurs à revers.

- Je pensais que le Pharaon était considéré comme un dieu dans l'ancienne Egypte, rétorqua immédiatement Kaiba sur un ton acerbe. Par conséquent, l'offenser ne serait-il pas une hérésie ?

La question resta en suspens sans que, étrangement, le voleur ne prononce la moindre injure.

- Horus m'a gracié, répondit-il dans un murmure, parlant plus pour lui-même que pour ses compagnons.

- Pardon ? demanda Otogi n'ayant pas saisi les paroles du bandit.

Ce dernier l'ignora, et, rejetant fièrement la tête en arrière, il les défia tous longuement du regard avant de négocier :

- Je peux peut-être vous trouvez un endroit pour dormir… Et même me débrouiller pour que Sa Majesté soit prévenue de votre arrivée… Mais…

- Quoi ?

Bakura sembla réfléchir un instant, puis :

- Non rien…Venez, cet endroit est interdit normalement.

A nouveau, le groupe d'amis se consulta du regard. Depuis quand l'ancien esprit de l'anneau se souciait-il des règles ? Cependant, ils ne firent aucun commentaire et se contentèrent de lui demander où ils étaient.

- Set-Maat, répondit-il, toujours aussi indifférent.

- C'est proche de la Vallée des Rois, traduisit Isis lorsqu'elle en vit certains froncer les sourcils en signe d'ignorance.


Au bout d'une demi-heure de marche sous les rayons inflexibles de Rê, qui semblait jouir immensément de les voir courber l'échine devant sa puissance éclatante, nos pauvres amis, épuisés, arrivèrent enfin sur les bords du Nil où déjà quelques frêles embarcations avaient osé s'aventurer. Sur l'autre rive, on pouvait apercevoir la ville se réveiller peu à peu.

- Ouah ! s'écria Honda émerveillé. Je ne me souvenais pas que la ville était aussi belle !

- Elle était à moitié ravagée, effectivement, ironisa Anzu.

- Oui, mais je crois aussi que le monde de la mémoire avait gardé un certain aspect de l'Egypte moderne. Cette ville ne devrait pas être tout à fait identique à la dernière fois, répliqua Yugi en contemplant lui-même la prestigieuse Thèbes. Sans compter que Yami a dû faire un sacré travail pour la remettre sur pieds !

Les autres ne dirent rien ; autant impressionnés par la légendaire capitale du Nouvel Empire qui se dressait sous leurs yeux, que fatigués par leur longue et pénible promenade en compagnie de Bakura, qui d'ailleurs s'était avéré être le parfait guide. Celui-ci les avait, en effet, mené avec précaution à travers l'ardu désert sans leur faire courir le moindre risque, et en ayant pris soin de les conduire par le chemin le plus court. Qui l'aurait pu croire ?

- Si vous voulez boire, les interrompit-il, il y a de l'eau.

Et sans plus se préoccuper d'eux, il s'avança vers la berge pour se désaltérer ; se servant de ses mains comme tasse. A ces mots, Mokuba -qui avait rechigné pendant tout le périple à cause de la chaleur- se précipita à son tour vers la berge (ignorant les protestations de son frère qui soupçonnait l'eau de n'être pas potable) et où il fut bientôt rejoint par une dizaine d'adolescents tout comme lui assoiffés.

Ils s'effondrèrent bientôt sur le sol avec de longs soupirs de soulagement pendant que Bakura, pas le moins du monde ennuyé par la température, était parti explorer les environs sans leur avoir donné une raison valable.

- Pfiou ! Quelle chaleur ! s'écria Jono Uchi en passant sa main sur son front pour essuyer les perles de sueur qui commençaient à se former sur son visage. Les autres approuvèrent, tentant vainement de trouver de l'ombre.

Les minutes passèrent. Enfin Bakura surgit de derrière les feuilles de papyrus qui ornaient les rives du Nil. Personne ne dit rien, trop éreintés pour discuter ; ils avaient tous une mine affreuse. Le voleur les observa un moment avant de leur rire au nez et de poursuivre l'inspection soigneuse qu'il avait entreprise.

- Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle ! s'énerva le blondinet. Et ça te gênerait de nous dire ce que tu fais depuis tout à l'heure !?

Faisant d'abord comme s'il n'avait pas entendu, le jeune albinos finalement exaspéré se retourna et lâcha :

- Déshabille toi si t'as trop chaud, imbécile ! Enlève ton haut au moins ! Quant à ce que je fais, je cherche le meilleur moyen de vous faire traverser sans que vous vous fassiez bouffer par les crocodiles ! Ca te va ?!

Ne s'attendant pas à une telle réponse, Jono ouvrit la bouche pour la refermer à l'instant, muet comme une carpe.

- On pourrait peut-être s'arranger pour que tu disparaisses accidentellement dans la gueule de ces sales bêtes, reprit sarcastiquement Kaiba, faisant apparaître un demi-sourire sur les lèvres de l'Egyptien.

Puis :

- Mokuba, enlève ton t-shirt. Si les gens ici se promènent en pagne, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas non plus ! s'écria-t-il sur un ton de défi.

Aussitôt dit, aussitôt fait. A l'exception de Rishid, Malik et Isis, ils retirèrent tous le plus de vêtements possibles sous l'œil amusé de Bakura qui s'était à nouveau enseveli sous les buissons et où il avait enfin trouvé ce qu'il voulait.


- Les travaux avancent-ils comme vous le souhaitiez, Votre Majesté ? demanda enfin Senmout, le responsable des chantiers, n'ayant osé prononcer le moindre mot depuis le début de l'inspection du temple de Ptah, divinité locale de Memphis.

C'était sur une requête du maire de cette même ville que Pharaon avait ordonné la restauration de cette demeure sacrée deux saisons auparavant ; chargeant ses meilleures équipes de l'affaire. Et en ce jour, il s'était déplacé personnellement afin d'en vérifier le bon déroulement. D'ailleurs, son arrivée à cette période de l'année avait jeté sur la ville une activité encore plus intense que d'habitude : les Egyptiens du nord ne manquant pas une occasion de faire la fête en son honneur, et les étrangers, déjà nombreux en raison du commerce, affluaient de toute part pour apercevoir le roi des rois. Senmout soupira ; il trouvait soudain sa tâche bien lourde pour ses vieilles épaules.

- Combien de temps faudra-t-il encore pour les achever ? voulu savoir Atem.

Son ton neutre ne permit pas à son subordonné de déceler ses intentions et ce dernier préféra répondre avec prudence. En dépit de sa jeunesse, le souverain n'était pas à prendre à la légère. Le fils de Rê avait eu conscience -dès son accession au trône- que ce désavantage aurait pu entraîner sa perte un jour ou l'autre, et de ce fait, il s'était appliqué à renforcer son autorité en ne laissant personne contourner ses lois.

- Encore quelques temps, Seigneur, annonça-t-il en se démenant pour essayer d'apercevoir un signe sur le visage du monarque.

Ce dernier conserva son masque et exigea une précision. Les expressions vagues ne lui convenaient guère. Hésitant, Senmout donna enfin une date :

- J'ose espérer que les travaux seront terminés d'ici deux décades, mon Roi.

- Je l'espère aussi.

Atem ne changea pas de ton. En revanche, il lui accorda un demi-sourire satisfait avant de poursuivre :

- J'aurais à nouveau besoin de tes services une fois la maison de Ptah rénovée. Je compte donc sur ta présence immédiate auprès de Ma Majesté lorsque tu en auras fini avec cette tâche. Toutefois, ajouta-t-il plus sévèrement, ne te permet en aucun cas de bâcler la fin des travaux.

- Vos désirs sont des ordres, Majesté.

Puis comprenant que le monarque le congédiait, il récita consciencieusement la longue titulature royale comme le voulait le protocole :

- Taureau puissant qui détenez la puissance divine et par les deux maîtresse d'Egypte celui dont la victoire est grande dans tous les pays. Vous, l'Horus d'or, le brave, qui soumettez les ombres et les ténèbres, le Maître de Haute et Basse Egypte Nakhtmirê et le noble fils de Rê, Atem, Maître des Couronnes, doué de vie et de puissance comme Rê éternellement.

Senmout se tut un instant pour reprendre son souffle. Enfin, il s'inclina profondément et Atem s'éloigna encadré par une armée de prêtres qui le remirent entre les mains de ses gardes royaux à la sortie du temple.

En silence, ils traversèrent l'enceinte sacrée du domaine de Ptah et se rendirent à la maison du roi, abritant les appartements de ce dernier ainsi que la salle du trône. Rattachée à celle de la reine, l'habitation principale de Pharaon se trouvait au centre d'une vaste résidence royale regroupant de nombreux bâtiments annexes parmi lesquels figuraient le harem, les écuries, la caserne et beaucoup d'autres. Ces derniers étant eux-mêmes encerclés par de magnifiques jardins qui jouxtaient les entrées de plusieurs temples de sorte que le fils de Rê puisse venir y officier régulièrement.

Arrivés à destination, les soldats se postèrent aux portes principales –libérant ainsi de nouveaux hommes- et laissèrent leur souverain pénétrer dans la pièce de réception où s'élevaient sur la large estrade du fond, deux trônes aux pattes de lions symboliquement protégés par les nombreux dieux sculptés dans leur bois recouvert d'or. Là, nombre de ses courtisans, l'ayant accompagné de Thèbes, l'y attendaient. Et c'est empli d'admiration pour ce si jeune roi qui savait se montrer aussi fort et aussi sage que ses respectables ancêtres qu'ils se prosternèrent tous front et lèvres au sol sur son passage.

Atem s'assit silencieusement mais majestueusement ; dominant son public de sa divine présence. Il semblait que chacun retenait sa respiration, impressionnés par la grandeur, la puissance et la beauté du jeune homme scintillant de mille éclats sous ses parures d'or et de pierres précieuses. D'un geste, il convoqua un égyptien dans l'assemblée et chassa les autres qui se retirèrent à l'instant même multipliant les révérences. Seul l'appelé demeura et s'avança jusqu'au trône du monarque ; s'agenouillant devant lui, tête baissée en signe de respect, une main sur la poitrine en signe d'humilité. C'était un homme d'une quarantaine d'année, agréable à regarder sans être beau et originaire de Memphis. Rekhmirê –car il se nommait ainsi-, fils du fidèle Shimon, avait été désigné comme le vizir de Basse Egypte par le bon Aknamkanon quinze ans auparavant pour ses conseils judicieux et perspicaces. Il travaillait dans la résidence secondaire du roi et par conséquent les deux personnages se voyaient peu mais avaient établi un contact régulier permettant au Maître d'Egypte de garder un œil sur l'intégrité de son royaume. Aujourd'hui, ils se parleraient de vive voix.

Respectueux, Rekhmirê attendit au sol les ordres du dieu. Lorsque la salle fut vidée de toutes présences humaines, Atem l'invita à se relever et à venir s'asseoir auprès de lui sur une banquette disposée à cet effet.

- Rekhmirê, mon ami, ce matin tu es venu m'entretenir de mon peuple comme il se doit, et, comme tous les matins, rien d'important n'était à signaler. En d'autres termes, mon royaume se porte bien. Ce soir, c'est moi, Horus, qui parle par la bouche de ton roi, qui vais t'entretenir de mes projets. Ecoute bien et j'entendrai ton opinion ensuite…

Atem marqua une courte pause pendant laquelle il observa attentivement son vizir. Celui-ci baissa les yeux pour ne pas croiser les flammes ornant les plus beaux joyaux de son Maître. Des yeux vifs et pénétrants, sombres comme les ténèbres et qui inspire la crainte, au regard dur, impassible, éclatant comme le soleil, foudroyant dans ses rancœurs mais pur et doux tout à la fois ; qui, disait-on, réduiraient en poussière le mortel qui les contemplait. Et cela, Rekhmirê, comme tous les autres, n'en doutait pas une seule seconde.

Le roi reprit avec moins d'arrogance et plus de douceur ; il était passé maître dans l'art de manipuler les expressions de son visage et celles de sa voix :

- J'ai l'intention de délaisser Thèbes, ma capitale administrative, au profit d'une nouvelle capitale. Une capitale militaire : plus au nord et mieux située stratégiquement. Le Mitanni est, comme tu le sais, un problème pour moi depuis le début de mon règne et je pourrais ainsi le surveiller de plus près. J'envisage également de renforcer sérieusement notre armée ; et la construction d'une nouvelle cité sera un moyen pour moi de mobiliser un assez grand nombre d'hommes…

Atem s'arrêta une nouvelle fois pour observer l'homme se trouvant à ses côtés. Il semblait préoccupé mais il poursuivit néanmoins :

- Etre soldat n'est pas très apprécié des Egyptiens. Tu sais comme moi que ce n'est qu'un métier secondaire et que seuls ceux qui n'ont pas d'autres alternatives s'y dirige. C'est donc là que tu interviens, mon ami. Penses-tu, toi qui parle au nom de mes gens, que je recevrai l'approbation générale si je passais un décret faisant de chaque homme né sur mes terres un soldat à long termes ?

- Votre parole dicte la loi, Majesté. Ils n'ont rien à contester. De plus, c'est à vous d'assurer leur sécurité ; pour cela, il nous faut une armée beaucoup plus… satisfaisante, si je puis me permettre.

Rekhmirê releva les yeux. Jugeant l'expression songeuse du jeune roi encore sécurisante, il osa ajouter ouvertement son avis ; espérant l'orienter sur cette voie.

- Peut-être devriez-vous ajouter au confort des soldats pour que Kemet puisse enfin bénéficier d'une armée permanente ?

- C'est là ce qu'avait commencé à réaliser mon noble ancêtre Menkheperrê, répondit sèchement Atem. Quant à moi, ce que je compte instituer ou non ne te regarde pas.

Il n'avait pas manqué l'allusion ; son père avait été un homme de paix et il avait été jusqu'à désintégrer sa propre armée pour laquelle les premiers souverains de sa dynastie s'étaient consacrés afin d'empêcher une nouvelle occupation ennemie. Rekhmirê blâmait son père pour cette erreur ; comme la plupart de ses autres conseillers qui pensaient que les nombreuses révoltes dans les pays soumis au joug de l'Egypte, depuis le début de son accession au trône, y étaient dues en grandes parties.

Bien sûr, ils avaient raison ; mais son père avait toujours été pour lui un sujet très sensible et cette attaque ne fit que monter sa mauvaise humeur. Le vizir, réalisant qu'il avait dépassé sa limite, inclina la tête ; son menton effleurant sa poitrine, et prononça la formule qui avait pour don d'apaiser un temps soit peu le roi : « Je suis votre dévoué serviteur, Majesté. »

Atem resta silencieux et Rekhmirê tenta une nouvelle approche :

- En avez-vous discuté avec la reine, Seigneur ? Peut-être…

- Ce sont là mes affaires, coupa le jeune garçon sentant sa colère ressurgir aussi sec.

- Je… Je vous demande pardon. Je…

- Cela suffit. Tes remarques sans conséquences ne m'intéressent pas, répliqua-t-il ; sa voix dangereusement calme. Tu peux disposer.

Rekhmirê se courba puis sortit de la salle du trône, le visage livide. Jamais il n'avait mis, ni osé mettre, le roi dans une aussi coléreuse humeur et il craignait d'y perdre sa position ; bien que si l'on y regardât de plus près, il n'y était vraiment pour rien. Son jeune maître était encore un lion bien impétueux et il se consola en espérant que cette disgrâce (qui n'avait aucune raison d'être) ne serait que passagère.

Une fois seul, Atem détendit les muscles de son visage ; laissant tomber son masque de roi tyrannique. L'expression de la mélancolie se lisait à travers les deux fenêtres de son âme, à présent ouvertes. Ni les femmes ni les enfants de sa cour de Thèbes ne l'avaient accompagné : la reine, au tempérament plutôt colérique, ayant ordonnée qu'ils demeurent auprès d'elle. Le palais paraissait vide, et le réconfort de sa famille lui manquait cruellement ; presque autant que durant son séjour au Japon. Yugi… Spontanément, sa main, ornée de bagues, vint se poser sur le lourd bijou en or attaché à son cou par une longue et fine chaîne de cornaline et de jaspe.

Lors de son retour en Ancienne Egypte, Kemet, voilà quatre ans, un an après la guerre des Ombres étant resté inconscient pendant l'année qui avait suivie, il avait pris la décision de rebâtir le temple caché de Kul Elna ainsi que trois autres abris destinés à soustraire les objets magiques aux regards indiscrets. La dernière cache, truffée de pièges, garderait son précieux puzzle après sa mort ; tandis que celle du village des voleurs ainsi que les deux autres, en dissimulaient déjà deux chacune. De nouveaux prêtres, issus de la noblesse égyptienne, veillaient sur les trésors, entourés de leur famille et de nombreux serviteurs, à qui il avait défendu de sortir sous peine de mort et qu'il avait élus pour le servir éternellement. Et en quelques années, les rumeurs les avaient désignées comme « les trois clans » : celui de la prêtresse Ishtar –dit clan Ishtar- gardienne du collier et de la hache ; celui des frères Paramessou et Nehesy, protecteurs de la clé et de la balance, et celui des époux Paser et Piankhet, prêtres de l'anneau et de l'œil. Ce dernier clan ne s'était jamais manifesté lors de son voyage en « Futur Egypte » ; néanmoins, il était presque certain que Shadih descendait de Nehesy, le deuxième fils de Shaddah, et il ne doutait pas que Malik et Isis appartenaient à la famille d'Ishtar, fille d'Aisis…

Un claquement retentit soudain dans la grande salle ; sa main droite, crispée sur le fouet nekhakha s'était brutalement abattue sur l'accoudoir de son trône. Voilà qu'il s'était à nouveau pris à songer à cette étrange vie qu'il avait mené au sein du puzzle. Pourtant il n'avait jamais été aussi heureux que le jour de son « réveil » où il avait enfin pu étreindre sa sœur et ses deux petites filles. Il s'était même jugé un peu trop sentimental, ce jour-là. Alors pourquoi le visage souriant de Yugi revenait le hanter parfois des nuits entières ? Lui manquait-il ? Il n'en avait pourtant pas l'impression, du moins durant la journée. Il avait tellement de responsabilités qu'il n'avait guère le temps de penser à lui, en vérité. Et puis à quoi bon puisqu'il ne le reverrait plus ? Si ? Non.

Et si un jour, Yugi débarquait au palais avec Honda, Jono et Anzu ? Ce n'était pas impossible après tout. Que ferait-il, sachant que les quatre ne comprendraient rien ni à son monde ni à lui-même. Comment, sortant d'un monde où tous étaient considérés comme libres et égaux, ces quatre jeunes comprendraient-ils sa vision d'un monde hiérarchisé où il dirigeait les hommes comme il l'entendait ? Comment, eux qui se déclaraient naïvement « amis du Pharaon », pourraient-ils comprendre que cette interpellation n'était en fait qu'un titre honorifique auquel ils n'auraient jamais accès ? Et toute cette haine qu'il avait perçue contre Kaiba à cause de ses richesses, de cette étiquette d'« intello » que les élèves de sa classe lui avaient imposé et de son arrogance irritante, n'avaient-ils jamais compris qu'il lui était semblable sur beaucoup de points ? Avaient-ils véritablement pris ses discours sur l'amitié, prononcés au nom de Yugi, pour ses idées ? Bien sûr qu'il respectait l'amitié mais ces concepts variaient selon les époques et les personnes. Et lui aussi avait à charge l'économie d'un pays, lui aussi gouvernait le monde, lui aussi était supérieur aux autres. Des centaines de serviteurs vivaient dans la seule frayeur de lui désobéir, et quoi de plus normal ? Il était le fils de Rê. Mais eux n'y croyaient pas, et dans leur insouciance, ils risquaient de l'offenser gravement. Il serait alors obligé de les punir s'il ne voulait pas perdre son autorité et avec cela son trône, sa couronne et sa vie.

L'angoisse finit par le saisir. Il ne fallait pas qu'une telle affaire se produise ! Le peuple le vénérait mais c'était des courtisans dont il fallait se méfier ; les intrigants profiteraient du moindre instant de faiblesse, de la moindre hésitation ou moment de regret pour le renverser…

- Majesté ?

La voix apeurée de Sennefer, son serviteur principal, le ramena à la réalité, et l'épais voile de nuit, qui s'était mis à caresser sa silhouette, disparu aussitôt. Sa magie était puissante ; et même avec l'aide du puzzle qui lui servait de canalisation, la garder totalement sous son contrôle alors que lui-même luttait contre ses émotions n'était pas une mince affaire.

- Majesté ?

Atem soupira et se tourna enfin vers le serf prostré dans la poussière au bas de l'estrade.

- Oui ?

Sa réponse fut un peu plus sèche que prévu mais les réflexions du vizir étaient encore fraîches dans sa tête et il n'était certainement pas d'humeur à la clémence.

- Maître… Je… Je m'excuse mais vous…vous m'aviez donné l'ordre de venir vous chercher une heure avant la tombée de la nuit et je…

- En effet. J'accueille Shamash, l'ambassadeur de Canaan, cette nuit ; et il me faut m'apprêter conformément à l'usage pour le recevoir. Tout est-il prêt comme je l'avais commandé ? demanda-t-il avec plus de raideur dans la voix qu'auparavant.

Il était clair pour Sennefer que celui qui oserait désobéir ce soir le regretterait amèrement et il pria les dieux de ne pas faire de lui l'objet de la colère de leur fils.

- Tout… Tout est en ordre, Maître, réussit-il à articuler entre deux tremblements. Je… Il y a aussi…

- Assez discuté. Viens.

La fermeté de ses ordres ne lui laissait pas vraiment le choix. Aussi, Sennefer suivit docilement le jeune Horus à travers la porte dérobée située derrière le trône pour accéder à la maison privée du roi et de là, à la maison du matin où étaient rangés les effets réservés à sa toilette.


L'après-midi parvenait à son terme. Yugi, assis sur la berge est du Nil, en compagnie de Jono Uchi, Honda, Anzu et les autres, observait avec ennui Bakura revenir de son septième et dernier voyage d'entre les deux rives.

Ce dernier avait, en effet, consacré sa journée à diriger sa précaire petite barque de papyrus –dont il était très fier pour l'avoir lui-même conçu- à travers le domaine de Hâpy. Mais trop légère pour transporter plus de deux passagers en plus de lui, il avait du effectuer de nombreux allers-retours afin de ramener à Thèbes la Yugi Team au complet. Le temps de les convaincre que l'embarcation pourrait supporter trois poids adultes, puis que les crocodiles et les hippopotames ne devenaient un danger que lorsqu'ils se sentaient menacés lui avait déjà pris toute l'après-midi. Ensuite, après avoir perdu quelques heures encore à former des groupes de deux ; de façon à ce que les masses soient équitables et ainsi ne pas faire chavirer son bateau, il avait, somme toute, pu commencer à les faire passer. Cela n'avait pas été une mince affaire…

Enfin, le voleur mis pied à terre avec Ryô et Shizuka qui, à l'inverse des autres, semblait plutôt de bonne humeur.

- Ce n'est pas trop tôt ! leur cria Jono Uchi tandis que tous se levaient pour les rejoindre.

Quelques Egyptiens se retournèrent, alertés par le cri du blondinet, mais ils s'en détournèrent rapidement pour reprendre leur tâche. Il y avait du monde dans les rues ; la baisse de température annonçant le début de la soirée avait attiré plus de monde sur les marchés et les pêcheurs revenaient leurs filets remplis.

- J'ai faim ! On n'a pas mangé depuis hier soir ! se plaignit à nouveau Jono.

- Désolé, Tjesem, mais faudra-t-en passer, rétorqua l'albinos indifféremment alors qu'il amarrait son embarcation sur le quai. A moins, bien sûr, que tu n'ais de quoi payer.

- Quoi ? Tu veux dire que tu n'as pas d'argent ? s'exclama à son tour Honda, également inquiet pour son estomac.

Bakura parut confus un instant. Il allait répondre lorsqu'Isis, égyptologue renommée, prit la parole :

- N'oubliez pas que nous sommes à Kemet, l'Ancienne Egypte, dit-elle de cette voix douce et mystique qui la caractérisait si bien. La monnaie n'existe pas encore.

- Ah bon ? Et comment fait-on si on veut s'acheter à manger alors ? demanda Maï, reflétant la surprise de tous les autres à travers ses mots.

- T'échanges, interrompit le voleur, histoire de se montrer impoli. Ou tu voles… En sachant que si on t'attrape, t'es conduit au tribunal et tu peux dire adieu à tes mains !

Les sourires tombèrent et l'égyptien ricana.

- Tu ne pourrais pas nous raconter quelque chose de vraie au moins une fois ! s'écria Anzu, la fatigue et les frustrations de la journée explosant à ce moment précis. On te fait confiance et…

- C'est très sérieux ! se défendit le larron, reculant progressivement pour éviter le doigt accusateur de la jeune fille. Et puis je n'ai rien à troquer. Je me contente d'un repas par jour d'habitude !

Le silence s'abattit soudainement sur le groupe d'ami à l'annonce de cette vérité pour le moins dérangeante. Bakura appartenait à la classe sociale la plus basse ; ses manières et son mode de vie différaient sur beaucoup de points avec ceux d'Atem qui, lui, dominait l'échelle. Etait-ce pour ces raisons qu'ils l'avaient toujours exclu ? Dans tous les cas, la vie du voleur ne semblait pas avoir été commode tous les jours.

- On… On s'excuse. On a manqué de tact, reconnut enfin Jono Uchi après une longue pause où l'embarras avait eu le temps de s'installer.

- T'inquiètes, on se passera de dîner, affirma Yugi se voulant rassurant.

- Quoi ? Mais t'es dingue ! paniqua Otogi à son tour. On a rien avalé depuis hier soir ! On ne tiendra jamais à ce rythme là !

Le tumulte s'empara d'eux et ils se mirent à s'invectiver, rejetant la faute de leur malheur sur tout autre personne qu'eux-mêmes.

- Bon, on se calme ! les réprimanda finalement la jeune Ishtar, autoritaire malgré son visage angélique. Vous ne croyez pas que vous devriez montrer un peu plus de considération pour Bakura ? C'est pourtant lui qui nous a aidés tout au long de la journée !

Des mines contrites baissèrent les yeux, pris en faute. Un rictus se forma sur les lèvres du pilleur de tombe ; pour une fois, ce n'était pas lui l'incriminé !

- T'as des conseils à donner au moins, chef, railla Malik.

Ce qui lui valut un regard noir de la part de sa sœur et de son supposé allié qui prit enfin la parole :

- Vous pouvez venir chez moi pour la nuit. On verra le reste demain. Les voisins auront peut-être quelque chose à vous offrir d'ailleurs, dit-il d'une voix qui se voulait la plus lasse possible mais en vérité il semblait lui-même préoccupé.

- C'est une idée, répondit Maï. Tu habites loin d'ici ?

- Une petite heure de marche. Je suis installé à Kul Elna. Sa Majesté a fait entièrement reconstruire le village il y a quelques années.

- Dis moi, tu as plutôt l'air de t'être réconcilié avec Atem, non ? l'interrogea Anzu, curieuse de connaître la cause de tous les changements de son comportement.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

Les mots parurent un peu abrupts, comme s'il refusait catégoriquement de l'admettre. Néanmoins, Anzu poursuivit :

- Je ne sais pas… La façon dont tu le désignes peut-être : « Sa Majesté ». Et il y a moins de mépris dans ce mot quand tu l'emploies.

- Pour ton information, j'ai toujours utilisé les titres de mon roi pour parler de lui. C'est la première règle de politesse que les parents enseignent à leurs rejetons. Prononcer le nom divin du Fils de Rê est un crime que même moi je n'oserais pas commettre.

Il lui jeta un regard en coin pour lui signifier qu'elle devrait en faire tout autant mais si elle ne sembla pas le remarquer, Yugi, lui, parut contrarié. Ce dernier avait froncé les sourcils en tentant de se remémorer si son alter ego lui avait effectivement permis de l'appeler par son prénom.

- On y va alors ?

- Hm…

Bien qu'à contre cœur, la petite troupe se mit en marche une fois de plus, se dirigeant vers le village natale de Bakura.


Ils cheminaient déjà depuis presque une heure, la tête courbée avec lassitude, les pieds butant au moindre obstacle et la faim tordant leur ventre douloureusement. Ils avaient quitté les champs moissonnés des bordures du Nil pour remonter plus haut, là où l'inondation de début d'année n'atteignait pas les habitations. Un petit village se distinguait au loin ; les murs de ses maisons, blanchis à la chaux, se découpaient nettement dans la nuit noire où pénétraient timidement les lueurs pâles de la lune.

- Vous voyez, ce n'était pas très loin, annonça le voleur avec fierté.

- On n'est pas encore arrivé, bougonna Otogi.

Une pierre roula quelques mètres au devant d'eux, le garçon ayant manqué de trébucher.

- Allez ! Ne trouves-tu pas que ce pays est magnifique ? s'écria Shizuka en lui offrant son plus beau sourire.

- Si, si, bien sûr… C'est juste que…

- C'est rien cette petite promenade ! Tu exagères, Otogi ! crâna Honda en se positionnant au côté de la jeune fille pour lui faire sa coure. Il faut dire que j'ai l'habitude d'affronter des monstres et de courir en plein soleil dans le désert le ventre vide.

- Tu fais référence au moment où toi et Joey avez poursuivi Bobasa jusque devant le palais ou au moment où vous avez essayé de transformer les cavaliers noirs en côtelette de porc ? demanda Anzu sur le ton de la conversation tandis que le grand ami de Pegasus se précipitait à son tour vers la petite Jono Uchi.

- Ha. Ha. Ha. Très drôle, rétorqua le grand brun qui, apercevant son jaloux rival, se rua à nouveau vers sa demoiselle.

Une lutte silencieuse mais acharnée débuta alors, pendant que les autres poursuivaient leur chemin dans un silence presque religieux ; puis ne supportant plus ce mutisme obstiné, Yugi posa la question qui leur brûlait tous les lèvres, terminant du même coup le combat pour les faveurs de Shizuka :

- Pourquoi Yami a-t-il pris la décision de rebâtir ton village ?

Au dessus de leurs têtes, dans le ciel violacé du crépuscule, le cri du faucon retentit ; comme un appel déchirant, un écho du passé.


Fin du chapitre 1.