L'ange et la mélancolie

Chapitre 1

Six mois. Cela faisait six mois déjà, qu'elle était dans ce lycée. Six mois qu'elle arpentait ces couloirs lumineux, pour parvenir aux buts qu'étaient les classes étouffantes et les salles d'eau, propices aux rafraîchissements. Six mois et pourtant, elle n'avait que très peu d'amis, si peu qu'on pouvait les compter sur les doigts de la main… et encore…

Pourquoi s'encombrer d'amis alors qu'ils ne peuvent pas vous comprendre ? Non, elle n'avait pas besoin d'amis, elle se suffisait à elle-même. Certaines filles ont bien essayé de la convaincre de rejoindre les rangs, mais dès qu'elles se sont aperçues de sa différence, elles n'ont pas insisté. Un ou deux garçons, aussi, ont remarqué le charme timide de cette solitaire, à la chevelure flamboyante et aux yeux sans fond, à en croire leurs dires, mais ils lâchaient prises en remarquant son mutisme, interprété comme du manque d'intérêt. Bien évidemment, il y avait toujours quelques exceptions pour confirmer la règle…

Elle ne se serait pourtant jamais qualifiée de «jolie», encore moins d'«attirante». Même en cherchant bien dans son miroir, elle ne trouvait qu'une adolescente renfermée, les boucles lâches de ses cheveux auburn rassemblées en tresse à quatre brins, des yeux tristes, d'un bleu nuit, et, pour couronner le tout, une peau pâle et fragile criblée de taches de rousseur.

La jeune fille se regarda une dernière fois dans le miroir de son casier, avec amertume, pris les affaires nécessaires aux prochains cours et reparti en direction de la salle de SVT, au deuxième étage. Il ne lui restait plus qu'une seule période avant la pause de midi et il lui tardait de pouvoir enfin sortir prendre l'air.

- Mia !

En se retournant, elle aperçu un jeune étudiant brun répondant au nom d'Armin. Il faisait partie des rares personnes du lycée à l'apprécier, bien qu'elle ne pût en trouver la raison. Rien qu'en le voyant courir vers elle, la jeune fille devina aisément qu'il allait lui demander un service : tout dans sa façon de ralentir le pas, de se passer la main dans les cheveux, de la regarder, montrait qu'il voulait paraître sous son meilleur jour, afin d'être plus convaincant et sûr d'avoir la réponse qu'il souhaitait. Tout cela, elle ne le savait que grâce à son sens d'observation surdéveloppé il le fallait bien, pour compenser cette différence inoubliable. Elle le salua de la main et lui jeta un regard, certes ombrageux mais interrogateur.

- Salut, je voulais juste te demander quelque chose… Est-ce que tu serais tentée par l'enregistrement exclusif des répét' des Burned Liars ?

Sans répondre, la jeune fille se contenta de le fixer d'un air intéressé, les yeux plus brillants déjà, en attente d'une suite. Armin se repassa la main sur la nuque, l'air gêné, et continua sa lancée.

- Tu sais qu'on en est aux débuts et que ça nous aiderait pas mal si quelqu'un pouvait nous faire un peu de pub dans le lycée… Je sais que je ne devrais pas te demander ça, ajouta-t-il en voyant son expression dubitative, mais tu es la seule hormis Violette a avoir un talent artistique assez élevé pour créer des affiches assez réussies pour attirer l'attention des gens, sans que ça soit too much et comme Violette est partie à l'étranger jusqu'à la fin de l'année…

L'adolescente réfléchi un instant à la proposition d'Armin. Il était véridique que les Burned Liars étaient doués et qu'elle appréciait le son à la fois doux et dur des chansons, et la voix du chanteur était sans conteste la plus belle qu'elle ait jamais entendue. Bien évidement, ces affiches lui prendraient un temps non négligeable, mais cela valait bien un enregistrement inédit d'une répétition du groupe d'adolescents. Elle les avait déjà vus à l'œuvre et elle avait été fascinée par l'accord parfait des musiciens : Armin à la basse, son jumeau, Alexy, avec ses cheveux bleu flashy, à la batterie, Castiel, un rebelle aux cheveux rouges, à la guitare et pour finir, Lysandre, un jeune homme que l'on aurait dit venu tout droit du XIXe siècle avec ses habits victoriens, au chant et au clavier, quand l'envie lui prenait. La jeune fille ne les connaissait pas vraiment, juste de nom et de visage, pour les avoir rencontrés lors des différents cours qu'elle suivait. Finalement, elle hocha de la tête et esquissa un petit sourire. Le visage d'Armin s'illumina.

- Merci beaucoup, tu nous sauves la mise ! En temps normal, c'est Lysandre qui s'occupe du design du groupe et de tout ce qui se rapproche de près ou de loin au visuel, mais tu n'est pas sans savoir qu'il s'est foulé le poignet en EPS, ce qui est très handicapant pour lui et… … … bref, tu va être en retard si je te retiens plus longtemps… euh, on se voit une prochaine fois, d'accord Amiastine ?

Armin avait brusquement rougit en parlant du «handicap» de Lysandre. Il n'avait pas encore l'habitude, le fait qu'il ne l'ait pas appelée «Mia» en témoignait, mais Amiastine, elle, ne remarquait même plus ce genre de réactions… cela faisait si longtemps qu'elle était différente. C'est pourquoi elle le regarda gentiment, la tête sur le côté, lui disant «au revoir» de la main. Son petit accès de déprime s'était envolé. L'adolescente regarda la montre du couloir et se dépêcha de monter au deuxième étage pour ne pas arriver en retard à son cours. Amiastine finit par s'asseoir à sa place habituelle, au troisième rang à droite, à côté de la fenêtre. Quand la sonnerie retenti, Rosalya, une jeune romantique aux cheveux d'argent, follement amoureuse de son presque fiancé Leigh, le grand frère de Lysandre, vint s'installer sur le même banc qu'Amiastine, la salua d'un signe de ses yeux mauves et commença à envoyer des mots doux à son amoureux. Vu la couleur de ses pommettes, la discussion devait être plus qu'animée. À deux tables d'elles, un rang en retrait, un jeune rêveur, peaufinant le portrait d'une demoiselle vêtue à la mode de 1847, à la chevelure de feu et aux yeux insondables, releva la tête et sourit en regardant son modèle, alors que le professeur introduisait son cours sur la capacité des lézards à faire repousser leur queue.